Chapitre 8 : Le mouchoir jaune

 

Le mouchoir jaune

(Camille, Amélie)

 

 

 

   D’entrée, Camille avait dévisagé Amélie. Elle s’était assise à son pupitre et soutenait son regard. Sa désinvolture était surprenante mais Amélie paraissait imperturbable. Elle sortait ses livres de son sac en s’armant de gestes lents plus exaspérants les uns que les autres.

   Par cette attitude, Amélie adoptait un comportant un peu intriguant, il fallait bien le reconnaître. Etait-ce une manière de répondre à l’attention intempestive que Camille lui portait ?     

   Camille aurait aimé fixer le temps, figer les autres pour un aparté avec Amélie, sans trop savoir ce qu’elle avait envie de lui dire. Lui parler de sa mère? Le soulagement et la sérénité qu’elle lui avait procurés en partageant un peu de son coma? Lui raconter tout ce qu’elle lui avait dit sur sa fille? Lui avouer qu’à travers l’affection de sa mère, elle l’avait aimée d’une certaine manière et que maintenant face à elle, elle souhaitait partager son vécu et mieux la connaître?

   Non. Elle ne pouvait rien dire de tout cela même si dès l’instant où Amélie était entrée dans la classe, la toute première fois, Camille pensait qu’elle venait d’entrer dans sa vie.

   Arrivée à la lettre « L », Melle Delhanges prononça le nom de Camille sans commettre d’erreur. En fait, tous ses professeurs avaient pris la mauvaise habitude de prononcer le « Lo » comme un « Lau ». Camille cria presque: « Présente ! », habillée d’un sourire qui trahissait le bonheur qu’elle vivait d’être là.

   La liste des présences terminée, Melle Delhanges sortit de la classe sans en prévenir ses élèves. Elle n’avait pas passé la porte qu’ils se mirent à chuchoter et l’on pouvait entendre dans la plupart des bouches: « Elle est étrange cette fille quand même ! », d’autres s’amusaient: «  Qu’est-ce qui lui prend ? Elle a la chiasse ou quoi ? », certains répliquaient: « Ou bien elle est constipée, t’as vu la tête qu’elle fait aujourd’hui ? Pour moi, son mec l’a plaquée ! », on entendait également: « Oui ou bien elle a des problèmes de fric, on le sait les profs ça gagnent pas des masses ! », et patati et patata…

   A la surprise générale, Camille d’ordinaire silencieuse, lança: Ou bien elle est peut-être affligée parce que sa mère est peut-être morte. Ils la fixèrent furtivement et éclatèrent de rire en lui tournant le dos pour la laisser dans son coin et faire comme s’ils n’avaient rien entendu. Camille soupira et laissa son esprit s’asseoir sur la chaise vide de Sonia.

   Quelques minutes plus tard, Melle Delhanges pénétra promptement dans la classe. Certains restèrent statiques, surpris par son entrée soudaine. Elle se déplaça d’un bout à l’autre de la pièce, les mains jointes dans le dos, la tête attirée par le plancher. On se retournait, se lançait des oeillades interrogatives, haussait les épaules, plissait le front, baillait, autant de réactions que de questions sans réponses.

Sans crier gare, Amélie prit la parole:

   ––  J’ai entendu tout ce que vous avez dit. J’étais derrière la porte et j’écoutais, ma montre en main. Je vous ai donné 5 minutes pour débiter un amas de conneries. J’ai bien ri et je vous en  remercie. Vous devez certainement vous demander pourquoi j’ai fait ça, n’est-ce pas ? Et je dois vous paraître encore plus étrange… Pour votre information personnelle: non je n’ai pas la chiasse, merci de vous en inquiéter, dit-elle en riant.

   ––  Soit !, poursuivit Amélie, on ne va pas y passer la journée ! Pour en venir à la raison de  mon absence de tout à l’heure, cela va de soi, je voulais vous tester afin d’en arriver au sujet de cette leçon.

 Tandis que l'ensemble de la classe, bouche bée, était bluffée par sa réaction, Amélie se dirigea vers le tableau. Sa craie en main, elle resta figée quelques secondes offrant la splendeur de sa longue chevelure à son auditoire. Le geste imprécis, tremblant comme si elle réprimait une vive émotion, elle inscrivit le mot: bavardages.

   En se retournant, elle aperçut, dans le reflet de la vitre, les grimaces qu’un de ses élèves adressait à Camille.

   ––  David ? Tu te sens bien ? Tu veux sortir prendre l’air peut-être ?

   Le malheureux n’eut pas le temps d’émettre un son qu’elle continua:

   ––  Parce que…  je ne sais pas si tu es au courant, je te dis ça à titre d’information, mais on en enferme pour moins que ça…, lui envoya-t-elle l’air dégagé sans prêter la moindre attention à la personne qu’elle venait de défendre.

   Nul besoin de préciser que personne n’osa plus embêter Camille…

   Amélie détestait perdre son temps, Camille en était la première ravie. Mais l’avait-elle défendue délibérément ou était-ce dans sa nature ? Et était-elle vraiment sortie précipitamment de classe pour tester ses élèves ?

   ––  Alors ? Qui sait m’expliquer en quelques mots ce que signifie le terme « bavardages » ? Personne ne veut répondre ? Bien ! Vous pouvez ranger vos affaires, ça tombe bien il est midi, vous allez avoir tout l’après-midi pour vaquer à vos habitudes. Ah ! oui, j’oubliais: 3 pages sur les bavardages, pour demain.

   Une flopée de doigts se dressa. Amélie sourit.

   Quant à Camille, elle restait inconditionnellement silencieuse, dévorant son image et buvant ses paroles. Repliée sur elle-même, elle cherchait quelque chose dans sa poche. Une fois parvenue à capter l’attention d’Amélie, elle brandit un mouchoir et le déposa lentement devant elle. Un mouchoir jaune.

   Quand la sonnerie de la cloche retentit, Amélie attendit que tous les élèves soient sortis.  

   Précautionneusement, elle jeta quelques coups d’œil par la fenêtre afin de s’assurer que personne ne l’observait et elle s’empara du mouchoir. Il était écrit: « St Elizabeth chambre 419 ».

   Amélie s’affaissa sur le banc.

   Quelques hoquets plus tard, elle reprit contenance et s’entendit prononcer: « Camille », tout en essuyant ses joues à l’aide du tissu jaune.

   Camille, un nom qu’elle connaissait à présent…

 

 

 

 

 

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Etienne Ycart
Posté le 11/03/2022
Ta ta tan !
la rencontre entre c1amille et Amélie
enfin l'histoire va commencer !
c'est marrant j'arrivais pas à croire au début
qu'une femme appelée deshange
en fût vraiement un !
Ella Palace
Posté le 11/03/2022
C'est Deslhanges, il y a un "l", lol.
Je ne sais pas si on peut dire que l'histoire va enfin commencer... Vu qu'elle a déjà commencé et qu'il ne faut pas trop se faire d'idées car la plupart risquent de s'avérer fausses...
Oriane
Posté le 27/10/2021
Bonjour Ella,

Un chapitre calme, ça fait un peu de bien après ce qu'il a pu se passer précédemment. Mais étrangement, je me demande si le calme est vraiment là.
Amélie semble presque aussi mystérieuse que Camille. Bon, en même temps, elle ne va pas crier sur tous les toits, surtout devant les élèves, qu'elle a perdu sa mère. Je me demande comment tu vas la relier à Camille, parce que je suppose que le décès de sa mère et ses circonstances ne sont pas leur seul lien.
Ella Palace
Posté le 27/10/2021
Coucou,

Merci pour ta lecture et ton commentaire...
Oui, un peu de calme pour changer lol

A bientôt
Edouard PArle
Posté le 31/08/2021
Hey!
Un chapitre plutôt agréable à lire, plus serein.
Voir Camille et Amélie ensemble est assez rassurant et donne de l'espoir pour la suite (l'accalmie avant la tempête ?)
Quelques remarques :
"Amélie semblait confiner un état d’être peu commun et assez intriguant" j'ai un peu tiqué sur cette phrase, je ne comprends pas trop ce que tu veux dire.
Ella Palace
Posté le 31/08/2021
Coucou,

merci infiniment pour ta fidélité!
Je vais changer la phrase car elle ne semble pas très claire. Merci.

Au plaisir
Hortense
Posté le 20/06/2021
Bonjour Ella,
Un chapitre rassurant, Camille semble avoir enfin trouvé une véritable alliée . Elle puisera de la force dans cette relation, on sent Camille plus sereine et plus affirmée.
En fait, cette Amélie est une originale surprenante. Je l'imaginais douce et un peu timide, on la découvre provocante et combative, bousculant les codes et la perception traditionnelle que l'on a du professeur.
Belle idée que la fin avec le mouchoir, flash-back qui nous ramène à la chambre 419.
Je trouve très bien de finir sur cette note pleine d'espoir et qui ouvre des perspectives au lecteur imaginatif.

Quelques remarques, questions et suggestions, comme d'hab :


- en s'armant de geste lent, "avec" serait plus léger.
- confiner un état d'être ou confirmer ?
- peut-être : répétition
- sans en prévenir ses élèves : sans explication
- Certains restèrent statiques : certains s'immobilisèrent d'un air coupable ? Il faudrait expliquer ce que sous-entend statique.
- un amas de conneries / chiasse : est-ce qu'Amélie peut s'exprimer d'une manière aussi crue ? De mon temps, comme dirait ma grand-mère.... Un professeur ne trouverait-il pas une formule plus imagée et drôle pour marquer sa différence ou son humour ironique ? Si j'étais prof, c'est ce que je ferais.
Avant "Soit" il me semble qu'une courte phrase pour indiquer l'effet produit par son petits discours serait bienvenue.
- elle resta inerte : immobile, figée...
- Le geste imprécis, tremblant comme si elle réprimait une vive émotion, elle inscrivit le mot: bavardages. Cela nécessite quelques explications : qu'est-ce qui provoque une telle émotion ? Ce ne peut être "bavardage" ? Est-ce parce qu'elle découvre un élève s'en prenant à Camille ?
Ella Palace
Posté le 20/06/2021
Re Hortense,


La suite du roman dira si l'imagination du lecteur voit juste ;-)
Je ne sais pas de quel temps tu viens ;-) mais dans le mien, un prof reprenait parfois les termes des étudiants pour s'en amuser, c'est ce qu'Amélie fait. Un de mes profs d'unif (un chercheur connu qui nous a quitté), était de ce genre là, par exemple. Mais j'en ai eu un ou deux autres au Lycée, dans le même genre.
J'en souris encore en y repensant à l'instant.
Si elle est tremblante, on peut se demander pourquoi elle est sortie de la classe comme le note Camille... Est-ce vraiment pour introduire le thème de la leçon? Elle vient de perdre sa mère...
Je vais réfléchir à tout cela et te remercie encore pour ton intervention toujours intéressante :-). Vraiment !

A bientôt
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