Chapitre 8 : Faure

Par Nosir

Lyon, 29 juin 2015, 8 h 20

 

Faure fait le point avec son adjoint. Ce dernier, assis sur l’une des deux chaises en similicuir devant le bureau du lieutenant, tient un carnet et un stylo entre ses mains. Son visage anguleux, au long nez effilé, reflète une profonde concentration.

— Hôpitaux ? lui demande le lieutenant.

— Aucun hôpital de la région n’a admis de patiente de ce nom.

— Cadavre ?

— Parmi les cadavres découverts ces quinze derniers jours, aucun ne correspond au signalement de la disparue.

— Enlèvement ?

— Dans le cas d’un enlèvement, la famille aurait déjà reçu une demande de rançon. Bien sûr, il se pourrait que Swan ait été enlevée pour une autre raison que l’argent.

— Alors un appel à témoins sera quasiment notre seul recours.

— Effectivement.

— Véhicule ?

— Pas de véhicule de location enregistré à ce nom, dit Bertin. Nous avons montré la photo de Swan à tous les taxis de la ville. Sans résultat. Elle a dû s’en aller à pied.

— Ou bien elle a loué une voiture sous une fausse identité.

— Dans ce cas, elle est loin.

— Des nouvelles de l’aéroport ?

— On est en train de s’en occuper. Mais pour l’instant, le visionnage des vidéos de surveillance ne donne aucun résultat.

— Le smartphone a été analysé ?

— Un appareil à mille deux cents euros, dont elle ne se servait plus qu’à de rares occasions. À part quelques contacts et de vieux emails, il ne contient pas grand-chose. D’ailleurs, les recherches sur son activité numérique n’ont, pour le moment, absolument rien révélé. Swan n’est présente sur aucun réseau social, elle n’a même pas d’ordinateur. Elle ne possède aucun appareil électronique hormis ce téléphone.

— Téléphone qu’elle aurait offert à un sans-abri en plus de sa montre. Cela n’a pas beaucoup de sens.

— Le type a pu vous renseigner, au fait ? s’enquiert Bertin.

— Néant.

En quelques mots, Faure résume à son adjoint sa promenade avec le sans-abri. Pendant plus d’une heure et demie, ils ont sillonné la ville dans un périmètre assez large autour du domicile de Caroline Swan, poussant jusqu’à Serin, Croix Rousse et Rochecardon, s’attardant en particulier devant les impasses. En vain. L’homme a reconnu certaines rues pour y avoir passé une nuit ou fouillé les poubelles, mais il était peu probable – le lieutenant le savait – qu’il identifie le lieu de sa rencontre avec la jeune femme. Faure l’a donc ramené au commissariat, où, tant qu’on ne sera pas certain qu’il n’a pas agressé la propriétaire de la montre et du téléphone, il sera retenu pendant vingt-quatre heures.

Ayant terminé, le lieutenant glisse une pastille aux plantes sous sa langue.

— A-t-on fini d’interroger les proches et les voisins ? demande-t-il.

Le brigadier Bertin affiche un air contrarié.

— L’audition des membres de la famille est loin d’être concluante. Son père est retourné vivre en Angleterre, il n’a pas vu sa fille depuis des mois. Sa mère est injoignable, elle se trouverait actuellement au Sri Lanka, d’après une de ses sœurs. Si c’est le cas, elle ne rentrera pas avant plusieurs semaines, car elle envisageait de prolonger son périple jusqu’au Népal.

— Des grands-parents, des oncles et tantes ?

— Les grands-parents paternels vivent en Angleterre également. Ils n’ont aucune nouvelle de leur petite-fille. Les grands-parents maternels sont morts depuis longtemps. Les oncles, tantes et cousins ne savent rien non plus.

— À qui profite sa disparition en cas de décès ?

— Aux parents uniquement. Swan n’a pas d’enfants.

Faure se rejette contre le dossier de sa chaise et soupire. Quelque indice devrait bien finir par surgir. Il demande, tout en tapotant la table avec le capuchon de son stylo :

— Qu’est-ce qu’on a d’autre ?

— Rien du tout, malheureusement, répond le brigadier. Les voisins n’ont rien remarqué d’inhabituel. Swan vit seule, c’est une femme discrète qu’on n’entend ni ne voit presque pas.

Le lieutenant croise les bras. Le bonbon fond lentement dans sa bouche. « Une femme discrète qu’on n’entend et ne voit presque pas… » Au fond, c’est peut-être cela, le plus étrange. Qu’une jeune personne de bientôt trente-six ans, jolie à en juger par sa photo, réussisse à se rendre quasiment invisible. Qui est-elle vraiment ? Une femme perturbée, peut-être dépressive, désireuse de se cacher ou de disparaître ? Un événement rapporté par l’ex-fiancé revient à la mémoire du lieutenant : elle avait sauté un jour par la fenêtre de son appartement. Faure vérifie ses notes. C’était il y a six ans.

— Où vivait-elle il y a six ans ? demande-t-il au brigadier.

— Je vais me renseigner.

— Essayez aussi de contacter la mère. N’abandonnez pas. Elle sait peut-être où est sa fille.

— Je m’en occupe, lieutenant.

Suçant toujours son bonbon, Faure lance un regard pensif vers la fenêtre, entravée de barreaux métalliques. Pierre Delaunay assure que Swan ne serait jamais partie sans le prévenir. Mais Delaunay connaît-il suffisamment bien son ex-fiancée pour savoir ce qu’elle ferait ou ne ferait pas ? Peut-on vraiment connaître les gens, même lorsqu’il s’agit de vos proches ? Faure n’en est pas convaincu.

— Tenez-moi au courant, dit-il, au sujet des vidéos dans les aéroports.

— Bien, chef.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
itchane
Posté le 26/02/2023
Hey,
intéressant ce chapitre, même s'il reprend beaucoup d'éléments que l'on savait déjà c'est tout de même une info de savoir que Caroline avait une famille (j'en avais douté, me demandant si elle était de ce monde au départ, haha). Donc c'est quand même une info en plus sur le personnage qui n'en devient que plus énigmatique encore.

On se demande un peu où l'enquête va bien pouvoir aller après toutes ces pistes mortes dans l'oeuf, pauvre Faure ^^"

Le suspens sur le moment où les deux mondes vont se rejoindre (s'ils se rejoignent) et toujours aussi fort en tout cas ^^
Nosir
Posté le 26/02/2023
Hello Itchane! Merci pour ce nouveau commentaire! Oui, j'ai pensé qu'il était bon de récapituler toutes les données de l'enquête, d'autant qu'il paraissait indispensable, d'après moi, que les enquêteurs interrogent la famille, les amis et les voisins, comme dans tout vraie enquête, même si tous ces gens savent que dalle :-D.
Vous lisez