Chapitre 8 - Cerise

Madame L. s’approcha de nous pendant que le tueur était emmené, je me moquais bien où du moment que c’était loin de moi. Elle me sourit aimablement :
« Comment vas-tu, jeune fille ? Je me dois de vous remercier, Carlise et toi, pour avoir permis la capture de cet homme.
- Ben, de rien, essayai-je d’articuler face à la dignité impressionnante de cette femme. Et maintenant ? Vous allez m’effacer la mémoire ou un truc de ce genre ?
- Ce ne sont pas nos méthodes. De toute façon, je sais que ce monde ne sera pas prêt à admettre l’existence du nôtre, personne ne te prendra au sérieux.
- Vous avez tout à fait raison, Madame, et j’aurais été peinée d’oublier cette aventure avec Carlise aussi traumatisante soit-elle.
- Y a-t-il quelque chose que tu veux en récompense ?
- Et bien, vous y connaissez-vous en transfert d’âme spatio-temporel ? »
Elle me regarde avec un drôle d’air. Je reprends avec une pointe d’amertume :
« Si même une pointure dans un monde surnaturel n’a jamais entendu parler de cela, je pense que personne ne sera jamais capable de m’aider. Je devrais résoudre cette énigme seule.
- J’en suis désolée et je te souhaite bien du courage. »
L’armée de Roses et elle se dirigent vers l’entrée de la ruelle, mais le temps de cligner des yeux, elles eurent toutes disparu. A bout de force, mes jambes ne parviennent plus à me soutenir (déjà que je n’en ai qu’une qui marche) et me laisse glisser contre un mur. Carlise vint près de moi :
« Ca va ?
- Elles sont pas commodes tes copines. »
Puis je repris pour avoir confirmation :
« Alors, tu as gagné ?
- Ouais, on a gagné. »
Nous restâmes assises quelques instants. Nous pouvions souffler à présent : le calme après la bataille. Le silence fût rompu par un profond soupir de ma part, Carlise m’interpela aussitôt :
« Cerise ? Tout va bien ?
- Ouais, c’est juste que je me disais…
- Quoi donc ?
- On vient de résoudre l’une des affaires criminelles les plus importantes de l’histoire, genre Jack l’Eventreur ou le Tueur du Zodiaque. Et je ne pourrai jamais en parler. Personne ne me croirait.
- Et moi, il faudra bien que je fasse un rapport à ma directrice.
- Raaaah ! Je te déteste ! Toi, tu deviendras célèbre !»
Carlise me regarda, profondément choquée. Je lui souris :
« Faudra que je t’apprenne le second degré, t’as pas l’air d’une grande déconneuse. »
Je me mis à rire comme une folle : mélange d’humour et de soulagement. Carlise sembla tout à fait ahurie par ma réaction impromptue.
« Dis ?
- Oui ?
- Je te trouve bien gaie pour quelqu’un qui a failli se faire tuer…
- Ah ? Ca ? C’est juste un sorte de mécanisme de défense pour m’empêcher de faire une crise de nerfs !, dis-je avec désinvolture. Mais je peux faire une crise de nerfs si tu veux !, dis-je avec la désinvolture qui commençait à partir en couilles.
- Oh… Cerise… »
Carlise me prit une dizaine de minutes dans ses bras le temps que se calme un accès incontrôlé et incontrôlable de larmes et de rires. Elle fut d’une grande patience et me consola avec tendresse.
« Oh merde !, fis-je en regardant ma montre.
- Quoi encore ?
- Il se fait super tard, je vais me faire tuer en rentrant chez moi par ma mère et, en plus, j’ai bousillé mes vêtements. Je préfère encore affronter un second McTrigger plutôt qu’elle !
- Comment peux-tu dire ça ?, s’indigna Carlise. »
Elle eut un instant de réflexion et demanda :
« Second degré ?
- Second degré. »
Je m’appuyai au mur et ramassai ma béquille. Je m’étirai et annonçai :
« Bon, c’est pas tout ça, mais je vais devoir me rentrer. »
Carlise se leva à son tour :
« Je suppose que ça signifie la fin de ma mission ici.
- Maintenant que tu as sauvé ta personne destinée en tant qu’Appelée, qu’est-ce que tu vas faire ?
- Et bien, je devrais vivre la vie qui m’était destinée justement. Par contre, j’avoue que je ne sais pas ce que cela implique. Et toi ?
- Comme d’hab ! Je vais me pieuter et aller au collège lundi ! Je vais avoir mon brevet à passer !
- Je repartirai à l’école dès demain, je pense.
- Tu me diras quand tu comptes partir, je viendrai te dire au revoir.
- Avec plaisir ! »
Nous fîmes un bout de chemin ensemble et nous séparâmes chaleureusement à un carrefour.


Nous nous retrouvâmes le lendemain au bar où nous avions eu notre premier entretien. J’avais réussi à négocier cette dernière sortie avant une punition à vie pour être rentrée après le couvre-feu maternel. Nous prîmes un verre ensemble (sans alcool, bien sûr, c’était la condition pour que je puisse continuer à fréquenter l’établissement).

Carlise se prit la tête entre les mains et soupira :

« Je me demande quand même pourquoi il en voulait autant aux Roses… »

Sans lever le nez de mon verre, je répondis du tac au tac :

« C’est l’histoire d’un différend avec Madame L., en fait. »

Carlise me regarda avec étonnement :

« Comment tu le sais ?

- McTrigger m’en a parlé, j’ai juste oublié de le mentionner.

- Alors ?, m’interrogea la magicienne avec curiosité. »

Quand je lui dis la raison, mon amie perdit ses couleurs d’un coup, elle se retrouva plus blanche qu’un linge lavé avec Omo (pas l’ancien, le nouveau qui, d’après la pub, détruit les bactéries avec des rayons laser).

« C’est pas vrai…, murmura-t-elle. »

Je ne me doutais pas que cette révélation la choquerait autant, pour moi, ce n’était qu’une raison triviale, limite puérile. Je lui demandai :

« C’est si grave que ça ?

- Plus que tu le crois ! J’aurais préféré ne pas le savoir ! Si on apprend que je connais ce secret, la bonne moitié du monde magique essaiera sûrement de me tuer.

- Et bien, oublions tout ça alors et profitons de nos derniers moments ensemble !

- Ca vaudra mieux… »

En sortant, le soleil nous caressa le visage, le moment de la séparation approchait. Nous nous embrassâmes une dernière fois et je fis promettre à Carlise de revenir me voir. Elle sembla embarrassée à l’idée de faire cette promesse et se contenta d’un « j’essaierai ». Je mis ma main en visière pour me protéger d’un rayon du soleil un peu trop éblouissant et le temps que je rouvre les yeux, Carlise avait disparu. Je lançai à la cantonnade sans être sûre qu’elle puisse m’entendre :
« Bonne chance ! »

Cette rencontre fut sûrement l’événement le plus étrange qui m’arriva de cette vie, si l’on exclut cette vie en elle-même. Je savais qu’il resterait toujours dans mon cœur, car jamais je ne pourrai en parler, je ne le mentionnerai donc pas dans ma biographie.
Je repris le chemin vers la maison, ma canne claquant en rythme sur le pavé. En abritant ma main libre dans ma poche, je sentis un objet qui n’avait rien à y faire. Je regardais : il s’agissait d’une broche en forme de rose

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