Chapitre 8 - Baptiste - Perdition

Lorsque Baptiste vit Kol apparaître à la fenêtre de son laboratoire, il sut que quelque chose n’allait pas. C’était lui qui allait déranger son sine condicione, pas l’inverse. Baptiste sortit immédiatement.

- Mal est passée en coup de vent. Elle souhaite une réunion extraordinaire. Elle m’a trouvé en premier et m’a demandé de venir te chercher.

Baptiste hocha la tête. Un instant, il fut saisi de terreur. Malika allait-elle leur annoncer une grossesse ? Lors de chacune des sept dernières réunions, il avait prié. L’absence d’annonce l’avait soulagé, mais pas la colère et la rage dans les yeux de Malika. Le temps qui passait n’améliorait pas son humeur, bien au contraire.

- Que faites-vous là ? s'exclama Paul en voyant débarquer tout le monde dans sa pagode.

- Mal a demandé la tenue d'un conseil extraordinaire, indiqua Baptiste.

- Ça ne pouvait pas attendre ? Je n’apprécie pas… commença Paul.

- Non, le coupa Malika. C'est plus qu'urgent !

Baptiste sursauta mais il fut le seul. Malika venait de couper la parole au chef du groupe. Paul détestait Malika qu’il considérait comme une menace et n’acceptait sa présence que par amour pour son jeune frère. La jeune femme le savait et pourtant, elle venait de lui manquer volontairement de respect. Bizarrement, Paul ne lui en tint pas rigueur.

- Il manque Chris, annonça Paul.

- Nous n'avons pas le temps de l'attendre, répondit Malika. Le temps presse. Il n'a pas répondu à l'appel, tant pis. Le premier qui le voit lui transmettra les informations.

Paul parla mais Baptiste ne l’écoutait pas. Malika ne souhaitait pas la présence de Chris ? Pour quelle raison ? Il était le seul à lui donner de la valeur, à lui permettre de s’exprimer. Il était son créateur. Tout cela n’avait pas de sens. David argumenta dans le sens de Malika et Baptiste fut perdu. Quelque chose ne tournait pas rond, mais quoi ?

Baptiste fut ramené à la réalité par les cris indignés de ses compagnons. Grâce à sa mémoire parfaite, il écouta la conversation ratée. Le monde tel qu’il le connaissait était sur le point de changer brutalement. Des milliers de Vampires envahissaient l’Europe et bientôt, ils fouleraient toutes les terres connues. L’information le détourna complètement de ses doutes. Ses angoisses furent remplacées celle-là, bien plus grande, bien plus importante. Soudain, l’absence de Chris lui parut lointaine. Il se concentra sur le moment présent.

Paul se montra incapable de prendre une décision. Il les envoya surveiller l’invasion des Vampires, juste surveiller. Kol voulut attaquer et Baptiste dut, à contrecœur, l’en empêcher. L’inaction lui pesait à lui aussi mais Kol ne semblait pas le comprendre. La dispute fut violente et longue. Lorsque Malika leur proposa de faire croire aux humains que leurs croyances stupides étaient vraies, il accepta immédiatement et les siens avec lui. Un peu d’action leur réjouissait le cœur et l’âme.

Dix ans plus tard, Paul ordonna une enquête poussée sur l’origine de ces Vampires dans le nouveau monde. Kol se proposa, plongeant Baptiste dans une mélancolie telle qu’il encouragea Malika qui se proposait elle aussi. La voix de la méfiance était bien lointaine aujourd’hui, ensevelie sous la menace des Vampires et la peine de ne plus voir son sine condicione. La seule joie de la journée fut l’annonce de réunions décennales en lieu et place des séculaires.

Malika annonça lors de la première réunion sa supposition concernant l’identité de la source. Elle désigna Seth, qui avait disparu quatre cents ans auparavant. Baptiste l’écouta moyennement, trop concentré sur Kol, enfin retrouvé. Il accepta totalement sa version sans se poser de questions et la vie continua, avec ses nouvelles routines liées à la présence des Vampires partout et les retrouvailles décennales avec Kol, attendues avec grande impatience.

 

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Une réunion extraordinaire ? De nouveau, Malika en était à l’origine ? Baptiste n’en revenait pas. Ses angoisses lui sautèrent à la gorge. Il fut heureux de retrouver Kol mais cette fois, il lutta contre le sine condicione. Il en avait assez d’être contrôlé émotionnellement. Quelque chose n’allait pas et il voulait en avoir le cœur net. Son esprit lui jouait des tours, l’obligeait à rompre ses réflexions pour revenir sans cesse vers Kol. Baptiste enrageait d’impuissance.

Il frémit en apprenant que Malika avait frôlé la mort puis explosa de curiosité à l’idée de ce changement corporel permettant de se nourrir de sang de Vampires. Il écouta avec attention les explications de Paul sur la transe méditative et fut le premier à gagner la nouvelle capacité.

Une fois rassasié, son esprit s’éclaircit quelques instants et il vit pour la première fois le sourire véritable qui barrait le visage de Malika lorsqu’elle le regardait. Elle semblait tellement sereine, tranquille, calme, heureuse. Aucune colère, aucune rage, aucune peine, aucune souffrance, aucune tristesse ne l’habitait. Depuis quand était-ce le cas ?

Baptiste tenta de se plonger dans sa mémoire parfaite mais son esprit l’obligea à se tourner vers Kol, en danger de mort tandis qu’il tentait d’acquérir la nouvelle capacité. Baptiste se retint d’aller aider l’amour de sa vie. Ce fut d’une difficulté atroce mais il y parvint. Une intense fatigue physique et nerveuse le parcourait. Une fois Kol revenu en parfaite santé, il le dévora des yeux, incapable de se concentrer sur autre chose. Il ne revint à la réalité qu’aux mots « prêtresse du bien » prononcés par Malika et ses angoisses ressurgirent d’un coup, le prenant à la gorge.

- Tu as eu des enfants ? demanda Paul froidement.

- Non, répondit Malika et Baptiste ne repéra aucun signe de mensonge ou de tromperie en elle. Je n'ai eu qu'un fils qui s’est avéré infertile. Celles-là ne viennent pas de moi. Peut-être un gène enfoui ressortant après des siècles de dormance.

Baptiste hocha la tête. La supposition se tenait. Des caractéristiques sautaient parfois plusieurs générations sans raison apparente. Paul se mit à réfléchir silencieusement et Baptiste vit ses peurs se démultiplier. Il avait tellement craint le retour des prêtresses du bien via Malika qu’il en avait oublié la possibilité que la nature elle-même fasse ressurgir la menace. Il n’avait pas peur de mourir. Il avait peur de perdre Kol. Cette sensation le rongeait et l’impuissance le minait. Le silence de Paul commença à lui taper sur les nerfs. Chris aurait pris une décision rapide, juste, parfaite, adéquate, adaptée. L’incapacité de Paul à commander correctement le groupe lui vrillait les nerfs.

- Paul, pourrais-tu parler à voix haute, je te prie ? Nous ne sommes pas télépathes.

- Ils continueront à perdre par manque d'efficacité, dit Paul. Ils sont trop lents. Ils doivent boire, manger, dormir… cependant…

De nouveau, Paul devint silencieux. Baptiste s'agaça carrément.

- Paul, gronda ce dernier. À voix haute !

- Peut-être qu'avec de l'aide… un objectif commun… c'est risqué mais…

- Paul, hurla Baptiste. Tu parles en langage codé. Traduis !

- Une alliance avec les humains… pour obtenir la même chose… plus de Vampire… Le monde de nouveau à nous.

Baptiste en fut muet de stupéfaction. Cette solution était inenvisageable. Non, ils ne pouvaient pas s’allier aux humains. Leur apprendre leur existence, se dévoiler, leur donner les informations nécessaires pour tuer des Vampires, c’était offrir le bâton pour se faire battre. Baptiste observa le groupe qui, après des hésitations, commencèrent à se rallier à l’idée de Paul. Même Malika accepta l’idée d’exterminer les chasseurs de Vampires.

- Ça ne te pose pas de problème, Mal ? interrogea Baptiste.

- Ça devrait ? répliqua Malika d'un ton surpris.

- C'est ton peuple qu'on parle d'exterminer après s'en être servi sans vergogne.

- Ça reste des êtres humains. Je n'en ai rien à faire qu'on tue quelques humains, prêtresses du bien ou pas.

- Ça va être la guerre, gronda Kol avec ferveur. Aucune chance que je reste à l'écart. Je veux me battre !

La terreur emplit de nouveau tout le corps de Baptiste. Son sine condicione allait se mettre en danger, se plonger au cœur des combats, s’offrir à leurs ennemis. Tout son être lui hurlait de refuser, de s’enfuir, de se terrer, de se cacher. Il baissa les yeux, perdu, serrant les poings de rage face à sa lâcheté. Il n’écouta qu’à moitié Malika leur expliquer comment mentir à une prêtresse du bien sans qu’elle ne s’en rende compte. Il ne comptait pas prendre la parole, de toute façon.

Il suivit le groupe par réflexe mais ses pensées étaient ailleurs. Il en avait assez de subir le sine condicione. Il voulait le voir disparaître. Il voulait enfin pouvoir réfléchir sans être sans cesse troublé par une vision de Kol. Il ne savait pas comment faire. Il se noyait dans ses propres sentiments.

Ses jambes le portaient instinctivement. Ses compagnons auraient pu l’emmener dans une mer de lave en feu qu’il les aurait suivis. Déconnecté de la réalité, il n’écoutait ni de voyait. Sa mémoire parfaite enregistrait tout. Le moment venu, il pourrait retourner voir les évènements ratés mais pour l’heure, il n’était pas là.

Les discussions commencèrent entre les Aar et les chasseurs de Vampires. Baptiste ne se mit à écouter que lorsque Caly réclama une démonstration de Kol. Le sine condicione l’envahit, le forçant à sortir de ses réflexions pour s’assurer du bien-être de son âme sœur. Il grimaça, dégoûté, son impuissance face à ses sentiments plus enrageante que jamais. Kol se montra parfaitement à la hauteur. Puis, Caly annonça que Seth était responsable de l’arrivée des petits Vampires sur le monde.

Baptiste sentit un vertige le prendre. Qui avait proposé cela ? La réponse lui sauta au visage : Malika. La même qui souriait, semblait étrangement en paix avec elle-même. Et les prêtresses du bien ressurgissaient parmi les humains ? Un gène vieux de plusieurs millénaires trouvant de nouveau son chemin vers la lumière ? Cette explication venait de nouveau de Malika. Comme cela semblait pratique. Baptiste avait la nette sensation de rater quelque chose, de passer à côté de la vérité qui pourtant, se tenait juste devant lui.

Baptiste annonça son incertitude quant à l’origine des petits Vampires.

- Et encore, nous n'avons aucune preuve tangible qu'il est à l'origine des Vampires américains.

- Tu vois une autre option ? le contra Paul.

- J'en vois des milliers d'autres, gronda Baptiste en lançant un regard noir à Paul.

Son frère aîné, totalement aveuglé par son sine condicione, ne devrait plus commander, comprit Baptiste. Il serait pas lui-même un meilleur candidat. Fallait-il donner le pouvoir à David ? La présence de Caly à ses côtés lui donnait une certaine liberté de penser. Ceci dit, il était tout de même sous le charme.

Fallait-il offrir la voix royale à Caly ? Alors qu’elle pleurait toujours Seth, son sine condicione disparu ? Oumou pourrait-elle gouverner ? Alors qu’elle détestait Paul ? Probablement pas. Kol ? Le guerrier qui ne pensait qu’au sang et à la mort ? Mauvais choix. Malika ? Non, quelque chose ne tournait pas rond autour d’elle. Baptiste sentait sa confiance envers elle s’effriter.

Rien à faire. Baptiste avait beau tourner tout cela dans sa tête, une seule option lui plaisait : Chris. Il était le seul à pouvoir commander. Bien qu’étant en sine condicione avec Malika, il n’avait jamais montré la moindre incapacité à penser et ce bien que sa compagne ne lui consacre que fort peu de temps. Seulement voilà : Chris avait disparu. Où se trouvait-il en ces temps difficiles ? C’était maintenant que le cercle avait le plus besoin de lui. Baptiste sentit une haine monter envers son frère cadet. Il lui en voulait énormément de son absence.

- Si seulement Chris était là… murmura David.

Oh cette douleur dans le cœur de Baptiste. Ainsi, il n’était pas le seul à désirer la présence de leur frère cadet. Le poignard remua et Baptiste se sentit empli d’une tristesse infinie. Il essaya d’écouter la conversation, de s’intéresser au présent. Ce fut difficile. Au milieu du brouillard, parfois, quelques mots captaient son attention.

- La première prêtresse du bien était Alexandra Da Cunha, experte auprès de l'inquisition portugaise au XVIème siècle, dit la prêtresse du bien associée aux chasseurs de Vampire.

- Je l'ignorais, répondit Caly.

- C'est intéressant, indiqua Baptiste. Leur réapparition correspond à l'expansion massive des Vampires sur Terre. Le gène a-t-il pu être réveillé par leur présence ?

Personne ne lui répondit. Il n’attendait aucune réponse. Il réfléchissait et parlait en fait tout seul à voix haute. Il se plongea dans sa mémoire parfaite. C’était étrange car au moment de l’apparition des prêtresses du bien au Portugal, Malika était en Amérique. Elle ne se serait pas embêtée à traverser l’océan. Quitte à créer des prêtresses du bien, autant les suivre et les avoir près de soi. Cela éloignait la possibilité que Malika soit à l’origine du retour du gène perdu et pourtant, Baptiste restait convaincu de sa culpabilité. Trop d’éléments lui manquaient et son esprit embrouillé ne parvenait plus à recoller les morceaux.

- Vous avez croisé des prêtresses du bien au temps des pharaons, reprit Ilies dont l'estomac était totalement noué.

- Et nous les avons exterminées, jusqu'au dernier membre de leur peuple, précisa Paul.

Baptiste se tourna vers Malika pour observer sa réaction. Elle s’en rendit compte et se sentit alors obligée de s’expliquer, à voix suffisamment faible pour que les humains ne puissent entendre.

- Je le savais, chuchota-t-elle trop bas pour que les humains entendent. Je ne vous en veux pas. Je comprends. Vous avez éliminé une menace. Tout va bien, Baptiste, c'est bon. Je m'en fous. Ce ne sont que des humains que vous avez anéantis. Qu'en ai-je à faire ?

Baptiste tourna la tête tout en restant silencieux. Elle le savait ? Depuis quand ? Lors de leur conversation, il y a des siècles de cela, elle lui avait annoncé ne pas vouloir le retour des prêtresses du bien et comprendre la menace qu’elles représentaient. Malika ne venait pas de le lui rappeler. Elle semblait le lui annoncer, comme s’ils n’avaient jamais abordé ce sujet ensemble. Or Malika ne pouvait pas avoir oublié cet échange, crucial dans son envie de devenir mère.

Baptiste se perdait dans sa mémoire parfaite, tentant d’y trouver la réponse, cherchant les détails qui lui échappaient. Il ne revint au présent que sur l’appel insistant de Paul.

Il écouta rapidement les derniers échanges stockés dans sa mémoire puis annonça :

- Je regarderai et j'interviendrai quand je voudrai.

Il voulait qu’on lui foute la paix. Il avait besoin de réfléchir. Ceci dit, tuer des Vampires et surtout, se gorger de leur sang pourrait être une bonne idée. Quand il s’était nourri, son esprit s’était soudain éclairci. Oui, participer à cette guerre serait le moyen d’échapper momentanément à l’emprise du sine condicione pour avancer vers la vérité.

Il participa à la guerre, suivant Kol, l’assistant, le soutenant, couvrant ses arrières. L’enthousiasme de son compagnon ne l’atteignit pas. Baptiste resta lointain, cherchant avant tout à trouver la solution, à comprendre. La première guerre humaine arriva à sa fin mais des Vampires subsistaient alors Kol relança ses murmures. Baptiste en profita pour essayer de penser mais son esprit parasité resta incapable de faire les bons liens. La deuxième guerre commença et les vampires disparurent pour de bon.

Baptiste suivit Kol pour la réunion du cercle. L’arrivée de Félix ne fit qu’empirer la situation déjà désastreuse de son esprit. Baptiste fixait Malika dans l’espoir de déceler quelque chose, n’importe quoi, pourvu qu’une explication lui parvienne.

Le nouveau annonça haut et fort que Seth n’était pas l’origine et tout le monde semblait accepter la nouvelle sans demander d’explications à Malika. Elle avait fait une erreur de jugement et Paul n’en profitait pas pour lui sauter à la gorge ? Baptiste en fut étonné avant de se souvenir qu’Oumou avait pris le large depuis des années et que l’état mental de Paul devait être bien pire encore que le sien.

L’attitude de Malika ne montrait rien de particulier. Elle échangeait avec les membres du cercle avec aisance, comme depuis toujours. Baptiste ressentait au plus profond de ses tripes un malaise, un mensonge, une tromperie. Il se trouvait incapable de la voir. Tous ses sens lui disaient que le monde tournait normalement. Son instinct lui disait le contraire. Il ressentit le regard de Caly sur lui et dut une fois de plus se plonger en urgence dans sa mémoire parfaite pour se mettre au clair sur les évènements en cours. Caly avait lancé un sondage. Devait-on ou non exterminer les chasseurs de Vampires maintenant ?

- Je m'en fiche. Je ferai ce que Paul décidera.

Il voulait qu’on le laisse tranquille. Il rêvait de pouvoir enfin penser correctement. Son esprit scientifique abhorrait ces sentiments qui l’emprisonnaient dans un monde émotionnel lorsqu’il ne rêvait que de rationalité. Il se vit confier l’Afrique alors que Kol partait de nouveau en Amérique du sud. Lorsque Kol disparut, Baptiste s’apprêta à rejoindre son continent mais Malika prit les devants.

- Baptiste. Qu'est-ce qui ne…

- Ne m'approche pas. Ne me touche pas. Ne me parle pas, cingla-t-il avant s’en aller.

Il ne voulait pas lui parler. Il ne voulait pas que quiconque le détourne de ses pensées. Si elle n’était responsable de rien, elle aurait subi sa mauvaise humeur sans raison. Si elle était coupable, alors elle ne méritait pas qu’il lui adresse la parole. Dans les deux cas, mieux valait ne pas lui parler maintenant.

Il s’acquitta de sa tâche le plus vite possible. Le continent, malgré sa taille, ne lui résista pas. Il connaissait chaque recoin par cœur. Il savait où trouver les chasseurs de Vampires. Il trouva un refuge détruit et en conclut que Oumou était passée par là. La prêtresse du bien liée à ce continent devait probablement demeurer en ce lieu, obligeant l’Aar à peau d’ébène à assainir elle-même l’abri.

Trois jours avaient suffi pour nettoyer l’Afrique. Baptiste voulait que le travail soit terminé rapidement. Il voulait pouvoir passer à autre chose, enfin se concentrer sur l’essentiel. Il détestait cette guerre qui l’empêchait de visualiser l’important. Il souhaitait plus que tout un retour au calme, lui permettant de réfléchir posément.

Il se rendit en Amérique du sud afin d’offrir son soutien à Kol. Il ne trouva pas un seul chasseur de Vampires. Tous les refuges avaient été détruits. Baptiste hocha la tête de fierté. Son petit avait fait un excellent travail. Il s’était trouvé rapide et pourtant, Kol avait réussi à réaliser le même exploit. Baptiste n’en revenait pas. Kol était un guerrier, certes, mais il était bien plus jeune et moins expérimenté.

Il se tourna vers le Japon et la pagode de Paul, le lieu de rendez-vous prévu, son cœur bondissant de joie à l’idée de revoir Kol aussi vite. Baptiste grimaça sur le chemin. Il détestait être ainsi contrôlé émotionnellement.

Les informations étranges envoyées par son corps le firent s'arrêter. Il était encore à plus d'un kilomètre de son point d'arrivée mais il ne comprenait pas les signaux qu'il recevait. Il observa ses mains pour voir des marques apparaître. Sa nature de Vampire les guérissait presque instantanément mais son énergie déclinait rapidement, preuve que l'agression était multiple et puissante.

Pourtant, l'endroit était désert. Trop désert à bien y réfléchir. Baptiste décida d'outrepasser les alarmes de son corps. Sûr de lui et de son pouvoir de régénération, il s'avança vers la pagode de Paul, pour découvrir Hiroshima presque totalement en ruines. Tout le monde était mort. Baptiste recula et s'enfuit loin hors de la zone. Il lui fallut courir plusieurs kilomètres pour que son corps cesse de s'alarmer.

Baptiste stoppa sa course folle lorsque les alarmes de son corps furent réduites à un murmure. Que s'était-il passé ? Quelle horreur pouvait causer de tels dégâts ? Kol était-il présent au moment de l’évènement ? Baptiste s’arrêta sur cette dernière question. Oui, il fallait déterminer quand cela avait eu lieu.

Le monde humain était en guerre. Baptiste se tourna d’abord dans cette direction. Après tout, peut-être cela n’avait-il rien à voir avec eux mais ne constituait qu’un étrange concours de circonstances. En charmant les bonnes personnes, il finit par obtenir le jour et il frémit. « Nous étions tous à la pagode de Paul ce jour-là. Nous votions pour déterminer s’il fallait exterminer ou non les humains. Auraient-ils été bien plus rapides et informés que nous le pensions ? » se demanda Baptiste. Obtenir l’heure exacte fut davantage difficile. Autant l’heure du lancement de l’avion était aisée à connaître, autant le moment exact de l’explosion se révéla un peu plus délicat à déterminer.

Baptiste frissonna de terreur. Le 6 août à 8h15, il refusait à Malika la discussion qu’elle demandait et partait. À 8h16, la bombe explosait. Baptiste avait frôlé la mort à une minute près. À son départ ne restaient sur place que Malika et Félix. Avaient-ils également quitté les lieux ? S’étaient-ils pris la bombe sur la tête ?

- Vous vouliez bien la date et l’heure de la première bombe n’est-ce pas ? demanda le pilote d’avion que Baptiste charmait pour obtenir les informations.

Baptiste se sentit défaillir. Première bombe ? Il y en avait eu d’autres ?

- La deuxième a explosé ce matin vers 11h, continua le pilote.

Baptiste secoua la tête. Il avait vu et senti les effets de cette bombe à Hiroshima. Les humains en avaient lancé une autre ? Un sentiment d’horreur s’empara de lui. Cela n’aurait jamais dû se produire.

- Quelle était la cible ? interrogea Baptiste.

- Nagasaki, lui apprit le pilote.

Baptiste ne connaissait pas ce lieu. Il ne lui disait strictement rien. Ces explosions n’avaient peut-être finalement aucun rapport avec eux. Les humains menaient leur guerre de leur côté et le hasard avait fait tomber une bombe sur la maison millénaire du chef des Aar. Baptiste sentit qu’il se répétait cela davantage pour s’en convaincre lui-même. La coïncidence était suffisamment grosse pour ne pas être totalement écartée.

Baptiste s’éloigna. Il avait ses informations et cela ne l’avançait guère. Si leur lieu de rendez-vous était invivable, où allaient-ils se retrouver ? Baptiste se rendit au domicile de Caly et David, au nord de l’Europe, pour le trouver vide. Les deux amants exterminaient peut-être encore leurs chasseurs de Vampires. Pourtant, sur le trajet, Baptiste n’en avait pas croisé un seul. S’ils avaient terminé, où seraient-ils allés ?

Baptiste se demanda où aller, par où commencer afin de perdre le moins de temps possible en minimisant les risques. Finalement, il opta pour Nagasaki. Cette ville était le seul lieu dont il avait entendu parler et qu’il n’avait pas encore visité. Il s’approcha avec douceur de la ville, mesurant chaque pas afin d’éviter le supplice subi à Hiroshima. Il ressentit les effets bien plus loin qu’à Hiroshima. Cette bombe offrait davantage de puissance, comprit Baptiste.

Il parcourut d’abord la ceinture extérieure puis avança en tournant vers le centre. Il ignorait ce qu’il cherchait ni ce qu’il comptait trouver au milieu de ce feu atomique, de ces morts, de ces ruines.

Il fut surpris de trouver.

- Paul ? lança Baptiste. Qu’est-ce que… ?

L’Aar était à genoux, prostré, muet devant des ruines fumantes. Son visage clos se couvrait de blessures qui guérissaient presque instantanément mais il perdait des forces. Vu l’énergie restante, il comprit que son frère était là depuis un moment déjà.

- Il faut t’éloigner. La zone est dangereuse. Pourquoi te trouves-tu en ce lieu désolé ?

- Oumou…

Baptiste dut user de sa mémoire parfaite cumulée avec son ouïe exceptionnelle pour percevoir le mot prononcé par son frère.

- Oumou se trouvait ici ? comprit Baptiste.

Paul confirma d’un geste. Baptiste en perdit tout envie de rire. Il regarda avec angoisse autour de lui. Il en était maintenant convaincu. Les cibles n’avaient pas été choisies au hasard. Les coïncidences se cumulaient trop.

- J’étais ici, avec elle. La dispute…

Baptiste sentit un chagrin immense dans la voix de son frère.

- Elle me demandait de l’aide. Si j’avais accepté, je serais mort avec elle.

Baptiste comprit que son frère venait d’éviter lui aussi la mort de peu.

- Je ne la reverrai jamais, gémit Paul. Elle voulait ma présence, requerrait mon assistance et j’ai préféré partir.

- Apparemment, cela t’a sauvé la vie, fit remarquer Baptiste. Paul, il faut partir, maintenant. Nos vies sont en danger. La menace est réelle. Viens, suis-moi.

Paul resta dans la même position alors Baptiste répéta son ordre d’un ton ferme et agressif. Paul obéit cette fois.

- Où sommes-nous ? demanda Paul qui avait suivi son frère sans réfléchir.

- Aucune importance, répondit Baptiste, car nous n’allons pas rester ici plus de quelques minutes. Écoute-moi bien : les humains ont contre-attaqué. Malika et Félix se trouvaient à Hiroshima lors de la première explosion. Oumou est morte dans la seconde. Kol, David et Caly sont introuvables. La menace doit être prise au sérieux. Il faut changer d’apparence, paraître humains le plus possible et créer un code nous permettant de nous reconnaître et de discuter librement.

- Je ne comprends pas, maugréa Paul.

Baptiste avait du mal à se concentrer. La douleur de la possibilité de la perte de son sine condicione l’envahissait. Il luttait pour garder le contrôle et mettre ses pensées en ordre. Paul se laissait porter, le rendant totalement inutile. Baptiste comprit qu’il était seul. Il voulait avant tout sauver son frère et sa propre vie.

- Tu changes d’apparence, tu te fonds dans la masse…

- Ça ne servira à rien, annonça Paul. Oumou a raté une prêtresse du bien. Ils pourront nous voir.

- Quoi ? s’exclama Baptiste. Comment sais-tu cela ?

- Oumou me l’a dit. Elle voulait que je l’aide à trouver la dernière.

- Et tu as refusé ? gronda Baptiste totalement incrédule.

- On s’est disputé.

Baptiste attendit mais son frère ne comptait apparemment pas développer davantage.

- Il faut nous cacher. Si nous disparaissons, ils penseront avoir réussi. Après tout, ils ne peuvent pas savoir qui se trouvait à Hiroshima et Nagasaki au moment précis de l’explosion. Ça s’est joué à moins de trente secondes en ce qui me concerne.

- Moi aussi, gémit Paul.

Baptiste plissa des yeux. Les humains avaient montré les crocs et le résultat était terrible.

- Si elle n’en a manqué qu’une, elle ne pourra pas avoir les yeux partout. En revanche, si elle a raté une prêtresse japonaise, alors mieux vaut quitter ces lieux au plus vite. Tu changes d’apparence, tu te fonds dans la masse et tu me rejoins à l’aéroport de Buenos Aires.

- Pourquoi cette ville en particulier ?

- C’est là que Kol demeurait quand il s’occupait de l’Amérique du sud. Je connais très bien cette ville. Les docks offrent des tonnes de recoins sombres. Signe de reconnaissance : le salut ancestral.

- Signe de reconnaissance ? Pourquoi faire ? Nous sommes les deux derniers Vampires de ce monde. Il suffit de…

- Non, gronda Baptiste. Je veux un signe de reconnaissance. Je n’ai pas confiance, en personne. Je veux être sûr que c’est toi. Fais-moi le signe maintenant !

- Maintenant ? s'exclama Paul en colère. Qui crois-tu que je sois ?

- Je suis perdu. J'ai besoin de certitude.

Paul fit le geste préhistorique "Bonjour". Il était étrange de voir un être humain moderne réaliser un geste aussi vieux. Baptiste fut rassuré d'un coup et un poids disparu de ses épaules. Il n'était pas seul. Il répondit instinctivement au geste et fut un instant calme au milieu de la tourmente. Ce retour en arrière lui offrit une plénitude totale qui, malheureusement, ne dura pas.

Paul disparut en une seconde. Baptiste fit de même puis sortit en marchant à vitesse normale d'une ruelle sombre. Il ressemblait totalement à un être humain : pousse des cheveux et des ongles, vieillissement, transpiration, clignement des yeux, mouvements, respiration, battements cardiaques. Seule une prêtresse du bien aurait pu le désigner comme Vampire et la seule et unique ne pouvait décemment pas se trouver partout en même temps.

Baptiste fut rongé d'inquiétude pendant tout le trajet. Et s'il arrivait malheur à son frère ? Dans le bateau, il grondait intérieurement et pestait contre la lenteur de l'engin. Baptiste espérait que les avions militaires allaient bientôt pouvoir être utilisés à des fins commerciales afin de rendre les déplacements plus rapides.

Baptiste descendit sur le quai et un homme qu'il ne connaissait pas fit un salut préhistorique vers l'ensemble des passagers. Il lui répondit et les deux frères se retrouvèrent avec bonheur.

- Et maintenant ? lança Paul sans prendre la peine d'enlacer son frère ou de lui demander de ses nouvelles.

- Je doute que la prêtresse japonaise puisse se trouver ici. Nous pouvons nous promener assez librement. Je ne sais pas… J'ai… besoin de réfléchir mais mon esprit est trop encombré.

- Méditer aide, proposa Paul.

Baptiste hocha doucement la tête. Il suivit son frère dans le sous-sol d'un entrepôt abandonné et ils entrèrent en transe méditative.

 

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Baptiste sortit de transe. Il se sentait reposé, détendu mais son esprit retourna instantanément au brouillard dès l'ouverture des paupières. Pendant la transe, il dormait, loin de tout, de la réalité, de la douleur, du cauchemar. Il regarda son frère, toujours dans son monde idéalisé. Il comprenait que Paul y passât tout son temps jusqu'à s'y perdre. Cette douceur apaisait l'âme torturée. Cependant, cela ne réglait rien.

Sans éveiller son frère, Baptiste sortit pour constater que le temps avait passé. Il erra, de ci, de là, à la recherche d'une date. Il parcourut des ruelles, passa sous les arbres du parc Lezama, respira l'air de l'océan Atlantique.

Son errance l'amena en face d'un bowling. Baptiste ignorait tout de ce loisir. Il entra, écoutant la musique rugissant par les hauts parleurs. À l'intérieur, l'ambiance était enfumée et de nombreuses personnes se pressaient autour des pistes.

Baptiste s'installa au bar. Il sirota un soda et mâcha consciencieusement un hot dog tout en regardant les joueurs. Deux d'entre eux attiraient l'attention de tous. Ils marquaient strike après strike. La boule partait avec une précision remarquable et les quilles tombaient avec régularité, jusqu’à devenir lassant. Les spectateurs s'éparpillèrent au bout d'un quart d'heure. Les deux joueurs haussèrent les épaules et discutèrent tout en ôtant leurs chaussures. Baptiste capta aisément leur conversation, ce qui, pour n'importe quel humain à sa place, n'aurait pas été possible vu la distance et le bruit.

- Il va falloir trouver autre chose, dit le plus jeune.

- On ne pourra jamais se départager là-dessus. Nos capacités surnaturelles rendent le jeu totalement inintéressant. Tu as une autre idée ? demanda le plus vieux.

- Il faut trouver un truc beaucoup plus difficile…

- Tu as une idée ?

- Pour le moment, non. Manger m'éclairera peut-être.

- Pizza ?

- Je parlais de manger, pas de consommer de la nourriture !

- Ok, excuse-moi.

- On va dans les bas quartiers. J'ai envie de tuer.

- Ça me va.

Les deux hommes sortirent tout en continuant à discuter. Baptiste affichait un air détendu. Pourtant, son sang bouillait intérieurement. Ses angoisses lui sautèrent au visage. Il avait eu raison de douter. Ils n'étaient pas seuls. D'autres Vampires au contrôle arpentaient ce monde. Baptiste tenta de recoller les morceaux. Avaient-ils tué Kol ? Baptiste ne put s'empêcher son âme et ses pensées de voler vers l'amour de vie. Il grimaça, tapa du poing sur la table et se prit la tête entre ses mains. Il voulait que ça cesse. Il rêvait de pouvoir enfin penser correctement.

Baptiste retourna auprès de Paul et le tira de sa transe.

- J'ai été me promener et dans un bowling, j'ai croisé deux Vampires parfaitement au contrôle. Avant de les avoir entendus échanger, je n'avais pas remarqué leur nature de Vampire et s'ils n'avaient pas parlé ouvertement, cela m'aurait échappé. Paul, nous ne sommes pas seuls.

- C'est impossible, rappela Paul.

- Pourquoi ? dit Baptiste. Nous avons appris seuls. Certains Vampires américains ont pu le faire aussi.

- Nous avons exterminé jusqu'au dernier Vampire sans jamais tomber sur un qui soit un minimum capable de quoi que ce soit.

- Ils ont pu se cacher et laisser passer l'orage, proposa Baptiste.

- Pourquoi auraient-ils agi de la sorte ?

- Pour pouvoir nous abattre aisément une fois que nous nous pensions en sécurité, murmura Baptiste qui avait l'impression que la solution était là, à portée de main, et lui échappait tout de même.

- Tu les as suivis ? demanda Paul.

Baptiste n'y avait même pas songé. Plongé dans son désarroi, sa peine et sa colère, il s'était réfugié auprès de son frère, dans le cocon familial rassurant. Il secoua négativement la tête.

- Retournons ensemble au bowling, proposa Paul.

- Ils ont dit que c'était inutile. Ils veulent savoir lequel des deux est le meilleur et ce loisir est inadapté. Ils étaient tout le temps à égalité. Non, ils n'y retourneront pas.

- Promenons-nous et ouvrons grand les yeux, indiqua Paul. Si nous devions nous comparer, que choisirions-nous ?

Baptiste sourit. Se mettre à la place de l'ennemi. Kol aurait pu proposer cela. Un voile de tristesse envahit les pensées de l'Aar.

- Baptiste ? lança Paul.

Pour une fois, l'aîné semblait plus en forme que le second. Baptiste secoua la tête et tapa du pied. Il voulait que le sine condicione s'en aille. Tout serait tellement plus simple sans.

Cela prit un mois mais Baptiste finit par tirer le bras de son frère et lui indiquer deux hommes dont l'apparence leur permettait une totale transparence dans ce pays. Ils ressemblaient à n'importe quel habitant, l'un d'une trentaine d'années et l'autre de cinquante. Habillés sans extravagance, ils se fondaient dans le paysage, n'attirant ni les yeux ni les oreilles de quiconque.

- Ces deux-là me semblent bien banals, indiqua Paul.

- Ils ne le sont pas et leur ouïe est bonne, chuchota Baptiste d'un volume à peine audible pour Paul pourtant juste à côté de lui.

L'aîné indiqua d'un geste qu'il avait compris. La conversation continuerait sur un volume réduit au maximum.

- Ils ne vont pas s'éterniser, annonça Baptiste.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Ils s'ennuient.

Les deux Vampires s'éloignèrent de l'endroit quelques minutes plus tard. Ils n'échangèrent pas un mot. Perdus dans leur recherche de la sensation forte suivante, ils ne se rendirent pas compte de la filature en cours. Ils traversèrent la ville pour se rendre au port. Depuis un ponton délabré et désert, ils plongèrent dans les eaux froides de l'océan et disparurent sous la surface.

- Ils vivent sous l'eau, comprit Baptiste.

- Est-ce possible que Félix soit impliqué ? interrogea Paul.

Baptiste comprit la raison du rapprochement immédiat de son frère. Après tout, Félix leur avait annoncé avoir vécu des siècles sous l'eau.

- N'allons pas trop vite, calma Baptiste. C'est peut-être une coïncidence. Après tout, d'autres Vampires ont pu se rendre compte de la capacité à vivre sous l'eau. Je suis déjà abasourdi que cela nous ait passé sous le nez aussi longtemps.

- Ma pagode a été détruite par une bombe atomique moins d'une heure après que Félix soit apparu, rappela Paul.

- Explosion dans laquelle il a trouvé la mort.

- Tu n'en sais rien, cingla Paul. Tu supposes. Il a pu, comme toi, partir juste au bon moment.

Félix était-il impliqué ? L'esprit embrumé de Baptiste rajouta cette pièce au puzzle sans parvenir à l'imbriquer. Félix avait-il tué Kol ? Baptiste cracha par terre. De nouveau, encore et toujours, ce retour vers Kol. Il n'en pouvait plus. Il voulait que ça cesse. Cette torture durait depuis trop longtemps. Il aurait tout donné pour en être enfin libéré.

- Il est vrai que nous n'avons pas pensé à chercher des Vampires sous l'eau, admit Paul.

- Parce que nous ignorions qu'il en existait au contrôle. Et même si c'était le cas, nul ne peut fouiller les océans du monde ! s'exclama Baptiste. C'est… impossible… trop grand… immense…

- On les suit ? proposa Paul.

- Sous l'eau ? Dans leur élément ? Où ils auront le dessus ?

- Nous avons l'élément de surprise, ajouta Paul.

- Je préfère recueillir davantage d'informations. Ils avancent à découvert sans prendre de précautions. Je te parie qu'ils entrent et sortent toujours ici. Je te propose une surveillance. Ça te va ?

Paul hocha la tête. Il laissait Baptiste prendre les commandes et suivait plutôt que de commander. Baptiste secoua la tête. Décidément, plus rien n'allait. Paul semblait comme assommé, endormi, lointain, inaccessible et insensible au présent.

Baptiste choisit le dernier étage d'un entrepôt inusité depuis des années. À côté d'une fenêtre sans carreau, ils s'assirent et attendirent, les oreilles aux aguets.

Pendant une semaine, ils observèrent. Ils virent et entendirent sortir de l'eau une dizaine de Vampires, a priori différents mais ceux-ci étant au contrôle, il était difficile de savoir s'il s'agissait des mêmes ayant changé d'identité ou non.

- Nous sommes clairement en infériorité numérique, dit Baptiste à un volume sonore réduit au maximum.

- Comment avons-nous pu en rater autant ?

Baptiste plissa des yeux. Que eux aient pu les rater, passe encore, mais les yeux de Malika n'auraient pas pu les ignorer. Baptiste comprit que ses doutes méritaient d'exister. Il essayait de recoller les pièces, se perdait parfois des jours dans sa mémoire parfaite, en vain. Son esprit le ramenait à Kol, lui faisait perdre le fil de sa réflexion, l'obligeant à recommencer, encore et encore.

- On en tue deux et on prend leur place ? proposa Paul.

- Sans rien connaître d'eux ? On serait repéré immédiatement ! On ne connaîtrait pas leur nom ni l'emplacement de leur planque. Qui sait ? Un mot de passe est peut-être requis !

- Tu as raison, admit Paul. Il faut trouver autre chose.

- Baptiste et Paul ne sont pas là. Il va falloir continuer nos recherches.

Les deux Aar jetèrent un œil vers le ponton délabré. Deux femmes se tenaient dessus, très belles, jeunes, les cheveux longs, la peau blanche légèrement bronzée. Leurs fines jambes attiraient les regards sous leur mini-jupe. Elles étaient sèches et leur visage portait un maquillage qu'un bain aurait dû détruire. Elles étaient douées, sans aucun doute.

- Si j'étais eux, je me terrerai au fond d'un trou. Tu imagines ! Ils ont perdu tous les leurs. Moi aussi je serai terrorisée ! dit la blonde.

- Moi je chercherais à les venger, indiqua la brune qui avait parlé la première. Je voudrais comprendre. Je ne me cacherais pas. Non, je ferais en sorte d'attaquer.

- Et ça serait suicidaire, maugréa la blonde. S'ils cherchent à s'en prendre à d'Helmer et son organisation, ils sont perdus.

- Pas sûr. Ils sont vieux, très vieux, dit la brune avec un puissant respect dans la voix.

- Deux contre des milliers ? rit la blonde. Même pas en rêve ! Je ne dis pas que les avertis de d'Helmer en sortiront indemnes mais oui, ce connard de maître de l'Atlantide gagnera.

Baptiste et Paul ne se quittaient pas des yeux pendant l'échange nonchalant des deux femmes.

- Des milliers ? gémit Paul.

- Connard ? répéta Baptiste. Elle ne semble pas porter notre adversaire dans leur cœur. L'ennemi de mon ennemi…

- Pourquoi ce d'Helmer devrait-il être notre ennemi ? demanda Paul. Je ne sais même pas qui c'est !

- Elles semblent penser qu'on va l'attaquer en cherchant à venger les nôtres. J'en conclus qu'il est responsable. Elles l'ont appelé "le maître de l'Atlantide". Atlantide, répéta Baptiste. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que ce sont ses hommes qui vivent sous l'eau.

- Mais alors, qui sont celles-là ? demanda Paul. Y a-t-il un autre groupe de Vampires au contrôle ? Mais combien sont-ils ? Comment avons-nous pu être aussi aveugles ?

Baptiste connaissait la réponse mais la dire à voix haute aurait été l'admettre et la rendre réelle. Le sine condicione doublé de la trahison de Malika, voilà la cause. Cependant, même si Baptiste était persuadé de ces deux éléments, ils ne constituaient qu'une enveloppe immense dont il ignorait le contenu exact.

- Notre mission est de les trouver, rappela la brune. S'ils cherchent à s'en prendre à l'Atlantide, je crains que nous ne soyons pas en mesure de les sauver. Ils nous surpassent largement en nombre. Nous n'avons pas les moyens de surveiller les alentours. La zone à couvrir est bien trop importante.

- S'ils s'enterrent dans un trou, c'est encore pire. Le champ de recherche est la Terre entière. Super… maugréa la blonde.

- On se venge ou on s'enterre ? demanda Paul.

Baptiste garda une fois de plus le silence. Il lui semblait qu'il existait d'autres options et que se contenter de ces deux-là étaient par trop réducteur mais ses pensées s'enfuyaient. Les deux femmes avaient confirmé ses craintes : tous les siens étaient morts. Kol n'était plus.

- Baptiste ? Elles s'éloignent ! Que fait-on ? Baptiste !

Paul avait monté le ton afin de faire sortir son frère de sa torpeur.

- Juste devant notre porte ? Trop aimable, dit un homme en apparaissant devant les deux frères.

L'entrepôt délabré fut envahi de Vampires au contrôle. Baptiste soupira en secouant la tête. Ils venaient de perdre. En perdant ses nerfs une seconde, Paul venait de les condamner. Baptiste ne lui en voulait même pas. Son frère aîné subissait autant que lui le martyre de la perte de son sine condicione. Il ne pouvait qu'admettre la défaite.

- Allez donc rendre compte à votre mère, cracha l'homme. Moi, je les emmène.

Baptiste constata que les deux femmes se regardaient tristement.

- Je vous accompagne, afin de m’assurer que votre maître va respecter les règles, dit la brune d'un air hautain.

La blonde disparut, pour transmettre les informations à leur supérieur, supposa Baptiste. Le Vampire haussa des épaules. La présence de la femme semblait l’indifférer.

- Maître d'Helmer souhaite s'entretenir avec vous, annonça le Vampire. Voudriez-vous bien nous suivre, je vous prie ?

Baptiste hocha la tête en se levant. Paul lui lança un regard noir.

- Tu combats si tu veux mais je ne t'aiderai pas, prévint Baptiste. Je sais reconnaître quand j'ai perdu.

Paul grimaça puis suivit son frère tristement.

- Je veux bien parler à ce gars, précisa Baptiste à Paul. Je ne le connais pas. J'aimerais réellement comprendre.

- Il a tué Kol. Ça ne te suffit pas ? répliqua Paul d’un ton acerbe.

- Tu n'en sais rien, répliqua Baptiste. Ce n'est pas parce que deux femmes pensent qu'il devrait être la cible de notre vengeance qu'il a tué quiconque. Le monde n'est pas blanc ou noir.

Tout en parlant, Baptiste ne lâchait pas des yeux la brune qui gardait un visage fermé et indéchiffrable. La conversation ne put continuer car le groupe entrait dans l'eau. Les deux frères se retrouvèrent entourés d'une bulle de Vampires, à l'extérieur de laquelle nageait la brune.

Ils nagèrent une bonne heure avant de voir apparaître une montagne sous l'océan. C'était magnifique. Elle était recouverte d'algues et grouillaient de poissons. Les Aar suivirent leur escorte dans un trou où ils disparurent, les uns après les autres.

Le trajet traîna en longueur. La descente fut interminable puis il y eut un coude et ils remontèrent, presque à la verticale. Baptiste reconnut là un siphon. Son stress et ses angoisses remontèrent en flèche. Il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il allait trouver une fois arrivé. Il n'aurait su dire s'il aurait préféré rester dans l'ignorance ou souffrir en entendant la vérité.

Finalement, ils émergèrent hors de l'eau. Baptiste en fut abasourdi : il y avait de l'air sous cette montagne ! La pression n'aurait pas été supportable pour un être humain mais il y avait bien de l'air… et une impressionnante quantité de gens, allant et venant, visiblement très occupés. L'endroit était bruyant et animé. Des milliers de Vampires se déplaçaient tranquillement.

- Bienvenus dans l'Atlantide, dit le Vampire qui leur avait parlé à la surface.

Baptiste resta bouche bée. Pendant un moment, il ne put parler, se contentant d'observer et Paul semblait dans le même état.

Il était évident que l'endroit n'était pas naturel. Les parois portaient les traces de creusage artificiel. Cependant, la ville était magnifique. Des bâtiments bruns à un étage ou moins étaient disposés de ci, de là. Il n'y avait aucun véhicule. Tout le monde se déplaçait à pied. Les chemins étaient faits de pierres simples et brunes. Les parois de la montagne, noires, étaient éclairées par de nombreux spots faisant apparaître les couleurs des pierres et algues qui s'y trouvaient. Malgré le bruit, la ville était apaisante.

- C'est magnifique ! fut forcé d'admettre Baptiste avant de suivre son escorte le long d'un chemin de cailloux blancs.

Ils longèrent le mur de la ville sans jamais vraiment pénétrer à l'intérieur. Ils marchèrent une bonne demi-heure avant d'entrer dans un tunnel gardé. L'endroit n'était pas accueillant. Tout le contraire du reste de la cité. Une caverne de grande taille se découpa dans la roche.

- Si vous voulez bien plonger, annonça le Vampire en désignant un trou d'eau.

- Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ? interrogea Paul.

- Un autre siphon, plus petit, qui mène à l'endroit où vous attend maître d'Helmer.

- Vous ne venez pas avec nous ? demanda Paul.

- Non, dit le messager.

Paul ne bougea pas. Baptiste observa le trou puis plongea. Il n'avait pas d'autre choix. Les deux frères se trouvaient dans une cité engloutie habitée par des milliers de Vampires au contrôle. Ils n'avaient aucune chance.

Baptiste descendit de quelques mètres avant de remonter de l'autre côté. Il découvrit une grande pièce aux murs brillants. Paul le rejoignit rapidement puis un bruit sourd se fit entendre. Nul doute que le passage venait d'être bouché.

Baptiste observait l'endroit et surtout, le plafond, à une dizaine de mètres plus haut, composé d'une grille solide. L'atteindre serait déjà difficile car les murs, gluants d'une substance étrange et visqueuse, étaient impossibles à escalader. En sautant, les Aar pourraient atteindre la grille mais ils ne doutaient pas qu'elle fut en acier indestructible. Et qu'en bien même ils parviendraient à sortir, il y aurait toujours mille Vampires au contrôle pour leur barrer la route. Ils étaient piégés.

Un homme apparut sur les abords de la grille. De taille moyenne, il portait une barbe de cinq jours qui agrémentait joliment son visage. Il semblait avoir une quarantaine d'années. Sa peau hâlée mettait en valeur ses yeux verts.

- Je suis Gilles d'Helmer, le maître de l'Atlantide, se présenta l'homme.

- Vous êtes un connard, répondit Paul.

Baptiste sentit son âme vibrer et au plus profond de son cœur, il le sut : ce Vampire était son petit. Il l’avait transformé. Quand ? Comment ? Plus rien n’avait de sens.

- Si ça vous fait plaisir, répondit Gilles.

Le maître des lieux sortit de derrière son dos un livre. Il se pencha, fit passer l'ouvrage entre les barreaux en le pliant un peu et lâcha. Il tomba dans un bruit sourd. Lorsque Baptiste regarda de nouveau en l'air, d'Helmer avait disparu.

- Pourquoi devrais-je lire ça ? interrogea Paul tandis que Baptiste se dirigeait vers le petit objet en cuir relié.

- Parce que c'est ce qu'il veut, répondit Baptiste en attrapant le livre.

Un nouveau regard vers la grille lui permit de constater la présence de la brune. Elle semblait prendre très à cœur sa mission, quelle qu'elle fut. Baptiste se força à se concentrer sur l'ouvrage relié.

- C'est quoi ? interrogea Paul à voix haute.

- Ça s'appelle "Le livre des origines", lut Baptiste.

Paul haussa les épaules. Baptiste se demanda s'il fallait vraiment lire ça. Les réponses se trouvaient-elles à l'intérieur ? Avait-il vraiment envie de savoir ? Après tout, passer l'éternité dans ce trou ne valait-il pas mieux que la douleur de la trahison ? Baptiste soupira. Lire ce livre était la seule activité à leur disposition, la seule échappatoire à ses pensées qui pleuraient Kol. Les deux frères auraient pu se plonger en transe méditative et ne jamais plus en sortir. Baptiste secoua la tête. Non, il voulait vivre, plus que jamais. Si lire ce bouquin était la solution, alors…

- Auriez-vous l'amabilité de le lire à voix haute ? murmura la brune.

Baptiste leva les yeux vers la femme libre de l'autre côté de la grille. Elle gardait un visage neutre mais la demande semblait d’importance. Baptiste hocha la tête. Paul put s’asseoir et écouter son frère narrer à haute voix le contenu de l'ouvrage relié.

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Peridotite
Posté le 12/01/2023
Les voilà dans une drôle de situation. Paul et Baptiste semblent perdre la tête du fait de leur sine conditionné. Ils pensent être les seuls survivants. Les vampires réussissent à les capturer et les entraînent dans une étrange cité sous-terraine. J'ai bien aimé ce chapitre plein de mystères dans lequel on découvre ce nouveau monde souterrain. Très intrigant. Les deux ne sont pas au bout de leurs peines.

Mes petites notes :

"Il n’était pas plus à même de le faire."
> "pas" en trop

"Elle ne serait pas embêtée à traverser l’océan."
> "Elle ne se serait pas embetée"

"Il ne revint au présent que sur l’insistance de Paul qui appelait son nom."
> "Que sur l'appel de Paul" ?

"que Baptiste charmait pour obtenir les informations."
> Cette info n'est pas dans le journal ?

"Première bombe ? Il y avait eu d’autres ?"
> "Il y en avait eu..."

"Un sentiment d’horreur, de dégoût s’empara de lui."
> Je choisirais entre l'un et l'autre

"Cette ville était le seul lieu dont il avait entendu parler"
> "dont il ait entendu parler" ?

"Il comprenait que Paul y passât tout son temps"
> "y passait"

"à un volume sonore réduit au maximum."
> Dans le livre précédent, ils pouvaient communiquer sans parler, ils ne peuvent plus le faire ?

"- Baptiste et Paul ne sont pas là. Il va falloir continuer nos recherches."
> Comment ça ?? 🤔

J'ai hâte de savoir la suite 🙂
Nathalie
Posté le 12/01/2023
Ah ça, Baptiste et Paul vivent de sacrées aventures, en effet. Qui croire ? Que s'est-il passé ? J'espère que la suite te plaira :)

"que Baptiste charmait pour obtenir les informations."
> Cette info n'est pas dans le journal ?
Bonne question. Déjà, la date et l'heure exacte ont-ils été révélés publiquement aussi dite (trois jours après). Ensuite, Baptiste, un vieux Vampire de 400 00 ans, a-t-il seulement l'idée de lire un journal ou d'allumer la télévision ?

"à un volume sonore réduit au maximum."
> Dans le livre précédent, ils pouvaient communiquer sans parler, ils ne peuvent plus le faire ?
Si mais la parole est devenue naturelle chez eux. Il est dit qu'il trouve dérangeant un langage si vieux dans un corps moderne. Ils échangent ainsi pour se reconnaître mais préfèrent la communication verbale d'autant que les gestes ne permettent pas des phrases complexes.

"- Baptiste et Paul ne sont pas là. Il va falloir continuer nos recherches."
> Comment ça ?? 🤔
Apparemment, les deux femmes cherchent Paul et Baptiste et ne les ont pas trouvés là où elles viennent de les chercher.
Nathalie
Posté le 22/01/2023
Salut Péridotite

J'ai publié la nouvelle version du livre des origines. Si tu veux le découvrir, tu peux (sans obligation bien sûr !) !
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