Chapitre 8

( TW : violence, maltraitance, scène choquante et pouvant heurter la sensibilité )

Chapitre 8

 

En une journée grisâtre au sein du Q.G de la Marine d’Angleterre, situé à Londres, tous les soldats étaient au garde-à-vous. L’orage menaçait d’exploser dans le ciel et l’atmosphère était électrique.

James Doyen était devenu Amiral de la Navy après le décès de son collègue : Théodore Jones. Ses compétences et son autorité lui avait permis d’accéder sans mal à ce poste. L’homme avait repris les rênes d’une main ferme et appliquait une discipline de fer. L’armée maritime était cadrée. Les soldats devenaient des guerriers, destinés à parcourir les mers et à décimer les criminels. Néanmoins, protéger la population était superflue. A la botte de la Couronne, l’armée tenait de bonnes subventions et n’hésitait pas à collaborer avec des corsaires.

L’Amiral marchait le long de ses troupes, les mains croisées dans son dos. Ses cheveux blonds étaient parfaitement plaqués en arrière et ses yeux bleus balayaient l’assemblée tremblante. Les soldats présents étaient en majorité des adolescents, de jeunes individus qu’on formait pendant quelques années pour qu’ils atteignent un rang acceptable. Il n’y avait que des fils de politiciens, de nobles ou d’officiers.

L’homme âgé d’une trentaine d’année s’arrêta et se tourna vers les adolescents, tous vêtu d’un pourpoint bleu foncé et d’un pantalon blanc, ainsi que de hautes bottes noires. Le dos droit et le menton levé, il déclara d’un ton solennel.

  • Que le coupable se dénonce ou la sanction sera générale.

Les adolescents tremblèrent. La veille au soir, un incendie s’était déclaré dans le bureau des renseignements. La pièce était partie en fumée, nombre dossiers réduit en poussières. Des fichiers sur des pirates, des personnalités de la Couronne ou encore des mercenaires. Le bureau des renseignements étaient essentiellement réservé aux rangs supérieurs dont les officiers, les commandants et l’Amiral. Les jeunes recrues s’y étaient aventurés pour récolter des informations. Même si James restait impassible, une rage folle l’animait.

Il se remit en marche et détailla chaque garçon du coin de l’œil. Son aura mordante tétanisait les corps.

  • Je me fiche de passer la journée ici, en revanche, ça serait dommage pour vous. Vos familles étaient si ravies de vous revoir…

Les garçons blêmirent. En intégrant l’armée, les garçons ne pouvaient plus voir aussi souvent leurs familles. Les séparations étaient longues et dures. La Marine forgeait les hommes et la sensibilité n’y avait pas sa place.

  • Je fais référence à vos chères mères, si heureuses de retrouver leurs garçons. A vos pères, si fiers de retrouver des hommes disciplinés. Réfléchissez, soldats. Réfléchissez-bien.

Un grand garçon releva la tête. Il parut hésitant un moment puis, d’une voix tremblante, s’écria.

  • Je suis coupable Amiral ! Je tiens à m’excuser, l’incendie était involontaire !

L’adolescent d’une quinzaine d’années regarda droit devant lui, le teint blafard et les pupilles dilatées. La peur le terrassait. Il était en effet coupable. Coupable d’avoir fouillé en compagnie de ses camarades, en revanche il n’avait pas créé l’incendie.

James s’approcha de la voix et se posta en face du garçon. Il faisait deux bonnes têtes de plus que lui. Face à l’imposante posture dont il faisait preuve, le jeune garçon vouta le dos en abaissant les yeux au sol.

  • Eh bien, voilà chose faite. Monsieur Stuart, vous pouvez dire adieu à la visite de vos proches et je ne vous apprends rien : vous allez être sanctionné pour ce délit. Maintenant.

L’amiral se retourna brusquement et interpella un des soldats qui montait la garde. Celui-ci s’approcha, le visage impassible.

  • Ramenez le chat à neuf queues, ordonna l’Amiral.

A l’entende de cette phrase, les recrues se décomposèrent. Cet instrument de torture était utilisé pour discipliner les garçons.

  • Stuart est innocent. C’est moi qui ai mis le feu au bureau, déclara une voix lointaine parmi les rangées.

James soupira en levant les yeux au ciel. Il s’écarta du jeune Stuart qui eut le souffle coupé. Tous les yeux se dirigèrent vers la voix.  L’Amiral marcha en sa direction, les mains toujours croisées dans son dos. Un petit sourire amusé était collé à son visage. Il se posta devant la recrue tandis qu’un autre garçon donnait plusieurs coups de coude vers le jeune homme qui avait élevé la voix.

  • Cessez, Lewis. Vous savez que votre cher ami chérit les problèmes. Il est doué pour se mettre dans le pétrin.

Amaury fixa intensément son supérieur, le menton levé et le dos droit. Il ne manquait pas d’assurance ni de cran. A présent âgé de seize ans, il s’était engagé depuis ses treize ans, décidé à suivre le même parcours que son père. Durant son adolescence, le jeune homme s’était forgé une personnalité acérée. Il était devenu un beau et grand jeune homme avec ses cheveux brun et ses yeux noisette. Téméraire et déterminé.

  • Voilà le véritable coupable. Devrais-je être étonné, Jones ? demanda James en affichant un sourire malicieux.
  • Nullement, mon Amiral. Vous avez l’habitude de me tomber dessus, de toute façon.
  • Je vous trouve bien insolent alors que la menace du fouet plane dangereusement au-dessus de votre tête…

Le jeune soldat ne se démonta pas. Il garda la même attitude, toujours aussi fier.

  • J’ai fouillé et mit le feu au bureau des renseignements. Mes camarades ont suivi ma manœuvre sous la menace. C’est ce que vous vouliez savoir, non ?
  • Je me demande toujours pourquoi vous vous infligez ce mal, Jones.
  • Je ne vous crains pas. Je ne crains personne, à vrai dire, souffla l’adolescent en le transperçant de son regard.
  • Nous verrons cela lorsque le fouet s’abattra sur ton dos, garçon, asséna le commandant en reculant d’un pas.

Le soldat ramena le fouet sans sourciller. James lui fit signe d’attraper Amaury. Il s’exécuta et amena le jeune garçon sans broncher vers un des poteaux dressés dans la cour. Le soldat ôta le haut de l’adolescent et le jeta au loin. Il força à la recrue à s’agenouiller et attacha ses poignets à l’aide de fer contre le poteau. Amaury resta silencieux, le regard vide. Il n’avait jamais été fouetté. Au fond, il redoutait cette punition. Est-ce qu’elle le briserait ? Est-ce qu’elle serait plus douloureuse que la mort de son paternel ? Il l’espérait. Il voulait ressentir autre chose, enlever cette souffrance qui ne l’avait jamais quittée. La remplacer par quelque chose de plus vif, de plus strident. Il voulait changer sa souffrance, transformer sa tristesse en haine.

  • Quinze coups de fouet pour quinze recrues… Je ne vous laisserai pas compter étant donné que vous aurez le souffle coupé. Prêt, soldat ? Il est temps d’assumer les conséquences de ses actes, répliqua fermement l’Amiral en se mettant en retrait, le regard rivé vers le jeune homme.

Les recrues étaient bouche-bée, dans l’attente du bruit qui claqueraient contre le dos du coupable. Tous se sentaient redevable envers Amaury Jones. C’était un brave garçon qui prenait toujours part pour la justice. La véritable justice. Un meneur au cœur meurtrit.

Le premier coup fut strident, sifflant dans l’air. Au même moment l’orage explosa et une averse s’abattit sur les lieux, comme si la météo s’était jointe à l’atmosphère pesante. Bien que le visage dénué d’émotion, le bourreau ne prenait aucun plaisir à corriger une jeune recrue. Il trouvait l’acte cruel.

Amaury écarquilla les yeux, le souffle coupé. Il abaissa la tête en sentant la douleur parcourir son corps. Il avait l’impression de se faire ouvrir en deux.

Le soldat répéta son acte plusieurs fois à la suite, ne laissant aucun répit au jeune garçon. Son dos se teinta rapidement de sang qui coula avec l’aide de la pluie. Amaury ne pouvait retenir ses gémissements de douleur bien qu’il affrontait vaillamment la punition. La douleur était intenable. Combien de temps restait-il avant qu’il ne s’évanouisse ?

  • Vous n’avez pas le droit, vous ne pouvez pas !

Un autre coup lui arracha un cri de douleur. Il se sentait faible et il détestait cela. Il sentait le regard perçant de l’Amiral qui se délectait de la scène. Il aimait soumettre et faire souffrir ces semblables. Ce poste était la meilleure chose qu’il lui soit arrivé. Ce pouvoir le rendait puissant, invincible.

Amaury haleta au dixième coup. Il se sentait flancher, ses forces l’abandonnant. On entendait seulement le sifflement du fouet et les cris d’Amaury dans l’air. Les jeunes soldats avaient baissé la tête, honteux et impuissants. Seul une tête resta relevée, affrontant la réalité, les yeux débordants de larmes. John Lewis regardait la scène en pleurant silencieusement, le cœur lacéré. Son ami s’était sacrifié pour eux. Pour lui. Car Lewis avait commandité l’infiltration et l’incendie du bureau. Amaury s’était dénoncé pour protéger son ami. Il ne pourrait jamais réparer son erreur. Cette dette, il l’aurait à vie.

  • Cessez, cessez… sanglotait le jeune soldat en agonissant.

Le garçon avait le visage ravagé par les larmes. Il laissa échapper un filet de bave. Son corps tremblait, parcourut de spasmes. Il s’évanouit avant que le quinzième coup n’atteigne son dos lacéré.

Le soldat s’arrêta, le visage crispé. Il fusilla du regard l’Amiral qui était resté de marbre.

  • Détachez-le et amenez-le à l’infirmerie, ordonna James en se tournant vers le groupe. Il reprit en élevant la voix, toujours aussi solennel : Levez les yeux et observez l’état de votre camarade. Que cela vous serve de leçon. Quiconque osera défier mon autorité subira le même châtiment. Je n’ai aucun d’état d’âme, aucune pitié. Je suis ici pour vous transformez en guerrier. N’oubliez jamais que face à moi, vous n’êtes rien. Je me ferai un plaisir de vous le rappeler.

John lui lança un regard meurtrier, la haine l’envahissant. Cet homme était abominable. Il ravala sa salive en serrant les poings.

  • Rompez, à présent, répliqua-t-il en leur tournant le dos et partant vers ses quartiers sans adresser un regard à Amaury qui était inconscient.

Le soldat avait détaché le jeune homme et les recrues s’étaient précipité vers lui. A eux tous, ils l’amenèrent à l’infirmerie. Afin d’éviter une infection, les médecins l’isolèrent et nettoyèrent ses plaies. Cela prit plusieurs heures. Son dos avait subi beaucoup d’assauts. Il serait marqué à vie. James Doyen l’avait marqué à vie.

 

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Le soldat Jones avait passé plusieurs jours à l’infirmerie. Ces plaies s’étaient refermées mais restaient très visibles. Avec du repos et des soins, il ne souffrirait plus. Physiquement.

Le jeune homme somnolait, allongé sur le ventre, sur son lit. Son dos était recouvert de bandage, ne supportant pas le contact du tissu sur sa peau. C’était encore vif. Il émergea en sentant la présence de John qui venait de s’asseoir en face de lui, sur le lit voisin. Avec le repos forcé d’Amaury, les deux amis ne s’étaient pas revus depuis l’incident. La chambrée était vide. Les soldats étaient en plein entrainement. John avait réussi à s’éclipser discrètement pour rendre visite à son meilleur ami.

  • Pourquoi as-tu fait cela, Amaury ? Tu n’avais pas à me protéger, tu n’avais pas à subir cela ! s’exclama John, vif et sous pression.

Amaury ouvrit doucement les yeux. Les médecins lui avaient concocté un soin liquide qui l’étourdissait. Il se redressa en s’appuyant sur ses avant-bras.

  • Tu m’emmerdes. Mets-moi de la crème au lieu de pleurnicher, souffla le blessé.

John grogna mais s’exécuta. Il attrapa le flacon sur la table de chevet, retira les bandages et appliqua minutieusement la crème sur le dos abimé. Amaury serra les dents. Sous ses airs robustes, l’adolescent avait pris un sacré coup à son égo. James l’avait humilié si violemment qu’il doutait de pouvoir se relever de cet affront. Néanmoins, les paroles de son père revenaient en boucle. Combattre ses faiblesses et relever la tête. Pleurer n’était pas interdit, seulement il fallait le faire pour une bonne raison. Est-ce que se faire battre en était une ?

Amaury poussa un gémissement. Son dos le brulait. Il parvint à souffler péniblement.

  • De toute façon, j’ai aucune famille à voir. C’était dommage de priver les autres.

Ses propos faisaient référence à ses parents, son père décédé en mer et sa mère récemment partie d’une maladie. Il était orphelin, à présent.

  • Ce n’est pas une raison. Tu as ton oncle, Mason, qui n’est pas loin de Londres, répliqua John en continuant son massage.
  • Il est en Ecosse d’après ses lettres. Je n’aurai pas pu le voir, de toute façon.

Son ami remit correctement les bandages et se rassit en face de lui.

  • Le pire dans cette histoire, c’est qu’on n’a même pas pu obtenir des informations sur ce Hector Hawkins.
  • Certes mais voir l’Amiral bouillonner de rage, ça n’a pas de prix, ricana l’adolescent, un brin de fourberie dans la voix.
  • Si, quinze coups de fouet, se moqua John en s’allongeant sur le lit, croisant les mains derrière la tête.
  • La ferme.
  • J’aurai du les prendre à ta place. C’est ma faute, c’est moi qui ai brulé le bureau.

Amaury reposa sa tête sur son oreiller tout en regardant son ami.

  • Arrête de culpabiliser. Je préfère qu’il s’en prenne à moi, ainsi, il vous laisse tranquille.

John regarda le plafond, songeur.

  • Tu sais, ça ne mène à rien toutes ces recherches. On est ici, dans cette foutue armée, à réviser et apprendre le combat. Mais pourquoi faire ? On n’obtiendra jamais le statut de général ou d’officier. Ni toi ni moi dirigerons une flotte. On sera à tout jamais les larbins de Doyen. T’es le fils de Théodore Jones et il te donne moins d’importance qu’un simple marin ! C’est une vraie enflure, ce type, siffla amèrement John.
  • A moins qu’on décide de quitter l’armée…

L’adolescent aux cheveux châtains se redressa légèrement et s’appuya sur ses coudes.

  • Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
  • J’ai bien conscience que je ne pourrai jamais accéder au poste d’Amiral avec Doyen dans les parages. Je ne peux même pas imaginer obtenir un rang de commandant alors, pour me venger de mon père, c’est clairement mal barré. J’ai donc envisagé de quitter l’armée car, après tout, j’en ai rien à foutre d’être ici.
  • Et tu veux faire comment ? Seule la Marine pourra t’élever aussi haut.
  • C’est simple. Je quitte l’armée, trouve un navire, monte un équipage et deviens pirate.

John le regarda pendant quelques secondes en silence puis il éclata de rire en se recouchant.

  • T’es complètement à l’ouest. Elle est forte la substance qu’ils t’ont donnée !

Amaury fronça le nez, l’air boudeur. Il resta campé sur ses positions. John reprit un peu plus sérieusement.

  • Et puis, tu détestes les pirates depuis qu’ils ont assassiné ton père. Ce n’est pas un peu malsain de rejoindre leurs camps ?
  • Je déteste les pirates mais je déteste autant la Navy. Au moins, avec les pirates, je ferai ce qu’il me plait. Personne ne pourra me barrer la route.

John plissa les yeux. Son ami semblait sérieux.

  • T’es vraiment déterminé. Mais tu as bien vu qu’ils sont particuliers. Comment veux-tu les rejoindre ?
  • Je ne vais pas les rejoindre. C’est eux qui se joindront à moi.
  • Tu veux un navire et être Capitaine ?
  • Et que tu sois mon Second, si ça te dit d’me rejoindre, souffla l’adolescent en plantant son regard dans celui de son ami.

John repensa à sa dette. Il s’en voulait. Il voulait réparer son erreur. Suivre Amaury dans cette aventure semblait risqué mais de toute façon, qu’est-ce qu’il avait à perdre ? Lui aussi était orphelin. Sa mère était morte en couche et son père l’avait abandonné par la suite, chagriné par la mort de sa femme. Sa tante l’avait recueilli et élevé mais elle n’avait jamais eu l’instinct maternel. Une fois l’âge acquis, elle l’avait envoyé ici. Il était seul et personne ne l’attendait à la maison. Alors pourquoi pas ?

  • On ferait ce qu’il nous plait ?
  • Exactement. Même si je cherche Hector, on pourrait voguer sur les Océans et visiter les continents. On recrutera de bonnes personnes, des types loyaux. On se créera une famille et personne ne pourra nous en empêcher. J’en ai marre de subir mon destin, John. Je veux prendre ma vie en main.
  • Mais on n’a que seize ans, comment veux-tu qu’on quitte l’armée pour devenir des pirates ? En plus, ça me plait bien, mais après on aura le gouvernement sur le dos. Je n’ai pas spécialement envie de finir pendu.

Amaury balaya ses propos d’un revers de main.

  • Je n’ai pas dit qu’on allait le devenir tout de suite. Il nous faut du temps, il faut qu’on se prépare. De toute façon, je ne peux pas toucher mon héritage avant ma majorité. Pendant ce temps-là, on peut réfléchir à notre vie future.
  • Mmh…
  • Avec mon héritage on peut aisément acheter un navire de guerre. Avec mon nom de famille, ça ne sera pas compliqué. Ensuite, on s’tire d’ici et on fait notre vie sur la mer !
  • Tu as conscience qu’on deviendra des déserteurs ?
  • Je préfère déserté qu’être insignifiant.

John soupira en réfléchissant.

  • On a combien de temps pour se décider ?
  • Cinq ans.

Le jeune homme se leva en passant une main dans ses cheveux en bataille. Il regarda l’heure à l’horloge accrochée au mur.

  • J’te promet d’y réfléchir. J’y retourne, à tout à l’heure.

Amaury lui fit un signe de la main. Il allait en profiter pour se reposer.

 

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Ayant retrouvé ses forces, Amaury fut contraint de retourner à sa routine habituelle. Ses matinées étaient chargées d’études et ses après-midis d’entrainement.

Après une séance intensive, il fut ordonné de rejoindre le bureau de l’Amiral, aux étages supérieurs. Le Q.G de la Navy était impressionnant avec ses bâtiments en pierres grises. C’était un ancien fort qui donnait accès à la mer, que l’Angleterre avait généreusement offert à l’armée. Après l’avoir aménagé, l’établissement était devenu un repaire de soldats. Il possédait son propre phare et son propre port équipé de nombreux navires de guerre, tous plus impressionnants les uns que les autres.  

Amaury monta de nombreux escaliers avant de rejoindre un long couloir recouvert de tapis bordeaux à motif doré. Il s’avança en observant les tableaux accrochés sur les murs en bois : des paysages d’eau, de terre, de verdure et de sable. Des contrastes différents de Londres toujours aussi terne, surtout ces derniers jours de février. Il s’approcha d’une grande porte et toqua, retenant sa respiration. Malgré sa haine puissante envers l’Amiral, il devrait contrôler sa langue fourchue afin d’éviter une nouvelle punition.

Un soldat à l’uniforme bleu et blanc ouvrit la porte. Il laissa entrer la recrue. James Doyen était installé devant un bureau, sur un imposant fauteuil en chêne, les mains croisés entre elles. Il attendait patiemment Amaury. Celui-ci se posta devant le bureau et inclina la tête.

  • Vous m’avez fait demandé, Amiral.

Ils ne s’étaient pas revus depuis le châtiment et le jeune homme aurait fortement apprécié l’éviter. James pencha la tête sur le côté.

  • En effet. Ce soir, un gala doit se dérouler dans une des salles prisées des aristocrates. La Navy a été choisie pour démontrer sa puissance. Je dois prendre deux jeunes soldats avec moi et faire éloge de vos talents de guerriers. Toi et Lewis ont été sélectionnés pour cette soirée bien que l’idée me rebute, surtout envers ton comportement de ces derniers temps…, appuya sévèrement le commandant en le fixant.

Amaury se tut un instant. Il s’obligea à le regarder dans les yeux.

  • Ça serait un honneur, Amiral, souffla le jeune homme en contractant sa mâchoire.
  • Tu pourras remercier ton oncle, Mason Jones. J’ai dû céder face à son appui, siffla-t-il entre ses dents, un sourire carnassier sur le visage.

L’adolescent comprit que James comptait lui faire payer l’affront de son oncle. Il se mordit la joue intérieure. Pourquoi tous les Jones s’efforçaient de gâcher la vie de l’Amiral ?

Contrairement à son défunt frère, Mason Jones s’était enrôlé dans la politique, ce qui l’obligeait à souvent voyager à travers le monde. Néanmoins, sa voix avait de l’effet sur les décisions de l’armée britannique. Son frère était l’ancien Amiral de la Marine d’Angleterre après tout.

  • Je n’y manquerai pas…
  • Un soldat vous donnera les instructions. Ne soyez pas en retard. Ce soir, vous devez faire honneur à la Navy. Ne me décevez pas. Tu connais les conséquences, trancha-t-il en le fixant intensément.
  • Oui, Amiral.
  • Retourne t’entrainer, à présent.

Il le renvoya d’un revers de main et se concentra sur ses dossiers. Amaury ne se fit pas prier pour quitter la pièce. Il retrouva son air, s’étant sentit opprimé tout le long de cette conversation. Il passa une main dans ses cheveux en soupirant et rejoignit ses camarades dans la cour.

A la nuit tombée, après s’être correctement vêtu d’uniformes resplendissants de propreté, John et Amaury furent conduit à la soirée en fiacre. Ils rejoignirent leurs confrères. Le gala se déroulait dans un domaine éloigné de Londres, bordé de verdures. Un grand manoir se forma dans la vision des deux jeunes, entouré de jardins sublimes. Des domestiques attendaient et le cocher arrêta le fiacre à l’entrée. Les passagers descendirent les uns après les autres. Amaury posa un pied au sol et regarda l’immensité des lieux qui l’entourait.

On le sortit rapidement de ses rêveries et ils entrèrent tous dans le manoir. La salle était spacieuse, décorée de long lustres scintillants. Les convives étaient déjà présents. John donna une accolade à son meilleur ami, chuchotant à son oreille.

  • Ça change de la chambrée où les rats séjournent.

Amaury leva les yeux au ciel. Les soldats n’étaient pas autorisé à discuter avec les invités. Les deux jeunes gens s’écartèrent. L’Amiral était déjà présent et discutait avec des hommes haut placés, des artistocrates ayant réussi dans les affaires et des militaires de l’armée de terre.

Les adolescents se lancèrent un regard et se mirent au garde à vous lorsque l’Amiral apparut devant eux, le visage impassible.

  • Vous ferez votre démonstration plus tard. Pas de commérage ni d’agitation, entendu ?
  • Bien, Amiral, répondirent en chœur les adolescents.

L’Amiral les toisa un instant avant de s’éclipser. John leva les yeux ciel et murmura à l’encontre de son meilleur ami.

  • Il nous fait venir ici et on ne peut rien faire, même pas boire du vin.
  • C’est mon oncle qui l’a exigé, chuchota Amaury en balayant la pièce du regard.
  • Sérieusement ? Mais pour quelle raison ?
  • La Navy a été sélectionné pour démontrer sa puissance. Il fallait deux jeunes soldats.
  • Je vois… On va devoir se battre ?
  • A croire, souffla le jeune homme en portant son regard sur de jeunes aristocrates richement habillées.

John lui donna un coup de coude. Il ricana doucement.

  • Ah tu les as aperçues aussi. Elles sont ravissantes.
  • Mmh.
  • Ne fait pas l’indifférent, tu crois que j’ignore ton intérêt pour les femmes ?

Amaury lui décocha un mauvais regard. Il dévia son attention des jeunes femmes et observa toutes ses personnalités imposantes composant l’assemblée. Son regard se balada à travers les personnes et atterrit sur l’Amiral, qui discutait autour d’une coupe de champagne avec un homme accompagné d’une fillette. Il fronça légèrement les sourcils, se demandant ce qu’une enfant pouvait faire ici. La fillette devait avoir dix ans, tout au plus. Elle avait les mains croisées dans le dos et souriait gentiment à l’Amiral qui lui tapota la tête.

  • Voilà une bonne enfant, cela me change des énergumènes de l’armée, répliqua James en souriant.
  • Ma petite me suit partout où que j’aille. Elle adore ce genre de soirée, ria doucement l’homme.
  • J’ai eu vent de la disparition de votre femme, monsieur le Comte. Cette petite doit être chagrinée…, souffla-t-il en fixant intensément l’enfant qui le regarda de ses petits yeux bleus.
  • Oh ma petite Olympe est forte. Elle sait que je serai toujours là pour elle.

James acquiesça et se retira après s’être excusé. La soirée se déroula et vint le moment de la démonstration d’escrime. Amaury et John furent appelés. Les deux adolescents se mirent face à face. L’Amiral se posta près d’eux, la voix solennelle et donna l’ordre.

  • Garde-à-vous.

Ils s’exécutèrent.

  • Déployez armes.

Ils s’exécutèrent une nouvelle fois.

  • Combattez.

Les deux adolescents s’élancèrent rapidement. Ils croisèrent le fer. Le son strident des lames arrachèrent plusieurs grimaces dans l’assemblée. Le spectacle était intéressant et amusant. Amaury et John, avec agilité, combattaient. Leurs pieds formaient une danse endiablée. Ils étaient jeunes et forts. L’avenir de demain.

La petite Olympe observait le spectacle avec de grands yeux, le visage débordant de joie. Elle serrait ses petits poings en trépignant sur place, manquant de faillir à la bonne tenue.

  • Père, père ! tenta-t-elle de chuchoter en tirant sur la manchette de sa veste. Plus tard, je veux apprendre à me battre ainsi !
  • Nous verrons, Olympe, nous verrons…, ria-t-il nerveusement en lui tapotant la tête.

Amaury prit rapidement le dessus sur son ami. Il donnait de la puissance dans ces coups et faisaient glisser aisément ses pieds au sol. Sa lame manqua plusieurs fois d’effleurer le cou de son adversaire. John commençait à transpirer, sentant sa position devenir fébrile. Il para une attaque en se mettant sur le côté et croisa de nouveau le fer. Les invités se permirent de les encourager en sifflant et en applaudissant.

Le jeune homme téméraire leva vivement son épée et l’abattit sans ménagement sur celle de son ami qui vacilla face à la force employée. Il céda sous l’assaut et laissa tomber son épée. John recula d’un pas et inclina la tête, avouant sa cuisante défaite. Amaury tendit la lame, la respiration saccadée et le regard perçant.

L’Amiral contempla son apprenti. Il vit un instant le visage de son ancien collègue, Théodore Jones et fronça les sourcils. Il secoua brièvement la tête et s’approcha en applaudissant.

  • Eh bien, eh bien, quel joli spectacle. Voici les soldats de demain : les guerriers de la Navy ! s’exclama James en désignant les deux adolescents de sa main.

L’assemblée applaudit vivement, ravit de cet événement.

 

Plus tard, la soirée se termina et les deux adolescents rejoignirent le Q.G en fiacre. Ils parurent épuisés. Les deux individus avaient retiré le haut de leurs uniformes et dévoilé leurs chemises blanches.

  • Franchement, t’y es allé fort. Tu voulais impressionner les Lady ou quoi ? demanda John, les sourcils froncés.
  • Désolé, j’me suis emporté.
  • Vantard.
  • Crétin.

Il se toisèrent en plissant les yeux puis se donnèrent une accolade. John répliqua par la suite, un grand sourire sur les lèvres.

  •  J’veux bien prendre la mer avec toi.
  • Vraiment ? Tu sais qu’on a cinq ans pour se décider.
  • Je sais mais cette soirée m’a fait réaliser certaines choses.
  • Quoi donc ?
  • J’ai entendu le discours de l’Amiral. Il nous vante mais il se fiche éperdument de notre cas. Si on reste dans l’armée, on n’ira jamais bien loin.
  • On est que des pions, souffla Amaury en regardant le paysage à travers la vitre.
  • Alors soyons autre chose. Second et Capitaine, ça me plait d’avantage.

Amaury reporta son regard sur son ami et esquissa un léger sourire.

  • Il faut signer ça autour d’un verre, non ?
  • Tu sais très bien qu’on ne peut pas esquiver le couvre-feu.
  • Arrête de penser comme ça. Si dans cinq ans on veut déserter, autant commencer par désobéir aux ordres !

John râla en se massant l’arrêt du nez. Ils allaient encore avoir des problèmes. Amaury se pencha légèrement et répliqua, les yeux brillants.

  • Peu importe ce qu’ils nous font pendant ces cinq ans. Une fois parti, je te jure que je nous vengerai. Je leur ferai payer tout ce qu’ils nous ont fait subir.

 

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Le Capitaine ouvrit subitement les yeux et s’agita, la respiration vive. Il renifla et sentit une vive chaleur l’opprimant. Il baissa les yeux vers son torse et le découvrit remplit de bandage. Il releva son regard vers la pièce et constata qu’il était dans sa cabine. Il sursauta en sentant une main fraiche sur son bras et tourna la tête.

  • Olympe, souffla-t-il en haletant.
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