« Pourquoi souhaitais tu cette réunion à la première heure un lundi matin ? »
Martial avait laissé un message sur le répondeur de son associé dès son retour de la dune du Pilat pour lui proposer de se voir dès le lendemain matin à leur agence. Plus qu’une proposition, c’était un rendez vous professionnel imposé. Contrairement à l’accoutumé, il n’y avait rien d’amical dans le ton avec lequel il avait prononcé ces exigences.
Avant de répondre à la question de son associé, Martial se rejeta en arrière dans son fauteuil de direction et fit tourner son mont blanc entre pouce et index comme pour savourer pleinement sa réponse.
« Damien, tu n’es pas sans savoir que je suis désormais minoritaire dans la société que nous avons créée ensemble »
Sachant que cette annonce n’avait rien d’un scoop, il fit mine d’attendre une réaction qui ne vint pas.
« Nous avons toujours travaillé en totale confiance et en égalité parfaite dans nos traitements, n’est ce pas »
D’un léger signe de la tête, son interlocuteur acquiesça mais commençait à être mal à l’aise comme celui à qui on dit qu’il y a deux nouvelles à annoncer, la bonne et la mauvaise et à qui on laisse le choix de l’ordre.
« Tu comprends que mon égo ne souffrira pas que Catherine vienne nous rejoindre dans cette belle aventure… »
Un fois de plus, Martial semblait attendre une réaction à ses propos mais seul le silence fut de mise.
Damien ne doutait pas que le partage des parts avec Catherine soit un problème à sa collaboration avec Martial, mais la rupture maritale en plus, la garde des enfants alternée, la perte de la maison qu’il avait lui-même conçue ne viendraient pas arranger les choses.
« Alors, vois tu je vous propose de continuer la belle aventure sans moi »
La dernière phrase fit enfin l’effet d’une bombe et c’est Damien qui reprit aussitôt :
« C’est juste impossible, tu ne peux pas abandonner l’affaire »
« Mais je ne lâche rien, je reste propriétaire de mes parts, je renonce simplement à mon salaire et je vais passer mes journées à la pêche »
« Arrête de te moquer, tu te fiches de moi. Dis-moi que c’est une plaisanterie de mauvais goût ».
Damien prononça ses derniers mots sans conviction mais avec tout de même un petit espoir dans la voix.
«Non je t’assure que c’est la vérité » fut la réplique qu’il n’espérait pas mais qui le mit définitivement dans l’angoisse.
« Donc tu partirais à la pêche, tout simplement, et on peut savoir où ? » Pris à son propre jeu, Damien tentait une ultime plaisanterie.
« Tu n’imagine même pas…A Marseille ! »
Martial avait prononcé le nom de la ville méditerranéenne avec l’accent du sud, le soleil dans la voix, particulièrement réussi pour l’occasion.
A l’évocation de la capitale du sud de la France, le visage de Damien se décomposa.
« Mais je te réserve 40% des parts de l’agence Marseillaise, comme au bon vieux temps » renchérit Martial avec un large sourire qui irradiait son visage.
« Comme au bon vieux temps » avait il répété en serrant fermement la main de son ami d’enfance, mettant ainsi un terme à leur discussion.
Lorsqu’ils se quittèrent sur le parking, Martial ne pu s’empêcher de faire une remarque sur le nouveau SUV flambant neuf de son associé.
« Tu as changé le véhicule de fonction sans m’en informer ? Il me semble que les décisions sont vite prises avec ta nouvelle associée »
Pris de court, Damien n’eut pas le tant de répondre que son ami s’éloignait déjà.