Chapitre 7 : L'éternelle

Le voyage dura deux lunes. Les Laevis longèrent les montagnes sur un sentier désert afin d’atteindre la péninsule où se trouvait Caracal. Keira vit défiler le monde des humains sous ses yeux  sans cesse émerveillés. À l’ouest, l’horizon n’avait pas de limites. Le soleil y mourait chaque jour dans une parade de lumières écarlates. Cette vision magnifique faisait oublier à la jeune fille la dureté du périple.

Au cinquante-deuxième jour de chevauchée, Aedan indiqua qu’ils allaient devoir se séparer. Ils devaient désormais quitter la protection des hauteurs pour parcourir les champs. Ils se scindèrent en trois groupes d’une dizaine de cavaliers. Keira se retrouva dans le dernier, soulagée d’être avec Oèn. Ils devaient attendre six jours sur une large corniche, laissant les autres groupes partirent un à un. Kurtis eut la chance d’être dans le premier, il pourrait voir la beauté de la Forêt Éternelle bien avant elle. Ealys, elle, était dans le second.

— À dans deux semaines, dit Keira à son frère.

Il lui sourit et lui serra les mains. La lumière du crépuscule teintait ses cheveux blonds d’un or incandescent. En territoire humain, les Sylviens voyageaient la nuit.

— Quand on se reverra, on y sera enfin, souffla Kurtis avec des étoiles dans les yeux.

— Prends soin de toi et respecte les consignes, lança Ealys, cette partie-là de notre périple est dangereuse.

Le jeune garçon hocha la tête, il tendit les bras pour que ses deux sœurs puissent l’étreindre.

— On y va ! résonna la voix d’Aedan.

Keira surprit le regard de son père sur eux. Il fit un bref salut de la tête avant de talonner sa monture. Kurtis s’empressa de monter en selle et rejoignit la troupe qui s’ébranlait. Sa main s’agitait longtemps dans la nuit tombante. Ses sœurs fixèrent le petit point qu’était devenu le groupe avec un mélange d’excitation et d’appréhension.

 

Trois jours plus tard, ce fut à Ealys de partir. Keira resta longtemps assise sur le bord de la corniche, les jambes ballantes. Elle ne pouvait s’empêcher d’angoisser face à la silhouette de sa sœur adoptive qui se faisait bien trop petite. Elle sentit la chaleur d’Oèn venir la réconforter.

— Ça va ? souffla-t-il.

Elle fit la moue.

— Je pense que tu as besoin d’un peu de chatouilles.

— Quoi ? Mais n…

Le reste de sa phrase fut étouffée par un rire irrépressible. Son compagnon avait lancé ses doigts dans un assaut impitoyable. Elle tenta de répliquer, en vain. Elle finit par abandonner et se laissa aller à l’hilarité qui secouait son corps.

 

Les trois derniers jours d’attente, malgré la présence d’Oèn, furent interminables. Keira se retint de sauter de joie quand Isbail annonça le départ. Ils rangèrent et effacèrent leurs traces dans une excitation générale. Les étoiles teintaient la nuit de lumière quand ils tournèrent le dos aux montagnes de Bergonosh.

Ils quittèrent vite les prairies sauvages pour attendre les premiers champs. Leur itinéraire était légèrement différent de celui des précédents groupes, ils bifurquèrent donc vers le nord afin de pouvoir se reposer dans un bosquet proche. Keira ne put dormir, cette journée-là, la lumière et la proximité humaine faisait naître une tension familière dans son corps. Ces odeurs et ces âmes étranges qui grouillaient lui rappelaient la Cité des ombres. Oèn semblait partager son anxiété car il ne ferma pas non plus l’œil, il fixait la voûte de feuilles sans mot dire.

Ils furent tous deux soulagés quand la nuit tomba, ils étaient cependant terriblement fatigués. Keira somnola sur sa selle, bercée par le pas doux de Zérif.

 

Le soleil se coucha une quatrième fois, ils n’avaient jamais été aussi proches des habitations. Ils évitaient les villages et allaient de forêt en forêt, mais le constat était sans appel : les humains étaient partout. Keira regrettait sa terre sauvage. Ici, la nature était malmenée, le danger était partout, cela en devenait étouffant.

Ils passèrent devant un village, cette nuit-là. On ne voyait du hameau que des lumières et les contours indistincts de maisons, mais cela suffisait pour mettre toute la troupe mal à l’aise. Ils avançaient le plus silencieusement possible sur la route de terre battue, entre tension et fatigue.

— Un voyageur ! souffla soudain le Hekaour qui menait le convoi.

Toutes les têtes se dressèrent. Au détour d’un virage, ils aperçurent la lanterne d’un marchant itinérant.

— On applique la procédure, calmez-vous ! fit Isbail.

Les Sylviens cachèrent rapidement leurs plumes et autres parures, ils rendirent visibles les lanternes humaines qu’ils cachaient jusqu’à présent sous un épais tissu. Ils adoptèrent un pas plus lent et attendirent de croiser le marchand.

La roulotte se fit attendre mais quand elle parvint à leur hauteur, Keira sentit son pouls s’accélérer. Elle s’efforça de se composer l’air las du voyageur ordinaire.

La roulotte du marchand était tirée par deux mules rachitiques, l’homme qui les retenait portait un chapeau à large bords qui cachait le haut de son visage. Malgré cela, Keira fut sûre qu’il les observait avec beaucoup d’intérêt. Elle dut se faire violence pour contenir les tremblements de ses mains.

— B’jour, ‘fin, b’soir, fit une voix étouffée.

Elle sursauta, le marchand venait de la saluer. Son cœur frappait violemment ses tempes.

— B… Bonsoir, déclara-t-elle dans un helmët hésitant.

Elle se mordit la lèvre, espérant qu’elle n’avait rendu l’homme curieux avec son accent étrange. Ce dernier eut un léger mouvement du chapeau, mais ne réagit pas plus. Les autres Hekaours lâchèrent des saluts mornes qui convenaient parfaitement à l’heure plus que tardive. Les trois Teacs, placés au centre du groupe, ainsi qu’Isbail, ne dirent rien, ils n’avaient pas appris l’helmët. Le marchand ne parut pas en prendre ombrage, il continua son chemin et finit par disparaître derrière une colline.

Un soupir unanime de soulagement parcourut le groupe.

— Vous avez bien réagi. Allez, on continue, lança Isbail.

 

À l’aube du huitième jour, ils la virent enfin : Caracal, la Forêt Éternelle. Une immense étendue boisée qui dévorait l’horizon jusqu’à la pointe invisible de la péninsule. Un lieu béni sur cette terre ravagée.

Les Laevis dévalèrent joyeusement la pente qui les menait jusqu’aux vénérables arbres. Des menhirs gravés ceinturaient cette nature foisonnante, barrant l’entrée aux humains.

Keira jeta un regard de défi en arrière. Oèn lui tendit une main qu’elle saisit avec un sourire.

Ils franchirent la Frontière.

 

*

 

— Ils sont là !

Kurtis échangea un regard ravi avec Ealys, ils vinrent accueillir le troisième groupe. Le jeune garçon serra Keira dans ses bras, il avait du mal à contenir son soulagement.

— On y est enfin, souffla sa sœur en balayant la forêt d’un œil brillant.

— Il nous reste encore quelques jours de chevauchée mais oui, nous y sommes, tempéra Ealys.

— Rabat-joie, va.

— Mais vous sentez ça, dit Kurtis en écartant les bras, l’empreinte d’une autre tribu. Cette Frontière est bardée d’enchantements si puissants !

Il ferma les yeux, le Silh de ce lieu avait un goût différent, plus intense. La voix autoritaire d’Aedan rompit sa concentration.

— On ne traîne pas, on est attendus. Tout le monde en selle !

Keira poussa un soupir exagéré en obéissant. Kurtis l’imita bien que le bas de son dos soit douloureux. Liou, sa jument, renâcla. Elle aimait encore moins que lui les longs voyages, et celui-ci  mettait ses nerfs pourtant souples à rude épreuve. Heureusement, l’herbe riche de Caracal apaisa son irritation. À chaque fois qu’ils faisaient une halte, aussi brève soit-elle, elle s’empressait d’en prendre une bouchée.

Au fur et à mesure de leur avancée, Kurtis sentit enfler un tourbillon d’âmes. Cette concentration d’esprits était éblouissante alors même qu’ils se trouvaient encre loin de Bibracte. Il avait du mal à s’habituer à ce tintamarre d’êtres et un regard échangé avec sa sœur confirma qu’il n’était pas le seul.

 

Ils étaient encore à quelques heures de chevauchée de leur destination quand ils perçurent les premiers sons provenant de Bibracte. Au bruit sourd et répété des tambours s’ajouta un concert de voix, de centaines de voix. La lumière filtra au travers des arbres.

Ils étaient arrivés.

Ils émergèrent sur une vaste prairie vallonée.  D’innombrables chevaux paissaient ici, accompagnés d’autant de Sylviens.

Kurtis était sonné par la présence d’autant de ses semblables. Il y avait ici trop d’échos qui s’entremêlaient, trop de voix intérieures qui criaient sans le vouloir.

Ils traversèrent la prairie, ébahis. Les personnes qu’ils croisaient leur souriaient et se mettaient à les suivre en silence comme le voulait la coutume. L’équivalent de toute leur tribu vint les accompagner jusqu’à l’autre bout de la prairie, là où un campement s’étendait à perte de vue. Au centre, sous un grand rocher, se tenait le village des Ardyens, articulé autour de trois huttes jointes. Des centaines, non, des milliers de Sylviens vinrent s’ajouter au convoi. Kurtis s’y était préparé, mais il resta hagard face à la foule, laissant Liou suivre paisiblement ses camarades jusqu’à la Demeure des Esprits.

Là, ils descendirent de selle, aidés par une bonne cinquantaine de volontaires qui emmenèrent leurs chevaux paître. Malgré les murmures et bruissements qui traversaient l’assemblée, le silence semblait absolu. Kurtis crut qu’il allait tomber tant ses jambes étaient flageolantes. Il était d’autant plus nerveux qu’il n’avait pas le droit d’être ici.

Ealys perçut son anxiété et lui prit la main, vite imitée par Keira.

— Ça va bien se passer, souffla cette dernière avec un sourire rassurant bien qu’un peu tendu.

Les Laevis s’avancèrent jusqu’en face de la triple hutte des Arsalaïs ardyens, Aedan, Isbail et Oanell en tête. Ealys dut aussi se placer devant, le vide que laissa sa main dans le creux de sa paume fit frissonner Kurtis. Il tendit le cou pour apercevoir ce qui se passait devant lui.

— Qui êtes-vous ? tonna soudain une voix puissante.

C’était probablement Hênora, la moïa des Ardyens, une légende vivante. Il tenta de l’apercevoir sans y parvenir.

— Nous sommes les Laevis et venons prendre part au Sabbah, répondit la voix de son père, étrangement faible en comparaison.

— Dans ce cas, soyez les bienvenus à Bibracte, enfants de la Source. Que nos célébrations soient les vôtres.

En réponse, tous les arrivants joignirent leurs mains et s’inclinèrent. Kurtis suivit le mouvement et se rendit compte que les siennes étaient moites.

Lorsqu’ils relevèrent la tête, un hourra unanime monta de la foule, une avalanche de « bienvenue ! » tomba sur les Laevis. Le jeune garçon vit des visages souriants s’approcher d’eux.

Mais soudain, tous se turent. Les regards convergèrent de nouveau vers la cheffe des Ardyens.

— Je sens la présence d’un enfant dans vos rangs, résonna la voix de l’Arsalaï.

Kurtis se figea, au contraire de son cœur qui fit un immense bond dans sa poitrine. Tous ses camarades se tournèrent vers lui d’un même mouvement. Aedan parla de nouveau, mais il semblait soudainement moins sûr de lui.

— Mosha, notre guide, a eu un signe disant qu’il devait nous accompagner.

— Qu’il avance.

Keira pressa la main de son frère en s’écartant, les Laevis lui offrirent une ouverture. Des milliers de regards se posèrent sur Kurtis quand il émergea du groupe, et tous virent la cicatrice de sa faute sur son bras. Une rumeur se répandit dans les rangs, le poids sur ses épaules se fit plus lourd. Il crut qu’il allait se liquéfier, mais il réussit à avancer jusqu’à la moïa.

Il eut le souffle coupé face à cet être légendaire. De haute stature, sa chevelure brun-roux atteignait ses genoux. Son bras droit tenait fermement de son sceptre, une branche torturée qui s’enroulait autour d’un œuf de la taille d’une tête, l’Embryon. Sur sa peau tannée, les bois du Grand Cerf s’enlaçaient et se séparaient en arabesques gracieuses. Ce totem puissant couvrait tout son corps, de ses pieds nus jusqu’à son front. Et plus encore, jusque dans les immenses bois qui ornaient son crâne, décorés de guirlandes de fleurs. Elle était l’Élue des Esprits, celle qui savait tout du Monde Invisible, la personne la puissante sur cette terre.

Son regard pâle tomba sur Kurtis comme une chape de plomb qui le fit trembler. Il ne s’était jamais senti aussi petit.

— Je vois, dit-elle sans que ses traits ne se parent d’aucune émotion.

Elle leva son bras gauche en direction du jeune garçon, tendant en avant son index et son majeur joints. Kurtis regarda la main s’approcher, terrifié.

Elle posa ses deux doigts sur son front.

Un courant traversa violemment son corps, un brasier bref mais ravageur. Une vive douleur enflamma son épaule. Il poussa un gémissement et ferma les yeux, persuadé qu’il subissait la colère de la moïa. Mais la douleur dans son bras se mua bientôt en une démangeaison familière.

Une vague de murmures traversa la foule. Il ouvrit les paupières et posa les yeux sur son épaule.

Une tache s’y étendait, sombre, mouvante.

— Tu ne seras bientôt plus un enfant, déclara Hênora.

Il la considéra un instant, hébété. Une grande clameur s’éleva, Ealys et Keira se précipitèrent vers lui.

— Tu vas avoir ton totem, c’est génial !

Un sourire se fraya un chemin sur le visage du jeune garçon tandis que ses sœurs l’étreignaient. Isbail et Oanell prirent la relève.

— Tu vois, fallait pas désespérer, fit cette dernière avec un sourire malicieux.

Aedan s’approcha lui-aussi. Il posa sa main calleuse sur la tête de son fils.

— Bravo, dit-il simplement.

Il se détourna pour se noyer dans la foule qui distribuait des colliers de bienvenue aux nouveaux arrivants.

— On va devoir se quitter pendant une semaine, soupira Keira.

Il eut un pâle sourire.

— Bah, c’est pour le mieux.

Elle lui offrit un visage rayonnant.

— Une semaine, ça passe vite.

Il hocha la tête, muet. Elle l’étreignit de nouveau.

— À bientôt, murmura-t-elle.

Il se contenta de déglutir. Il ne parvenait pas à être réellement joyeux après la peur qu’il avait eue.

— Viens, Kurtis, fit Ealys en le prenant par la main.

Il salua Keira et se laissa guider jusqu’à la Demeure des Esprits. Hênora semblait l’attendre devant l’entrée. Il frémit sous le poids de ses iris.

— Bienvenue, déclara-t-elle d’une voix solennelle.

Il crut déceler un soupçon de bienveillance sur ce visage de marbre. Cette fois-ci, il parvint à sourire franchement.

Il pénétra dans la hutte à la suite de sa sœur.

De nombreux Arsalaïs de toutes les tribus étaient présents, si bien que le bâtiment suffisait à peine à tous les accueillir malgré sa grande taille. Kurtis se sentit un peu mieux dans cette atmosphère familière malgré les âmes qui se pressaient autour de lui.

— Bienvenue aux Laevis, lança le doyen des Ardyens depuis le fond de la hutte.

Le vieil homme aurait dû être le guide de sa tribu si Hênora n’avait pas été choisie à sa place par les Esprits.

— Que vois-je ? Un jeune garçon !

L’Ardyen se leva, il était plus jeune que Moïa mais ses rides étaient néanmoins bien visibles. Il sourit au nouveau venu.

— Nous sommes une espèce rare en ce milieu, je suis content que tu sois là. Je m’appelle Padraig.

— K… Kurtis.

— La tache vient juste d’apparaître sur son épaule, déclara Isbail. Nous devons le préparer au plus vite.

Le vieil homme hocha la tête sans se départir de son sourire affable.

— Suis-moi.

Le jeune garçon jeta un regard en arrière.

—Hênora n’est pas rentrée ? souffla-t-il à Ealys.

— Je pense qu’elle ne peut pas, ses bois sont beaucoup trop grands.

Il leva la tête vers le plafond bas. L’évidence s’imposait. La pensée de l’ironie de cette situation lui traversa l’esprit.

— Par ici, Kurtis, fit Padraig.

— J’arrive.

— À plus tard, lança sa sœur.

Il lui rendit son salut, encore un peu nerveux.

Padraig l’emmena dans un court tunnel qui menait à une autre hutte. Celle-ci, plus petite, semblait être l’espace dédié à la préparation des cérémonies. Un grand cercle de méditation occupait son centre, uniquement éclairé par une lampe pendant au plafond. Kurtis vit une jeune fille de son âge occupée à méditer. À part elle, le lieu était désert.

— Elle aussi, elle prépare la cérémonie du totem, lui confia Padraig. Sa tache est apparue hier soir.

Il lui fit un clin d’œil complice.

— Ça veut dire que vous allez passer la cérémonie le même jour. C’est rassurant, non ?

L’apprenti Arsalaï hocha la tête. Il suivit Padraig dans un coin pour s’apprêter.

Il retira toutes les parures non essentielles et se dévêtit. L’Ardyen lui donna une large toge gris clair. Kurtis l’enfila après avoir lavé son corps avec une eau parfumée.

Mokō, tōta niê, asçhi ribel as ní, murmura Padraig en joignant ses mains.

Il passa autour du coup du jeune garçon un collier dont le pendentif représentait un œuf en osier tressé.

— As ní faá, répondit Kurtis.

Il frappa ses paumes et s’inclina.

— Je vais te laisser, commence par danser un peu pendant qu’elle médite.

Kurtis hocha la tête et regarda Padraig disparaître dans le tunnel.

— Bonjour.

Il sursauta et se tourna vers l’autre apprentie. Elle avait ouvert un œil vert pour le fixer, intriguée.

— Je… prépare aussi la cé… cérémonie.

Le visage de la jeune fille s’éclaira immédiatement.

— C’est vrai ? C’est génial !

Elle se leva pour le rejoindre d’un air enthousiaste.

— J’avais tellement peur de danser devant tous ces gens, mais si tu es là je me sentirai moins seule.

Elle saisit les mains de Kurtis dans les siennes. Ce dernier sentit ses joues s’échauffer.

— Oh, excuse-moi, je suis un peu trop familière, j’en oublie la politesse.

Elle lâcha ses mains et recula un peu. Elle toucha son front de ses deux doigts avant de les tendre vers son interlocuteur.

— Je m’appelle Maig, fille de Lavena du Lièvre et Yeltas du Chamois. Je suis membre de la tribu des Ardyens, du clan des Démétéens.

Il imita son salut protocolaire.

— Je suis Kurtis, fils de Séla du Cygne et Aedan de l’Aigle, membre de la tribu des Laevis, du clan des Arvennes.

Tout cela, chacun pouvait le voir sur le bracelet d’appartenance de l’autre, mais il était plus poli de le dire à haute voix.

Maig se remit à sautiller légèrement, secouant ses cheveux blond-roux.

— Tu penses que ce sera quoi, ton totem ? s’enquit-elle.

— Je… je n’en ai aucune idée. Et toi ?

— Je n’en sais rien non plus ! Mais je penche pour un oiseau. Ah, j’ai si hâte !

— Moi aussi, fit Kurtis.

Un grand sourire naquit sur ses lèvres. Celui de la jeune fille était pétillant.

— Tu as quel âge ?

— Quinze ans.

— Comme moi !

Un rire léger s’échappa de sa gorge.

— C’est tôt, pour avoir son totem, surtout pour un homme !

— Je suis un apprenti Arsalaï.

Elle ouvrit de grands yeux ronds.

— Comme moi ! Décidément, on a plein de points communs !

Cette fois, il en était sûr, son teint était devenu cramoisi. Maig parut le remarquer car elle se tut, les joues rosées.

— Dé… désolée, je ne voulais pas te mettre dans l’embarras… d’habitude je suis plus timide, je ne sais pas ce qu’il me prend…

— Non, ne t’inquiète pas ! C’est que… je… enfin, je…

— Je peux savoir ce que vous faites ?

Les deux apprentis sursautèrent dans un bel ensemble et firent volte-face vers l’Arsalaï qui venait d’entrer. D’après son bracelet d’appartenance, elle était membre des Silvanctes, une autre tribu de Caracal. Elle fronça les sourcils.

— Maig, tu ne devrais pas méditer ?

Le visage de la jeune fille prit la couleur d’une groseille mûre.

— Oui, je souhaitais, enfin… il y…

Son aînée ne l’écouta pas plus.

— Remets-y toi vite, il ne faut pas offenser l’Esprit qui s’apprête à t’offrir sa protection.

— B… bien sûr.

Elle jeta un regard embarrassé à Kurtis avant de s’assoir au centre du cercle.

— Et toi ? Tu n’as rien à faire ?

— Oui, pardon…

Il commença à exécuter une danse rituelle sous le regard sévère de l’inconnue. Celle-ci l’observa en silence avant de hocher la tête et de s’en aller. Le jeune garçon ne put retenir un soupir. Maig eut un rire étouffé qui attira son regard. Il se plongea dans ses prunelles aux couleurs de la forêt et eut un frisson. Ils échangèrent un sourire. Puis, l’Ardyenne se remit sagement en position et ferma les yeux, arrachant Kurtis à sa contemplation. Il se ressaisit et reprit sa danse, tentant de se concentrer sans vraiment y parvenir.

 

*

 

Lohan contemplait les montagnes de Bergusia sans parvenir à se détourner du chemin qui y menait. À la vue de l’intersection, il avait eu envie de rende visite à Asha, avant de se rappeler qu’elle avait rejoint sa tribu. Pourtant, c’était comme si elle était toujours là-bas, il n’arrivait pas à croire qu’elle avait quitté sa maison.

Il secoua la tête et serra les rênes de Nuit. Il devait l’oublier, désormais, ils ne se reverraient sûrement jamais.

Lohan parvint à talonner Nuit, laissant derrière lui le Chemin des Chamois. Il avait un goût amer dans la bouche.

 

Deux semaines plus tard, il se trouva face à l’Arbre-Porte. Il tailla dans l’écorce le signe d’entrée, les racines du chêne s’écartèrent pour dévoiler le tunnel d’accès. Lohan remarqua qu’il avait été rétréci, sans doute une mesure pour éviter qu’une nouvelle troupe armée ne puisse pénétrer dans la cité aussi facilement. Voilà pourquoi sa tête effleura le plafond alors qu’il entrait dans le tunnel. Il soupira, il allait avoir de la terre dans les cheveux.

Il traversa l’interminable tunnel pour déboucher sur la Cité des ombres. D’ordinaire, la vision de ce prodige architectural faisait naître un sentiment de fierté en lui, mais cette fois-ci au contraire, il fut dégoûté par ce panorama. Il descendit dans les ruelles qui menait à la Tour, le regard sombre. Les rebelles qu’il croisait le saluaient avec de grands sourires. Même s’ils ignoraient quelle avait été sa mission, ils l’acclamaient en héros. Il répondit à peine, les yeux rivés sur le centre de la ville souterraine.

Il déposa Nuit aux écuries. La jument paraissait déçue de se retrouver de nouveau enfermée.

Comme moi, pensa-t-il malgré lui.

Il grimpa pesamment les escaliers de la Tour et arriva face à la porte du bureau d’Adhara. Il entra sans toquer.

— Lohan !

La princesse afficha un bref instant sourire peu digne, mais elle se reprit bien vite.

— Ta mission ?

— J’ai tué Claudius et quelques-uns de ses hommes. Mais je ne peux pas te garantir que des soupçons ne pèsent pas sur moi. J’ai fait ce que j’ai pu pour que ce ne soit pas le cas.

— Bien, dit-elle d’une voix satisfaite. L’avenir nous dira s’ils se doutent de quelque chose ou pas. On ne devrait pas tarder à recevoir une missive.

Lohan hocha la tête. Il se fit la remarque que la toilette d’Adhara n’était pas très belle.

— Je vais me reposer, fit-il sèchement.

— Si tu veux. Tu es de mauvaise humeur, on dirait.

Le jeune homme sentit la colère affluer en lui.

— Tu m’as forcé à tuer des rebelles, bien sûr que je suis de mauvaise humeur.

La princesse fronça les sourcils.

— Je ne t’ai pas forcé, déjà, et ensuite je ne savais pas que tu avais une conscience.

— Des rebelles tués, ce sont des combattants en moins contre Triliance.

Son amante se leva et contourna son bureau pour venir lui caresser la joue.

— Mais ils entravaient mon œuvre, or tu sais que je suis la seule à même de faire tomber la Grande Pyramide.

— Certes, siffla-t-il en reculant.

— Je vois que tu es irrité par ce long voyage. Repose-toi et viens me voir dans ma chambre, je te ferai oublier cette mésaventure, susurra-t-elle.

— Je vais me reposer. Et je verrai pour la suite.

Il se détourna du regard courroucé d’Adhara et sortit de la pièce. Une fois dans sa chambre, il se passa une main sur le front. Lui-même ne savait pas d’où lui venait cette nervosité.

Il ne se reconnaissait plus.

 

*

 

Ses doigts sont rêches, parcheminés. Elle me scrute, m’examine. Un enfant m’a trouvée, une fois la neige fondue, et m’a apportée à elle. Il a senti, vaguement, qu’elle seule pourrait comprendre. Et elle a compris. Elle sent les Liens. Elle sent que je suis le pivot entre deux personnes qui se sont aimées. Elle sent que je vis par eux, autant qu’ils vivent par moi.

Ses doigts frottent contre mon bois abimé. Elle me caresse, sereine.

Moi, j’espère.

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Guimauv_royale
Posté le 23/07/2021
Coquilles
- le monde des humains sous ses yeux  (il y a un espace en trop) sans cesse émerveillés
- l’horizon n’avait pas de limites (limite ?)
1-
- Le reste de sa phrase fut étouffée (étouffé)
- un chapeau à large (s) bords
- espérant qu’elle n’avait (pas) rendu l’homme curieux
- Ce dernier eut un léger mouvement du (de) chapeau,
- se tenait le villages des Ardyens, (village)
- —- Bienvenue aux Laevis, (il y a un tiret en trop)
- (…) Je m’appelle Padraig. —- K… Kurtis. (Tu as oublié de sauter une ligne et il y encore un tiret en trop)
- -—Hênora n’est pas rentrée ? souffla-t-il à Ealys. (Encore le tiret)
- l’espace dédié à la préparation des cérémonie (s)
- Un grande (grand) cercle de méditation occupait son centre,
- murmura Padraig en joignant ses main. (Mains)
- Il passa autour du coup (cou) du jeune garçon
- -—C’est vrai ? C’est génial ! (Toujours le tiret décidément !)
- Décidément, on a plein de point (points) communs !
- Il commença à exécuter une danse rituel (rituelle)
3-
- il avait eu envie de rende (rendre) visite à Asha,
- Il descendit dans les ruelles qui menait (menaient)
- le saluaient avec de grandes sourires. (Grands)
- Même s’ils ignoraient quelle avait été sa mission, (qu’elle)
- La princesse afficha un bref instant (un) sourire peu digne,


Remarques
1- Sa main s’agitait longtemps dans la nuit tombante. (J’aurais mis “s’agita”)
3- Maig eut un rire étouffé qui attira son regard. (Tu as déjà utilisé ‘’regard’’ et ‘’observa” la phrase d’avant, c’est un peu lourd. Peut être remplacer par “son attention”)
AudreyLys
Posté le 24/07/2021
super merci !!
_HP_
Posté le 02/05/2021
Hello !

Il me reste pas beaucoup de chapitres à lire, en fait :o

J'ai hâte d'en apprendre plus sur Maig... Et j'ai l'impression que Kurtis partage mon opinion 😏😇 Je suis curieuse de connaitre leurs totems :p
J'ai hâte aussi de voir ce qui va se passer pour Lohan, est-ce qu'il va rester ou non, rejoindre Asha, etc ^^
Et je suis impatiente de voir la cérémonie avec tous les Sylviens, te connaissant ça va être très beau 😋
AudreyLys
Posté le 02/05/2021
Hello !
Non effectivement, te voilà à la moitié de la partie 3 ^^
Contente que ça te plaise toujours autant ^^
Sorryf
Posté le 29/05/2020
Me revoilà !
j'ai été très émue de revoir Asha, elle m'avait manquée, l'air de rien !

les coquilles (c'est sur les 4 derniers chapitres alors ça va être un peu vague)
à un moment tu utilises le mot "doucereux", je me rappelle plus où, et ça m'a fait bizarre parce que il me semble que doucereux est un peu un terme péjoratif, ça implique un certain calcul, et ça allait pas dans la situation, je te conseille de mettre simplement "douce"

"laissant les autres groupes partirent un a un" -> partir (pareil, je me rappelle plus le chapitre, désolée)

Et l'histoire : mon Dieu, Clerpute est la mère d'Asha ! je ne sais pas comment digérer cette information, pour moi ça n'efface rien de ce qu'elle a fait.
La scène de cul avec Aedan était vraiment bien faite, on sent le malaise d'Aedan, qui l'air de rien a été utilisé aussi. Dur pour les deux.
La prophétie, le fait d'avoir trois génération de sang mêlé, j'aime beaucoup ! on a cette sensation agréable de pièces qui s'emboitent pour former le tableau plus grand. Mais du coup je n'ai pas compris, Clervie savait dès le début que Asha était sa fille (et dont déjà la 2eme génération) ? ou elle pensait repartir a zéro ?
j'ai complètement adoré la scène entre Kurtis et la jeune qui va faire la cérémonie avec lui, c'était tellement mignon purée *v* !
bravo pour ces chapitres, c'était vraiment une lecture agréable !!
AudreyLys
Posté le 29/05/2020
Welcome back <3

Ok je note, merci pour tes remarques !

Bien sur ça n'efface rien de ce qu'elle a fait !
Ah c'est cool, je voulais surtout pas qu'on le voit comme le débile qui fait pas gaffe à ce que ressent sa partenaire et s'en fiche de la violer
^^ Oui elle l'a compris très vite, d'autant qu'il lui suffit de zieuter un peu les pensées d'Asha pour en être sûre.
Hihi moi aussi je les adore

Merci <3
Alice_Lath
Posté le 28/05/2020
Ah bah c'est certain, Lohan, commencer à avoir une conscience, ça pèse lourd haha, et c'est pas forcément facile à porter, mais je te rassurer, on le vit pas trop trop mal non plus au quotidien. Sinon, on sent que Kurtis lui aussi va être victime d'un crush haha, c'est vraiment des serial crushers dans DE. D'ailleurs, c'est un truc que j'ai remarqué: que quand un mec et une meuf sont "réunis par le destin", ils tombent amoureux dans cette histoire huhu. Je me demande à quoi peut bien ressembler son totem du coup héhéhé
AudreyLys
Posté le 28/05/2020
le pauvre il est tout perturbé x)
ah tu trouves ? XD "des serials crushers" mdr
Merci pour la lecture et ton com' <3
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