Chapitre 7: Derrière le voile

Chapitre 7: Derrière le voile.

 

La porte se refermant derrière Gabrielle, elle leva les yeux pour embrasser du regard le spectacle qui s'offrait à elle. Partagée entre l'incrédulité et l'émerveillement, elle avança vers le centre de la salle. Gabrielle, Evangeline et Marguerite n'étaient plus dans l'hôtel particulier - le Point-du-jour. Les deux femmes l'avaient guidée jusqu'à la cuisine, puis la remise. A ce moment, elles avaient emprunté un nouveau souterrain par une porte dérobée. Après à peine une minute de marche dans l'obscurité la plus totale le long d'un tunnel linéaire puis quelques marches, elles arrivèrent dans une petite pièce en pierres taillées. La soudaine lumière des torches lui brûla la rétine. Puis pendant qu'Evangeline refermait la lourde porte du passage, Marguerite avait fait avancer Gabrielle jusque là.

Au centre d'une chapelle ancienne. Une véritable chapelle, avec ses pierres taillées, son marbre, ses vitraux; mais pourtant plus aucun bancs alignés, ni Sainte Croix, ni tableaux représentant l'Evangile. Elles n'étaient pas seules, car autour d'elles il y avait des tables de travail, entourées de quelques chaises, des bibliothèques, des établis, des paillasses d'herboristes, et encore plein de détails auxquels elle n'avait pas le temps de porter attention. Puis, il y avait toutes ces femmes qui s'affairaient. Peut-être une petite dizaine qui semblait en pleine étude. Il y avait quelques vampires, mais pas seulement. Evangeline glissa quelques mots à Marguerite avant de s'éclipser.

« C'est l'ancienne chapelle du couvent. Elle est attenante à un bâtiment supplémentaire, par là-bas - Marguerite lui montra un couloir de la main - il n'y a que par le souterrain que nous avons pris qu'il est possible d'y accéder. De l'extérieur, le bâtiment semble abandonné. Armand nous a installé ici, il y a deux siècles. C'est un refuge pour les femmes qui développent des pouvoirs hors du commun. Les sorcières, les médiums, d'autres personnes que nous appelons prêtresses, mais qui n'ont rien en commun avec la religion. Nous vivons ici, nous travaillons dans cette chapelle, et nos appartements sont dans l'ancien couvent.»

Gabrielle l'écouta parler jusqu'à ce que leurs regards se rencontrent de nouveau, et sans chercher à lui répondre, Gabrielle prit son amie dans ses bras. Ce n'était peut-être ni le lieu ni le moment, mais Gabrielle n'en pouvait plus d'attendre. Les deux femmes se serrèrent fort, durant un long moment. Le cœur de Gabrielle se gonflait d'une joie et d'un soulagement indicible.

« Je suis si heureuse que tu ailles bien et de te voir.

- Vous m'avez manqué aussi, Madame, sourit Marguerite, les yeux humides.

- Je crois que nous allons désormais nous passer du vouvoiement et de ces "madames" car si je comprends bien, tu n'as jamais été réellement ma femme de chambre?

- Pas réellement. Elle sourit de nouveau, viens avec moi, nous allons boire quelque chose et discuter, au calme.»

Les deux femmes se dirigèrent vers le couloir qui leur faisait quitter la chapelle pour se rendre dans l'ancien couvent. Au bout d'une minute, Gabrielle était assise dans une cuisine, face à Marguerite et un thé aux herbes fumant, dont l'odeur lui évoquait la rose et la menthe poivrée. Leur discussion dura plus d'une heure, Gabrielle raconta à Marguerite en détails ce qu'il s'était passé dans le salon avec Pierre, puis ses premiers jours ici, Astrid, Maïeul, Armand également… Puis enfin, ce fut à Marguerite de tout expliquer, de toute reprendre depuis le début:

« Quand j'ai eu 4 ans, mes parents m'ont abandonné. Ils m'ont déposé dans un orphelinat et ne sont plus jamais revenus. Il m'a fallu des années avant de comprendre et de savoir pourquoi ils avaient fait cela. Quand j'ai eu 5 ans, Evangeline est venue me chercher. Je ne me rappelle pas très bien de la façon dont cela s'est fait pour moi, mais je sais aujourd'hui qu'elle procède toujours de la même façon. Elle visite régulièrement les asiles, les orphelinats ou encore les prisons parfois. Elle vient discuter avec les médecins, les infirmières, les gouvernantes: elle cherche à savoir si certains enfants ou patients paraissent étranges, ou bien leur font peur. Elle les rencontre, et si elle ressent leur pouvoir, elle sort des documents signés de la main d'Armand et les fait déplacer dans un établissement fictif à la campagne pour mettre les patients et les enfants en sécurité, les mettre au vert… Un établissement dont Armand prétend être le directeur, sous un autre nom évidemment. précisa Marguerite. Les soignants ont souvent si peur de ces personnes qu'ils n'ont jamais refusé qu'on les emmène et ne posent que peu de questions. Ensuite nous arrivons ici. Nous recevons une éducation classique, apprenons à lire et écrire, compter… Mais nous éveillons nos capacités en sécurité, nous acceptons ce que nous sommes. Les enfants peuvent grandir sans que plus personne n'ait peur d'eux et sans risquer d'être tués. Une fois adultes, nous utilisons nos pouvoirs pour nous-même, parfois pour aider certaines personnes, en faisant en sorte que notre secret reste bien gardé. Certains d'entre nous partent loin, pour se faire oublier et veulent retrouver une vie normale. D'autres choisissent de devenir des vampires, pour se mettre au service d'Armand, ou encore des enfants. La plupart du temps, nous restons ici, nous vivons entre nous. Ou nous y revenons régulièrement. On nous confie du travail, des missions. Ma toute première a été de veiller sur toi.

Marguerite but une gorgée de son thé, Gabrielle ne voulait surtout pas l'interrompre, trop avide de comprendre enfin tout ce qu'il s'était tramé dans son dos. D'y voir toujours plus clair dans ce nouveau monde qui s'ouvrait à elle.

- Armand m'a donné pour mission de devenir ta femme de chambre officiellement, et officieusement de veiller sur toi, mais aussi de t'apporter du soutient, de l'affection. Il savait que nous nous entendrions très bien, et il n'a pas eu tort. Mon amitié pour toi n'est pas factice, au contraire, j'ai même voulu essayer de me contenir. Je ne pouvais supporter ta douleur, ta tristesse et ne pas pouvoir en faire plus… Mais je n'étais que ta femme de chambre et je ne devais pas non plus trop attirer l'attention sur moi.

- Pourquoi cela ne m'étonne-t-il pas de lui… soupira Gabrielle. Je savais qu'il t'avait recruté pour venir à mon service, mais je pensais pas que c'était à ce point. Je pensais qu'il avait voulu se montrer agréable, prévoyant en me délestant de nouvelles choses à penser après le décès de mes parents…

- C'était en quelque sorte vrai. Dans son coeur, il aurait préféré pouvoir t'aider lui-même, mais il ne pouvait pas…

Gabrielle changea de position, mal à l'aise et but un peu de thé pour se donner une contenance. La chaleur du breuvage lui fit réaliser à quel point elle avait froid, son corps était épuisé et n'aspirait qu'au sommeil. Une autre question lui vint, lui permettant de changer de sujet.

- Tout à l'heure, vous avez évoqué quelque chose me concernant, vous disiez qu'il y avait peut-être quelque chose en moi… commença Gabrielle.

- C'est vrai. Je devais veiller sur toi pour également voir si tu t'éveillerais. Mais il ne s'est rien passé. C'est peu ordinaire, car je sens bien quelque chose en toi, mais … Il nous est impossible de savoir ce que c'est.

- Vous devez sûrement vous tromper. Il n'y a rien d'exceptionnel en moi, se mit à rire Gabrielle mal à l'aise.

Marguerite secoua doucement la tête et Gabrielle comprit tout de suite qu'elle essayait de la ménager et retenait une réponse bien différente. La jeune femme changea de position, sentant sa cicatrice tirer.

- Comment cela se fait-il que les vampires et … vous toutes, soyez alliés? Demanda Gabrielle.

- Nous sommes tous au-delà du Voile. Nous partageons beaucoup. Comme nous ne sommes que des minorités, nous nous sommes alliés pour survivre. Les sorcières et les prêtresses se marient très bien avec les vampires, nous avons une sorte de vie en symbiose. Nous pouvons vivre de façon plus secrète encore que les vampires, beaucoup de nos soeurs sont mariées, ont une famille, sans que cela ne pose de problèmes. Mais notre instinct est parfois trop fort pour résister à l'appel de notre véritable nature et ce qui nous entoure.

Gabrielle acquiesça, elle se demanda sans trop savoir pourquoi ce qu'elle aurait préféré à la place de Marguerite..

- Qu'est-ce que c'est exactement qu'être 'au-delà du voile'? Vous en avez parlé tout à l'heure mais…

- C'est voir au-delà des apparences. Voir les morts, ressentir le pouvoir, faire partie de ce tout qu'est la vie, la mort et bien plus encore. Expliquer tout cela aux humains c'est compliqué, souffla Marguerite en balançant sa tête de gauche à droite. Nous ne servons pas Dieu, du moins, pas lui seulement. Depuis la nuit des temps, les hommes ont vénéré des dizaines de déités, parfois se cachant sous différents noms. Les prêtresses ont un lien particulier avec certains de ces Dieux. C'est très particulier, je vais te donner un exemple pour que tu puisses comprendre: Il y a des prêtresses de la mer, qui servent Poseidon, ou Neptune, son nom varie en fonction des pays. Elles ne possèdent que très peu de pouvoir, mais sont en lien avec eux. Elles se réveillent un jour, et dans leur esprit naît un lien, une connexion... Les chrétiens parlent souvent de cet appel de la foi qu'ils ont ressenti, c'est un peu la même chose. Les prêtresses servent ensuite… Marguerite sembla hésiter. Elles servent l'Aspect.

Marguerite se leva de son banc pour aller chercher du thé, mais continua à parler.

- Parmi les hommes et les vampires, s'éveillent parfois des Aspects. De façon aléatoire et très irrégulière dans l'histoire de ce monde. Les Aspects sont une manifestation d'un élément, d'un... comment dire… de certaines choses immatérielles, comme la justice. Le plus souvent ces valeurs et ces éléments sont liés à une divinité, même presque toujours. Leur nom est parfois inconnu, mais c'est juste que les Hommes n'ont pas été très méticuleux et ont parfois laisser tomber dans l'oubli certaines de ces divinités mineures et leurs noms avec.

Gabrielle essayait de tout résumer dans sa tête, pour garder les pieds sur terre pendant qu'elle découvrait tout cela. Dans sa tête, c'était un affrontement entre la partie qui était terrifiée de découvrir que tout était vrai, que les histoires n'en étaient pas. Mais aussi qu'il y en avait sûrement d'autres encore, dont personne ne lui avait encore parlé. Et l'autre camp était… extatique. Ce monde si incroyable qu'elle avait toujours adoré lui réservait encore tant de surprises, et cette vie si monotone et difficile parfois se révélait être bien plus profonde de sens. Les Dieux? Les sorcières? La magie était bien réelle et elle n'avait rien à voir avec les tours de passe passe qu'elle avait vu jusque là…

- Ce sont ces dieux qui s'incarnent en eux? demanda Gabrielle.

- Non. C'est un peu comme dans le Christianisme, Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, sont trois entités différentes, mais ne font qu'un, c'est la Trinité. Pourtant Jésus n'est pas Dieu.

Gabrielle fronça les sourcils.

- Tu essayes de me dire que Jésus est l'Aspect de Dieu..?

- Exactement! soupira Marguerite, semblant soulagée de ne pas avoir besoin de plus d'exemples pour lui faire comprendre.

- Je... c'est à la fois incroyable et invraisemblable.

- Je comprends. Les humains et l'Eglise ont rejeté tout cela, brûlant toutes les preuves qu'ils avaient de ces manifestations et le plus souvent, les Aspects avec. Pendant longtemps, l'obscurantisme fut été si profond que les hommes ont tout nié. Que presque toutes les sorcières ont failli être brûlées. Quand mes parents ont réalisé que j'étais une empathe, que les animaux se regroupaient autour de moi en forêt sans me faire de mal, ou encore que je faisais des rêves prémonitoires, ils m'ont abandonnés, trop effrayés par ce que j'étais. La magie fait peur.

Gabrielle tenait toujours sa tasse presque pleine dans ses mains, immobile.

- L'esprit humain n'aime pas tout cela. C'est dans sa nature, c'est pour se protéger.

- Oui… »

Gabrielle ne répondit rien de plus, les yeux perdus dans sa tisane. Ça faisait vraiment beaucoup en une seule journée. Beaucoup d'informations, beaucoup de nouveautés, de révélations. Sa tête commençait à la lancer. Sans qu'elle n'eût rien à dire, Marguerite prit ses mains dans les siennes et ferma les yeux. Doucement, une chaleur bienfaisante monta dans son corps, réchauffant d'abord ses mains et ses pieds gelés, puis tout son corps. Son mal de tête sembla s'évanouir.

« Je suis toujours à ton service, Gabrielle. Que ce soit pour venir t'aider à te coiffer, discuter ou soulager la douleur qui te ronge.

Un sourire émerveillé s'étira sur le visage de Gabrielle. Son amie n'avait toujours pas lâché ses mains.

- Serais-tu réellement partie avec moi si j'avais pu me libérer de Pierre? Malgré ta mission? demanda doucement Gabrielle.

- Oui. Évidemment. Tu as voulu me venger. Tu as pris des risques pour moi alors qu'on ne se connaissait que depuis quelques semaines, alors que je ne suis personne.

- Tu es la seule amie que j'ai eu dans toute ma vie, je ne pouvais pas accepter de te mettre en danger par ma faute. Souffla Gabrielle, se sentant indigne de tant d'attention.

- Et je te le redis encore une fois, je suis toujours ton amie, Gabrielle. Je ne t'ai jamais menti, sauf sur mon histoire personnelle, mais tu peux aisément comprendre pourquoi. Et je n'ai jamais joué un rôle. Marguerite lâcha ses mains en reculant. Tu devrais aller te reposer, tu es fatiguée et cette nuit a été trop riche en informations.»

Gabrielle était toujours un peu perturbée par sa façon de lire en elle et sa bienveillance. Elle commençait à peine à appréhender le pouvoir d'Armand qui était incroyablement intrusif et perturbant, mais celui de Marguerite la réconfortait. Marguerite ne laissa pas d'autre choix à Gabrielle que de remonter dans sa chambre, la raccompagnant pour l'aider à se déshabiller, retirer son corset et tresser ses cheveux pour la nuit. Le tout dans un silence apaisant, seulement entrecoupé de phrases banales, portant sur la qualité du tissu de sa robe, ou de ses boucles rebelles. Comme si les choses n'avaient pas changé, comme si la vie continuait son cours. Ces banalités firent du bien à Gabrielle, lui remettant les pieds sur terre. Marguerite s'éclipsa discrètement après lui avoir souhaité bonne nuit.

Gabrielle s'endormit si rapidement qu'elle n'eut pas le temps de se retourner une seule fois pour même mieux s'installer. Puis dormit d'un sommeil profond, calme, sans cauchemars ou bruit d'os qui craque … 

 

A suivre...

 

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