Chapitre 7 - Charlie

Ce matin, tout le monde se bousculait à la maison. J'eus à peine le temps de prendre un thé correctement qu'on me somma de m'habiller.

Mes pères avaient choisi une tenue pour moi, mais ils me laissaient tout de même la possibilité d'en choisir une autre. Comme toujours, ils avaient tous les deux bien trop peur de m'imposer leurs choix.

Ils m'avaient choisi une simple robe noire qui était à la fois pas trop et assez moulante. Avec le temps, ils avaient appris à reconnaître mes goûts. Et de toute manière, vu que ce n'était qu'une tenue pour un enterrement, je n'avais pas trop le cœur à choisir autre chose.

Avant de finaliser mon maquillage, je reçus un message de Kayla. Celle-ci me proposait qu'on se voie et si je voulais, je pouvais débarquer chez elle. Sans trop me poser de questions, j'avais accepté, alors que j'aurais dû bien plus hésiter. J'étais en train de franchir de sales limites...

Mes cousins n'avaient pas fini de se préparer qu'une partie de la famille était déjà montée dans la voiture.

Mon oncle me paraissait bien trop froid pour l'enterrement de ma tante, mais je fis rapidement taire mes préjugés, n'ayant pas la moindre idée de la manière dont il gérait son deuil.

Dès que je m'installai à ses côtés dans la voiture, il commença à me poser des questions sur mon voyage. Je lui répondais avec le plus d'entrain que je pouvais, je ne voulais pas lui pourrir davantage la journée en refusant toute conversation.

Puis il se mit à parler de ses voyages en France avec sa famille. Je m'attendais à une réaction plus vive et nostalgique, mais cet homme n'avait jamais été très émotionnel.

Mon oncle, Alexander, avait toujours été un homme de raison. Seuls les faits et la logique faisaient foi pour lui et les sentiments n'étaient superficialité dans ce monde. Malheureusement pour lui, ses enfants n'avaient pas totalement suivi sa voie, notamment Clint, parce que je l'avais probablement influencé.

Parfois, Alexander s'arrêtait dans sa narration pour me demander si j'avais visité tel lieu ou tel lieu qu'il venait de mentionner. À peine avait-il entendu ma réponse qu'il avait repris de plus belle son discours.

Il s'arrêta enfin lorsque les retardataires montèrent dans la voiture. Et soudainement, le trajet du complètement silencieux jusqu'au cimetière.

Je n'avais jamais assisté à un enterrement et j'espérais terriblement que ce soit la dernière fois. J'avais l'impression d'éponger toute la peine de chacun. Je voyais à quel point la perte d'un être cher pouvait se lire sur un simple visage.

Le peu d'interactions que j'eus avec les personnes présentes fut très sommaire, comme si personne ne pouvait aligner plus de trois mots sans avoir envie de devenir une fontaine à larmes.

Du coin de l'œil, j'observai mon oncle qui semblait toujours aussi insensible à l'enterrement de sa femme.

De nombreux regards se tournaient vers moi régulièrement. Pour beaucoup d'entre eux, ça faisait trois ans qu'on se ne s'était pas vus et en trois ans, beaucoup de choses avaient changé. Je ne pourrais certainement pas dire le contraire.

Ma vie s'il y a trois ans n'avait absolument plus rien à voir avec maintenant et tant mieux. C'était dans ce genre de moments que je me rendais compte sur quelle pente glissante j'étais en quittant San Francisco. Et en repensant à tout ça, quelques larmes coulèrent du coin de mes yeux. Je voulais les arrêter, mais impossible. Je ne pouvais pas retenir ce genre d'émotions. Et bientôt, elles me submergeraient complètement...

Lors de la cérémonie, les pensées avaient beaucoup divagué et je m'en voulais déjà terriblement de ne pas être plus présente mentalement pour ma tante. Seulement, je savais que je faisais du mieux que je pouvais. Il fallait juste que j'arrête de culpabiliser.

Lors des dernières phrases du prêtre, mon regard se posa sur une jeune femme qui nous observait, posée contre un arbre. Il ne me fallut que quelques secondes pour reconnaître la silhouette de Kayla. Elle avait tenté de se cacher derrière un chapeau et une écharpe. Pour beaucoup de personnes, elle passait totalement inaperçue. Mais pas pour moi. Que faisait-elle ici ?

J'attendis la fin de la cérémonie pour la rejoindre, évitant délicatement toute personne qui pourrait me retenir. Quand elle me voit approcher d'elle, elle dit un léger sursaut et détourna son regard du mien. Elle commença à marcher à l'opposé de ma direction et je finis par la rattraper.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? demandai-je du plus discrètement que je pouvais.

— Désolée, je n'aurais pas dû être ici... Surtout qu'on se retrouve plus tard. Désolée. Oublie ça.

Elle tenta de s'enfuir, mais je lui pris son poignet pour la retenir. Ses yeux se posèrent immédiatement sur les miens et je vis alors l'immensité de la panique dans ses yeux. Ses pupilles étaient si petites et sa mâchoire commençait à trembler.

— Tu connaissais ma tante ? tentai-je maladroitement.

Je la relâchai lentement et elle passa sa main sur son poignet. Elle évita mon regard un long moment puis des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Quelques sanglots muets lui échappèrent.

— Je suis désolée, articula-t-elle du mieux qu'elle pouvait. Je suis terriblement désolée.

Je la pris dans mes mains, me fichant presque de ce qu'elle avait à me dire. Désormais, je savais qu'elle connaissait ma tante et avait probablement vu son mal-être avant sa mort. Elle se sentait impuissante et je comprenais cet horrible sentiment. Je le croisais tous les jours, à mon plus grand malheur.

— J'aurais pu l'aider, mais j'ai été si égoïste.

— Tu n'es pas responsable de son suicide. Personne ne l'est jamais.

J'aurais voulu que mes mots adoucissent sa peine, mais ce ne serait jamais suffisant. Je ne pouvais pas lui dire ce que c'était d'être au bord du précipice et d'être prêt à foncer dedans, tête baissée. Je ne voulais pas qu'elle connaisse cette partie obscure de moi. Personne ne devait le savoir. Alors, je savais que je n'aurais que quelques phrases clichées à lui sortir qui seraient toutes plus inefficaces les unes que les autres...

— Désolée, répéta-t-elle d'une voix à peine audible.

J'aurais voulu qu'elle arrête de dire ça, de forcer à lui faire reconnaître qu'elle n'aurait rien pu faire pour ma tante. Comme personne. Mais je savais que lui dire aussi frontalement ne lui servirait à rien. Malheureusement, je savais à quel point ce genre de choses devait venir de nous-mêmes, et je savais aussi à quel point ce mur pouvait être violent. Je l'avais appris à mes dépens, quand bien même il m'avait aidé à apprécier qui j'étais aujourd'hui.

Mon cousin Clint vint nous interrompre et Kayla détourna immédiatement son regard, elle tenta de se cacher du mieux qu'elle pouvait derrière son chapeau.

— Charlie, on t'attend dans la voiture.

— D'accord. J'arrive tout de suite.

Il m'adressa un timide sourire tandis que ses yeux trahissaient ses inquiétudes. Il avait probablement reconnu Kayla, sinon il ne se serait pas comporté comme ça et son regard ne se serait pas autant posé sur elle.

*

Dès notre retour à la maison, je m'éclipsai dans ma chambre pour changer rapidement mes vêtements. J'enfilai un simple jean et un pull, de quoi être confortable.

J'avais brièvement annoncé à ma famille que je ne serais pas présente pour le repas sans préciser la raison de mon absence.

Alors que je rangeai les dernières affaires de mon sac, j'aperçus Clint qui m'attendait dans le couloir devant ma chambre.

— Pourquoi Kayla était à l'enterrement ? me demanda-t-il.

J'aurais pu lui dire la vérité, mais les mots me manquèrent soudainement. Je ne pouvais pas lui dire à quel point j'avais pu sympathiser avec l'ennemi. Il me dirait probablement de couper court à notre relation naissante parce qu'elle était probablement comme le reste de sa famille et qu'elle n'attendait qu'un moment de faiblesse pour m'attaquer.

Malheureusement, j'avais senti quelque chose de brisé en elle. Quelque chose que j'avais connu quelques années auparavant. Alors, ennemie ou non, j'avais désormais peur pour elle. Maintenant, ses ténèbres me terrifiaient. Parce qu'il me rappelait les miens.

— J'en sais rien... Elle avait juste l'air triste, mentis-je.

— Je sais pas ce qu'il se passe dans ta tête, mais ton voyage t'a vraiment fait perdre tes repères.

Son ton était froid et bien plus ferme que d'habitude. C'était si différent que j'avais presque du mal à le reconnaître.

— Tu as oublié tout ce qu'il s'est passé en trois ans ?

— Je ne vois surtout pas l'intérêt de perpétuer une haine destructrice complètement futile, finis-je par répondre.

— Alors... tu fais comme si de rien n'était ? Tu n'en veux plus à Ulric de t'avoir harcelée durant toute ta scolarité ?

— On est tous des gamins à cet âge-là. On suit tous le mouvement.

— Ce n'était pas ce que tu disais quand tu revenais en pleurs à la maison après les cours ! Il était prêt à te faire passer pour une traînée dans tout le lycée et quand j'ai pris les devants pour t'aider, son père t'a accusé de l'avoir provoqué. Tu penses vraiment que ce ne sont que des gamins qui font ça ?

Ma respiration se coupa un instant. Il ravivait très violemment de vieux souvenirs de mon adolescence. En trois ans, j'avais réussi à aller au-delà, à me reconstruire, et lui voulait que je reste une victime à vie.

— Tu continues de me confirmer que ces disputes entre familles sont juste des gamineries pour m'enfermer dans un rôle.

Je m'emparai de mon sac et quittai ma chambre en le bousculant. Heureusement, il ne chercha pas à me retenir et je pus traverser la rue avec l'espoir de m'évader chez ceux qu'on considérait comme des ennemis chez moi...

*

Kayla m'avait accueilli avec tellement de bienveillance et en me prenant dans ses bras que ce fut très déstabilisant au début.

Ses yeux semblaient encore un peu éteints, mais elle avait l'air d'avoir repris un peu de force depuis.

Elle me conduisit jusqu'à la cuisine pour me montrer ce que nous pourrions manger ce soir. Il y avait quelques plats déjà préparés.

— Au pire, on peut toujours commander quelque chose, ajouta-t-elle en me voyant dévisager chaque plat dans le frigo.

— Ça dépend... Qu'est-ce que tu proposes ?

— Japonais ?

— Je crois que tu viens de m'acheter, répliquai-je, assez amusée.

Elle me tendit alors la carte qui traînait sur le comptoir puis m'annonça qu'elle allait prévenir Blaine, au cas où il voudrait manger avec nous.

Pendant un instant, mon cœur se serra en repensant aux évènements de la veille. Je n'avais pas encore oublié l'humidité de ses lèvres sur les miennes. Et je ne savais même plus si je voulais l'éviter ou le recroiser.

Elle me laissa alors seule avec mes propres doutes le temps de ramener son frère en cuisine. Comme hier, il avait une chemise impeccable, mais cette fois-ci, il avait abandonné le blanc pour du noir.

— Faites votre choix, je vais passer la commande, annonça Kayla.

— Je crois avoir trouvé, rétorquai-je en tendant le carton à Blaine.

Je sentais le sang me monter aux joues, parce que je ne savais pas comment je devais vraiment me comporter avec lui. Et lui aussi sembla assez hésitant avant de prendre le menu. Il le regarda brièvement puis le reposa.

— Je vais prendre comme d'habitude.

Kayla nota chacune de nos commandes sur un post-it pour s'en rappeler lors de son appel. Ses mains se mirent à trembler et elle prit le téléphone avec ses deux mains. Blaine lui proposa de le faire à sa place, mais elle insista quand bien même, physiquement, son corps faiblissait.

Blaine accepta sa défaite et se tourna timidement vers moi. Je sentais qu'il avait envie de me parler mais n'osait pas. Tout comme moi.

Puis je détournais mon regard qui se posa sur une boîte de médicaments sur le comptoir.

Il me fallut quelques secondes pour reconnaître le nom de Blaine et j'eus à peine le temps de lire l'inscription que Kayla venait de finir son appel.

— Dans une vingtaine de minutes, ça sera bon, annonça-t-elle.

— Parfait. Ça me laisse le temps de fermer la boutique.

Il s'éclipsa en m'adressant en dernier regard. Dès qu'il quitta la pièce, Kayla s'approcha vers moi, une idée derrière la tête.

— Il se passe quelque chose avec mon frère ? me demanda-t-elle, soudainement friande de ragots.

— Pourquoi il se passerait quelque chose ? Je vois pas du tout de quoi tu parles.

Elle leva son index pour me pointer du doigt.

— Ce ne serait pas du rouge sur ton visage ?

Je croisai les bras et détournai mon regard assez maladroitement.

— Bon... on s'est embrassés, marmonnai-je entre mes dents.

— Et ensuite ? Parce que je le sais ça !

— Pardon ? m'étonnai-je en décroisant violemment mes bras pour lui faire face.

— De toute façon, c'était une erreur ! Juste un jeu !

— Mais oui, mais oui...

Elle ne me croyait pas et se foutait complètement de ma gueule. Mais, au moins, elle n'avait pas peur de moi, du fait que je pourrais juste être cataloguée comme l'ennemie de la famille. Je sentais que je pouvais lui faire confiance. Quelle drôle d'ironie alors qu'on m'avait prévenu toute ma vie quant à elle et sa famille...

— Alors ? insista-t-elle une nouvelle fois, toujours avec le même sourire sur ses lèvres.

Elle attendait ma réponse, l'air fier. La voir ainsi me fit sourire. J'avais l'impression de découvrir une complicité avec quelqu'un, chose que je pensais abandonner en France. Mais elle me faisait espérer que je n'étais pas rentrée pour rien.

Je n'eus pas le temps de répliquer que son frère revint à nos côtés.

— Je dérange? demanda-t-il en constatant nos regards braqués sur lui.

— Non. Pas du tout, répondit sa sœur, toujours aussi enthousiaste.

Blaine et moi échangeâmes un contact visuel bien plus long. Je m'attendais à y voir du mépris ou de la haine, mais il n'y avait rien de tout ça. Au contraire, je crus y distinguer une pointe de peur...

*

Dès que nous avions reçu notre commande, nous nous étions installés dans la petite maison dans le jardin qui faisait office de studio.

Tous me confièrent que leur famille n'utilisait pas vraiment cet endroit, mis à part lorsqu'ils devaient loger des invités ou que l'un d'entre eux avait besoin d'indépendance. Et il était évident qu'une grande majorité de leurs fêtes avait dû se dérouler ici. Ces fêtes que j'avais vues et entendues depuis ma chambre mais que jamais je n'avais pu rejoindre. Maintenant, je me rendais compte que j'étais passée à un côté d'un cliché assez sympathique de l'adolescence.

Nous nous installâmes dans les canapés et autour d'une petite table.

— J'aurais mieux fait de mettre autre chose, fit remarquer Blaine en regardant sa chemise.

— Mais non. Tu es très bien habillé comme ça, le retint sa sœur.

Il arqua brièvement un sushi mais ne fit aucune remarque pour continuer son repas.

Mon regard et celui de Blaine ne cessèrent de se croiser et j'ignorais comment je devais réagir. Je sentais son inquiétude, il angoissait probablement pour sa sœur et ce que je pourrais lui faire subir.

Et je revoyais en boucle ce moment où nous nous étions embrassés. Ce n'était pas qu'un simple baiser que nous pouvions arracher de ce contexte. Ce n'était pas le baiser d'un défi comme je l'aurais voulu. Malheureusement, le jeu s'était arrêté dès que je m'étais pointée devant lui. Ce fut suffisant pour m'ôter la parole. Parce qu'une limite venait déjà d'être franchie et que nous avions déjà chuté depuis.

Pendant un instant, il évita mon regard et je ne pus m'empêcher de continuer de l'observer. Ses cheveux tombèrent légèrement sur son front et ce petit air décoiffé lui ajoutait un petit plus. Comme s'il quittait la case que lui avait imposée sa famille un instant.

Puis je fixai mon assiette en espérant ne pas avoir été trop intrusive. Mais je savais que c'était déjà un échec. J'allais juste d'échec en échec.

Les deux adelphes entendirent alors leur nom crier depuis la maison.

— Ça doit être Ulric, je vais le voir, annonça Blaine.

— Non. J'y vais, lui assura sa sœur en le prenant fermement par le poignet pour l'empêcher de partir.

Elle posa son assiette sur la mini-table et se leva d'un bond pour rejoindre son frère.

Pendant ce temps, Blaine et moi continuâmes de manger, silencieusement. Une légère gêne s'était installée, parce qu'aucun d'entre nous ne pouvait passer outre la situation.

— Je ne ferai jamais de mal à ta sœur, finis-je par dire avec un rythme un peu trop rapide.

Son regard se leva et croisa le mien. J'avais forcé ce contact et je le sentais via la peine dans ses yeux.

— Je ne sais pas ce qu'a vécu ta sœur. Mais je comprends.

— Comment je peux en être sûr ?

Je pouvais lui donner des preuves concrètes et incontestables, mais je sentais qu'il était encore trop tôt. Je savais que je pouvais lui faire confiance, sauf que le problème venait de moi.

— Je ne peux pas... Mais je sais ce que c'est de chuter et de galérer à se relever.

— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

— Elle n'a pas eu besoin de me le dire.

Il baissa son regard un instant et je posai mon assiette pour me rapprocher de lui. Nous étions désormais assis côte à côte.

Il posa son assiette à son tour et il continuait d'éviter mon regard. Je sentais que quelque chose le tiraillait au fond de lui. Sa respiration ralentissait et s'alourdissait.

J'osai poser ma main sur la sienne, pour la recouvrir délicatement.

— J'ai été comme ta sœur. Mais ça ne fait plus partie de ma vie désormais. J'aimerais qu'il en soit de même pour elle.

— Vraiment, comment je peux te faire confiance ?

— J'en sais rien... Je pourrais te dire que je me suis engueulée avec mon cousin quand j'ai essayé de défendre ta sœur. Je pourrais te dire que j'ai vu ses démons les plus profonds à l'enterrement de ma tante. Je pourrais te dire que j'ai bien trop aimé notre baiser et que le risque ne m'a pas effrayé à ce moment-là... Et c'est encore le cas.

Son regard se leva et croisa le mien. J'ignorais comment le convaincre sans avoir à dévoiler mes cicatrices, mais j'avais l'impression d'y avoir réussi, en partie, ou du moins d'être sur une bonne piste. Et pendant un instant, je regrettai mes mots jusqu'à ce que son visage s'approcha du mien. Ma respiration devint plus compliquée, saccadée. Mes lèvres se rapprochèrent petit à petit des siennes.

Mais avant que tout contact s'opère, nous reculâmes brusquement lorsque Kayle revint dans la pièce. Je venais de poser mon poing sur ma bouche tandis que Blaine avait repris son assiette en main. N'importe qui aurait douté de notre comportement et elle se contenta de pencher légèrement sa tête en nous voyant ainsi.

Elle s'installa alors à ma précédente place avec un petit sourire sur le visage.

— Ulric est venu avec mamie Rosie, annonça-t-elle.

— Elle ne devait pas venir plus tard ? demanda son frère en fronçant des sourcils.

— Non. Peut-être qu'elle passera nous voir, ajouta-t-elle innocemment.

— Pardon ? Ici ? Maintenant ?

— Bah quoi ?

Blaine posa son regard sur moi, la première fois depuis notre rapprochement. Ses yeux avaient un mélange amer d'inquiétude et de gêne.

— Elle est complètement vieille et presque sénile, elle ne se rendra compte de rien, lança Kayla, assez amusée.

— De toute façon, j'ai fini de manger et rentrer. On évitera tout problème si je m'en vais maintenant, annonçai-je en me levant brusquement.

— Non, c'est pas vrai ! Y en a encore dans ton assiette !

Je me tournai vers Kayla tout en retenant le regard assassin que j'avais terriblement envie de lui lancer. Je prétendis ne plus avoir faim et enfilai rapidement mon manteau que j'avais posé à l'entrée.

— On pourra peut-être se revoir demain, me proposa-t-elle en s'approchant de moi.

Blaine la suivit silencieusement et nos regards étaient en même temps extrêmement fuyants et connectés, ce qui était une bien étrange sensation.

J'espérais pouvoir m'extirper avant tout problème, mais ce fut vain en voyant ladite grand-mère entrer dans la pièce. Elle s'enthousiasma de revoir ses petits-enfants et les prit dans ses bras à tour de rôle. Elle les serrait fermement contre elle, comme si elle pouvait les perdre à tout moment.

Puis elle se tourna vers moi, assez intriguée. Son regard revint brièvement vers Blaine :

— C'est qui ? C'est ta copine ?

— Non ! Pas du tout ! réfuta-t-il aussitôt.

— C'est Charlie, mon amie, le coupa sa sœur.

— Charlie... Pourquoi ce prénom me dit quelque chose ?

— C'est un prénom commun, tentai-je maladroitement.

— Commun ? Pour une fille ? Ne serait-ce pas les...

Elle s'arrêta brusquement dans sa phrase et échangea un regard avec chacun d'entre nous. Elle venait de comprendre. Je me mordis les lèvres en craignant déjà le pire.

On était dans la merde...

— Votre secret sera bien gardé, les enfants, reprit-elle.

On se regarda de nouveau, tous très perturbés par cette réaction. Elle aurait normalement dû agir comme n'importe qui de nos familles et nous condamner juste pour avoir ne serait-ce qu'échanger un regard.

— Je me fiche de ce que vous faites réellement.

Son regard se posa de nouveau sur Blaine, ce qui sembla gêner ce dernier.

J'annonçai alors mon départ et les adelphes assistèrent pour me raccompagner jusqu'à l'entrée. Silencieusement, on traversa le jardin et on s'arrêta devant le portail.

— Je te tiens au courant pour demain ?

— Je vais voir si je peux aussi, répliquai-je.

Elle me tendit alors ses bras, un grand sourire aux lèvres.

— Un câlin avant de partir ?

J'acceptai sans rechigner et cet échange dura de longues secondes. Je n'avais jamais eu des contacts physiques avec autrui aussi rapidement, mais c'était un soulagement cette fois-ci.

Puis mon regard se tourna vers Blaine, il m'adressa un simple sourire de complaisance et je me contentai d'un simple signe de main. Je me voyais mal le prendre dans ses bras, je savais d'avance que ça n'aurait pas l'effet escompté.

Dès mon retour à la maison, je croisai Clint qui ne m'adressa qu'un simple regard, mais lourd de sens. J'y voyais toute sa colère et son mépris. Visiblement, j'avais baissé dans son estime. Et je savais que, bientôt, je n'irais que de déception en déception auprès de ma famille. Parce que, maintenant, je côtoyais l'ennemie. Et bientôt, ils découvriront à quel point l'image lisse et propre qu'ils avaient de moi avait été brisée depuis longtemps...

En arrivant dans ma chambre, je lançai mon sac sur mon lit, laissai Noisette rentrer puis fermai la porte derrière moi. Je m'installai à mon bureau, l'air sceptique. Messenger était encore ouvert et je ne devrais pas tarder à recevoir de nouveaux messages de Kayla.

Soudainement, la boîte de pilules me revint à l'esprit et je me lançai dans une simple recherche Google en tapant le nom qui y était inscrit : Subutex.

Je me dirigeai immédiatement sur le premier lien, autrement dit Wikipedia, et en une ligne, je compris : traitement de substitution aux opiacés.

Malheureusement, je savais exactement ce que ça voulait sous-entendre... ou du moins, en grande partie.

 

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MickyBlue
Posté le 25/08/2020
C'est triste comment se comporte Clint avec elle =/ Il n'est pas cool. En fait ce sont des jeunes très bien dans des familles de tarés je crois...

Oh mon dieu ! =O Je ne sais pas si elle a saisit que c'était pour Kayla ou pas ?
MissRedInHell
Posté le 25/08/2020
Malheureusement, avec leur famille et leur environnement, Clint n'a pas forcément le recul qu'il faut :(

Héhé réponse prochainement :D
Darkangelesse
Posté le 28/07/2020
Un mystère résolu et de un 😊 par contre Charlie aurait-elle connue ça également ?! 🤔

J’adore ces deux familles en tout cas tu nous gardes bien dans l’histoire 😊🙃
MissRedInHell
Posté le 28/07/2020
Merci pour ton retour o/

Petit à petit, ça se résout o/
Charlie a parfois eu des moments de sa vie assez compliquée qu'elle a dû gérer d'elle-même. Elle va en parler petit à petit. ^3^

Je suis ravie que ça rende bien ! Parce que j'aime beaucoup dépeindre des rivalités familiales des fois. :')
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