Chapitre 7

Par Naou

A L É G R I A

Je reviens à moi et ma respiration se coupe. Je suis maintenue contre le commandant qui a passé un bras derrière mes épaules et un autre sous mes genoux. Les rênes de son cheval sont tenues par un soldat.

— Comment tu te sens ?

Je sursaute avant d’acquiescer.

— Nous arrivons chez toi.

Chez-moi.

Ce terme me prend à la gorge. Non, ce n’est plus chez moi. Maintenant qu’ils savent la vérité, je serai chassée. Il faut que je quitte le district au plus vite.

 

Nous entrons dans le domaine, remontons la piste en terre jusqu’à finir dans la cour. Briam sort des écuries et se précipite vers nous.

— Oh, non, Alégria !

— Je vais bien, ne t’en fais pas, le rassuré-je en lui souriant.

— Tu as confiance en cet homme ? me demande le commandant.

— Oui.

Briam s’approche, le commandant me fait glisser dans ses bras tendus.

— Elle n’est pas en état de marcher. Veille à ce qu’elle se repose.

— Oui, monsieur.

Avant qu’il m’emmène au chaud, le commandant m’interpelle.

— Merci. Ton secret est en sécurité.

Pas convaincue, je hoche quand même la tête. Les soldats et soldates me sourient avant de suivre leur chef vers la ville.

Briam me porte dans le salon. Plus nous avançons, plus mon ventre se noue.

— Qu’est-ce que…

— Mathie a tout nettoyé et rangé, elle voulait vous faire la surprise.

— C’est tellement gentil, soufflé-je, émue.

— Les chevaux vont bien, pas de blessures à déclarer, m’informe-t-il en me posant sur mon lit.

— Et Cassis ? l’interrogé-je pleine d’espoir.

Son regard se baisse. Je soupire et me laisse tomber sur le dos. Briam allume le feu dans la cheminée avant de m’avertir qu’il va chercher sa femme.

— Non, c’est gentil. Apporte-moi juste mon mélange au miel et du bois en réserve. Ensuite, tu peux y aller, je vais dormir. Oh, et volontiers quelque chose à manger, peu importe.

— Vous êtes sûre ?

— Certaine. Merci pour tout.

— C’est normal.

Il me sourit en inclinant la tête, puis s’éclipse.

 

Dès que j’entends la porte d’entrée se fermer, je retire mes habits et me glisse sous le duvet en soupirant d’aise. Chaque application du mélange sur ma blessure me fait gémir.

Une fois soignée et bien au chaud, la tristesse m’envahit. Je n’ai jamais eu aussi peur pour ma vie et la personne qui doit me protéger est toujours absente. Aucun signe, pas de messagers, rien.

Peut-être est-il mort ou emprisonné.

Une larme glisse sur ma joue. Je l’essuie, avant de me retourner et de m’envelopper le plus possible dans mon duvet, en faisant attention à ma main. La blessure n’est pas aussi profonde que je le pensais. Demain, ça ne devrait plus être douloureux. Mon père m’a toujours prévenue : nos pouvoirs peuvent nous tuer si nous allons trop loin. Cette nuit, pour la première fois, j’ai été au-delà de mes limites. Je n’arrivais plus à les arrêter et c’est la voix du commandant qui m’a ramenée. Je me suis sentie puissante, intouchable et en même temps, complètement dépendante.

Étranges sensations.

 

***

 

Ma main est toujours douloureuse, mais c’est supportable et de toute façon, j’ai bien trop de choses à m’occuper pour pouvoir me reposer. J’entre dans l’écurie. Huit chevaux ne sont plus là, en plus de ma jument qui commence vraiment à m’inquiéter. J’ai conscience que je ne vais plus jamais la voir et ça fait sacrément mal au cœur.

Je sors les équidés dans le parc et leur donne du foin, puis rentre dans la maison. Un souvenir m’est revenu. Je grimpe dans la chambre de mon père qui est toujours en chenil, Mathie a eu la décence de ne pas y entrer. Je saisis un bol en bois afin d’enlever les cendres dans la cheminée, jusqu’à vider complètement le compartiment qui les réceptionne sous la grille, ainsi qu’une bonne couche de terre. Soudain, le bois tape contre du métal et un sourire étire mes lèvres. J’extirpe la boîte, puis m’assieds sur le lit pour l’ouvrir. Il y a quelques pièces, mais ce n’est pas grand-chose. Ça permettra de m’acheter à manger au marché – si un marchand veut bien me servir – et rien d’autre. Je ne peux pas payer les employés. Je vais devoir vendre des chevaux sauf qu’aucun n’est débourré et aucune jument n’est portante. Un soupir m’échappe en me laissant tomber sur le lit. L’odeur familière de mon père me parvient. Le sentiment d’abandon et de solitude qui m’envahissait depuis son départ creuse un trou béant au creux de ma poitrine. Il absorbe tout sur son passage. Je me redresse en essuyant les larmes sur mes joues.

Des coups sont donnés à la porte. Je me dépêche de descendre, puis ouvre et me retrouve face aux quatre employés. Nous nous saluons, ils me font un point sur l’avancée de leurs tâches, avant que chacun ne vaque à ses occupations, mais je les interpelle.

— Je ne peux plus vous payer.

— Ce n’est pas une surprise ! affirme Daven.

Il fait demi-tour et s’en va avec les deux autres qui me saluent plus poliment, alors que mes épaules s’affaissent.

— Je suis désolée, ajouté-je à l’attention de Briam, resté immobile.

— Nous comprenons, vous n’y êtes pour rien. Mais vous pouvez compter sur Mathie et moi en cas de problème. N’hésitez pas à venir à la maison.

— Merci, je vous en suis très reconnaissante, réponds-je avec un sourire.

Il incline sa tête en signe de respect, avant de s’en aller.

— Briam.

Il se retourne et me regarde.

— Ne t’incline plus devant moi, je n’ai plus rien de légitime.

Ses yeux se mettent à pétiller en s’approchant.

— Votre âme l’est toujours, Alégria.

Il saisit ma main pour y déposer un baiser sur le dessus, avec un sourire fier et me laisse.

— Saluez Mathie !

— Je n’y manquerai pas !

 

Me voilà vraiment seule. Je passe la journée à m’occuper des chevaux et avance leur débourrage. À la tombée de la nuit, j’ai la surprise de découvrir Daven dans la cour.

— Que veux-tu ? me méfié-je.

— Votre jument est chez moi, j’en ai pris soin.

Je reste sur mes gardes, bien trop de mensonges sortent de cette bouche.

— Et tu me le dis qu’aujourd’hui ?

— Je voulais être certain que les soldats ne reviennent pas. J’ai vu qu’ils vous en ont saisi plusieurs.

Cohérent…

— Bien. Je te suis.

Je suis tellement heureuse d’avoir enfin une bonne nouvelle, mais je sais qu’il ne l’a pas fait par bonté de cœur.

Nous marchons un long moment jusqu’à ce qu’il s’arrête soudainement.

— Vous savez où j’habite ?

— Non, hésité-je.

Il se retourne, arborant un sourire mauvais. On y est.

— La récupérer ne sera pas gratuit.

Rester. Calme.

— Tu sais très bien que je n’ai pas d’argent.

— En effet, mais il y a d’autres moyens de régler une dette.

Son bras se tend, son doigt effleure ma joue. Je saute en arrière.

— Qu’est-ce qui te prend ?!

Je m’éloigne de lui, le cœur au galop.

— Vous êtes la fille d’un traître. Vous n’avez plus de réputation, bientôt plus de bien, aussi pauvre qu’une mendiante. Et vous savez ce que font les orphelines abandonnées pour survivre ?

Je trébuche et tombe sur le dos. Il se jette sur moi, ses mains enveloppent ma gorge. Mes pieds frappent dans le vide, je n’arrive plus à respirer.

— L’argent n’est pas le seul moyen de payement qu’il existe…

 Il me met sur mes pieds, puis me plaque contre un arbre, ses doigts autour de ma gorge. Je tente de griffer son visage, mais mes bras sont trop courts. Sa jambe me force à écarter les miennes. Il caresse mon visage, puis descend et plaque sa main contre mon intimité.

Perte de contrôle.

J’explose, ils se libèrent. Le corps de Daven se décolle du mien. Je récupère mon souffle, haletante.

La main tremblante sur ma bouche, mais ma respiration calmée, je me lève et observe mon agresseur à bonne distance. Tout son être est prisonnier de racines tandis qu’une branche entoure son visage et le bâillonne. Ses yeux écarquillés me dévisagent, et je fais de même, la bouche ouverte.

C’est la première fois de ma vie que mes pouvoirs se déploient seuls, par instinct. Je ne savais pas que c’était possible. Il m’a toujours fallu un bref instant de concentration avant de pouvoir m’en servir.

Je passe les doigts dans mes cheveux, puis replace mes habits. Je décide de me la jouer bien méchante et effrayante, même s’il fait déjà plus le malin.

— Tu ne hurles pas et me dis la vérité ou tu es mort. Je veux savoir où est ma jument !

Je dégage sa bouche.

— Elle est bien chez moi, bégaye-t-il.

— Comment je m’y rends ?

— Direction Sud pendant encore un kilomètre.

Je replace le bâillon et me mets à marcher. À la distance donnée, j’arrive sur une maison simple, ainsi qu’une petite grange. Je m’y précipite, ouvre les portes et entre en l’appelant. Un hennissement me parvient. Une dose de bonheur m’envahit et je souris à m’en faire mal. Je cours vers elle, laissée dans un box. J’enlève la corde qui l’empêche de sortir, avant de réellement lui sauter au cou. Les gens perdraient la dernière miette d’estime qu’ils ont encore pour moi s’ils me voyaient, mais j’ai aidé sa mère à la mettre au monde, puis je l’ai débourrée et dressée comme je le voulais. Je l’ai façonnée à mon image comme un maréchal convertit le métal en ce qu’il veut. J’ai passé bien plus d’heures avec elle qu’avec mon père. Nous nous connaissons par cœur, comme un couple uni depuis toujours. Parfois, elle réagit avant même que je le pense.

 — Comment tu vas, ma belle ? lui demandé-je en inspectant chaque centimètre de sa peau.

On sait qu’ils ne répondent pas, mais on leur pose quand même des questions. Je l’harnache, puis monte dessus en souriant. Une petite caresse et nous prenons la route du retour. Je ne sens aucune boiterie, ni raideur, alors je demande le trot jusqu’à rejoindre Daven.

Je m’arrête face à lui et lui lance mon regard le plus noir – qui ne doit pas être bien effrayant.

— Je ne veux plus jamais te revoir. Si j’apprends que tu as parlé, je peux t’assurer que tu me supplieras à genoux d’arrêter les supplices que je te réserve.

Il hoche la tête autant qu’il le peut et je le libère. Son corps s’écrase au sol, puis il se relève et s’éloigne en courant, sans oser me regarder.

Pourvu que ça ne me retombe pas dessus.

⚔️ 𝐎 𝐊 𝐓 𝐎 𝐃 𝐔 𝐑 ⚔️

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
enahis.hayl
Posté le 06/09/2020
Quelle enflure ce Daven! Il ne l’a pas volé.
C’était sympa de voir les pouvoirs d’Alégria éclore d’une autre façon. Je le demande bien de quoi elle est capable, la petite.
Naou
Posté le 06/09/2020
Héhé
Vous lisez