Chapitre 67 - "Ce n'est pas de la haine"

Dans la citadelle Agape

 

À peine Solenne s’était avancée dans le tunnel avec Andzrev qu’elle avait eu une vision. Son don ne se soumettait à aucune loi, il s’exprimait sans que Solenne puisse le contrôler. Ses prémonitions pouvaient être aussi précises que floues. Cependant, c’était la première fois qu’elle voyait la déesse dans l’une d’elles.

 

Main dans la main, les sœurs feront le lien. Le destin en appel aux deux sœurs. Restez unis protègera votre destinée. Si vous vous séparez, ton cœur sera brisé, entendu Solenne alors qu’elle fuyait dans le tunnel en aidant Andzrev à ramper.

 

_ Andzrev, je dois faire demi-tour…souffla d’un coup l’adolescente.

_ Oui, il doit en être ainsi, acquiesça le Kalokas en lisant dans ses pensées.

_ Cela va aller, tu vas réussir à te glisser dans les galeries pour trouver le cénacle ? s’inquiéta Solenne.

_ Ne t’en fais pas pour moi, j’ai vécu des choses plus difficiles, la rassura Andzrev.

 

Tandis que Solenne soulevait la plaque de métal qui la séparait de l’extérieur, Vikthor était rentré dans les murs de la citadelle. Il courrait à grandes enjambées pour retrouver Manon. Il avait entendu le coup de feu et allait secourir ses amis. Déterminé, comme jamais, il ne silla devant aucun milicien qui venait à sa rencontre. Lancé comme un boulet de canon, il ne pouvait arrêter sa course. Ses lianes s’étaient irriguées autour de lui tel un rempart et projetées des coups à tous ceux qui tentaient de s’approcher. Malheureusement pour lui, on l’attendait de pied ferme dans la salle du trône.

 

_ Regroupez un maximum de miliciens ici ! Entourés les, je suis certains que Vikthor va revenir pour eux. Pointez vos armes sur eux, il ne doit pas les atteindre. Quand il sera dans la salle, nous rabaisserons les grilles derrière lui, ordonna Loris.

 

Face à lui Garnel ne bougeait pas, il n’arrivait pas à lâcher des yeux sa protégée qui tentait de secourir son frère. Les mains ensanglantées, Manon faisait pression sur la plaie comme elle le pouvait. Elle pouvait sortir la balle, mais pas le soigner.

 

_ Mon frère, prends ce fusil. Il ne te sera pas de trop face à Vikthor.

 

Garnel obtempéra sans conviction. Pour la première fois, il avait perdu le contrôle de la situation. Il avait voulu renouer avec sa nièce et tout s’était retourné contre lui. Il en voulait à Manon, elle avait mis elle-même son frère en danger. Le peu de regards qu’elle lui adressait lui demandait d’intervenir en sa faveur. Coincé entre la folie de son petit frère et le désespoir de Manon, il n’avait pas encore choisi son camp.

 

Tandis que Vikthor s’approchait de la grande salle, Solenne venait à son tour d’entrer dans le bâtiment. Elle n’avait pas réfléchi et prit le chemin le plus court. Contrairement à son ami, elle avait choisi l’entrée principale pour rejoindre sa sœur au plus vite. Bizarrement, avec l’agitation qu’elle entendait dans le bâtiment, elle ne croisa personne. Apparemment, Vikthor attirait tous les miliciens à ses trousses, lui laissant sans le savoir le champ libre.

 

_ Il arrive ! cria un milicien à l’intention de Loris.

 

À peine Vikthor fut entré dans la grande salle que la grille qu’il venait de passer se rabattit derrière lui. Il avait ralenti en voyant Arthur couché sur le sol et Manon accroupis à côté de lui. La voir ainsi lui avait fait baisser la garde sans s’en rendre compte.

 

_ Je vous attendais ! s’écria Loris en pointant le canon de son arme en direction du cœur de l’Élu.

 

Vikthor voulait s’élancer à nouveau, mais les dizaines d’armes dirigées vers ses amis l’en empêchèrent. Il voulait juste les secourir, il ne pouvait pas laisser Manon ici. Il pensait lui avoir au moins offert la liberté de sa sœur, mais la silhouette frêle qu’il vit apparaitre dans l’autre entrée de la salle finit de l’achever. Sans réfléchir, Solenne s’élança auprès d’Arthur pour le secourir.

 

_ Fermez l’autre grille ! ordonna alors Loris.

_ Toi, je vais te tuer pour ce que tu as fait à mes miliciens ! Une balle en plein cœur devrait t’empêcher de guérir, je pense. De toute façon, tu bouges et tes amis y passent, s’énerva Loris en se rapprochant de l’Élu.

_ Je veux juste lui venir en aide, balbutia Vikthor impuissant face à ce chaos.

_ Regarde Manon, je vais encore m’en prendre à l’un de tes amis ! la nargua Loris.

_ Qu’est-ce que j’ai donc fait pour que tous les frères Agape me détestent autant ? s’écria Manon en se relevant.

 

Son cri avait sorti Garnel de sa torpeur. Il avait reçu son questionnement comme un coup de poing en plein ventre. Garnel ne lui en voulait pas au contraire, il tenait à elle. Il ne savait pas pourquoi, mais depuis qu’il avait vécu sa mort, quelque chose s’était ravivé en lui. Une flamme qui n’arrivait plus à atteindre et que Manon attisait à chacun de ses regards.

 

_ Pour ma part, ce n’est pas de la haine, mais de l’amour, avoua Garnel secrètement dans son telsman.  

_ Je n’ai jamais rien voulu de cela…mais dans ce cas, souffla Manon en se postant entre Loris et Vikthor.

_ Ce n’est pas lui qui est à l’origine de tous ces morts, c’était mon idée ! déclara Manon en provoquant Loris.

_ Ne me défie pas ! rétorqua le chef des miliciens.

_ Manon, ne sois pas imprudente. Arrête ça tout de suite, pesta Garnel inquiet dans son telsman.

_ Intervenez et je serais sauvée, lui répondit Manon.

_ Vous avez toujours voulu ma mort, alors allez-y. Paskhal aura gagné ! continua Manon.

 

Face à elle, Loris serrait la crosse de son arme. Il en avait envie, Manon pouvait autant le lire dans ses pensées que sur son visage. En réalité, elle en avait marre. Elle voulait que tout cela cesse. Si son père avait ce qu’il désirait, peut-être que sa famille retrouverait une stabilité. Elle l’espérait en tout cas.

 

_ Loris pose ça de suite, arrête ça ! intervint enfin Garnel sonné.

_ Tu la défends encore alors qu’elle est a causé la mort de nos troupes ! s’offusqua Loris.

_ Elle est très importante mon frère, tu ne peux pas faire ça, expliqua Garnel en faisant un pas vers lui.

_ Plus importante que moi ? s’écria le chef de la milice.

 

Garnel ne put répondre à sa question. Sa réponse n’aurait pas répondu aux attentes de son frère. Lui qui voulait toujours être dans la lumière, qui recherchait la reconnaissance constante n’aurait pas aimé apprendre qu’à présent Manon comptait plus que lui. Pourtant son silence suffit à Loris pour devenir fou. Sans même prêter un regard à Manon, préférant affronter les yeux de son frère, il appuya sur la détente. Face à lui, Manon s’écroula. À force de parler avec elle, il avait abaissé le canon de son arme. La balle lui traversa alors l’épaule, juste en dessous de la clavicule.

 

_ Non ! s’écria Garnel en assommant Loris à plusieurs reprises de la crosse de son arme, jusqu’à ce qu’il s’écroule.

 

Hystérique, le ministre défendit les miliciens de bouger. Il pointait son arme sur Vikthor et le regardait avec fureur. Son aura pourpre était prête à s’en prendre à tous ceux qui s’approcheraient de Manon.

 

_ Soigne-la ! Il en va de ta vie ! ordonna Garnel à Vikthor qui s’était précipité sur Manon tombée inconsciente.

 

La balle était ressortie sans parvenir jusqu’à Vikthor. Elle avait pris une balle pour lui et tendit qu’il s’évertuait à la soigner de ses mains, elle lui souriait. On aurait dit que c’était ce qu’elle avait voulu, que c’était mieux ainsi. Le sang s’était écoulé sur sa jolie robe. Son buste blanc était devenu rouge comme le telsman de son soigneur.

 

_ Vikthor… souffla Manon alors qu’elle reprenait conscience.

_ Ne me refais jamais ça… bafouilla-t-il en la prenant dans ses bras.

_ Elle est saine et sauve ? s’enquit Garnel en pointant son arme sur Vikthor.

_ Oui.

_ Mon frère… se reprit Manon en se redressant doucement.

 

Garnel la regardait perdu. On aurait dit qu’il avait eu la peur de sa vie. Son aura pourpre se diffusait derrière lui comme s’il ne se contrôlait plus. Il voulait faire un pas vers elle, mais il avait peur. Elle pouvait avoir le dessus sur lui, mais à quel prix. Si elle se révoltait maintenant, Garnel s’en prenait à l’un de ses amis.

 

_ Manon… ne tente rien, je t’en supplie, insista Garnel désespéré en pointant toujours son canon sur Vikthor.

 

Encore étendue au sol, la télépathe pesait le pour et le contre. Elle savait qu’elle avait assez de force pour tenter quelque chose, mais elle appréhendait de causer la perte de Vikthor, de son frère ou de sa sœur en faisant cela. Alors qu’elle restait silencieuse, une petite voix se fit entendre au fond d’elle. Elle la connaissait bien, si elle avait sa tessiture, son timbre, c’étaient bien les paroles de la Déesse qui résonnaient en elle et non sa propre conscience.

 

_ Tu es autant le canon d'une arme que la tempe innocente sur laquelle on la presse. N’invoque pas ta puissance maintenant où tu seras fragilisée. J’ai promis à ta mère que ses enfants ne mourront pas, abdique et ne me fais pas mentir cette nuit.

 

Après avoir regardé longuement Solenne, comme si elle était la seule chose qui la retenait de frapper, Manon tendit la main vers Garnel pour passer un marché. De sa main gantée, il l’aida à se relever et consentit à permettre à Vikthor d’enfin venir en aide à Arthur. Manon faisait face à Garnel, son regard plongeait dans le sien, ils venaient de s’accorder une trêve. Un accord tacite entre deux ennemis, un appel silencieux à un premier pas vers la paix.

 

_ Il faut sortir la balle de son rein. Il a déjà perdu beaucoup de sang, il faut faire vite, les interrompit Vikthor anxieux.

 

Manon le rejoignit alors pour retirer la balle à l’aide de sa télékinésie. Quelques secondes lui suffire pour en venir à bout. Vikthor la regardait faire en cherchant à croiser son regard. Il avait besoin qu’elle lui dise que ça allait, son silence lui était glaçant. Il s’inquiétait pour elle. Une fois que la balle fût retirée, Manon s’employa à remettre elle-même le caisson métallique sur les jambes de son frère sans les regarder.

 

_ Bien, maintenant amenez-la dans mes appartements, ordonna Garnel à ses miliciens d’une voix placide.

 

Vikthor recherchait toujours le regard de sa bienaimée. Il ne l’avait pas croisé depuis qu’elle avait pris une balle pour lui. Il avait peur que le projectile lui ait pris une partie de son âme. Il avait peur qu’elle ait changé avec tout cela. Alors qu’il la regardait s’éloigner pour monter dans la tour, Manon se retourna enfin sur lui.

 

_ Je préférais mourir plutôt que connaitre un monde sans toi pour Élu. Tu as tant à nous apprendre, lui avoua Manon avant d’atteindre les escaliers.

 

Vikthor était rassuré, mais aurait aimé réussir à lui répondre. S’il avait trouvé les mots, il lui aurait dit que c’était à lui de mourir pour elle. Il l’avait su dès qu’il avait vu la photographie de son avis de disparition. Elle le hantait depuis, comme s’ils s’étaient toujours connus.

 

_ Ligotez Loris et enfermez le dans ses appartements. Quant à eux, rassemblez-les dans la cellule de Vikthor. Ils y resteront quelques heures, ordonna Garnel impassible.

_ Qu’est-ce que vous faites ? l’interrogea Solenne apeurée.

_ Contre toute attente, je vous sauve de mes frères, affirma Garnel.

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Elenna
Posté le 13/11/2020
Pétard mais ce n'est pas vrai... Ils ne vont jamais s'en sortir à la fin ? Bien que pour l'instant le moins pire de tous (l'autre télépathe ne compte pas hein) c'est Garnel. Loris ont en parle même pas c'est un tas de m**** en boite. Par contre c'est vrai que dans cette histoire, mis à part ne pas réussir à s'échapper... ben, ils sont pas sortis de l'auberge.
ludivinecrtx
Posté le 13/11/2020
Ahaha ouais que va faire Garnel d'eux.. tu vois Garnel n'était pas la pire des merdes finalement... 🙂
Renarde
Posté le 21/09/2020
Coucou ludivinecrtx,

Le dernier passage n'était pas très clair pour moi : "Ligotez Loris et enfermez le dans ses appartements. Quant à eux, rassemblez-les dans la cellule de Vikthor. Ils y resteront quelques heures, ordonna Garnel impassible."
à qui est-ce que Garnel s'adresse ? Aux gardes ? Et le quant à eux, c'est pour Vikthor et les autres ? Il manque quelques indications pour lever les ambiguïtés.

C'est comme ce passage "Main dans la main, les sœurs feront le lien. Le destin en appel aux deux sœurs. Restez unis protègera votre destinée. Si vous vous séparez, ton cœur sera brisé, entendu Solenne alors qu’elle fuyait dans le tunnel en aidant Andzrev à ramper." Il faudrait peut-être mettre le début en italique, pour que l'on comprenne tout de suite que c'est Namon qui s'exprime.

Sinon, Garnel a enfin choisi son camp on dirait ! Et il aura fort à faire pour démêler tout cela… Entre ses propres ambitions et celles de ses frères, je me demande vraiment comment est-ce qu'il va pouvoir gérer tout cela.
ludivinecrtx
Posté le 23/09/2020
Coucou renarde ! Garnel s'adresse bien aux miliciens à ce moment oui ! Je note ta remarque ! Oui normalement il est bien en Italique mais la copie a du mal se faire !

Lui Aussi il se le demande... Il est perdu
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