Chapitre 61 - Le Maître des Temps

Notes de l’auteur : Bonjour :D Après une petite pause, la publication reprend, direction la fin : le premier jet est terminé, ne me reste plus qu'à relire et corriger les derniers chapitres, et on sera bon. Le dernier chapitre sera en ligne d'ici ce soir ;)

Del marchait depuis des jours et des jours, sur un chemin qui n’avait aucune fin et ne menait nulle part. Il marchait, sans jamais croiser personne, sans entendre un seul souffle ni un seul pas. Il avait bien cru voir Nodia, à un moment, mais si c’était vraiment elle, elle n’était pas restée. Elle avait suivi son propre chemin, et lui était toujours là, épuisé et à bout.

Del ne pouvait pas s’arrêter, pourtant. Il devait avancer. 

Il finirait bien par croiser quelqu’un, non ?

Il ne savait pas vraiment où il se trouvait, pour être honnête. Pas qu’il était simplement perdu, non… mais à chaque fois qu’il essayait de se concentrer sur son environnement, ce dernier lui échappait totalement. 

Del marchait sans fin sur un non-chemin qui ne menait nulle part. Pas exactement son idée d’une aventure.

— Y’a quelqu’un ? appela-t-il. N’importe qui ?

Personne ne lui répondit, pas même des cris d’animaux ou des bruissements de feuillage qui lui indiqueraient qu’il se trouvait à l’extérieur. Peut-être qu’il était coincé dans un de ces parcs à Valiettes dans lesquels on faisait marcher les montures en rond, lorsqu’elles avaient besoin d’une petite remise en forme. Ça expliquerait pourquoi il n’arrivait nulle part.

— Nodia, t’es toujours là ?

Toujours rien. Del accéléra, et leva un peu plus la voix.

— Sehar ? Lo ? 

A chaque appel, le silence qui lui répondait l’écrasait un peu plus, alors il le déchira de nouveau, le repoussa le temps d’un cri, encore et encore. Il appela toutes les personnes qu’il connaissait, même celles qu’il n’avait pas vue depuis longtemps, même celles qu’il croyait avoir oublié. C’était insensé, désespéré, et bien sûr, rien ne fonctionna. Personne ne lui répondit, même lorsqu’il hurla si fort qu’il tomba à genou sur son non-chemin.

Il essuya les larmes qui coulaient de ses yeux et renifla la morve qui remplissait son nez, sans aucune élégance - peu importe, puisqu’il n’y avait personne, hein ? Qu’est-ce que ça changeait, que son visage ait l’air dégoûtant ?

— Réfléchis, réfléchis… comment tu vas te sortir de là, Del ? se murmura-t-il à lui-même. 

Il poussa sur ses paumes pour se hisser sur ses pieds, lentement, péniblement. Se tenir debout était plus difficile que marcher - alors il fit un pas en avant, et repris son errance. Il pinça les lèvres, fronça les sourcils. Il restait une dernière personne qu’il n’avait pas encore appelée, avant qu’il ne soit forcé de trouver un vrai plan pour se sortir d’ici.

— Monsieur l’ancien Maître des Temps dont tout le monde a oublié le nom ?

Toujours aucune réponse. Del soupira - ce n’était pas comme s’il y avait cru, non plus. Quel idiot, franchement. Il n’y avait personne d’autre que lui, ici, sur un chemin qui allait tout droit, et… Qui se divisait en deux ?

Del s’arrêta net sur ses talons. Jusqu’ici, même dans ce non-paysage imperceptible, il avait eu la certitude qu’il n’y avait eu qu’un seul chemin, qui allait plus ou moins droit, duquel il ne pouvait pas sortir même s’il en avait envie. Parce que le chemin, c’était là où ses pieds se posaient, finalement.

Mais à présent, il en était certain, il pouvait prendre deux directions. Deux directions… mais vers où ? 

Plus Del réfléchissait, plus le paysage autour de lui semblait s’affermir. Là où ses yeux ne voyaient rien, se tenaient désormais des murs de verre illuminés de lumière du jour. Là où ses oreilles n’entendaient que le silence, il percevait désormais le souffle régulier du vent. Le chemin sur lequel il se tenait était un couloir, qui continuait encore tout droit. Et sur sa droite…

Le coeur battant, Del écarquilla les yeux et traversa la porte sans réfléchir davantage. Il ne manquerait plus qu’elle disparaisse parce qu’il hésitait trop ! La porte, ce n’était pas si important, à vrai dire. Ce qui l’intéressait davantage, c’était le maegis qui était là, le dos tourné vers lui, les jambes glissées dans le vide entre les poteaux d’une rambarde de balcon, et qui observait paisiblement des nuages blancs défiler devant lui.

Del ne savait pas comment il était arrivé ici ni qui était exactement cette personne, mais le soulagement de voir enfin quelqu’un surpassa largement sa perplexité.

— Hey !  

L’autre maegis se retourna pour le voir courir dans sa direction, et lui adressa un sourire presque aussi épuisé que le sien. Son visage rond ne portait aucune cicatrice, ses vêtements courts révélait une peau tout aussi parfaite sur son ventre large et ses jambes musclées. Rien sur son corps ne donnait d’indication que cette personne avait pu souffrir. Seul son regard, aux yeux blancs sans pupilles qu’avaient tous les maegis de n’importe quel côté du désert, portaient la trace d’une infinie lassitude.

— Oh, tu es de retour, constata l’inconnu.

— De retour ? Comment ça, de retour ?

L’autre maegis sourit de nouveau, et tapota le sol à ses côtés. Toutes les personnes qu’ils avaient croisées dans l’Abradja avait eu un accent - ou bien Del, Lo et Sehar en avaient un - mais celui de ce maegis était d’une toute autre nature. Étrange, ancien, comme si cette langue n’avait jamais vraiment été la sienne.

— Tu sembles avoir besoin de repos, l’invita-t-il. Assieds-toi à mes côtés.

Del hésita, mais il n’avait pas franchement grand chose à perdre. Surtout que ce maegis n’avait pas tort : il était vraiment épuisé.

— Vous me connaissez, alors ? demanda-t-il en glissant ses jambes entre les poteaux de la rambarde comme son étrange compagnon. Mais vous êtes qui ?

Il avait déjà la réponse, plus ou moins. Cette personne était probablement le Maître des Temps - l’ancien. Mais il semblait si vivant que Del avait du mal à vraiment croire que le cadavre répugnant qu’il avait vu puisse avoir été son corps. 

— Jaspérin, répondit-il. Jasper suffit. 

Del laissa un rire nerveux s’échapper de sa gorge. Un simple prénom ? Il s’était attendu à ce qu’il lui confirme son titre, au moins, mais non. Jasper rit aussi, et acquiesça, comme en réponse à ses interrogations silencieuses. 

— Je suis bien le Maître des Temps, si c’est ce que tu demandais vraiment.

Del plissa les lèvres, l’estomac serré. Quelque chose n’allait pas - enfin, plus que c’était déjà le cas.

— Attendez, si vous êtes là et que je suis là… est-ce que ça veut dire que je suis mort ?

— Oui. Pour le moment.

— Pour le moment ? répéta Del avec indignation.

— Maintenant n’a pas la même signification pour nous que pour les autres. 

Jasper regarda au-delà du balcon, et Del l’imita. Tout en bas, sous les nuages, il pouvait discerner des milliers de chemins entrelacés, si nombreux et si proches qu’ils paraissaient impossible à distinguer les uns des autres à certains endroits. Les tracés se déplaçaient et se délaçaient sans arrêt, en un rythme irrégulier qui donna vite le tournis au petit maegis.

— C’est quoi cet endroit, au juste ?

— Est-ce vraiment important ? répondit Jasper d’une voix lasse, les yeux rivés sur les chemins, comme hypnotisé.

— Euh, oui ? Bien sûr que c’est important !

L’ancien ne répondit rien, son visage jusque là presque enjoué devenu tendu, toute douceur effacée de son visage sans cicatrices.

— Elle arrive, murmura-t-il.

— Quoi ? Qui ? demanda Del.

Jasper l’ignora, le dos amolli et le regard résigné. Au contraire, Del se crispa, la panique de retour dans son estomac, et il se remit aussitôt sur pied, prêt à affronter ce elle qui arrivait. C’était sans doute Fenara - soit ça, soit quelque chose de beaucoup plus ancien. Il se tourna vers la porte, le coeur battant contre ses tympans. Pouvait-il encore fuir ? Non… Se cacher, peut-être ? Mais où ? Ici, il n’y avait absolument rien, et le balcon était trop haut pour qu’il tente d’en descendre sans savoir exactement comment fonctionnait cet endroit. Sur ce balcon, il n’y avait que cette porte, Jasper et lui, et une angoisse qui l’étouffait seconde après seconde. 

Lorsque la porte s’ouvrit de nouveau, le balcon disparut. 

Del n’était plus dans un château de verre en plein jour, mais dans un autre bien plus sombre, au milieu de la nuit, et dans une pièce encombrées de milliers d’objets entassés. Il reconnut Jasper, encore vivant, mais avec un air vieilli qui paraissait étrange sur un maegis. Tout comme ils n’étaient pas censés laisser de cadavre après leur mort, les maegis ne vieillissaient pas non plus. La dernière chose qu’il remarqua fut la personne qui avait ouvert la porte : c’était bien Fenara, comme il l’avait craint. Pas vraiment plus jeune, mais plus forte encore. Plus assurée, plus terrifiante que la Fenara qui avait tuée Del.

— Tu sais pourquoi je suis ici, annonça-t-elle.

Del comprit. C’était un souvenir, ce qu’il voyait. Le souvenir du jour où Fenara avait tué Jasper. Le jour où elle avait tordu le pouvoir du Maître des Temps pour en faire sa marionnette. Del ne voulait pas voir ce qui venait ensuite, alors il ferma les yeux. Peut-être que la vision serait assez forte pour se glisser sous ses paupières, mais il devait essayer… 

— Elle viendra pour toi aussi, murmura Jasper.

Del rouvrit les yeux : il était de nouveau sur le balcon avec l’ancien, assis les pieds dans le vide comme s’il ne s’était jamais levé pour faire face à l’intrusion. 

— Quoi ? Mais…

La porte s’ouvrit de nouveau. 

Cette fois-ci, lorsque Del se retourna, il était de nouveau dans cet horrible caveau où le cadavre de Jasper avait été allongé. Il n’était plus assis sur le rebord du balcon mais sur une chaise, et il sentait les bras de Sehar qui le maintenaient en place, sans aucune chaleur, sans aucun réconfort. Parce que Sehar n’était pas vraiment là, cette fois-ci, et Del le savait.
Fenara, en revanche, était bien présente. Pas seulement face à lui, mais aussi quelque part dans sa tête, comme si elle fouillait à l’intérieur pour en arracher les morceaux qui l’intéressaient. Contrairement aux bras de Sehar qui n’étaient rien de plus qu’un souvenir sans consistance, la douleur que Fenara lui avait infligée dans son souvenir parut aussi réelle que la première fois. 

Alors Del ne resta pas assis, cette fois-ci. Il prit la fuite, si brusquement qu’il réussit à se défaire de l’étreinte fantôme de Sehar et à passer les quelques soldats restés à la porte. Il courut dans les couloirs glauques, loin du caveau, loin d’elle - mais cela ne lui servit à rien. 

Elle était là. Elle était venue pour lui, et elle viendra encore. Il eut beau courir, il revenait invariablement sur ce siège où il était mort. 

Peu importait qu’il se cache, qu’il résiste.

Ici, elle le rattraperait toujours.

Il rouvrit brusquement les yeux, et serra les doigts sur les poteaux de la rambarde du balcon. Il était de nouveau assis aux côtés de Jasper, celui qui avait l’air bien vivant, pas le cadavre terrifiant dont l’image restait gravée dans sa rétine. Le souffle coupé, il chercha à parler, exiger des explications, lui demander comment faire pour que Fenara ne revienne plus, si c’était possible. Mais tout ce qui sortit fut un sanglot étranglé, et ses yeux se piquèrent de larmes.

— Tu ne peux pas changer ce que tu vois, murmura Jasper. Seulement prendre un autre chemin.

Del ravala rageusement ses larmes, et planta un regard incendiaire sur son compagnon d’infortune. Il savait que ce dernier ne méritait pas sa colère, que ce n’était pas de sa faute s’il avait si mal. Mais sa nonchalance l’énervait et l’effrayait - et cette colère, il fallait qu’elle sorte quelque part avant qu’elle ne lui fasse aussi mal que Fenara.

— Tu pourrais être moins cryptique ? Elle m’a tuée et toi aussi ! On est pas prisonniers ici pour l’éternité, quand même ?

— Prisonniers ? Tu peux sortir de cette pièce, personne ne t’en empêche.

— Pas de cette pièce ! De ce… je sais pas ! J’ai marché pendant des heures sur un chemin bizarre et ensuite je t’ai appelé et la porte est apparue, mais avant ça il n’y avait rien, j’étais juste coincé et ici…

La voix de Del s’étrangla sur un nouveau sanglot, et les larmes coulèrent si fort qu’il ne réussit pas à reprendre sa phrase.

— Ah, je vois de quoi tu parles, répondit Jasper avec douceur. Ton chemin est vide parce que tu es mort. Il faut que tu empruntes celui des autres, à présent.

— Pourquoi moi j’ai rien et toi tu as un balcon, alors ?

Jasper sourit de nouveau, et tendit la main pour lui caresser les cheveux. Ce geste, presque fraternel, lui fit immédiatement penser à Lo, puis Zakaria et Nodia. 

Par les immortels, les reverrait-il un jour pour de vrai ? Ou seulement de loin ?

— Le balcon est à toi, répondit Jasper. Tu m’y as seulement invité.

Comprendre la logique de l’ancien était peine perdue. Ce maegis était clairement perché, à croire que sa façon de s’assoir n’était qu’une métaphore de sa façon de réfléchir. Et si Del finissait par devenir comme lui, à force de rester là ? Si quelqu’un d’aussi vieux et puissant avait perdu l’esprit ici, Del n’avait aucune chance de résister. Cette seule pensée suffit à relancer les larmes, accompagnées d’un grognement de frustration.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Jasper.

— Qu’est-ce qui… ? Sérieusement ? Je suis mort, coincé ici avec un mage beaucoup plus puissant que moi qui est aussi coincé depuis je sais pas combien d’années, et il faut que je te dises ce qui ne va pas ? Rien ne va !  C’est clair comme ça ?

Del essuya rageusement ses larmes, et Jasper lui adressa ce qui semblait être une moue désolée - ou juste un air ennuyé.

— Hum. Mes excuses. Avec le temps, j’en oublie à quel point il est difficile de se voir de l’extérieur, pour tout ceux qui ne sont pas moi.

Il pointa l’index vers les chemins, tout en bas, et Del tenta vainement de voir ce qu’il indiquait.

— Le pouvoir du Maître des Temps est unique, continua Jasper. Il ne varie pas d’une personne à l’autre. 

— Mais je sais pas m’en servir ! Et j’ai pas le temps d’apprendre ! Même si je suis sûr que tu vas me dire que le temps est une illusion blablabla, le toi du futur sait déjà tout ça blablabla…

Del fronça les sourcils, les yeux rivés en bas avec une soudaine curiosité.

— Attends, je peux voir le moi du futur, là-dedans ?

Jasper rit, et secoua aussitôt la tête.

— Tu es déjà le toi du futur. Et du passé. Tu es le Maître des Temps. 

— Génial, pesta Del. Ça m’aide encore moins que ce que je pensais, comme réponse.

Jasper ramena ses jambes sur le balcon, et pivota vers Del pour mieux le regarder. Le petit maegis soutint le regard de l’ancien, sans savoir quoi vraiment penser, désormais. Rage et tristesse se bousculaient dans son esprit, concurrencée par la perplexité que provoquait Jasper. Ce n’était qu’un maegis comme les autres, finalement. Juste un peu plus étrange et seul que la moyenne, et avec un accent bizarre. Del savait que tout ce qui pouvait sortir de la bouche de l’ancien ne ferait que le décevoir ou l’énerver, désormais. Parce que ce dont il avait besoin, c’était qu’on l’aide, qu’on lui dise comment sauver ses amis, et aussi comment arrêter d’être mort, parce que clairement ça ne pouvait pas continuer comme ça. 

Del ne voulait pas finir comme Jasper.

— Tu n’as peut-être rien du mage que j’étais avant de devenir Maître, mais tu as quelque chose que je n’aurais plus jamais, même si je retrouvais la route vers le monde des vivants.

Jasper tendit de nouveau la main vers lui, cette fois-ci pour coiffer en arrière les mèches qui s’étaient collées sur son front. Del ne s’expliquait pas pourquoi cet être qui le rendait si furieux pouvait tout autant l’apaiser d’un seul geste. Il aurait voulu pleurer encore, mais s’y refusait. Il voulait hurler et taper du pied, mais n’en avait pas la force. Il ne savait plus vraiment ni quoi dire ni quoi faire. Peut-être qu’il avait juste besoin de dormir, finalement. 

— J’étais déjà vieux, lorsque j’ai reçu ce pouvoir, continua Jasper après avoir ramené sa main sur ses propres genoux. Lorsque je me penche pour observer les chemins des vivants, cela ne m’intéresse plus. Cela ne m’intéressait déjà pas beaucoup avant, à vrai dire. J’ai vécu si longtemps que les personnes que j’ai pu un jour aimer ne partageaient plus ma route depuis des décennies, voire des siècles. Lorsque je regarde les chemins qu’il reste, les centaines de milliers de chemins, il n’y en a aucun que j’ai envie de parcourir. Lorsqu’on marche trop longtemps avec quelqu’un, on finit souvent par l’aimer. Et je n’ai plus aucun désir d’aimer de nouveau.

Del déglutit, et regarda les sillons tout en bas, qui dansaient sans s’arrêter, toujours aussi illisibles pour ses yeux. Est-ce que quelque part, là-dedans, il y avait Sehar ? Est-ce qu’en cherchant un peu, Del pourrait voir si Lo avait survécu à l’orage ? Est-ce qu’il pourrait jeter un oeil à ses parents dans quelques années, pour savoir s’ils s’inquièteront de ne jamais le voir revenir à La Botte ?

— La différence entre toi et moi, reprit Jasper, c’est que tu peux non seulement voir les chemins et leurs multiples possibilités, jeune Maître, mais aussi t’y projeter. Tu as encore de l’espoir, le désir d’aller plus loin. Lorsque Fenara est venue pour moi, tout ce qu’il me restait, c’était une nostalgie impossible à déloger. Lorsqu’on suit un même chemin de trop nombreuses fois, ce n’est plus vraiment une vie, même lorsqu’on n’est pas encore mort. Juste… un souvenir.

Del tremblait. Il pinça les lèvres, et ne pleura pas, cette fois-ci. Sa voix couina dans les aigus, lorsqu’il réussit à reprendre enfin la parole.

— Okay, mais… j’ai pas envie de rester mort, moi, en fait. Si je peux me… projeter là-dedans, dans ces chemins, je peux pas revenir dans le passé à un chemin où je suis encore vivant et, je sais pas, m’empêcher de mourir ?  

Jasper sourit, effaça d’un geste du pouce une ancienne larme qui n’avait pas séché sur la joue de Del, puis se remit sur ses pieds. Il tendit la main pour l’aider à se redresser, et le petit maegis l’accepta, encore incertain, encore plein de rage et d’une tristesse impossible à faire taire, encore prêt à courir et se cacher. 

Encore si désespérément vivant.

— Je pense que tu peux faire mieux que ça. Suis-moi, jeune Maître, sur le seul chemin qui mérite d’être parcouru. 

— Et, euh, c’est lequel celui-là ?

Jasper se tourna vers la rambarde, et d’une pression de la main, y ouvrit un portillon qui donnait droit sur le vide nuageux et les minuscules chemins indiscernables.

— Celui que tu feras, bien sûr.

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Nanouchka
Posté le 11/08/2022
J'adore ce lieu imaginaire des mille chemins.
Jasper est un personnage très touchant, très doux.
Eeeeet ce chapitre m'a permis d'enfin mettre le doigt sur quelque chose qui me chiffonne par rapport aux personnages du roman. Très souvent, ils adoptent l'attitude qu'a Del ici : poser des questions, demander de l'aide, ne pas chercher par eux-mêmes — sauf Nodia, évidemment, et je comprends donc pourquoi c'est ma préférée. Je pense par exemple que ce dialogue entre Del et Jasper marcherait mieux, serait plus dynamique et entraînant, si Del tentait des hypothèses et des conclusions, si on le voyait réfléchir. Même si évidemment la situation crée de la panique et n'aide pas. Mais c'est plus une question de : c'est plus facile de soutenir un personnage qui s'aide lui-même, tu vois ce que je veux dire ? Et il pourrait essayer plus de choses physiques aussi dans ce chapitre : foncer dans plein de directions, dans des murs, des portes, sauter du balcon, etc. Qu'on ne lui apporte pas simplement les réponses, aussi cryptiques soient-elles.
Beaucoup aimé le passage où il revient dans le caveau et où il ressent la même douleur que Fenara lui avait infligée, ça redonne un sursaut de : il faut qu'il se libère vite.
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