Chapitre 6 : Une soirée mouvementée

Par Joffrey

Les étoiles constellaient le ciel nocturne d’Embrun, magnifiant la grande cité portuaire. S’étendant sur une grande partie du littoral, sa traversé était toujours animée par les groupes de badaud à la recherche de divertissements. Parée de son manteau d’activités de nuit, la ville semblait avoir développé une conscience propre. Le monde fourmillait dans tous ces établissements. Le petit groupe de conseiller traversa la créature de pierre, animée par les retrouvailles de familles et d’amis pour fêter la trêve hivernale. Voir ce genre de petit bonheur simple fit sourire Élias, cela faisait un moment qu’il n’avait pas participé aux festivités de l’hiver.

Poursuivant leur route à travers les chemins de la cité, ils sortirent de son enceinte un court instant afin d’atteindre un petit faubourg. Le lieu était enchanteur, les quelques petites maisonnettes formaient presque une bulle où trônait en son sein un magnifique manoir proche du bord de mer. Au bout de la rue principale se trouvait un petit port constitué de pierres taillées, même si l’on reconnaissait le savoir-faire Aquariis, le choix des matériaux ainsi que leur agencement était pour sûr le choix de Tisseurs. Le lieu n’avait rien à envier aux riches propriétés de la noblesse de l’Ouest. Pénétrant enfin sur les terres du manoir, ils laissèrent leur convoi à l’écurie. Comme à son habitude Belladone mena la vie dure aux palefreniers, obligeant le jeune botaniste à calmer l’animal et aider les serviteurs. Tobias, pendant ce temps, congédia ses deux soldats et leur offrit quelques pièces afin de profiter de la soirée déjà bien avancée. Composé principalement de briques, certaines parties du lieu étaient enduites afin d’apporter une touche de richesse et de couleur à l’édifice. En l’observant, on avait l’impression d’observer un lieu à l’épreuve du temps, un colosse inamovible comparé aux maisons à colombage basique dans le faubourg et une partie de la ville.

Agathe avait ouvert la marche dès leur arrivée à Embrun, très protocolaire, elle avait obligé ses deux camarades à porter leur masque dès que la cité avait été en vue. Le bord de mer avait bien plus manqué à Élias qu’il n’aurait voulu l’avouer. Malheureusement, ses retrouvailles avec la plage d’Embrun devaient attendre. A peine la cheffe autoproclamée du groupe avait posé un pied sur le parvis que les portent s’ouvrirent sur un groupe de domestiques qui les invita à entrer dans la demeure. Un serviteur un peu plus âgé que ceux qui l’entouraient salua avec un profond respect le groupe d’arrivant et enchaina :

-Heureux de vous revoir aussi vite cher maîtres de l’Assemblée. J’espère que le voyage s’est agréablement déroulé.

-Merci Horace, le voyage aurait pu être plus plaisant si nous avions eu à le faire durant le printemps. Cependant je dois aussi remercier vos conseils avisés qui nous ont permis de récupérer le matériel en route et d’éviter de long temps d’attente avant notre départ. Répondit Agathe d’un ton presque agréable.

-Vous me faites trop d’honneur, je ne fais que mon devoir afin de faciliter le vôtre. Je me dois aussi de vous prévenir que le maître est à l’étage dans le salon, j’ai envoyé un domestique le prévenir de votre arrivée pendant ce temps vos affaires sont déjà parties dans vos appartements. Voulez-vous que je vous y amène ?

-Je suis toujours impressionné par votre zèle Horace. Cependant, pour Hirondelle et moi ça ne sera pas la peine, nous connaissons les lieux. Mais si vous pouviez mettre à disposition de Hibou un serviteur pour lui présenter les lieux et éviter qu’il ne se perde, ce serait parfait.

-Il sera fait selon vos désirs maîtresse Lièvre. Ophélia, je te laisse la charge de guider notre maître Tisserand à sa chambre.

A ce nom, une jeune femme aux cheveux roux s’approcha. Un peu plus grande qu’Élias ses yeux étaient bleus comme le ciel et ses traits n’étaient pas inconnus au jeune homme. Elle salua le botaniste et lui indiqua de la suivre.

Les deux jeunes gens avancèrent à travers les couloirs du bâtiment. Élias remarqua que la décoration du manoir était très démonstrative du genre d’homme qu’était Léandre. Lorsqu’ils atteignirent enfin ses appartements, le botaniste fut surpris d’un tel niveau de confort pour une simple chambre. Sa maisonnette dans les bois semblait bien ridicule en comparaison. La pièce possédait un petit salon composé de deux sofas et d’un siège, sûrement pensé afin d’accueillir des regroupements plus informels. Sur la table basse, au centre, était disposé un somptueux service à thé et à ses côtés se trouvaient des flacons contenant plusieurs infusions déjà toute prêtes. En un simple regard, il reconnut la personne les ayant faites. Des préparations qu’il avait bu toute sa jeunesse et seule sa grand-mère savait qu’Élias les aimait au plus haut point. Mal interprétant le long regard sur l’ensemble de la table, la belle servante s’approcha et demanda :

-Si quelque chose vous dérange dans le mobilier n’hésitez pas à le signaler. Je ferai en sorte qu’il soit changé le plus rapidement possible.

-Merci Ophélia, je pense que ça sera suffisant. Peut-être pourrions-nous rejoindre les autres ?

-Comme vous le souhaitez maître. Suivez-moi, je pense qu’ils sont déjà avec maître Lion.

Arpentant dans le sens inverse les sublimes couloirs de la bâtisse, la domestique guida le jeune homme jusqu’au salon où se trouvait au quasi-complet l’Assemblée. Le salon était semblable au reste du manoir. De multiples tapis venant des quatre coins du continent recouvraient le sol alors que des meubles et bibelots anciens habillaient les différents murs de la pièce. Au centre, proche de la cheminée, se trouvaient deux sofas, séparés par une table basse.

Sur le fauteuil qui régnait presque au centre de la pièce, se trouvait Léandre. Il dégustait un thé en plaisantant avec Agathe. Les deux femmes étaient assises sur le même sofa et Lièvre se trouvait à la place la plus proche du maître de ces lieux. Lorsqu’Élias fit irruption, la discussion se stoppa. Le Lion lança un regard dans la direction de la proie qui venait de rentrer. Il se leva tout en posant sa tasse. S’avançant dans la direction du jeune homme, sa démarche était royale. Il dominait la pièce par sa prestance. Passant la main dans sa crinière, Léandre adressa un sourire à toute épreuve. Sûrement celui qui réservait à ses hôtes les plus importants. Le Lion attrapa par l’épaule le botaniste et récita avec éloquence :

-Ah mais voici notre jeune ermite émérite ! Alors mon garçon, comment s’est passé le voyage pour toi ?

-Très bien Léandre, merci de me recevoir ici pour les jours à venir.

-Ce n’est rien, tu es ici comme chez toi. Viens, installe-toi avec nous, as-tu soif ou faim ? Je peux te faire venir un repas si tu veux.

-Ça ira, je pense qu’un thé de Rose suffira pour ce soir.

Lion était aussi habile dans ses gestes que dans ses paroles et subtilement, il entraina le jeune botaniste jusqu’aux sofas. Plus jeune, Élias le trouvait déjà grand, comme un enfant impressionné par la taille d’un adulte. Aujourd’hui c’était différent, il le trouvait géant autant par son physique que par son charisme. Ce dernier lui demanda :

-Je souhaite que ton séjour à Embrun se passe pour le mieux ! Il me semble que tu le sais déjà mais Élisabeth s’est enfin installée ici. Il faudra absolument qu’on lui rende visite, je suis certain qu’elle en serait très heureuse.

-Oui bien sûr, c’est ce que je pensais faire dans les jours à venir. Cependant, je suppose que si tu m’as fait venir ici ce n’est pas simplement pour une visite de courtoisie ? Le contenu de la lettre que j’ai reçu de la main des deux soldats est-il vrai ?

-Effectivement, Si je convoque l’Assemblée ce n’est pas juste pour le plaisir. Je n’évoquerai pas le problème que me posent les castes pour l’instant. Je fais face à elles depuis un bout de temps, je sais comment m’en occuper. Si j’ai pris la peine de vous rassembler, c’est pour parler d’un projet qui pourrait chambouler les fondations même de ce que nous sommes.

Les mots de Léandre eurent l’effet escomptés, plus personne n’osa parler. Ce que venait de prononcer le leader de l’Assemblée semblait irréel. Pourtant, ces mots étaient bien les siens. Il s’assit après les avoir prononcés laissant planer la suite de son explication. Ce fut Élias qui reprit la parole en premier.

-J’ai du mal à suivre ce que tu veux de dire. Tu es celui qui a le plus foi en ce que nous sommes et même si je ne suis pas un membre actif, je sais très bien ce que tu as fait pour l’Est. Tu es prêt à mettre en place un tel projet ?

-Oui. Je suis prêt à le faire. En vérité, cela faisait un long moment que j’y réfléchissais. J’avais des idées, des soupçons mais ceux sont tes travaux sur la source qui ont fini par confirmer mes doutes. Si mes idées sont justes, ce dont je ne doute pas une seconde, alors… L’Est pourrait devenir bien plus que ce qu’il est aujourd’hui.

-Je suis curieuse de voir la suite de ton résonnement Léandre, que voudrais-tu que l’Est devienne ? Rétorqua Rose.

-Je savais qu’en tant que représentante du roi ce serait difficile de te ranger de mon côté. Mais écoute moi Rose, je ne veux pas mener une révolution dans notre royaume. Imagine ce continent, notre continent. Des dirigeants agissant pour le peuple au nom du peuple, tous autant capable que nous d’user de tissages complexes. Offrant un destin meilleur aux jeunes générations, abolissant le concept du don tel qu’on le connait ! Ce que je souhaite, ce n’est pas la guerre, c’est simplement que les Tisserands soient reconnus à leur juste valeur. Que notre patrie soit une terre d’accueil pour ceux qui ont soif de savoir et non plus que nous soyons exilés sur ce continent à cause d’une peur obscurantiste.

Un silence parcouru le salon, aucun de membres de l’Assemblée ne voulait reprendre la parole après les mots du Lion. Ce dernier soupira, regardant ses collègues qui semblaient attendre quelque chose de sa part. Il reprit :

-Ce projet peut sembler fou, mais je veux croire en nous. Les Tisserands méritent d’avoir droit de vivre comme ils l’entendent. Voici mon rêve. Cependant, j’aurais besoin de votre soutien à tous. Sans vous ce projet est voué à l’échec… je vous laisse le temps d’y réfléchir. Après-demain une réunion aura lieu avec les membres des castes, vous pourrez vous y prononcer.

Léandre se leva de son siège et prit la direction de la porte. Deux domestiques lui ouvrirent les portes et sans se retourner il annonça « Je prends congé, passez une bonne soirée et profitez bien de votre journée de demain. ». Les portes se refermèrent derrière le Lion, laissant planer un silence sinistre. Le feu de l’âtre crépitait en tant que seul son pendant un petit moment. Agathe prit la parole et pour la première fois son ton était dénué de sa couleur habituelle :

-Léandre ne nous a pas ménagé avec une telle annonce, il ne m’en avait pas dit autant sur le projet. Et vous ?

-Il avait aussi évoqué un projet dans la lettre que j’ai reçu mais rien de plus. Ça reste surprenant venant de lui. Prendre des risques avec quelque chose qui a autant de valeur à ses yeux ? Je reste dubitatif… Et toi Rose ?

La jeune femme restait très silencieuse contrairement à d’habitude. Elle observa les flammes crépitantes avant de se tourner vers ses camarades.

-Je suis celle dont il en a le moins parlé. J’ai seulement appris que Léandre voulait nous parler et que cela nécessitait la réunion de tous les membres. Je vais prendre congé aussi, j’ai besoin de réfléchir un peu.

Sa camarade l’attrapa par la manche au moment où elle se leva, son ton se voulait des plus rassurants.

-Si jamais tu as besoin de parler à quelqu’un, surtout n’hésites pas d’accord ?

-Merci Agathe, j’y penserais. Bonne nuit à vous deux.

Le salon se vida encore un peu plus, ne laissant que les deux derniers membres de l’Assemblée. Lièvre se tourna vers son dernier camarade encore présent. Elle lui demanda :

-Tu as toute ta journée demain, tu as envie de faire quelque chose en particulier ?

-Oui, Léandre à raison. Je n’ai pas vu ma grand-mère depuis des années, je pense que ça serait bien d’aller la voir.

-Effectivement, Elisabeth serait très heureuse de te revoir… Même si elle va sermonner pour ne pas être venu la voir plus souvent.

-Je sais mais j’ai survécu aux tiens non ? Ça devrait aller.

-Bon courage pour ta journée alors. Personnellement, je serais occupée par le travail que j’ai laissé à l’Assemblée.

-Alors tu serais plutôt celle à encourager. Je te souhaite une bonne soirée Agathe.

-Merci à toi aussi Élias.

Ce dernier pris la direction de la sortie et lorsqu’il ouvrit les grandes portes, le jeune homme se retrouva nez à nez avec Ophélia qui semblait l’attendre. Sans un mot, la jeune femme le guida à sa chambre. Elle lui souhaita une excellente soirée avant de prendre congé, lui rappelant de faire appel à elle si besoin. Le botaniste n’eut pas le temps de répondre que la servante avait déjà disparue. Comme guidé par un besoin irrépressible, il traversa l’entrée, puis le petit salon et enfin la baie vitrée. Le froid de la nuit le picota légèrement mais il n’en avait cure. A cet instant un flot continu d’idées se bousculaient dans l’esprit d’Élias.

La nuit continuait sa course inlassablement dans le ciel, les festivités hivernales continuaient au même rythme. Encapuchonnée dans un coin d’une taverne, une jeune femme à la chevelure de jais patientait, assise sur une petite banquette, une bière à la main. Sa tenue, composée d’une chemise à manche longue et diverses protections en cuirs, semblait être tailler pour les duels. Sa sombre cape, un peu élimée comme le reste de son équipement, couvrait en un grand pan son bras gauche. Sa lame, dont elle tapotait le pommeau de temps à autre, était rangée dans un fourreau finement ouvragé ce qui empêchait les tentatives d’abordage des plus courageux. Elle semblait figée et seule la petite rasade de bière qu’elle portait à ses lèvres prouvait l’inverse.

Lorsque l’aubergiste lui apporta un repas, un petit gaillard prit place à sa table. Pas bien grand, ses habits autant que son hygiène étaient déplorables. Installé en face d’elle, il lui souriait d’un air narquois. Le court sur pattes subtilisa l’une des cuisses de poulet pour la dévorer avidement avant de lâcher banalement:

-Bon alors ma grande, enfin de retour ! J’espère que t’as réussi à l’buter ?

-Tu sais d’où il venait le conseiller ? demanda-t-elle froidement.

-Mmh ? Ouais j’crois qu’y en a qui disent qu’il trainait vers le bois des fées, mais si tu veux mon avis c’est des conneries.

-Je peux savoir pourquoi je te paye ?

-Euh bah tu sais pourquoi tu m’payes nan ? Dit-il sentant la conversation s’envenimer.

En une fraction de seconde, elle se leva, posa un pied à côté de son assiette alors qu’une ombre sortie brusquement du pan de sa cape, saisissant au vol le nabot avant de le coller violement sur la table. La bière se renversa et le repas éclata sous les fesses du malheureux. La guerrière attrapa de sa main droite une fourchette et la lui plaça sous la gorge. Elle répéta froidement :

-Je veux savoir pourquoi je te paye Claude. Est-ce pour avoir des informations ou pour avoir ton avis sur mes affaires ?

-Putain du calme ! Bafouilla-t-il alors que les piques de l’arme de fortune lui grattaient sous le menton. Tu m’engages pour des infos mais pour moi des racontars d’bonnes femmes j’appelle pas ça des informations !

-Ne t’avises plus d’oublier ce genre d’informations, c’est à moi de juger si elles en valent le coup ou non.

Sans un mot de plus, elle planta la fourchette dans le bois de la table et prit la direction de la sortie. Elle attrapa une des bourses à sa ceinture et la jeta sur le comptoir du tavernier. Leur regard se croisa et elle s’exclama le plus normalement du monde :

-Désolée pour le mobilier mais j’aimerais que cette incartade ne fasse pas trop de bruit, c’est possible ?

-Euh… Bien sûr madame y a pas de problème, il n’y a ici que des bouches cousues.

-J’apprécie le geste. Renchérit-elle avant de sortir de la petite bâtisse et de se perdre dans les rues d’Embrun.

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