Chapitre 6 — Une sinistre litanie

Par Luru
Notes de l’auteur : Merci pour votre lecture si vous êtes arrivés jusqu'ici ! Le ton de l'histoire change radicalement à partir de ce chapitre, dévoilant le côté sombre de l'univers. Si les récits rudes et violents ne vous font pas peur, je vous souhaite bonne lecture !

Agenouillée au sol alors qu'une épaisse corde hissait ses bras dans un grincement, Rachel fut réveillée par la douleur qui irradiait son corps. Elle gémit et toussa, l'odeur âcre de l'humidité agressait son nez.

Elle essaya de se relever pour soulager ses membres, mais ses pieds avaient été liés. Avec difficulté, elle réussit à se mettre debout, aidée par la corde qui la tirait impitoyablement vers le haut.

Il faisait froid et l'obscurité l'empêchait de percevoir ce qui l'entourait. Où suis-je ? Depuis combien de temps suis-je ici ? se demandait-t-elle.

Elle chercha furieusement dans sa mémoire ce qui l'avait amené dans cette situation. Des réminiscences se bousculaient dans sa tête, jusqu'à ce que l'image d'une femme et d'un homme gisant dans une marre de sang refasse surface. Puis, un autre souvenir lui vint, celui d'un couloir dont une étrange matière rougeâtre et sombre recouvrait les murs ainsi que le plafond. Cette chose mystérieuse sortait du bureau où le massacre de la famille Bourbon avait eu lieu.

Son ventre se noua. Se rappeler cette scène lui donnait la nausée.

Le bourgmestre et ses proches avaient été tués, et à cause de son manque de vigilance, elle était séquestrée. Elle aurait du revenir accompagnée de ses hommes au lieu d'agir seule.

Rachel fronça les sourcils et grinça des dents. À présent la sécurité du village était compromise, et elle s'en tiendrait responsable s'il arrivait malheur aux habitants.

Une vive douleur à la tête l'assaillit. Une nouvelle image se formait dans son esprit, celle d'un individu aux yeux luisant d'une lueur orangée dont les ténèbres camouflaient la silhouette. C'était lui le responsable de cette tuerie et qui la retenait prisonnière.

Une question lui vint : pourquoi s'en prenait-il à eux ? Bourg-d'Argent se situait loin de la civilisation et ils n'avaient aucune richesse. Des richesses... Peut-être s'intéressait-il aux cristaux de psynergie abandonnés dans la carrière ? Si c'était bien un sorcier, ce n'était pas surprenant qu'il les convoite. Après tout, leur énergie offrait un grand pouvoir.

Elle en conclut que ce salopard voulait assurément mettre la main dessus, privant les villageois d'un avenir radieux. Ces pierres leur appartenaient, hors de question de les lui laisser ! Cependant, un problème de taille se posait : elle devait trouver le moyen de se libérer avant de pouvoir faire quoi que ce soit.

Avec hargne, Rachel tira sur la corde. Impossible de défaire les liens. Un liquide chaud dégoulinait le long de ses bras meurtris. Ils serraient trop fort et déchiraient sa peau quand elle forçait dessus. Un mélange de sentiments désagréables l'envahissait.

La culpabilité. L'impuissance. La colère !

La souffrance, aussi. Rachel hurla de rage et gesticula furieusement pour se libérer de ses étreintes, mais la douleur ne faisait que s'accentuer.

La tristesse, à présent. Ses yeux s'humidifièrent et des larmes coulèrent le long de ses joues.

– Comment cela a-t-il pu se produire, murmura-t-elle. Je ne suis qu'une idiote.

Un son de métal retentit. Une porte s'ouvrit et la faible lumière d'une lanterne éclaira la pièce dévoilant un chai où étaient conservés des tonneaux de vins, ainsi que des bouteilles d'alcool emmagasinées dans des armoires en bois.

Rachel reconnut la cave, elle se trouvait dans les sous-sols du manoir de la famille Bourbon.

Dans l'encadrement de la porte se tenait un grand individu vêtu d'une toge brune à capuche. Sa taille avoisinait les deux mètres. D'un pas lent mais assuré, il s'avança.

Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle repensa aux corps déchiquetés dans le bureau du bourgmestre. Elle déglutit et se demanda si elle allait subir le même sort.

L'inconnu entonna une incantation dans une langue étrangère. Rachel tressaillit quand un cercle de feu apparut autour d'elle. La chaleur des flammes caressait son corps et la démangeait, alors que son geôlier passait au travers avec aisance.

Bizarrement, le feu ne se répandait pas dans le chai et ne dégageait aucune fumée, tandis que la crainte ne cessait de monter en elle.

Face à la jeune femme, le sorcier posa son regard mauvais sur elle. Rachel écarquilla les yeux avec stupeur. Ce n'était pas un humain. Il avait une peau rouge écarlate ainsi que des longs cheveux noirs soyeux. Son visage quant à lui possédait des traits fins et allongés.

Sans laisser trahir l'ombre d'une émotion, l'homme approcha sa figure de la sienne en l'examinant avec attention.

– Qui êtes-vous ? demanda enfin Rachel.

Il ne lui répondit pas et tira sur la corde qui avait été passée par-dessus une poutre du plafond. Les pieds de Rachel décollèrent du sol. Elle gémit lorsqu'elle sentit ses liens se tendre encore plus. Ses bras tournés vers l'arrière craquaient au niveau des articulations. Elle resta dans cette position quelques instants avant d'être relâchée.

La jeune femme toucha à nouveau le sol, mais elle ne pouvait pas se laisser tomber sur les genoux, malgré son désir de le faire. Retenue par la corde, il l'obligeait à rester debout sur la pointe des pieds, raide comme un pieu.

Il déchira l'encolure de sa vareuse, puis arracha sa chemise. Prisonnière des brides, elle l'invectiva et gigota pour tenter en vain de dissimuler ses charmes mis à nu. Quelque chose de chaud vint la frapper au visage, une première fois, une deuxième fois et une dernière fois. Chaque coup reçut devenait de plus en plus dur. Du sang coulait le long de ses tempes et ses jambes vacillaient. Sans la corde qui la retenait, elle se serait écroulée.

Le sorcier vit le pendentif blanc autour du cou de la jeune femme. Il plissa les yeux et le lui retira d'un coup sec. Rachel ne put protester, elle voyait encore les étoiles tourner au-dessus d'elle.

Il fixa longuement le bijou dans le creux de sa main. Puis, une flamme en jaillit faisant fondre la monture en bronze qui retenait la pierre précieuse. Un rictus se posa sur ses lèvres. Il ferma son poing et des faisceaux rougeâtres en émanèrent. En même temps, il dégaina un poignard avec un manche en cuir tressé de sa ceinture et l'enduit d'un liquide visqueux, rappelant la lave, avec l'autre main.

La satisfaction se lisait sur son visage.

Rachel n'aimait pas le sourire malsain qu'il affichait. Elle tremblait à la vue de l'arme devenue rougeoyante. Que Rhamée me vienne en aide... ou quelqu'un, n'importe qui... Hadvar où es-tu alors que j'ai besoin de toi ? Alors que la lame chatoyante s'approchait de sa joue, elle se mit à larmoyer. Je ne veux pas mourir, pas ici, ni maintenant et encore moins de cette manière.

– N'aie crainte, souffla-il d'un ton léger, ça sera un peu douloureux mais je te promets que ce sera une expérience très enrichissante.

La pointe brûlante de la dague frôla son visage. Elle grimaçait s'efforçant de ne pas hurler, mais elle ne tiendrait pas longtemps.

L'homme commença à l'inciser, dessinant une figure graphique complexe. Entièrement envahie par la pulsation de la douleur, les cris de Rachel résonnèrent dans le chai, sans que personne ne vienne la secourir.

 

* * * * * * * * * *

 

L'obscurité et le silence avaient repris place dans la cave à vin. Rachel se réveilla une fois encore debout, sur la pointe des pieds avec une douleur persistante et accablante. Elle n'avait aucune idée du temps qui s'était déroulé depuis que le sorcier l'avait torturée.

Cet être abject et cruel l'avait empêchée de perdre conscience à l'aide de sortilèges pendant qu'il l'entaillait. La douleur avait été si grande, qu'elle avait cru en devenir folle.

C'était sa première rencontre avec un non-humain à la peau rouge et s'il ne l'avait pas tuée, cela signifiait qu'il reviendrait achever son travail. Anxieuse, Rachel éprouvait un vif sentiment de colère. Hélas, son amertume fut vite balayée par la douleur qui l'irradiait. Cette affliction que subissait son corps était insupportable. Elle puisa au plus profond d'elle la force de garder la foi et pensa à son pendentif offert par sa défunte mère.

Ce salopard l'avait détruit et s'en était servi contre elle ! Au lieu de la protéger, ça l'avait tourmentée.

Quelle ironie...

Le cœur lourd, elle soupira.

– Il te protégera, mon cul, bafouilla-t-elle.

Un bruit sourd la fit sursauter. Sa vue s'était habituée à l'obscurité. Elle balaya du regard la cave cherchant le moindre mouvement. Rien. Pourtant elle avait cette impression de se sentir observée, comme si on la sondait au plus profond de son être. C'était une sensation aussi douce que répugnante.

Elle avala sa salive et tenta de prendre une voix ferme.

– Qui est-là ? Montrez-vous, je sais que vous êtes là.

Aucune réponse.

Un autre bruit sourd, léger et confus la fit bondir en arrière. La corde la balança de gauche à droite, avec ses pieds liés elle eut du mal à se stabiliser. Son grognement étouffé parcourut la pièce.

Rachel inspecta à nouveau le chai. Elle tourna sur elle même en serrant les dents pour supporter l'étreinte de ses liens. Elle ne vit que les armoires à vin et des tonneaux. Il n'y avait personne. Commençait-elle à devenir paranoïaque ? Elle se posait sérieusement la question.

Alors qu'elle se remettait dans sa position d'origine, elle crut voir durant l'espace d'une seconde une silhouette en face d'elle. Seul un glapissement témoigna de sa surprise.

De la sueur froide dégoulinait le long de ses tempes.

Est-ce que j'ai rêvé ? Ça semblait si réel.

Elle resta immobile un bon moment, jusqu'à ce que la porte s'entrouvrit dans un grincement. Un rayon de lumière se glissa sur les tonneaux. Il revenait la torturer ! Peut-être que cette fois-ci elle serait tuée.

Paralysée, pétrifiée, Rachel regardait l'entrée les yeux écarquillés et vit deux silhouettes entrer d'un pas hésitant. Le premier possédait une carrure corpulente, il tenait en main une petite lanterne qui éclairait à peine, et celui qui le suivait était chétif.

– Oh ! Regarde-moi toute cette réserve, ricana le premier. Je savais bien que le vieux Bourbon gardait jalousement son vin.

– Nous ne devrions pas être ici frangin. Partons avant qu'ils nous tombent dessus.

– Du calme, nous ne risquons rien. Ils sont tous partis à la mine.

Il donna une tape dans le dos du jeune adulte qui bascula dangereusement en avant.

– Ne me regarde pas avec des yeux de merlan frit. Tu ne vas pas faire demi-tour alors que nous avons du vin venu tout droit de Castellum ? Ah ! Tu vois, ton petit sourire en coin veut tout dire.

Rachel reconnut les voix et leur tenue en cuir rembourrée. C'était la même que portait ses hommes. Lambert et Oldaric étaient là. Quel soulagement ! Ils allaient la sortir de ce pétrin. Elle commençait à croire qu'on ne viendrait pas la sauver.

Les deux hommes ne devaient pas se trouver ici, mais elle s'en moquait, leur présente la réjouissait. Rhamée ne l'avait pas abandonnée.

– Lambert ! Oldaric ! Je suis si contente de vous voir les gars... aidez-moi à sortir d'ici.

– Capitaine ? s'étonna la brute. Où êtes-vous ?

– Ici, au fond de la cave. Dépêchez-vous, je ne sens plus mes bras.

À l'aide de la lanterne, Lambert illumina l'endroit d'où provenait la voix de la jeune femme. Son frère et lui sursautèrent de surprise en la découvrant à moitié nue, le corps recouvert de stigmates et de sang séché.

– Merde, qu'est-ce qui vous est arrivée ?

– C'est une longue histoire.

Ils s'approchèrent abasourdis, toutes ces étranges marques taillées leur donnait froid dans le dos.

– Il semblerait que vous avez aussi été prise dans leurs filets, capitaine. C'est le bordel dans le village.

Oh non... le sorcier s'en était pris aux habitants. Mais avant qu'elle puisse poser la question, l'homme continua.

– Un groupe d'hommes armés jusqu'aux dents nous ont attaqué hier dans la journée. Sans votre aide, nous étions désorganisés et nous n'avons rien pu faire pour défendre le village...

Voilà qui était surprenant. Elle n'en croyait pas ses oreilles.

– Y avait-il un sorcier avec eux ? demanda-t-elle confuse.

– Je n'en ai pas vu, par contre... Attendez. Vous voulez dire qu'il y en a un ici ? C'est lui qui vous a fait ça ?

Rachel hocha la tête.

– Il ne faut pas rester ici Lambert, déguerpissons vite avant qu'il revienne ! Je ne veux pas me retrouver en face de lui, il parait qu'ils peuvent transformer leurs ennemis en cafard, pleurnicha son frère.

– Ferme-là, il n'est pas ici et nous serons partis avant qu'il ne revienne et de toute manière si...

– Comment avez-vous pu être mis en déroute par une bande d'homme ? Nous avons fortifié le village, l'interrompit-elle.

Lambert prit une expression sérieuse.

– Ils étaient vachement bien organisés. Rien à avoir avec la plèbe du coin. Ces types étaient entraînés et mieux équipés. Heureusement pour mon frangin et moi que nous étions partis en patrouille. Nous avons pu leur échapper ainsi. Avec ou sans nous, ça n'aurait pas changé grand chose de toute manière...

Que se passait-il ? Un mage et maintenant des hommes entraînés au combat investissaient le village. Ses pensées continuèrent sur une pente dangereuse : la carrière abritait les cristaux magiques. Et s'ils étaient venus pour les extraire ?

– Que recherchaient-ils ?

– Je n'en ai pas la moindre idée.

– Et les villageois sont-ils...

– Les hommes et les enfants ont été emmenés à la mine, tandis que les femmes sont restées au village. J'aimerais bien savoir ce qu'ils comptent y dénicher, ça fait des années qu'il n'y a plus de charbon. Peut-être pensent-ils pouvoir trouver des diamants, ironisa-t-il.

Ses craintes se confirmèrent. Ils les convoitaient. Mais une autre question la disputait à l'agacement, comment l'avaient-ils su ? Si l'archonte connaissait leur existence, l'armée s'en serait emparée depuis longtemps. La situation est critique, je dois m'assurer que tout le monde va bien, pensa-t-elle.

Oldaric s'était tu jusqu'à présent. Rachel sentit son regard insistant la fixer. Visiblement, elle ne laissait pas indifférent le jeune homme malgré ses stigmates. Elle ne savait pas si elle devait en être contente ou non, mais un sentiment de malaise et de gêne l'envahissait.

– Je suis heureuse que vous vous en soyez sortis les gars, tout n'est pas perdu. Maintenant, coupez-moi cette fichue corde que je puisse soulager mes bras. Nous devons retourner au village et...

Lambert l'interrompit. Son expression était sévère.

– Non, capitaine. Non.

– Non ?

Rachel le regardait d'un air interrogateur.

– Vous n'êtes pas en état de faire quoi que ce soit, continua-t-il, mais ne vous inquiétez pas capitaine, nous allons prendre soin de vous.

– Qu'est-ce que tu racontes ? Détache-moi, lui ordonna-t-elle d'un ton sec. Ce n'est pas le moment de plaisanter !

– Vous êtes mal placée pour donner des ordres. N'est-ce pas frérot ?

– Ouais frangin, répondit Oldaric en continuant de fixer la silhouette de son capitaine.

Rachel détestait qu'il la reluque ainsi. L'angoisse grandissait en elle.

– Quand ces étrangers seront partis, le village deviendra la cible de tous les brigands de la région. Il n'y aura plus assez d'hommes pour assurer sa protection, et la vie y est déjà assez rude. Je ne tiens pas à faire mes vieux os dans ce trou à rat. Mon frère et moi comptons nous rendre à Castellum. Grâce à l'héritage de notre cher bourgmestre, nous avons assez d'or pour nous profiter du luxe de la cité.

La crainte de Rachel se transformait en colère. Comment osaient-ils ? Non seulement, ils volaient l'argent pouvant être utilisé pour le village, mais en plus, ils les abandonnaient. Ces misérables...

– Ne faites pas cette tête capitaine, les Bourbon ont rejoint la Lumière. Ils ne peuvent pas prendre leur or avec eux, alors nous nous sommes servis et nous les remercions pour leur générosité ! Écoutez, vous semblez avoir passé un mauvais moment, ça m'attriste de vous voir dans cet état. Laissez-nous nous occuper de vous. Vous preniez soin de vos hommes, c'est la moindre des choses que nous puissions faire.

Il en profita sans gêne pour la tripoter.

– Espèce de fils de putain !

– De ce que je vois, se moqua-t-il, n'auriez vous pas utilisé des élixirs de longue vie ? Vous avez la peau d'une adolescente malgré vos... quelques imperfections. C'en est presque effrayant.

Elle lui cracha au visage.

Lambert soupira en s'essuyant le nez avec l'épaule, puis il lui donna une violente gifle.

– Tiens-moi la lanterne frérot, veux-tu ?

Il enleva la ceinture du pantalon de la jeune femme hébétée et le retira. Sans surprise, même sa capitaine était trop pauvre pour s'acheter des sous-vêtements. Son choix de fuir Bourg-d'Argent ne fut que renforcé. Il n'y avait aucun avenir à rester ici.

Il caressa le corps de Rachel avec un air satisfait. Depuis combien de temps avait-il espéré que ce moment arrive ? Certes, ce n'était peut-être pas de cette manière qu'il l'avait imaginé, mais cela lui importait peu. De toute manière, tout le monde dans la milice savait qu'elle n'avait pas été choisie pour être leur capitaine uniquement pour ses compétences de leader. Ses attributs féminins y jouaient un grand rôle, et sans exagération, elle vivait de sa sexualité de façon libérée avec une maturité et connaissance propre de son corps.

Combien d'entre-eux pouvaient se vanter d'être son amant ? Beaucoup, mais il n'en faisait pas partie. Cette femme possédait une aura mystérieuse, dévoilant un certain charisme qui lui permettait de séduire les hommes.

Même les habitants l'ignoraient. Tout se déroulait dans le plus grand des secrets au sein de la milice. Seul Hadvar n'en avait pas connaissance et il en était mieux ainsi.

Derrière son air sympathique se cachait un individu austère. Personne n'osait le contrarier et évitait de trop se rapprocher de Rachel en sa présence. Il en était fou amoureux. À tel point que sa passion le rendait dangereux, et Lambert se souvenait de la fois où il fut passé à tabac par ce jaloux maladif. Lui, la brute du village battu et humilié devant tous les habitants car il s'était déclaré à sa capitaine.

Une déclaration qu'il n'oublierait pas de si tôt. Il se souvenait encore de ce qu'elle lui avait répondu. Tu t'es déjà vu ? Me prends-tu pour une catin ou une fille offerte à la risée de tous ? Fais bien attention à toi, ou tu risques de le regretter. Aujourd'hui, il allait pouvoir lui en faire payer le prix de cet affront !

La main d'Oldaric se posa sur son épaule le sortant de ses pensées,

– N'oublie pas ta promesse mon frère.

– Je ne l'ai pas oubliée.

Il s'écarta pour le laisser passer.

– Misérables cloportes ! Sombres merdes ! Enfants de salaud ! fulmina Rachel alors qu'elle se faisait peloter.

– Allons capitaine, il n'y a pas de quoi s'énerver. Ce n'est pas comme si vous ne vous faisiez pas sauter quotidiennement par vos hommes, rigola Lambert en s'adossant à une armoire à vin.

Pendant ce temps, Oldaric se dévêtit de son pantalon et se hâta de couper les liens qui retenaient les pieds de la jeune femme à l'aide d'un couteau sortit d'une botte.

Ses jambes aussitôt libérée, Rachel lui envoya un coup de genou dans l'entre-jambe. Le garçon se plia en deux laissant échapper un cri. Puis un second choc envoya sa tête en arrière qui cogna lourdement le sol en pierre.

Lambert s'esclaffa. Il en profita pour ouvrit une bouteille de vin à l'aide d'un tire-bouchon trouvé sur une armoire.

– Ça va aller petit frère ? Je t'avais prévenu que ça serait difficile la première fois.

Son jeune frère se releva, tremblotant avec une expression furieuse. Il s'empara d'une bouteille de vin, puis s'élança avec détermination sur Rachel.

Elle l'esquiva et le fit trébucher. Il manqua de peu de s'étaler à terre, en se stabilisant au dernier moment. Puis, une force invisible le poussa vers l'avant et il s'effondra dans les tonneaux. Des barils se renversèrent, d'autres roulèrent. Le vin se propageait dans le chai. Le garçon poussa un juron. Il glissait et tentait avec difficulté de se relever.

Un éclair de fureur passa dans ses yeux. Avec détermination, il se rua sur elle et attrapa la jambe qui fendait l'air avant qu'elle ne l'atteigne.

Un sourire de vainqueur se dessina sur son visage, jusqu'à ce que Rachel lui mette un coup de tête brutal. Le bruit d'un craquement retentit dans la cave.

Lambert grimaça.

– Ouh ! Ça doit faire mal.

– Mon nez.. merde ! Cette salope m'a cassé le nez !

– Si tu as besoin d'aide, n'hésite surtout pas.

– Ferme-la Lambert, je peux me débrouiller seul, cracha-t-il.

– C'est toi qui vois, rétorqua la brute amusée de la scène.

La troisième tentative d'Oldaric fut la bonne. Il fracassa une bouteille sur le crâne de la jeune femme, qui cette fois-ci fut étourdie pour de bon.

La vue de Rachel commençait à devenir trouble. Son monde s'assombrissait et sa force la quittait. Elle se sentit soulevée. Quelqu'un tenait ses jambes et...

Tchac.

C'était comme un coup de poignard. Un profond sentiment de tristesse et de trahison l'envahissait. Elle les considérait comme ses camarades, ses compagnons d'armes et certains comme ses amants. Qu'avait-elle fait pour subir un tel traitement ?

La honte, le dégoût, voilà ce qu'elle éprouvait. Elle aurait voulu être plus forte, avoir cette détermination qu'avaient les Vierges. Mais elle ne possédait pas cette volonté. Comment aurait-elle pu servir la Matriarche avec si peu de courage ?

Tout ceci n'étaient que des fantasmes, toujours plus fugaces. C'était trop douloureux et difficile à supporter. Alors, elle s'abandonna aux abysses béantes. Ses yeux devenaient vitreux et larmoyants. Personne ne viendrait la sauver.

Personne.

Seules des voix à peines perceptibles lui parvenaient encore aux oreilles. Ce n'étaient pas celles de Lambert ni d'Oldaric. Non, elle ne les connaissait pas. Petit à petit, ces chuchotements devenaient indiscernables de ses propres pensées embrouillées.

« Réveille-toi...

Ne laisse pas tes rêves, rester des rêves...

Fais en une réalité...

Rien n'est impossible...

Ce ne sont que des moins que rien... des obstacles...

Ils doivent être traités comme des déchets... »

Ces chuchotements répétaient sans cesse une sinistre litanie.

« La colère... la haine... la souffrance... ce sont des armes...

Ne les enfouis pas... ressens-les...

Utilises-les... »

Ce doux murmure lui ravivait une grande irritation. Sa flamme qui allait s'éteindre s'embrassa. Une aversion profonde et violente s'animait en elle. Et maintenant la fureur s'empara d'elle. Rachel ne cherchait pas à s'en échapper, bien au contraire... elle se laissait envahir.

Elle planta de toutes ses forces ses dents dans le cou d'Oldaric. Surpris par la réaction de la jeune femme, il hurla et tenta en vain de la repousser. Mais elle ne le lâchait pas, elle affirmait son étreinte en enroulant ses jambes autour de sa taille.

– Lambert ! Aide-moi ! Elle est devenue folle !

Accoudé à son armoire, Lambert laissa tomber sa bouteille de vin et en trois enjambées, il arriva à la hauteur de Rachel et empoigna ses cheveux avec fermeté.

– Relâche-le puterelle de mes deux!

Il tirait sa tête en arrière. Elle ne cédait pas. Il y mit toute sa force et se retrouva avec une touffe de cheveux en main.

Rachel recrachait des lambeaux de peau ensanglantés. Oldaric se tenait la gorge et émettait des gargouillis. Sous leur poids, la corde se déchira et ils tombèrent lourdement à terre.

Lambert l'attrapa sous les bras et l'envoya rouler derrière lui. Il se précipita vers son frère et le prit dans ses bras.

– Frangin ! Hé, réponds-moi !

Les yeux du jeune homme étaient révulsés, alors qu'un flot continu de sang coulait en dehors de sa gorge. Elle l'avait tué. Il serra les dents, grogna et se retourna avant de sauter sur Rachel qui se relevait péniblement. Ses mains agrippèrent son cou et se refermèrent dessus.

Sa voix tremblait de rage.

– Je ne te le pardonnerai pas ! Tu m'entends ? C'était ma seule famille, sanglota-t-il.

À l'aide du couteau récupéré pendant que Lambert avait le dos tourné, Rachel se dépêchait de couper ses liens.

Encore un peu... Elle suffoquait, l'air allait lui manquer. Presque...

Tchac !

Elle plongea aisément la dague dans sa gorge.

Les yeux écarquillés d'horreur, Lambert tituba en arrière se tenant le cou pour contenir le sang. La lame était enfoncée jusqu'à la garde. Son visage se tordait de douleur. Sa bouche continua à bouger sans produire de son, puis il tressaillit avant de s'immobiliser.

Rachel profita de quelques instants pour reprendre sa respiration et se relever. Son regard bouillonnait de rage. Elle l'envoya à terre d'un coup de pied dans le ventre.

À son tour, elle le chevaucha et retira l'arme d'un mouvement sec avant de le poignarder à plusieurs reprises. Plus rien ne l'arrêtait dans sa frénésie, elle s'acharnait sur le corps sans vie de Lambert, gisant dans un mélange de sang et de vin.

Un sourire euphorique se dessina sur son visage. C'était la première fois qu'elle ressentait une telle émotion la remplissant d'un désir profond. La jouissance ! Pourtant, à chaque coups portés, sa fureur s'atténuait jusqu'à laisser place à de la mélancolie.

Une fois calmée, elle se mit à trembler. Beaucoup de choses s'étaient déroulées en peu de temps et elle n'arrivait pas à mettre de l'ordre dans ses souvenirs confus. La seule pensée qui traversait son esprit était de fuir avant le retour du sorcier. Ensuite elle pourrait réfléchir à la situation et...

Rachel se figea. Elle bondit sur ses pieds et serra fermement la poignée de sa dague. Quelqu'un se tenait à l'entrée du chai.

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Aliv
Posté le 09/12/2019
Il se passe pas mal de choses dans ce chapitre, on ne s'ennui pas.
J'ai juste deux petites choses à dire. Je trouve que le mot chai est un peu trop employé dans le chapitre. Et aussi le verbe déchirer pour une corde m'a dérangé, il ne convient pas trop.
Luru
Posté le 03/01/2020
Je réfléchirai à un autre verbe, à moins que tu aies une proposition à me faire ? ^^
DraikoPinpix
Posté le 05/12/2019
Pfiou ! Quel chapitre ! Pauvre Rachel, elle y est passée mais ces deux-là ont eu ce qu'ils méritaient au final.
C'est toujours aussi prenant. Je tiens à signaler quand même la répétition du mot "homme" dans la deuxième partie. Mais sinon, j'aime bien te lire ;)
Luru
Posté le 07/12/2019
C'est un chapitre fort en émotion, oui. ^^ Je suis rassuré que tu accroches à l'histoire, cette partie est assez rude et peu rebuter certains lecteurs à continuer.

Encore merci pour tes commentaires encourageant, ça me fait plaisir !
Halycanth
Posté le 21/09/2019
Wow 😶 En effet ça change ! Pauvre Rachel, en plus ça n'a pas l'air fini pour elle...
Par contre ça se voit que ce sont ces chapitres-là un peu sadiques que tu t'éclates le plus à écrire. Tout est nickel, c'est prenant et tellement crédible, ça fait presque peur 😅
(juste un truc, au 3 ou 4 ième paragraphe il y a une faute de frappe, c'est ce qui l'a amenée et pas ce qui l'a amené)
Et bien sûr, toujours hâte de lire la suite ^^ (je te déteste tu vas me faire rater mon année 😆)

(j'en profite pour rejoindre au come-back de la dernière fois, encore une fois. Effectivement j'avais pas pensé aux rapière, c'est pas une période avec laquelle j'ai beaucoup d'affinités, si coup autant pour moi. Du coup, histoire de se remettre en contexte, technologiquement ton univers se situe à peu près à quel niveau ?)
Halycanth
Posté le 21/09/2019
*pour répondre au commentaire
Désolée le correcteur orthographique fait des siennes 😅
Luru
Posté le 22/09/2019
Bien vu pour la faute !

Content que ce chapitre t'ait plu ! C'est une scène que j'avais bien en tête depuis un moment avant de l'écrire. C'est un élément déclencheur qui active la folie de l'héroïne, il me fallait quelque chose de réaliste et de sombre. ^^

Ton enthousiasme me fait plaisir et je serai gêné que tu rates ton année par ma faute ! Les publications ralentiront lorsque j'aurai publié le neuvième chapitre,car je n'en aurai plus sous le coude, à moins que je réussisse à terminer ma énième écriture du dixième d'ici-là, qui sera un gros morceau.

Et pour répondre concernant le contexte de l'univers, je n'ai pas de terme exact qui défini son avancement technologique, mais cela se déroule dans un milieu médiéval / steampunk avec un petit côté science-fiction. Pour te donner une référence qui s'en approche le plus, c'est similaire à l'univers de Guild Wars, si tu connais.

Merci pour ton assiduité et j'ai moi-même hâte de lire tes prochains retours ! ^^
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