Chapitre 6 - Traître

Par Siocbo

Elle se sentait trahie par ses propres illusions. Elle pensait le général pourpre mort, ce qui l'avait rendu nerveuse à l'idée de partir à sa recherche. Et pourtant regardez-le, un sourire au visage et bras dessus bras dessous avec un gobelin. Une colère injustifiée était sur le point de déborder.

Son sang ne fit qu'un tour et ses cheveux devinrent une ligne horizontale lorsqu'elle se propulsa en avant.

Tskiing !!

Déjà, la masse confrontait l'épée qu'Elmunneth avait dégainé en vitesse. Fort de ses longues années passées sur le front, il avait su déchiffrer l'attaque chargée. Le visage tordu par la colère, Azris dévisageait le général. Si les regards pouvaient tuer, celui là avait de bonnes chances de blesser quelqu'un. En revanche, Elmunneth était impassible, imperturbable.

Grrt !

Le grognement de la jeune démone fut camouflé par le bruit de ses dents écrasées les unes contre les autres par la rage.

Si l'on utilisait les expressions de chacun pour évaluer le combat qui prenait place, une fiction bien éloignée de la réalité serait peinte.

Poursuivant son chemin presque ininterrompu après la confrontation initiale avec l'épée d'Elmunneth, la masse d'Azris balaya l'arme du géant. Et comme monté sur un ressort, la masse revint. Cette fois-ci, rien n'était là pour entraver sa trajectoire, si ce n'est le torse du général. L'armure du colosse s'enfonça. Sa cage thoracique aussi, fort probablement. Et une gerbe de sang peignit le visage immaculé de la démone.

Elmunneth déposa les deux genoux au sol, crachant par rafale les prochaines flaques de sang noirâtre qui viendraient joncher le sol. Sa défaite fut instantanée, si bien que Bogibu, le gobelin qui l'avait accompagné, était resté pétrifié et fixait, en choc, l'endroit où se trouvait initialement l'ennemie.

 - Vieil homme, t'es en état d'arrestation. Je te ramène au roi glouton pour répondre de ta trahison.

Inutile d'attendre sa réponse, le vomissement de son sang était le seul son qu'il pouvait produire. Elle se pencha donc en avant afin de saisir le col d'Elmunneth.

 

Tak

Son corps eut réagit plus vite qu'elle n'avait pu réfléchir. Avant qu'elle ne s'en rende compte, les perles d'une sueur glaciale faisaient la course le long de son dos. Et étrangement, le géant vomissant n'était plus à la portée de sa main. Ses pensées rattrapèrent la réalité. Elle avait reculé d'une bonne vingtaine de mètres !

Et pour cause, un démon d'un blanc immaculé avançait vers eux. Ses sourcils froncés accentuant ses yeux abyssaux indiquaient sa frustration. Était-ce un allié d'Elmunneth ? Elle n'avait jamais vu pareil démon parmi les rangs du général.

Le démon blanc s'arrêta devant le géant recroquevillé, et le contempla un instant. Quant à elle, il lui était impossible de déplacer son corps. Comme plongée en eau profonde, tous ses membres lui paraissaient incroyablement lourds. Dans cet instant de tranquillité, elle ne put s'empêcher de noter que le gobelin s'était évanoui. Elle aurait préféré l'oublier.

 - Elmunneth, prends Bogibu et rentre au village.

Ne voyait-il pas qu'Elmunneth n'était pas en état de se déplacer ? Et encore moins de prendre un gobelin avec lui ! L'entité blanche ne semblait donner aucune considération à la situation. Le géant pourpre non plus, d'ailleurs.

 - Q-quoi..?

Abasourdie, Azris ne pouvait rien faire d'autre qu'observer Elmunneth se redresser, son sang s'écoulant toujours à flot depuis sa bouche, prendre le gobelin évanoui et s'en aller vers ce qu'elle supposait être le village dont il avait parlé.

Un éclair traversa son corps. Coup de semonce inconscient, tout son être lui signalait qu'il était temps de se réveiller de sa torpeur. Car désormais, c'était elle que les yeux flamboyants de l'être mystérieux dévoraient.

D'autant plus, sa cible s'en allait. Il fallait qu'elle agisse vite.

***

La jeune démone aux couleurs émeraudes se projeta vers lui. L'heure n'était plus aux cachotteries.

Alors le roi libéra une partie du mana qu'il réprimait consciemment. La panique se lu immédiatement sur le visage de la démone lorsque le ciel lui tomba sur la tête. Ce sera cependant à son tour d'être surpris lorsqu'elle ne s'écrasa pas au sol. À la place, le mana qui provenait d'elle se mit à danser joyeusement, faisant crépiter l'air comme un feu de camp mourrant à l'aube. Juste comme ça, l'attaque qui avait toujours fonctionné jusqu'ici échoua. Le ciel semblait bien haut.

 - Espèce de putain de monstre !

Le temps s'étira. Gagnant en longueur, et ralentissant le monde jusqu'à l'arrêt. Seules ses pensées fusaient. La sensation familière lui était désagréable, il avait l'impression que s'il restait trop longtemps ainsi, il se perdrait lui-même. Mais il devait penser.

Combien de temps passa ? Probablement longtemps, puisque dans ce monde si lent qu'on le croirait à l'arrêt, la démone s'était rapprochée de lui.

La masse d'armes tombait déjà contre sa tempe. Au point d'impact, le mana s'embrasa. Une langue de feu avide lécha l'intégralité de son corps immaculé.

 - T'es peut-être un monstre, mais tu sais clairement pas te battre. T'es qui au juste ?

La fougueuse ne semblait cependant toujours pas attendre de réponse, puisque la masse revenait dans un mouvement familier. L'impact provenant du bas contre son thorax fit se soulever ses pieds du sol. Et une fois n'est pas coutûme, la chaleur presque agréable des flammes vinrent dévorer sa chair. Projeté par la force du coup sur plusieurs mètres, Azris semblait cependant choquée par la tranquillité et le manque de réaction déconcertant du roi immaculé. Ce dernier était désormais cramoisi, la peau d'ordinaire immaculée était noircie par les flammes et l'armure qu'il avait copiée du général des démons fondait par endroits. Et pourtant, ses yeux rouges affichaient toujours la même sérénité.

 - Ah, j'ai compris.

La voix craquelée, il déclara. À sa volonté, le mana plia. Au lieu de se jeter à corps perdu contre ses adversaires comme il leur était habituellement ordonné, le roi démon allait l'emmener dans une danse pour la première fois. Et il s'agissait d'un bal.

Une quantité gigantesque de mana se rassembla au-dessus de l'être immaculé, au grand damne d'Azris. Dansant et virevoltant, les pensées du roi s'inscrivirent dans la réalité.

Une gargantuesque sphère flamboyante se dessinait haut dans les airs, comme rajoutée au montage. La chaleur était étouffante dans la brise glaciale de l'hiver. La terre gelée devenait de la boue. Et les arbres à proximité menaçaient de prendre feu, eux aussi voulaient rejoindre la danse.

 - Merde...

À la volonté du roi, le monde plia.

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