Chapitre 6

Au lever du jour ils se réveillèrent, ankylosés par l’immobilité de la nuit et frissonnant dans la fraîcheur du matin. Ils ravivèrent le feu pour se réchauffer.

 

Zilia se mit debout, déroula ses longs cheveux noirs et se penchant au dessus de la cuvette du ruisseau, puisa de l’eau fraîche dans ses mains et frotta son visage avec l’onde pure.

 

  • J’ai été ravie de faire votre connaissance, dit-elle en se relevant, mais je dois partir maintenant, d’autres tâches m’attendent qui ne supportent pas de retard.
  • Comment vous remercier ? vous nous avez sauvé la vie, gente Aloyse, répondit Girolam, nous vous sommes redevables éternellement.
  • Disons simplement que je me suis trouvée au bon moment au bon endroit, reprit Zilia avec un sourire. J’ai passé du bon temps avec vous hier soir, vous ne me devez rien, mais le devoir m’appelle.

 

Et ce disant, elle ramassa son arc et ses flèches posés à ses pieds, glissa la bandoulière sur son épaule, attrapa sa besace d’une main et d’une révérence moqueuse leur fit ses adieux. Un instant plus tard, légère et vive, elle s’était déjà éloignée vers les profondeurs de la forêt toute proche, et ils entendirent bientôt les sabots d’un cheval qui résonnait dans le bas de la vallée.

 

  • Qui était cette étrange créature ? dit Tizian très circonspect. Elle m’a fait penser à quelqu’un toute la soirée, mais je suis bien certain de ne l’avoir jamais rencontrée. C’est une coïncidence heureuse qu’elle ait été là au moment où nous étions en danger. Et j’ai du mal à croire aux coïncidences, surtout quand une femme belle comme elle surgit de nulle part pour venir nous délivrer d’une bête sauvage.
  • Que veux-tu dire, Tizian, interrogea Girolam, tu penses que son arrivée n’était pas fortuite ?
  • Je ne pense rien, répondit son frère, je suis très surpris. Tu ne trouves pas ça étrange que dans cet endroit reculé, loin de toutes routes, arrive au moment où nous allons perdre un combat sans issue une archère très habile qui nous délivre en quelques flèches bien placées des attaques de  l’ours ?
  • Certes, elle est intervenue quand il le fallait et comme il le fallait, mais tu es trop méfiant, pourquoi ne se serait-elle pas trouvée là comme elle l’a dit, pour aller chasser ?
  • Messeigneurs, cessez de vous torturer, c’est la providence qui a placé cette guerrière en haut de ce rocher pour tuer l’ours avant qu’il ne nous tue, dit Ombeline.
  • Eh bien soit, nous pouvons repartir maintenant, mais nous savons que nous sommes vulnérables, répondit Tizian avec de la colère dans la voix. Face à un ennemi comme cet ours, nous n’avons pas été capables de lutter ni de vaincre. Cela n’est pas de bon augure pour aller faire face à l’armée d’un magicien puissant.
  • Tizian, intervint Girolam qui voulait calmer son frère, ne sais-tu pas que notre père nous a envoyé à la mort pour se débarrasser de nous ?
  • Oui, je le sais, mais notre défi est de réussir malgré l’adversité, et de faire mentir Xénon, rugit Tizian.
  • Au péril et au prix de notre vie, insista Girolam.
  • Il nous faut progresser dans la lutte guerrière, exceller au combat et surtout nous procurer de meilleures armes et des armures plus résistantes, reprit Tizian avec force, sinon nous n’irons même pas jusqu’au bout de la mission..
  • Il nous faut aussi ce guérisseur que nous devons quérir avec ses potions, et la toile d’argent pour nous protéger, ajouta Girolam..
  • Messeigneurs, de quoi parlez-vous ? demanda Ombeline qui ne comprenait pas un mot de ce dialogue. Expliquez-moi, j’ai le sentiment que vous parlez de choses graves.
  • Ombeline, ces choses-là te dépassent, c’est beaucoup trop compliqué et nous-même ne comprenons pas tout, répondit Girolam
  • Ne me prenez pas pour une idiote, réagit vivement Ombeline, je suis certaine d’être capable de comprendre, et si je ne comprends pas je ne pourrai pas vous aider. Alors je suis avec vous et nous irons ensemble jusqu’au bout, alors dites-moi tout.

 

Un peu désarçonnés par l’aventure de l’ours qui avait mis à mal leur fierté, et grâce à la force de persuasion d’Ombeline, Tizian et Girolam finirent par céder. Avant de repartir, ils racontèrent leur histoire à la jeune femme qui s’étonnait à chaque instant de leur récit.

 

  • Je crois que je connaissais bien des vicissitudes, mais là, ça dépasse tout ce qu’on peut imaginer. Nous ne serons pas trop de trois pour continuer la mission, croyez moi, disait-elle tandis que les frères parlaient sans discontinuer.
  • Tu as raison, tu en sais autant que nous maintenant, disait Tizian qui voulait repartir..
  • Il faut nous mettre en route, ne traînons, pas, répondait Girolam qui estimait que Ombeline en savait suffisamment.

 

C’était bien mal la connaître, car elle était dévorée de curiosité et avait plein d’interrogations. Mais elle était fine, et elle comprit rapidement que les deux frères avaient hâte de reprendre la route et qu’elle ne devait pas les retarder. Elle était patiente, elle aurait bien le temps dans l’avenir de poser des questions pour en savoir plus, convaincue que Tizian et Girolam ne lui avaient pas tout dit. Aussi donna-t-elle le signal du départ, et vit l’éclair de soulagement dans les yeux des jumeaux, leur courtoisie les avaient empêchés de le faire eux-mêmes.

 

Ombeline n’avait jamais appris à monter à cheval, mais elle chevauchait néanmoins Berthe qui avait bon caractère et se laissait conduire sans regimber, ou suivait les destriers par instinct. Les trois jeunes gens reprirent la route, chacun sur sa monture, et la petite caravane entreprit de descendre dans la vallée.

 

Leur périple se poursuivit sans encombre pendant plusieurs jours et même plusieurs semaines, plus aucun incident notable ne vint troubler le voyage. Ils traversèrent de nombreux petits pays et royaumes, sans jamais emprunter les grandes routes ni passer par les villes ou les bourgs. Ils voyageaient incognito, se nourrissant de leur chasse ou de poissons harponnés dans les rivières à l’aide de longues pointes taillées au couteau, et de fruits cueillis le long des chemins. Ombeline fabriquait parfois des galettes avec des grains de blés ou des châtaignes ramassés dans les champs ou au pied des arbres. Elle les écrasait patiemment sous une pierre ronde pour faire de la farine, les mélangeait avec de l’eau et les cuisait dans les braises.

 

Quand ils croisaient des paysans ou des marchands ambulants, ou s’arrêtaient dans des fermes pour acheter de l’avoine pour les chevaux, Tizian et Girolam qui parlaient la langue universelle conversaient avec les habitants. Ils avaient ainsi des nouvelles du pays de Phaïssans, où il ne se passait rien. Ils apprirent seulement que les guerres fratricides entre les fils du roi Xénon semblaient s’être arrêtées, ce qui les fit sourire. Ils rencontrèrent une diseuse de bonne aventure qui habitait dans une masure isolée et lisait dans les mains. Devant son insistance, ils acceptèrent qu’elle regarde leurs paumes pour quelques piécettes. Elle leur prédit des aventures remarquables et des rencontres étonnantes dans un pays lointain, mais soudain, alors qu’elle observait les lignes fines, elle pâlit, son visage se déforma en une horrible grimace et elle devint muette. Se redressant, elle regarda Tizian et Ombeline d’un air absent et leur annonça distraitement un beau mariage et une belle famille, ce qui ne leur fit regretter amèrement les piécettes mal dépensées. Ils abandonnèrent vite la bonne femme qui les regarda partir encore toute ébaubie de ce qu’elle avait lu dans les mains des deux frères.

 

Ils avaient habilement attaché leurs armures sur les flancs de Berthe, et les avaient masquées avec des tapis et des couvertures fournies par un colporteur. Ils se faisaient passer pour des voyageurs se rendant à une fête dans une ville voisine. Si on leur posait des questions, ils expliquaient que leur chargement était destiné à l’organisation des festivités, ce qui n’était pas tout à fait un mensonge. Comme ils avaient l’air pacifique, et que la présence d’Ombeline la paysanne corroborait leur discours, nul ne mettait en doute leur parole et leur équipage ne paraissait pas suspect ni dangereux, mais personne n’aurait oser s’attaquer à eux car ils avaient des épées pendues à leurs ceintures. Ils expliquaient aux curieux qu’ils étaient obligés de porter des armes pour se protéger des bandits de grand chemin, ce qui était plausible.

 

Avec les soins, la cheville d’Ombeline retrouva progressivement son aspect normal, les entailles faites par l’ours sur Girolam et Tizian cicatrisèrent. Ils achetèrent sur un marché dans un petit village des vêtements de cuir et de laine pour Ombeline, ainsi que des bottes.

 

Au fil des jours, ils chevauchaient et se rapprochaient des montagnes aperçues depuis longtemps qui avaient semblé si lointaines et inaccessibles. Un après-midi, après avoir traversé une vaste étendue vallonnée, ils s’arrêtèrent en haut d’une petite colline et virent à distance un large cours d’eau impétueux, la Sauldre, qui marquait la frontière du pays de Vallindras. Au delà du fleuve, le paysage changeait et l’on apercevait déjà les contreforts des hauts massifs dont les pentes recelaient la fameuse herbe qu’ils venaient chercher.

 

Ils étudièrent la carte et cherchèrent les possibilités de franchir le fleuve. Il n’y avait qu’un bac qui faisait la navette entre les deux rives, et desservait un gros village, Bourg-sur-la-Sauldre un peu en aval de la colline où ils se trouvaient, et pas de pont au delà. L’unique possibilité d’entrer dans le pays de Vallindras sans se faire remarquer était de partir au nord vers l’amont du fleuve, et de tenter de franchir la rivière à pied ou sur un gué, quand sa largeur le permettrait. Comme ils cherchaient comment en savoir plus sur leur destination avant de remonter le fleuve, Ombeline proposa de partir seule en reconnaissance dans le bourg, mais Tizian et Girolam n’étaient pas d’accord. Elle fut si convaincante qu’ils finirent par céder et la laissèrent partir, la suivant des yeux tant qu’elle fut visible.

 

Après avoir revêtu ses habits de servante, Ombeline dévala la colline d’un pas léger, et prit le bac pour se rendre sur la rive d’en face. Elle connaissait la langue du pays de Vallindras, proche de son patois d’origine et comprenait les conversations des manants sur le bateau. Le bac la déposa sur un ponton au pied du bourg, et se faisant passer pour une paysanne venue acheter des poules, elle se mit à déambuler dans les rues avec un panier sur la hanche. Elle parlait à droite ou à gauche à qui voulait bien lui répondre, et écoutait les habitants qu’elle croisait, à la recherche d’informations utiles sur le pays, le roi Matabesh et sa manière de gouverner.

 

Elle repartit bredouille, mais avec deux beaux poulets et quelques légumes dans son panier, et reprit le bac dans l’autre sens pour rejoindre ses compagnons sur la colline. Pour calmer leur inquiétude pendant son absence, les deux frères avaient pris soin des chevaux. Ils attendaient Ombeline avec impatience, heureux de la revoir saine et sauve et avides d’apprendre des choses intéressantes sur Vallindras. Ils furent très satisfaits à la pensée d’avoir deux volatiles dodus à rôtir pour le repas du soir, mais se fâchèrent quand ils apprirent comment elle se les était procurés.

 

  • Quelle merveilleuse idée de ramener ces deux poulets ! Mais comment as-tu fait pour les acheter ? nous t’avions donné peu de pièces ! demanda Tizian
  • Je les ai dérobés à un riche marchand, répondit Ombeline, je l’ai souvent fait pour pouvoir manger, et j’ai aussi pris des légumes.
  • Ce n’est pas très malin, rugit Tizian, tu aurais pu te faire attraper pour vol et mettre en prison, ou même traverser par le fil d’une épée ! c’est folie d’avoir pris ces risques !
  • Qu’aurions-nous fait alors ? poursuivit Girolam lui aussi très énervé. Et après tu as osé reprendre le bac, tu as toutes les audaces !
  • Ne vous inquiétez pas, je suis très habile, rétorqua Ombeline, vexée du manque de confiance des deux frères, mais aussi flattée de déclencher leur colère, ce qui prouvait qu’ils tenaient à elle.

 

Elle leur apprit que les gens de Vallindras ne parlaient quasiment pas du roi qu’ils ne voyaient jamais, elle avait donc peu d’informations à leur donner. Matabesh avait son propre bateau amarré en aval quand il voulait traverser le fleuve pour partir en voyage et ne se préoccupait pas d’un pauvre hameau comme celui-là. Cependant les villageois étaient très bavards au sujet des effrayants oiseaux dragons. 

 

  • Ils sont gigantesques et ils ont des grands becs avec des dents, ils foncent vers leur proie et nul ne peut leur échapper, avait dit un habitant.
  • Leur cruauté est très grande, ils égorgent et tuent tout ce qui bouge, avait repris un autre.
  • Ils attrapent les petits enfants dans leurs serres et les dévorent vivants, poursuivait une femme qui en tremblait de peur.
  • Ce sont des démons ! s’accordaient-ils tous à dire.

 

En écoutant la la description d’Ombeline, Tizian et Girolam réalisèrent que les oiseaux dragons appartenaient à une espèce très ancienne, voire préhistorique, éteinte depuis des millénaires. Etonnament, il en restait peut-être quelques descendants à Vallindras qui avaient survécu.

 

  • Ces oiseaux dragons sont les gardiens de l’endroit où pousse la pimpiostrelle, poursuivit Ombeline c’est pourquoi on l’appelle aussi l’herbe aux oiseaux. C’est une plante très rare et très recherchée. Il y a toujours des oiseaux dragons en faction en haut des rochers pour surveiller. Dès qu’ils aperçoivent quelqu’un qui s’approche pour cueillir quelques tiges, ils se mettent à hurler, et se précipitent sur le voleur pour l’éliminer. D’après les villageois, il y aurait plein d’ossements là où poussent ces fleurs, mais c’est peut être une légende pour faire peur.
  • Incroyable ! s’écria Girolam, ce récit est terrifiant.
  • Seuls quelques herboristes qui apprivoisent les oiseaux dragons peuvent récolter les fleurs pour en faire des potions, qui sont toutes concoctées pour Matabesh. C’est lui qui décide qui peut les utiliser, et la plupart du temps, elles sont uniquement destinées à son usage personnel. Ce sont ces potions qui lui garantissent son pouvoir, car elles guérissent de tous les maux, c’est ce que les villageois affirment. Mais il y a une croyance qui dit que la pimpiostrelle aurait une vertu d’immortalité. En se nourrissant de cette herbe, les oiseaux dragons d’un autre âge ont pu survivre à leur extinction. Ceux qui sont là aujourd’hui sont peut être ceux qui vivaient il y a des milliers d’années, ils ont traversé les âges.
  • C’est une histoire bien étrange, voilà pourquoi Matabesh veut son herbe sans partage, car c’est un trésor inestimable. Cà explique sans doute pourquoi il protège sa plante avec des oiseaux tueurs, dit Girolam. Ainsi avec la pimpiostrelle il ne mourra pas et pourra gouverner jusqu’à la nuit des temps. Il a réussi là où notre père a échoué, Xénon n’est pas parvenu à devenir immortel, malgré son ambition et ses machinations.
  • Il semblerait que oui, approuva Ombeline. Les pimpiostrelles poussent dans des coins inaccessibles. Il faut grimper sur des rochers à pic pour les cueillir, où l’on est vulnérable et facilement repérable par les oiseaux dragons. Ce sont des fleurs de montagne, elles sont rares et difficiles à atteindre.
  • Tout ceci est très intéressant, dit Tizian, tu as fait une bonne enquête ! Nous avons eu raison de te faire confiance, merci à toi pour ton ingéniosité.
  • Mais oui, renchérit Girolam qui s’enflammait, tu n’es pas du tout rentrée bredouille ! Il faut que tu sois raisonnable une prochaine fois, mais pour aujourd’hui, nous allons nous régaler avec tes poulets. Nous savons maintenant qu’il faudra être malins pour cueillir ces fleurs. Ce ne serait pas une épreuve sinon.
  • Si vous êtes satisfaits, alors je le suis aussi, répondit Ombeline avec un grand sourire de fierté. Et maintenant, messeigneurs, que faisons-nous ?
  • Nous partons de suite ! En selle, ma demoiselle, nous avons de la route à faire, dit Girolam en riant.
  • Je remets mon pourpoint et mes bottes et je suis prête, rétorqua Ombeline en courant avec légèreté derrière un bouquet d’arbres pour se changer.

 

Ils partirent peu après et remontèrent les rives du fleuve vers le nord sur plusieurs lieues avant de trouver un emplacement favorable pour leur campement, au moment où la nuit tombait. Ce soir-là, ils dînèrent agréablement du butin de volailles et de légumes de jardin que Ombeline avait ramenés dans son panier, salade, épinards et oignons. 

 

Le lendemain matin, ils reprirent la route le long de la Sauldre et voyagèrent plusieurs jours avant que la largeur et la profondeur de la rivière s’amenuisent suffisamment pour traverser. Ils trouvèrent un tronc posé en travers des deux rives, peut-être par des braconniers, franchirent le fleuve sans encombre et pénétrèrent enfin dans le pays de Vallindras.

 

Aussitôt; ils s’enfoncèrent dans les sous bois d’une forêt de sapins et de chênes qui leur permettait d’avancer sans être vus. Quelques lieues furent parcourues à l’abri sous les branches. Ils avançaient doucement sur le sol qui montait en pente douce, en prenant soin de ne pas faire craquer les épines sèches sous les bottes ou sous les sabots des chevaux.

 

Bientôt le temps se gâta, de lourds nuages sombres stagnaient à la cîme des arbres et ne tardèrent pas à former un épais brouillard opaque. Brusquement la pluie se mit à tomber violemment et en quelques instants hommes et chevaux furent trempés jusqu’aux os. De loin en loin des éclairs jaillissaient et illuminaient les alentours, éclairant un paysage désolé. Une flamme jaillit dans le noir et la foudre tomba non loin d’eux sur un haut conifère. Ils entendirent craquer l’écorce sous l’effet de la chaleur, et aperçurent à la lumière des flammes qui s’élevèrent du tronc, une tour ronde en pierre toute proche, au milieu d’une petite clairière. Sans attendre ni même se concerter, ils se dirigèrent rapidement vers le bâtiment et poussèrent la porte en bois qui s’ouvrit aussitôt.

 

Ils se mirent à l’abri à l’intérieur avec les chevaux, pour se protéger de l’orage et des trombes d’eau. La foudre tombée sur l’arbre et les coups de tonnerre incessants avaient affolé les pauvres bêtes, elles étaient désormais transies et prostrées. Tizian et Girolam les débarrassèrent de leur charge et se mirent à les frotter avec des chiffons pour les rassurer et les réchauffer.

 

Dehors, la pluie frappait rageusement les murs de la tour, le vent sifflait et vrombissait avec force, le bruit était effrayant et résonnait dans ce lieu étrange. Le temps passait lentement et ils finissaient par avoir l’impression que le déluge venu du ciel ne s’arrêterait jamais et allait tout détruire sur son passage. La pièce ronde percée de fentes était éclairée par intermittence par les éclairs, et ils se voyaient alors, dégoulinants et glacés, serrés contre leurs montures pour trouver un peu de chaleur.

 

Soudain, une rafale violente repoussa la porte d’entrée et le vent s’engouffra en hurlant dans la pièce, les chevaux hennirent de peur, Tizian et Girolam se précipitèrent pour refermer le battant et pousser contre lui pour le bloquer des blocs de pierre qui se trouvaient par terre près de l’entrée.

 

Enfin après une durée qui leur parut interminable, l’intensité de l’orage diminua peu à peu, mais la pluie continua à tomber sans relâche. Quand les chevaux se furent un peu calmés, ils les laissèrent se reposer et ôtèrent leurs vêtements mouillés car ils avaient très froid. Ils étaient en chemise de laine, pieds nus sur le sol de pierre. Girolam sortit de sa  besace de cuir un briquet en acier et percuta un silex pour provoquer des étincelles. Il alluma une chandelle de suif qui était restée au sec au fond d’une écuelle, qui servit de lampe. Avec cette petite lumière, leur environnement leur parut moins sinistre. Ils virent le le long de la paroi des échelons de fer plantés à même le mur qui menaient à un étage supérieur. Girolam grimpa jusqu’au plafond et soulevant une trappe, disparut. Ils entendirent sa voix qui semblait venir de l’au-delà.

 

  • Il n’y a personne là haut, c’est une tour de guet, elle est habitable, j’aperçois une cheminée ici avec un tas de branches de bois pour faire un feu, et de la paille par terre. Je vais en lancer pour nourrir les chevaux. Et vous pourrez monter. Nous allons pouvoir rester cette nuit pour dormir.
  • Il faudra faire des tours de garde, répondit Tizian, les propriétaires de cette tour ne verraient pas notre présence d’un bon oeil. Restons vigilants, et faisons attention à nos précieux chevaux.
  • Personne n’apercevra la fumée si nous faisons un feu, la forêt doit être désertée par un temps pareil et maintenant il fait nuit, rétorqua Girolam qui rêvait de belles flammes chaudes.

 

Ils donnèrent de la paille aux chevaux et ressortirent quelques instants pour remplir des gamelles avec de l’eau de pluie et donner à boire aux bêtes. Puis ils calèrent bien la porte avec les pierres, et y accrochèrent quelques ustensiles  pour alerter si quelqu’un tentait d’entrer.

 

Enfin ils grimpèrent tous à l’étage, allumèrent le feu de bois dans la cheminée, et se serrèrent devant pour se réchauffer. Ils firent sécher leurs affaires en les étalant sur le sol, aussi la pièce qui était assez étouffante et sentait le renfermé fut bientôt saturée de vapeur d’eau. Outre une échauguette séparée de la pièce par une porte en bois et qui permettait de monter sur le haut de la tour par des échelons de fer, il y avait des petites meurtrières tout autour à intervalles réguliers sur le mur rond, bouchées avec de la paille. Ils dégagèrent deux ouvertures pour laisser passer un peu d’air et réduire l’humidité. Il faudrait plusieurs heures pour que leurs habits soient à nouveau mettables, et il faudrait graisser les cuirs pour les assouplir à nouveau. En attendant, ils mangèrent quelques biscuits et firent griller des châtaignes ramassées sur les chemins. La bonne odeur finit par leur réchauffer le coeur et ils se mirent à rire de leurs frayeurs de la soirée. Un peu plus tard ils s’endormirent devant le feu, l’un des frères restant éveillé pour entretenir les précieuses braises et monter la garde.

 

La pluie dura plusieurs jours et ils décidèrent de rester à l’abri dans la tour. Ils sortaient pour ramasser du bois qu’ils devaient laisser sécher avant de faire du feu et de quoi manger pour eux et pour les chevaux. La forêt était détrempée et des ruisseaux dégoulinaient de partout. Ils trouvèrent des champignons et des châtaignes qu’ils faisaient cuire dans la cheminée, mais tout pourrissait dehors. Pour passer le temps, Tizian et Girolam apprenaient à Ombeline à se battre avec une dague (elle se révéla très douée, à leur grand étonnement), et à lire et écrire. Comme ils n’avaient pas de papier, ils utilisèrent pour l’écriture l’envers de la carte, de l’encre de myrtille et une plume de corbeau trouvée par terre dans les bois. Girolam avait emporté un petit recueil de poésies avec une couverture de cuir qui servit pour la lecture. Il lui arrivait d’écrire lui-même des vers sur les pages encore vierges, lorsqu’il était inspiré par les lieux et l’atmosphère.

 

Enfin un matin quand ils se réveillèrent, le ciel était devenu bleu et limpide et le soleil brillait généreusement, le vent avait soufflé fort pendant la nuit et chassé la vapeur d’eau stagnante. Comme ils avaient perdu assez de temps, ils décidèrent de partir tout de suite et de quitter la forêt. Ils furent prêts rapidement et respirèrent avec plaisir le grand air frais du dehors. Les chevaux étaient contents de sortir eux aussi et de se dégourdir les jambes après le repos prolongé. L’humidité suintait de partout, les sabots pataugeaient dans la boue, aussi se dépêchèrent-ils d’avancer pour sortir des sous bois, dont ils trouvaient que l’air était devenu malsain et irrespirable.

 

La pente du chemin qu’ils suivaient s’élevait doucement, ils sortirent bientôt de la zone boisée et se retrouvèrent sur un plateau à découvert. Le temps était sec et même chaud, et ils appréciaient le soleil qui caressait leur peau de ses rayons bienfaisants.

 

Ils marchèrent plusieurs jours sur cette plaine rocheuse et accidentée, couverte de myrtes et de fougères, avançant toujours en direction des montagnes. Un soir, alors qu’ils cherchaient un promontoire pour leur campement, ils croisèrent un berger solitaire. Il menait son troupeau de chèvres avec l’aide de son chien vers des pâturages un peu plus haut dans les alpages. Les biquettes grimpaient partout sur les grosses pierres en bêlant et le chien les poursuivait sans arrêt en aboyant.

 

Le berger était un garçon simple qui vivait en totale harmonie avec la nature. Il promenait son  troupeau de fermes en fermes où il trayait le lait de ses chèvres pour la fabrication de petits fromages. Les paysans lui donnaient des provisions et des rigottons secs en échange du lait frais. Il fut content de rencontrer des voyageurs avec qui il partagea le dîner du soir autour d’un feu.

 

Ils firent rôtir un lapin attrapé dans la lande, et l’agrémentèrent de lait de chèvre et de fromage. Le berger racontait des légendes de la montagne, qui parfois étaient terribles et cruelles, et des histoires qu’il avait vécues. Puis il sortit sa flûte en roseau de sa besace et se mit à jouer sous le clair de lune. C’était si poétique que Girolam en avait les larmes aux yeux. Ombeline le regardait à travers ses cils mi-clos et s’étonnait de voir un guerrier aussi beau et courageux avec un coeur si tendre. Comme la mélodie était simple, elle se mit à chanter pour accompagner et la voix et l’instrument se mêlèrent dans la profondeur de la nuit, où seuls la clarté de l’astre et le rougeoiement du feu projetaient un peu de clarté. Profondément touché par la singularité de l’instant, Girolam détourna la tête pour qu’on ne puisse pas voir son émotion devant tant de beauté.

 

Quand le berger eut fini de jouer, il expliqua en toute innocence qu’il aimait ainsi improviser le soir, cela chassait les mauvais esprits et les loups. Seuls les oiseaux dragons étaient enchantés de l’entendre. Tandis qu’il jouait, ils semblaient hypnotisés par la musique de la petite flûte et venaient l’écouter. Pendant ce temps, les chèvres allaient brouter l’herbe à fleur jaunes si savoureuse et qui donnait du si bon lait. Mais de cela il ne parlait jamais à personne, car personne ne lui parlait. Lorsqu’il arrivait dans les hameaux, les fermiers se contentaient d’un bonjour et faisaient du troc avec lui, puis il repartait sans avoir raconté quoi que ce soit à qui que ce soit.

 

  • D’ailleurs, ajouta-t-il, d’aussi loin qu’il lui souvienne, personne ne lui avait jamais autant parlé que Tizian, Girolam et Ombeline ce même soir.

 

Depuis qu’il avait parlé, les trois voyageurs regardaient le berger très différemment. Ils étaient déjà ravis de sa compagnie, mais ils éprouvèrent à l’entendre une toute autre sensation. 

 

  • De quels oiseaux parles-tu, berger ? s’enquit Tizian, la voix un peu étranglée.
  • Ils ont des dents, je n’ai jamais vu d’oiseaux aussi gros ni avec des dents. Au début, j’avais peur qu’ils ne viennent tuer mes chèvres, mais ils attendent que je joue de la musique et ils ne me font pas de mal. Cela fait maintenant bien longtemps que je leur rends visite  ...
  • Sont-ils nombreux ? demanda Tizian désormais tous ses sens en alerte.
  • Il n’y en a plus que deux, répondit le berger. L’endroit où ils vivent est tout petit, mais couvert de fleurs jaunes. Quand je monte à l’alpage, je vais les voir, ils adorent quand je joue de la flûte, les chèvres mangent les fleurs, j’en cueille moi aussi, pour me faire des tisanes quand il fait froid. Tout le monde est content.
  • N’as-tu jamais rien remarqué quand tu bois ces infusions ? questionna Ombeline, on dit qu’elles guérissent les maladies.
  • C’est vrai, approuva le berger, si je me sens tout patraque, alors je bois une décoction de ces fleurs jaunes, et je retrouve la santé, et c’est pareil pour mes chèvres qui broutent. Nous faisons ça depuis des saisons et des saisons.
  • Quel âge as-tu, berger ? demanda à son tour Girolam.
  • Je ne sais pas, mais je parcours cette lande depuis fort longtemps, il me semble depuis des siècles et des siècles, mais c’est peut-être parce que je suis seul que le temps me semble si long. Les saisons passent et elles se ressemblent toutes, il y a peu de changement.

 

Les trois compagnons regardèrent le berger avec étonnement, il paraissait tout jeune.  Ainsi la légende de l’herbe était peut-être vraie, elle permettait de ne pas vieillir et assurait donc l’immortalité à ceux qui en consommait.

 

  • Et ton chien, est-il vieux lui aussi ? demanda encore Ombeline.
  • Non, je ne l’ai pas depuis longtemps, souvent je perds mes chiens, ils se font attaquer par des loups, alors un fermier me donne un chiot et j’ai un nouveau chien. Celui-ci, je l’ai depuis quelques saisons, il est malin. Maintenant que vous le dites, c’est vrai qu’on me dit souvent que je ne change pas. Mais moi je trouve que les gens changent et deviennent vieux, et même quelquefois je n’en revois plus certains qui sont morts. Ainsi va la vie, dit le berger avec philosophie. 
  • Est-ce que nous pourrions aller avec toi voir ces oiseaux ? demanda Ombeline avec douceur, je suis curieuse de voir des oiseaux fascinés par la musique. Nous monterions avec toi à l’alpage en fait.
  • Mais bien sûr, répondit le berger, je suis si seul qu’un peu de compagnie me plait. J’ai encore plein d’histoires à vous raconter … et quelques petits fromages de chèvre à partager.

 

Et ce disant, il éclata d’un bon rire généreux, heureux qu’il était de rompre sa solitude et d’avoir des auditeurs si attentifs. Le chien s’approcha du feu et vint s’asseoir près de son maître. Il avait rassemblé le troupeau pour la nuit, et satisfait, s’enroula sur lui-même et posa sa tête sur ses pattes. Sa gueule s’entrouvrit, ses bons yeux se révulsèrent, puis il s’endormit. Son souffle ralentit et il se mit à ronfler légérement, en agitant parfois les pattes dans son rêve.

 

Girolam, Tizian et Ombeline ne se disaient rien, ils ne pouvaient pas se parler à cause de la présence du berger, mais aucun d’entre eux n’avait envie de dormir, leur coeur battait trop fort. C’était incroyable d’avoir rencontré peut-être l’unique personne qui leur permettrait de cueillir la pimpiostrelle facilement, et sans même chercher.

 

Le berger lui était fatigué par sa journée et s’endormit rapidement. Il parlait et s’agitait en dormant, son visage était si expressif qu’on avait l’impression de lire en lui comme dans un livre ouvert. La nuit fut longue pour les trois compagnons qui avaient hâte de découvrir le repère des oiseaux dragons et de cueillir l’herbe magique.

 

Le petit matin se leva enfin et la troupe se mit en marche à travers la lande. Ils mirent plusieurs jours à grimper le long des chemins de montagne pour arriver enfin vers l’alpage. En haut d’une espèce de cirque rocheux, ils virent de loin les deux silhouettes des oiseaux dragons. Ceux-ci volèrent vers eux quand ils les aperçurent. Leur envergure était gigantesque et leur tête avec le long bec pointu hérissés de dents était impressionnant. Si Tizian, Girolam et Ombeline n’avaient pas été avec le berger, ils se seraient enfuis à toutes jambes. Mais les énormes volatiles se contentèrent de les survoler en poussant des cris rauques.

 

Ils laissèrent les chevaux en bas de la pente et se mirent à escalader un chemin abrupt. Lorsqu’ils atteignirent le haut de la crète, ils virent devant leurs yeux des myriades de pimpiostrelles qui poussaient un peu partout dans l’herbe et sur les rochers. Le vent soufflait assez fort à cette altitude et de gros nuages commençaient à se former.

 

  • Il faut nous dépêcher si vous voulez cueillir des fleurs dit le berger, car le temps tourne, et il faudra bientôt se mettre à l’abri.

 

Il s’assit sur un rocher, sortit sa flûte de son sac et se mit à jouer. Les oiseaux s’approchèrent et vinrent se percher sur des rochers autour de lui. Pendant ce temps, les chèvres s’étaient éparpillées et broutaient les fleurs. Tizian, Girolam et Ombeline cueillaient les pimpiostrelles aussi vite qu’ils le pouvaient, sans trop croire à ce qui était en train de se passer.

 

Le berger joua un air de flûte pendant quelques minutes, sous l’oeil attentif des deux monstres devenus inoffensifs, puis donna l’ordre de départ.

 

  • Je connais un rocher sous lequel nous pourrons nous abriter, dit-il, partons vite sinon nous serons trempés car l’orage arrive rapidement.

 

Leurs besaces remplies de fleurs jaunes, ils suivirent le berger qui cavalait devant eux avec son chien et ils se serrèrent tous sous une avancée rocheuse tandis que la pluie se mit à tomber. C’était une bonne averse. En attendant, ils se partagèrent les fleurs et en donnèrent une part au berger qui était content. Les chèvres bêlaient autour d’eux et le chien les harcelait sans arrêt. Lorsque la pluie cessa, ils sortirent de sous le rocher et saluèrent le berger qui remonta vers l’alpage avec son troupeau. Il se retourna souvent pour dire au revoir à ses compagnons, et les regarda reprendre leurs chevaux et repartir d’où ils étaient venus avec une petite pincée d’émotion.

 

Tizian, Girolam et Ombeline s’apprêtaient à faire le chemin en sens inverse pour sortir au plus vite du pays de Vallindras, maintenant qu’ils avaient réussi leur première épreuve.

 

  • Faisons galoper les chevaux, dit Girolam, leurs pattes ont besoin de courir, ils faut qu’ils se défoulent.
  • Pas sur ces chemins accidentés, ils risqueraient de se blesser, répondit Tizian.
  • Quelle chance nous avons eue de rencontrer ce berger, s’écria Ombeline toute joyeuse, c’était extraordinaire ces oiseaux sous le charme de la flûte ! Je n’avais jamais rien vu de tel et c’est bien la première et la dernière fois que ça se produira, mais j’en garderai le souvenir toute ma vie. Et la musique de ce berger était un enchantement.

 

La petite troupe parcourut la lande à bonne allure et au bout de quelques jours, ils virent les cimes des premiers arbres pointer en contrebas.

 

  • Nous avons du prendre un autre chemin, dit Girolam, je ne reconnais rien.
  • J’avais l’impression que nous avions suivi la même route, répondit Tizian, nous avons peut être dévié un peu, mais voici la forêt.

 

Ils entrèrent bientôt sous le couvert des arbres. et poursuivirent  leur périple dans l’ombre des hêtres et des bouleaux, mêlés aux chênes et aux résineux. Les oiseaux chantaient à tue-tête sous les ombrages et ils se sentaient le coeur léger. Soudain au détour du chemin, à leur grande surprise, ils rencontrèrent un groupe de cavaliers menés par le roi Matabesh, reconnaissable par les armoiries représentées sur son plastron.

 

  • Holà chevaliers, qui êtes-vous et que faites-vous sur mes terres sans mon autorisation, rugit le roi tandis que ses gardes s’approchaient menaçants, avec l’air de vouloir se battre.
  • Messires, nous nous sommes égarés et nous sommes totalement perdus, répondit Tizian d’un air contrit, alors que le fond de sa besace était garni d’une épaisse couche de pimpiostrelles. Pouvez-vous nous indiquer comment retrouver notre route ?
  • Nous avons franchi une rivière et depuis nous errons dans la forêt sans pouvoir en sortir, renchérit Girolam d’un ton plaintif.
  • Ah ça, répondit le roi en éclatant de rire, je n’ai jamais vu de pareils benêts ! comment peut-on se perdre dans une forêt, ne savez-vous pas vous repérer avec le soleil ? d’où venez-vous ?
  • Nous arrivons d’un petit pays voisin et nous nous rendons à une foire pour acheter des chevaux et des boeufs, dit Tizian, qui espérait que le roi n’irait pas soulever les couvertures qui masquaient leurs armures accrochées sur le dos de Berthe ou demanderait à voir ce qu’il y avait dans leurs sacs. 

 

Le roi regarda Ombeline qui baissait modestement les yeux. Les chevaux avaient l’air fatigués et avaient besoin de soins. A l’ombre des arbres, on ne voyait pas qu’il s’agissait de destriers, ils étaient un peu maigres après la longue chevauchée dans la montagne.

 

  • Suivez-moi donc jusqu’à mon petit château à quelques lieues d’ici, on vous offrira le gîte et le couvert. Vous pourrez y passer la nuit, et vous repartirez demain, on vous indiquera le chemin pour ne pas vous égarer et sortir de Vallindras où vous n’avez rien à faire. Vous pourrez panser vos bêtes qui ont besoin de soins, et vous reposer. Venez, ordonna Matabesh d’un ton qui ne supportait pas de discussion.

 

La mort dans l’âme, les trois compagnons durent suivre le roi, il ne s’agissait pas de désobéir à son invitation, surtout après avoir été pris en flagrant délit d‘intrusion. Matabesh vint chevaucher aux côté de Tizian.

 

  • Qui est cette belle jeune femme qui est avec toi ?
  • C’est la femme de mon frère, répondit tout de go Tizian qui voulait protéger Ombeline de la convoitise du roi.
  • Ah ça c’est bien dommage, quelle belle créature ! répondit Matabesh, je comprends qu’il l’ait choisie.

 

Puis ayant eu la réponse qu’il attendait il éperonna son cheval et prit la tête de la troupe. Ombeline sourit intérieurement de la répartie de Tizian, Girolam était trop loin pour avoir entendu la ruse habile de son frère.

 

Arrivés au petit château entouré de douves et situé au milieu de la forêt, ils descendirent de cheval et passèrent le pont levis. Tizian foudroya Girolam et Ombeline du regard.

 

  • Pas un mot, disaient ses yeux.

 

Mais ils avaient en apparence cessé d’intéresser Matabesh qui les abandonna à l’entrée du donjon. Ils se rendirent aux étables et s’occupèrent des chevaux. Ils se parlaient peu, échangeant juste l’essentiel sans aucune allusion à leur périple, puis partagèrent le repas avec les palefreniers. Ils dormirent dans la paille avec les bêtes, et purent repartir le lendemain matin munis des indications pour aller jusqu’au gué de la Sauldre et quitter le pays de Vallindras. Ils ne revirent pas le roi ni les cavaliers qui l’accompagnaient et se réjouirent d’avoir pu tromper la vigilance de Matabesh si aisément. Le roi lui-même avait déjà quitté les lieux avec sa suite, car le petit château était un relais de chasse où il ne séjournait que brièvement.

 

Le soir même ils franchirent la rivière sur le tronc d’arbre et longèrent les berges de la Sauldre vers l’amont, s’éloignant le plus vite possible du royaume de Matabesh avant de chercher un campement pour la nuit. Ils n’osaient toujours pas parler de leur butin si mal acquis, tassé dans le fond de leurs sacs, et mangèrent un maigre repas autour d’un petit feu avant de s’endormir. Ils faisaient le guet en permanence les uns après les autres, à l'affût du moindre bruit suspect, de peur que le roi de Vallindras ait lancé des soldats à leur poursuite. Ils pensaient que leur départ avait été trop facile et se méfiaient de l’intelligence de Matabesh, ils devaient redoubler de prudence maintenant qu’ils avaient accompli la première épreuve. Il leur semblait que depuis quelques temps ils étaient suivis, c’était juste une sensation mais elle n’était sûrement pas sans fondement.

 

Ils avaient raison, Matabesh n’avait pas cru un mot de ce que Tizian lui avait dit. Après réflexion, ces trois cavaliers en pleine forêt, vêtus de pourpoints de cuir et de hautes bottes, avec une femme d’une grande beauté parmi eux, n’étaient certainement pas des paysans à la recherche de bétail. Aussi par ruse les attira-t-il dans son château pour pouvoir les faire suivre par l’un de ses espions lorsqu’ils repartiraient. Il voulait savoir qui étaient ces étrangers, et ce qu’ils étaient venus faire sur ses terres. Pas un instant il ne pensa à l’herbe aux oiseaux, car il n’imaginait pas que ces voyageurs étaient venus pour quelques fleurs. D’ailleurs, les oiseaux dragons protégeaient la cueillette et aucune tentative d’intrusion n’avait été signalée.

 

Lui aussi avait entendu parler des rumeurs d’invasion, il savait qu’un magicien puissant vivant aux confins de leur monde préparait ses armées. Matabesh pensait que les trois cavaliers venaient en éclaireurs de la part de cet ennemi, dont on  lui avait dit qu’il s’appelait Jahangir. Il résolut d’organiser une réunion entre les rois des pays voisins pour mobiliser les troupes et préparer une contre attaque. Il convoqua sur le champ son secrétaire particulier Le More, et lui fit rédiger quelques parchemins. Des messagers devaient aussitôt partir chargés de ces missives et les apporter sans attendre aux rois des pays voisins. L’un des émissaires emporta avec lui la lettre destinée à Xénon.

 

 

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