Chapitre 6

Par Elka

6.

— T'en penses quoi ?

— De Manu ?

— De lui, de sa façon de voir les choses.

Apolline avait déclaré vouloir fumer une clope. Avec un sourire, tirant le paquet de cigarettes de sa poche, elle avait demandé à Callinoé de lui tenir compagnie. Il avait hésité à laisser sa sœur, imaginant la tête de leurs parents s'ils apprenaient qu'elle était restée seule dans un bar avec un inconnu du genre menteur et de l'alcool sur la table.

Sûrement que Roxanne avait eu la même pensée car elle s'était empressée de leur souhaiter une bonne bouffée de nicotine, souriant à son frère pour lui assurer que tout allait bien. De fait, après son petit monologue — ou grâce à l’alcool — Callinoé se découvrait plutôt confiant envers Manu. Il avait donc suivi Paul devant le pub et s'était assis près d'elle sur le trottoir tiède.

La douce fraîcheur extérieur lui faisait prendre conscience de la chaleur moite qu'ils venaient de quitter, autant que de l'ivresse qui lui embrumait l'esprit. Il aimait particulièrement ce moment, quand il devait cligner des yeux un peu plus fort sans pour autant que sa vision s'éclaircisse, quand il se sentait capable de tout dire et de tout éprouver sans que ça le pèse. Il huma avec plaisir le mélange d'odeurs de nuit et de cigarettes qui flottait autour, sourit quand le groupe dans leur dos explosa de rire.

Il eut une pensée chaude pour son papy Del. Il le remercia pour l'opportunité de ce voyage, pour cet instant, avant de réaliser qu'il était mort, ce qui lui pinça le cœur.

— Tu es toujours avec moi, Callie ?

Il cilla et grimaça en guise d'excuse.

— Ou Noé ? rebondit Paul. Tu préfères quel surnom ?

Elle tira sur sa Camel, ses lèvres pincées fortement sur le filtre.

— J'aime les deux. Je te laisse choisir.

— Tu es une personne très arrangeante, je t'en remercie.

Il lui sourit.

— Alors, Manu ? Répéta-t-elle.

— D'ordinaire, je n'aime pas ceux qui me disent « t'es pas en couple, tu peux pas comprendre » mais lui... je sais pas. Il avait l'air sincère. Il avait un discours ambiguë, mais j'ai arrêté de le trouver antipathique.

Elle hocha la tête. Ses yeux brillaient.

— Oui, je vois. C'est comme quand on nous disait « tu comprendras plus tard »…

— Ça c'était peut-être pas si faux, remarqua Callinoé avec un rire.

— Ouais, okay, admit-elle d'un geste. Mais pas pour tout non plus. C'est surtout qu'on nous disait ça parce qu'on avait la flemme d'expliquer. Mais je suis comme toi, globalement je déteste qu’on me balance que je peux pas comprendre. Tu veux pas d’enfants ? « Tu verras quand tu seras plus grande ». Tu aimes pas faire l’amour ? « T’as pas trouvé le bon partenaire. » Ces gens oublient qu’on est tous différents !

Le silence qui suivit fut d'autant plus lourd que Callinoé ne l'avait pas senti tomber. Il se força à paraître amusé.

— Eh beh, c'était un véritable cri du cœur !

Paul secoua la tête.

— Je me suis emportée, s'excusa-t-elle.

— T'as eu droit à tous ces discours ?

— Oui et non, dit-elle en haussant les épaules. Mais ça te fait pas cet effet de vouloir te renfoncer dans tes convictions juste pour que les autres n'aient pas raison ?

— Comment ça ?

Elle prit une nouvelle bouffée.

— Par exemple, si on te dit « Je comprends, moi aussi j'ai vécu ça. Tu verras plus tard. » mais que ça te ferait tellement chier que quelqu'un te connaisse mieux que toi-même…

— Que tu voudrais lui donner tort en te forçant d'avoir raison ?

— Ouais.

En cet instant, Callinoé voulut lui demander ce qu'elle avait réellement en tête. Paul ne lui avait pas donné l'impression d'être une personne mélancolique et voilà qu'elle observait le ciel, ou les volutes de fumée qu'elle y crachait, l'air absent.

Il ne le fit pas, cependant, parce que c'était normal de découvrir des aspects d'elle. Ils ne se connaissaient que depuis aujourd'hui, après tout, et elle lui ouvrait déjà cette porte-là. Si c'était de la confiance aveugle qu'elle lui accordait, ça le touchait profondément. Mais peut-être n'était-ce que les effets de l'alcool sur elle... ou sur lui, qui se retrouvait à imaginer tout et n'importe quoi.

— Ça dépend des situations, comme toujours. Je dirais que l'idéal, c'est juste de se souvenir qu'on peut changer d'avis, mais que c'est pas grave si c'est pas le cas.

— Ouais, c'est pas grave.

Et tandis qu'elle lui souriait et sortait son téléphone pour prendre en photo leurs pieds sur le macadam, Callinoé eut une montée d'angoisse sortie de nulle part.

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Dédé
Posté le 02/11/2019
Les discussions sérieuses devant les bars. Rah ! ça aussi, nostalgie.

La complicité entre Calli et Paul est trop mignonne. Ils se connaissent que depuis "aujourd'hui" comme ils disent et pourtant, ils sont si proches. C'est tellement naturel entre eux. C'est beau. J'en suis presque émouvu.

Je suis quand même triste pour la montée d'angoisse de Calli à la fin… Le pauvre… Tout se passait pourtant si bien. Il avait l'air de se laisser aller, de s'autoriser à être lui-même. Câlin sur lui !

A très vite pour la suite !
Elka
Posté le 03/11/2019
Paul est d'un naturel sociable, mais peut-être qu'elle aussi avait besoin de rencontrer quelqu'un de sympa :)
Après, quand il est lui-même il a ces bouffées d'angoisse. Y a aussi un truc à accepter pour lui, là-dedans.
Merci Dé <3
Olek
Posté le 22/09/2019
J'aime beaucoup ce chapitre. La discussion de Callie et Paul est très simple, spontanée et belle.
Le personnage de Paul est vraiment très agréable. Lumineuse, naturelle et mélancolique à sa façon.
Elka
Posté le 23/09/2019
Ca me fait plaisir que le personnage de Paul t'inspire tout ça <3
Rimeko
Posté le 21/09/2019
Suggestions, le retour :
"Il eut une pensée chaude " ça c'est pas une suggestion, mais c'est juste très beau <3
"— Que tu voudrais lui donner tort en te forçant d'avoir (à avoir) raison ?"

J'aime (oui, j'utilise beaucoup trop ce verbe, mais que veux-tu... !) bien cette discussion de fin de soirée, la façon dont tu oscilles entre le léger et le plus sérieux, l'humour et des sentiments plus négatifs. Je trouve ça d'autant plus cool que c'est plus "réaliste", parce que c'est rare qu'une journée ait toujours le même "ton", il y a toujours des petits pics de gêne ou d'angoisse... ça donne plus de profondeur à l'ensemble.
J'aime aussi beaucoup cette phrase : "Je dirais que l'idéal, c'est juste de se souvenir qu'on peut changer d'avis, mais que c'est pas grave si c'est pas le cas", j'aurais bien envie de m'en rappeler...
Elka
Posté le 22/09/2019
(Vais-je réellement me plaindre que tu utilises trop le verbe aimer ?)
Oui, une journée peut être globalement bonne ou mauvaise mais, dans le détail, on aura toujours du plutôt haut ou du plutôt bas, de l'énergie et de la fatigue... C'est long 12h !
Et ils ont de quoi se remuer les méninges après une journée de route, deux rencontres et de l'alcool xD
Merci pour la phrase, je suis touchée qu'elle te touche (je perds toute prose intéressante quand je réponds aux commentaires. En règle générale j'aimerais sobrement vous faire un gros hug)
Renarde
Posté le 20/09/2019
Les discussions légères et profondes à la fois de fin de soirée ! Paul s'ouvre un peu, montre un aspect moins léger que ce qu'on lui connaît.

Tout comme le chapitre d'avant, Callinoé s'enhardit et devient "José" juste pour voir. On a donc une Paul un peu plus "sérieuse" et un Callinoé un peu moins rigide.

J'aime beaucoup toutes ces nuances, tous ces possibles.
Elka
Posté le 20/09/2019
C'est les meilleures discussions, j'adore en arriver là, je trouve ça toujours très précieux ce qui peut ressortir de ces moments.

C'est marrant que tu parles de possibles parce que ma toute premières idées de romans avec ces personnages c'était de partir d'une scène et d'en écrire toutes les possibilités selon tel ou tel changement ; répondre oui ou non à une question, parler à quelqu'un ou l'éviter...
Rachael
Posté le 18/09/2019
Il est trèèès court celui-là ! du coup, ça me fait m’interroger sur la façon dont tu découpes tes chapitres… En même temps, ce dialogue est sympa, ça sonne juste. Paul se dévoile et elle n’est pas si familière qu’elle pouvait le paraître au premier abord. Sentiment d’étrangeté. Est-ce pour cela que Calinoé, à la fin, a comme une bouffée d’angoisse ?
Bon, je proteste ! Ce chapitre avait comme un petit goût de trop peu….
Rachael
Posté le 18/09/2019
Ps : je viens de capter qu'il y avait deux l à Callinoé... j'écorche depuis le début...
Elka
Posté le 20/09/2019
Oui, certains chapitres sont extrêmement courts. Je ne réfléchissais pas spécialement pour la découpe. J'avais de grandes lignes en têtes, par parties, mais au final j'ai essayé au maximum d'isoler des scènes. Je ne voulais pas tomber dans le trop long, juste pour rallonger, donc je me suis autorisée à couper quand j'avais dit ce que j'avais à dire.

Désolée pour le trop peu <3 Mais on note bien le changement chez Paul, et ça j'aime
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