Comme la veille, les explorateurs cheminaient avec peine sous les bourrasques, cernés par un nuage de fines particules que le vent arrachait, par à coup, à la terre sablonneuse. Les chercheurs et les adolescents marchaient au centre, entourés par les soldats chargés du ravitaillement tandis que Charcot tenait l’avant-poste, avec deux de ses meilleurs agents. Au-dessus d’eux, accrochées au ciel d’encre, des milliards d’étoiles scintillaient comme autant de diamants posés sur le noir velours d’un écrin ; leur éclat magnifique accompagnait le groupe qui, indifférent, clopinait avec lassitude, le dos courbé pour se protéger du vent.
Peu à peu, le sol dur et cendreux de la plaine se métamorphosa, laissant apparaître des vagues de sablon qui se transformèrent bientôt en dunes immenses. Les marcheurs redoublèrent d’efforts, ployant l’échine sous les rafales qui leur jetaient des brassées de gravier cinglantes au visage. Transpirant à grosses gouttes malgré le froid, Owen sentait ses muscles se tétaniser chaque fois qu’il franchissait un raidillon de sable ou se dégageait d’une mare de terre instable. Un cri lui fit soudain redresser la tête ; derrière la buée de son masque, il crut reconnaître Leïla et Milo qui, non loin de lui, tentaient vainement d’escalader une butte. Il accéléra le pas afin de les rejoindre, mais au moment où il arrivait près d’elle, Leïla perdit l’équilibre et tomba lourdement, l’entraînant dans sa chute.
— Tu parles d’une descente ! s’esclaffa Milo en dévalant la pente pour venir au secours de ses amis.
— Quoi ? interrogèrent-ils en chœur, car le vent avait emporté la moitié de ses mots.
— Au secours !
Les adolescents se figèrent ; avaient-ils bien entendu ?
— Au secours !
Aucun doute ! Quelqu’un appelait à l’aide !
— Où êtes-vous ? cria à pleins poumons Leïla tandis que tous trois scrutaient les alentours.
— Je suis là ! répliqua l’inconnu.
Bravant les aiguillons de sable, les enfants rebroussèrent chemin et approchèrent un groupe de soldats qui venait à leur rencontre, les bras levés comme des sémaphores. L’un d’eux leur hurla de stopper net, pointant du doigt une forme, tapie à quelques mètres ; plaquée contre le sol, Marguerite Estelas attendait, immobile, le bas du corps emprisonné dans une vague de sablon. Un des militaires avança avec d’infinies précautions, sortit une perche télescopique de son sac à dos et la tendit doucement à la captive qui l’empoigna vigoureusement avant de se laisser tirer sur plusieurs mètres. Lorsqu’elle fut loin du trou vorace, la grande femme, soulagée, se redressa avec maladresse et tapotant l’épaule de son sauveur, elle lui cria, en souriant :
— Merci ! Sans vous, j’étais foutue !
La présence de sables mouvants obligea le commandant à élaborer une autre stratégie ; afin d’éviter un nouvel incident, il ordonna que le groupe randonne en file indienne, relié par une corde attachée à la ceinture. Ils se déplacèrent ainsi jusqu’à la deuxième escale qui leur apparut au petit matin, mystérieuse et irréelle, derrière les vapeurs bleutées de l’aurore. Lorsqu’ils l’atteignirent enfin, quelques heures plus tard, ils ne découvrirent qu’un vaste bâtiment en ruine, situé en périphérie d’une bourgade à moitié ensevelie sous les dunes. Fidèle à son habitude, Charcot envoya deux éclaireurs inspecter les lieux avant d’établir le campement ; une heure après, l’équipe était attablée à l’intérieur d’un ancien réfectoire dont la toiture écroulée laissait apercevoir un pan d’azur éblouissant.
Leur frugal repas avalé, les trois ados choisirent de s’installer dans la cuisine en attendant leur tour de garde. Milo et la jeune fille jetèrent leurs sacs de couchage sur le dallage crasseux et s’assoupirent aussitôt. Malgré la fatigue, Owen, lui, ne parvenait pas à s’endormir. La température qui augmentait de minute en minute l’empêchait de se détendre et son esprit, chauffé à blanc, ressassait le cambriolage de la veille. Contrairement au commandant, il ne croyait pas qu’il y ait un voleur parmi eux ; leur communauté était trop habituée aux restrictions pour que l’un d’eux succombe à la tentation, une fois sorti de la grotte. Pour lui, ce chapardage ne pouvait venir que de l’extérieur !
Le garçon regarda, avec envie, Milo et Leïla qui dormaient profondément, allongés côte à côte sur leurs matelas de fortune. Le silence autant que la chaleur oppressaient le jeune homme qui, malgré les ronflements comiquement intempestifs de sa meilleure amie, n’arrivait toujours pas à se relaxer. Les nerfs à vif, il se décida à bouger afin de chasser l’agitation qui gagnait maintenant ses membres. « Je vais proposer au planton de prendre son heure de garde ! Au moins, ça m’évitera de ruminer pour rien… » pensa-t-il, dépité. Il se leva sans faire de bruit et sortit dans le couloir.
La lumière crue que déversaient, dans le corridor, les portes béantes de l’entrée contraignit Owen à battre des paupières. Pieds nus sur le carrelage défoncé, il avança lentement tandis que la sueur dégoulinait, telle une larme incandescente, le long de son torse et de ses bras maigres. Il chassa d’une main fébrile l’eau qui perlait à son front quand il eut l’intuition d’un mouvement. Une ombre passa, furtive, devant l’entrée. Son sang ne fit qu’un tour ; la gorge nouée, le souffle court, il atteignit, en silence, le portail où nul gardien ne veillait.
— Que faites-vous là ?
Bien que la voix dans son dos ne fût qu’un murmure, Owen sursauta comme si on lui avait hurlé dans les oreilles. Il se retourna et vit l’œil inquisiteur de Charcot peser sur lui.
— Je… il y a quelqu’un ! bredouilla-t-il en désignant l’extérieur d’un doigt qui tremblait un peu.
— Quelqu’un ?
— Oui, enfin… c’est passé très vite. On aurait dit un… une…
— Quoi ?
— Je ne sais pas, mais la sentinelle n’est plus là.
Le commandant avança sur le seuil, et jeta un regard circulaire au-dehors en déclarant :
— C’est moi qui l’ai relevé.
Soudain, un couinement bref se fit entendre. Charcot s’immobilisa, le corps en alerte.
— Là ! hurla-t-il en se lançant à la poursuite d’un invisible quidam.
Surpris, Owen hésita un instant avant de s’élancer derrière le chef de brigade.
— Prenez-le à rebours ! Il se dirige vers l’entrepôt !
Obéissant aux ordres, le sourcier se rua dans la cour tandis que Charcot pénétrait à l’intérieur de la réserve où le fugitif s’était mis à l’abri. Dedans, on n’y voyait que du feu ; après la clarté aveuglante de l’extérieur, le hangar semblait plongé dans les ténèbres des abysses. Il fallut de longues secondes à Owen pour distinguer des rangées de voitures, garées en épis, dont les nez étaient pointés vers un rideau métallique troué de rouille. Le cœur battant la chamade, le garçon avança prudemment dans une allée tandis que devant lui, le commandant inspectait les véhicules. Comme lui, Owen vérifia, une à une, les portières des autos, pensant avec nervosité que l’épaisse couche de poussière qui les recouvrait l’empêchait de voir si un individu se cachait à l’intérieur. Lorsque, après plusieurs contrôles infructueux, la poignée d’une fourgonnette céda, l’adolescent releva le hayon d’une main fébrile et s’accorda trois secondes avant de monter ; ce fut trois secondes de trop ! L’inconnu, les deux pieds en avant, bondit hors de la camionnette, bouscula Owen et disparut entre les carcasses métalliques.
— Commandant, il est là ! Il vient vers vous !
— Je le vois !
Owen se lança à la poursuite du fugitif tandis que le commandant le prenait par devant. Arrivé à sa hauteur, Charcot sauta par-dessus l’élégant capot d’une vieille Citroën et plongea de tout son poids sur le malheureux. Tous deux s’écrasèrent contre la dalle de béton, roulèrent sous le châssis d’un poids lourd, puis percutèrent l’une des immenses roues arrière en soulevant un nuage de poussière. Pendant quelques secondes, on n’entendit rien d’autre que leurs respirations saccadées résonner dans le hangar obscur. Owen se précipita alors au cul du camion et découvrit le militaire aux multiples médailles, allongé à demi sur sa proie, ses deux bras puissants encadrant le visage du captif. Devant le jeune homme qui le regardait avec étonnement, le commandant lâcha d’une voix emplie de stupeur :
— Mais ! C’est une gosse !
Jolie scène d'action, qui se déroule avec beaucoup de fluidité. Ce petit voleur m'a tout l'air d'être quelqu'un de sympathique, au final, on verra bien. Je salue le cliffhanger de la fin, qui me donne envie de continuer, encore et encore, ma lecture :D
A bientôt peut-être !
Toujours aussi bon chapitre, même si c'est dommage qu'il court, parce que je ne sais pas trop quoi dire ^^
Je tenait à te laisser un commentaire quand même pour t'encourager :D
Du coup, continue comme ça ! Je file vers la suite avec joie pour connaitre la suite de l'aventure !
À bientôt