Chapitre 6

Après avoir été félicité de tous les côtés par mes parents, leurs amis, les connaissances des amis et autres, vient enfin la remise des prix. Cela me permet (très avantageusement) d'échapper à une conversation interminable avec Celeritate, qui me faisait généreusement part de sa détresse face à sa défaite.

Je me dirige vers le podium, à trois marches, bien que le vainqueur soit le seul à monter, le seul à être récompensé.

Le Sage tient deux médailles entre ses doigts. Il fait monter la fille qui a gagné, prononce un bref discours et lui remet le disque doré, au bout d'un ruban blanc, la foule applaudit et vient mon tour.

Je marche vers le doyen, qui m'adresse un grand sourire que je sens malgré tout crispé et peu sincère. Il me fait signe de monter sur le podium et j'obéis, fier de ma victoire, puis il me passe la médaille autour du cou.

Bien que fier, je suis un peu perturbé, comme si cette place n'était pas la mienne. Stressé, je joue nerveusement avec ma médaille. Dessus, pas de nom, pas de date, pas même le nom de la catégorie.

Elle est lisse et brille tellement que je peux voir mon reflet dedans. Mes cheveux noirs sont en désordre et mes yeux, assortis, semblent sur le point de se fermer. Mes joues sont bien plus colorées que d'habitude et je semble briller de transpiration. Mais, malgré cette apparence désastreuse, j'offre mon plus beau sourire à mon reflet et lève les yeux vers la foule attroupée autour du podium.

- Bravo, commence le Sage d'un air théâtral. Bravo, puisque tu as su te dépasser, courir vite et longtemps. Tu es le seul des garçons de ta catégorie à mériter des applaudissements, et, ainsi, le seul à avoir le privilège d'accéder aux enseignements de la Base !

Le foule, bon public, tape dans ses mains, attentive comme à son habitude aux mots prononcés par le doyen, quels qu'ils soient.

- Tu partiras demain, à l'aube, poursuit ce dernier. Sans prévenir personne, à 5 heures.  Tu me retrouveras devant la porte. Tu feras tes adieux ce soir, car plus on fait durer la tristesse de quitter ceux à qui on tient, plus c'est douloureux. Prends tes affaires personnelles si tu le souhaites, c'est autorisé. Sur ce, je te félicite encore pour cette magnifique course !

Son sourire s'élargit et il tape dans ses mains - sans produire le moindre son pour autant. Les tribunes applaudissent à nouveau, et, dans la clameur, j'entends Sloane crier, Liago siffler à en casser les tympans de ses voisins. Je descends enfin du podium, brandissant fièrement cette médaille qui est la mienne au-dessus de ma tête.

.oOo.

Le soleil a disparu derrière le mur qui nous sépare de l'Extérieur, les lueurs orangées du ciel ont laissé place à un bleu sombre, la chaleur est devenue fraîcheur. La nuit est tombée. J'ai dit au revoir à Sloane, on a pleuré tous les deux, et je crois que c'est bien la première fois que je la vois verser une larme. Elle m'a fait promettre de revenir le plus vite possible, sans pour autant préciser sa définition de "plus vite possible".

Je pense sincèrement que l'absence de mes proches va être la chose la plus difficile à gérer, dans la Base, loin de ma zone, loin d'eux. Nous pourrons échanger des lettres, malgré tout. Enfin j'espère.

Assis sur le toit du réfectoire, je regarde les étoiles, mes bras enserrant mes genoux.

J'entends des bruits de pas et quelqu'un s'installe à mes côtés. Je n'ai pas besoin de jeter le moindre coup d'œil, je sais qu'il s'agit de Liago.

- C'est grâce à toi si j'ai gagné, dis-je en rompant le silence qui s'était installé. C'est toi qui m'a motivé et qui m'a donné cette force.

Il laisse échapper un petit rire. Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

- J'étais sûr que tu allais me dire ça, fait-il sans cesser de sourire. Ce qu'il faut bien que tu comprennes et que tu rentres dans ta petite tête, c'est que ce n'est pas moi qui t'ai donné cette force. La preuve, tu l'avais en toi. Ce que j'ai fait, c'est que je t'ai aidé à la faire sortir, et, plus concrètement, à l'assumer. Voilà ce que moi j'ai fait.

Je réfléchis quelques instants à ces paroles, tout en restant cependant convaincu du contraire. Liago s'allonge, sans doute pour mieux voir le ciel, et je l'imite.

- Comment je vais faire, quand tu ne seras plus là ? questionne mon ami en jouant avec les cordons de son sweat.

- A vrai dire, je me pose la même question, réponds-je avec un sourire.

Silence.

- Tu vois, Sloane, commence mon ami, ben...

Il s'arrête soudainement. Je me tourne vers lui. Malgré le manque de lumière, je remarque tout de même que son visage a changé de couleur. Comment ? Liago serait gêné ? Tout ça est vraiment exceptionnel...

- Ah, c'est gênant ! s'exclame-t-il en se cachant la tête dans les mains.

Mon sourire s'étire.

- Je crois que je suis amoureux, voilà, dit finalement Liago en tournant la tête pour éviter que je le voie.

Je me rapproche de lui et lui donne un coup de coude, amusé : je crois que c'est bien le dernier au courant ! Bien que je n'y connaisse rien, j'avais déjà remarqué quelques signes. Je l'encourage :

- Vas-y, fonce !

- Oui, mais si c'est pas réciproque, il y aura une ambiance pourrie quand tu seras de retour, fait t-il remarquer piteusement.

- Bah, à partir du moment où tu tentes, peu importe l'ambiance !

Ses lèvres esquissent un sourire rassuré.

- Je vais te laisser, dit Liago en se levant. Tu ferais bien d'aller dormir, toi aussi. Tu te lèves super tôt, demain.

- Ouais, t'as raison. Je vais pas tarder. Mais pas tout de suite, je vais rester ici encore un peu.

Il hoche la tête, avant de disparaître derrière la porte menant au couloir. Je m'allonge, les yeux plongés dans les étoiles. Une larme roule sur ma joue, sans que je puisse la retenir.

Peut-être que là-haut, il y a aussi un garçon, comme moi, qui va quitter sa famille et ses amis.

Le problème avec la lumière des étoiles c'est qu'elle met plusieurs milliers d'années pour venir... Si ça se trouve, là-haut il n'y a plus d'étoile.

De toute façon, ce n'est pas la peine de pleurer.

Je reviens ici quand je veux.

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