Chapitre 6

Par Naou

Z Y A N

Il y a dix ans, un massacre sans nom a eu lieu. Livrés à eux même, de jeunes hostim ne contrôlaient plus leur pouvoir. Des maisons ont pris feu, tuant leurs habitants sans leur laisser une seule chance de survivre. Des rivières ont débordés et détruits des cultures. Des vents violents ont démoli des constructions, envolées comme les feuilles des arbres. La terre s’est mise à trembler, brisant les ponts et les foyers. La terreur s’est emparée des peuples de chaque district.

La chasse a débuté.

Des centaines d’hostim ont été massacrés – et certains n’en étaient pas. Brûlés vif, pendus ou encore décapités, après avoir été torturés pour connaître l’identité d’autres ennemis. Les parents abandonnaient leur enfant, d’autres les livraient, car ils avaient peur que leurs descendants les tuent par accident. Les plus aimants ont fui avec leur progéniture pour les mettre à l’abri, peu importe les risques.

C’est à cette période que l’étain a été découvert : un métal qui bloque les pouvoirs.

La nature offre le contrôle des éléments à certains humains, les raisons en sont encore inconnues, mais elle met à disposition de quoi les contrer.

Les créateurs n’ont pas fait les choses à moitié.

 

Alégria ferme les paupières. Un discret sourire étire ses lèvres. Elle aime ses pouvoirs. Comment ne pas apprécier la maîtrise d’un élément ?

Les bourrasques se coupent. Je suppose qu’elle nous a entouré d’un rideau de vent pour contrer celui venant de l’extérieur.

Une boule de feu se forme dans sa paume, elle nous éclaire.

Après un instant, l’air froid fait place à une douce chaleur qui nous enveloppe. Des sourires se forment sur les visages, le mien n’y échappe pas. Alégria ne bouge plus, comme figée dans le temps. Je ne peux détacher mes yeux d’elle. Autant pour la surveiller, mais également pour la protéger.

Je tiens plusieurs heures, mais soudain, la fatigue de la journée et du voyage m’assomme. Je tente de lutter, de me concentrer sur la flamme, mais me laisse rapidement emporter, bien au chaud et, je pense, en sécurité.


***

 

Je suis le premier à émerger et me redresse brusquement. Alégria est exactement dans la même position, elle ne s’est pas sauvée, et a bien tenu parole.

Nous sommes en vie grâce à elle.

Son visage paraît humide de transpiration. Du sang s’écoule de son nez, colorant ses lèvres d’un rouge écarlate. Mes yeux s’écarquillent en découvrant sa main qui maintient la boule de feu brûlée jusqu’au poignet.

Le commandant s’approche et me salut d’un mouvement de tête.

— Ne faites pas ça, lui conseillé-je au moment où il veut la toucher. On ne sait pas comment elle pourrait réagir.

Il se retire après avoir soupiré, gardant ses sourcils froncés et son attention sur elle. Plusieurs soldats se sont réveillés et nous observent. Je me mets à sa hauteur sur le côté et l’appelle doucement. Ses yeux papillonnent, avant de s’ouvrir. Elle semble perdue, sa respiration est agitée.

— C’est le matin, l’informé-je en lui souriant.

Ses yeux se baissent sur sa main et la boule disparaît. Au même moment, une vague de froid me fait frissonner. Elle vacille, puis tombe en arrière. J’empêche sa tête de rencontrer le sol juste à temps, avant de la poser délicatement sur le dos. Elle prend de grandes inspirations et tient sa main contre elle en grimaçant.

— Préparer les paquetages, ordonné-je. Lika, fais couler de l’eau sur sa brûlure.

Je pose la main sur son épaule.

— Dis-moi dès que tu te sens prête à reprendre la route.

Elle acquiesce avant de fermer les yeux. Je marche jusqu’à mon cheval. Je le flatte, puis pose la couverture et sa selle sur son dos.

Soudain, un cri déchirant me parvient. Je me retourne d’un bon.

— Pourquoi ? On avait un marché ! hurle-t-elle en pleurant.

Effaré, je découvre les menottes autour de ses poignets. J’imagine la douleur qu’elle doit ressentir contre celui qui est brûlé.

— Libérez-la tout de suite ! crié-je, révolté.

— C’est une hostim ! L’accord ne tient plus.

— Peu importe, vous lui avez donné votre parole.

Je saisis l’avant-bras d’Alégria et maintiens la menotte pour que le métal ne touche pas sa peau calcinée.

— Je vous ai tous sauvés ! pleure-t-elle.

— Commandant, vous avez la vie sauve, les chevaux et elle est gravement brûlée. Elle a largement payé sa dette.

— Non. C’est une hostim, elle sera exécutée.

Alégria tremble de tout son corps. Sa respiration s’emballe. Son regard suppliant me prend aux tripes. Ses yeux me poignardent de douleur et de terreur. Elle tente de se redresser, prise de panique.

— Alégria, calme-toi.

— Ils… ils vont me tu… tuer.

Lika prend le relais pour tenir son poignet et la menotte, tandis que Maïké place sa tête sur ses cuisses et pose sa main sur son front pour la calmer. Je me relève et approche de cet homme sans scrupule.

— Commandant, si vous ne la libérez pas, je répendrai la rumeur qu’une hostim vous a sauvé la vie ! le menacé-je.

— C’est une hostim ! se défend-t-il.

— Comment voulez-vous que vos hommes vous respectent quand vous ne tenez pas parole face à une gamine ? C’est lamentable !

— Ne vous en faites pas pour le respect de mes hommes. Ils me suivraient jusqu’au bout du monde. Je vous rappelle qu’une hostim n’est pas soumise aux lois des districts, elle n’a aucun droit !

— Peu importe ! Bon sang, vous lui devez la vie !

Mes soldats se placent en arc de cercle derrière moi en brandissant leur épée dès que je dégaine la mienne. Mon regard provocateur bloque sur le commandant. Ses lèvres se pincent, il hésite. Ses soldats se tiennent derrière lui, prêts à intervenir également. Nous sommes en nombre inférieur et je ne connais pas leur niveau d’entraînement.

— Elle a payé sa dette, répété-je. Prenez également le cheval qu’elle montait. Je suis persuadé que vous connaissez la réputation de l’élevage Branson.

Soudain, mes soldats répètent en chœur « elle a payé sa dette ». Le commandant prend une grande inspiration. D’un signe de main, il ordonne à ses soldats de baisser leurs armes.

— On lève le camp.

Tout le monde s’active. Pour la forme, je le remercie quand même et lui demande la clé. Je l’attrape en vol, puis m’empresse de libérer Alégria. Elle nous remercie en pleurant. Sa main saine s’agrippe à celle de Maïké. Je vois des sourires étirer les lèvres de mes soldats.

— Préparez-vous à partir, les informé-je.

Ils s’exécutent rapidement. Lika donne à boire à Alégria, puis en verse sur sa blessure. Elle gémit en serrant les dents.

Dès que tout le monde est prêt, je reviens vers elle.

— Comment tu te sens ?

— Faible, mais ça va, murmure-t-elle.

— Tu peux marcher ?

Elle se relève, aidée par les deux femmes et semble stable. Je monte sur mon cheval et demande à deux soldats de l’installer devant moi.

Les derniers s’assoient sur leur monture et nous nous mettons en route. Le ciel s’est complètement dégagé, nous offrant sa magnifique couleur bleue. J’inspire à plein poumon l’air frais. Quelques kilomètres plus tard, Alégria bascule vers l’avant. Je la retiens par la taille tout en arrêtant ma monture.

— Alégria ?

Elle ne réagit pas. Je tourne son visage vers moi, lisse et inerte. Elle a perdu connaissance.

 

Pendant une pause, je l’allonge sur une couverture. Les soldats s’approchent de moi et m’interpellent.

— Commandant, nous savons que vous êtes le seul à décider, mais seriez-vous enclin à garder son secret ?

Surpris, je les observe tour à tour. Ma poitrine se gonfle de fierté face à leur demande. Peut-être que j’ai vraiment réussi leur éducation.

— Je suis tout à fait d’accord. Elle n’a jamais fait de mal à personne.

Tout le monde sourit, avant de partir se ravitailler en eau. Les ventres ont faim, mais il faudra attendre d’être arrivé pour les satisfaire. Je me tourne vers Alégria qui dort paisiblement. Cette fille n’a rien demandé à personne et a été prise dans une tornade incontrôlable. J’espère sincèrement que sa situation va s’arranger, car elle le mérite. Elle a sauvé douze personnes en prenant le risque d’y laisser la vie, ce qui demande beaucoup de courage, même si elle voulait avant tout épargner la sienne.

 

 

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enahis.hayl
Posté le 06/09/2020
Ooh ce commandant, je le ferais bien. Contente de plus avoir affaire à lui, même si je me doute qu’il n’a pas fini de me gonfler.

Alégria est épatante, enfin son pouvoir l’est. Bon okay elle aussi après tout elle a tenu des heures durant pour maintenir ces personnes en vie.

J’aime tjs autant ta fiction, Anouk👌🏻
Naou
Posté le 06/09/2020
Merci ma belle 💜
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