Chapitre 6

Par AliceH
Notes de l’auteur : L'Administration commence à montrer certaines failles...

– Mais qu'est-ce que tu bordelles ?

Louise regarda Arsinoé d'un air totalement indifférent et continua à le couvrir de gros sel tout en marmonnant quelque chose alors que ce dernier émergeait d'un lourd sommeil. Après avoir noté qu'elle portait un arsenal d'armes plutôt impressionnant à la ceinture, le démon décida de rester calme et d'attendre qu'elle finisse ce qu'elle faisait. Elle finit par reculer d'un pas pour effectuer quelques réglages sur ses Goggles, concentrée sur les informations qu'elle recevait par l'oreillette, les sourcils froncés. Puis, elle souffla tout l'air que ses poumons contenaient et s'affala dans un vieux fauteuil en brocart rouge et doré sans piper mot. Arsinoé releva la tête et demanda sans être sûr d'obtenir une réponse :

– Est-ce que tu as fini de me prendre pour un hareng ou tu vas chercher du citron et des pommes de terre ?

– J'essayais de t'exorciser. Le sel est un ingrédient purifiant, grommela-t-elle en regardant par la fenêtre, les pieds sur l'accoudoir.

– Si t'essayais de me rendre malade, me tartiner de piment fort aurait été plus efficace. Je peux me lever quand même ?

– Oui, car c'est l'heure du petit-déjeuner et nous aurons besoin de forces pour tenir bon face à l'oppression psychologique de l'insupportable Louise Von Kraft ! cria Dewey depuis la cuisine adjacente.

– Je crois qu'il m'en veut toujours pour le bracelet hier... déduisit brillamment la jeune femme. Et peut-être aussi pour l'avoir également couvert de sel avant toi. Ou bien pour avoir cassé la vitre de la porte d'entrée de la bibliothèque pour entrer ce matin.

– Oh, non, il n'oserait pas, qui serait rancunier pour aussi peu ? Bonjour Dewey.

– Bonjour. Crêpes, confiture, thé ? articula le bibliothécaire en baillant.

– J'ai déjà mangé Rustedhook, l'avertit sèchement la Demon Delender qui prit place sur une chaise avant de poser ses pieds chaussés d'énormes bottes en cuir croûté sur la table couverte de nourriture.

Son interlocuteur se contenta de boire une gorgée de thé sans répondre. Il lança un regard mauvais (et terriblement myope) à Louise puis avala une première crêpe. Arsinoé détourna le regard de Dewey pour éviter d'être ébloui par son « audacieuse » (1) association de couleurs et de motifs de sa tenue qui se composait d'un pantalon en velours côtelé jaune moutarde roulé jusqu'à la cheville, ce qui dévoilait des chaussettes à rayures vertes et bleues pastel et mettait en valeur des godillots également jaune moutarde à lacets violet vif. Pour ne pas avoir froid, il avait mis une chemise rouge à losanges orange clair, et par dessus, un pull en maille vert bouteille. Alors qu'il ne pensait ne jamais pouvoir avoir une pensée commune avec Louise, celle-ci posa avec précaution une question qui s'imposait à lui :

– Dewey, est-ce que... tu es daltonien ?

L'aimable sourire forcé du bibliothécaire et le « Non » qu'il chantonna signifiait clairement qu'il avait choisi cet accoutrement en toute connaissance de cause et que ceux qui critiquaient ses goûts vestimentaires pouvaient passer par la fenêtre de cuisine. Le démon cacha son hilarité en gobant une crêpe à la confiture de myrtille. Une fois le repas fini, Louise les harangua pour qu'ils viennent chez elle pour « être sûrs d'être prêts et pour être assurés que ce démon ne se révèle pas être plus puissant qu'il ne semble... pas l'être du tout », ce qu'ils acceptèrent à contrecœur. Dewey offrit à Arsinoé de lui prêter quelques vêtements et, par un extraordinaire hasard, le démon réussit à se trouver des habits sobres, assortis et à peu près à sa taille. Ils sortirent en laissant la porte ouverte car, comme l'avait dit le bibliothécaire : « De toute façon, maintenant que Von Kraft a pété la vitre, tout le monde peut entrer. T'as intérêt à me payer la réparation quand même hein. En plus j'ai une sonnette juste là. », ce à quoi elle répondit : « AH ÇA VA J'AVAIS PAS VU ! »

– Oh, c'est beau ! C'est quoi ? s'ébahit Arsinoé en s'arrêtant au beau milieu de la rue pavée.

Il pointa l'objet si merveilleux du doigt pendant trois bonnes secondes, le temps que les deux humains décident s'il blaguait ou non, pour finalement lui répondre à l'unisson :

– C'est un lampadaire.

– Oh ! Les nôtres ne sont pas aussi... propres. Ni beaux. On dirait juste de grands bâtons en métal qui puent la pisse alors que là, ils sont... bien ouvragés et... rouges, expliqua le démon en caressant avec cérémonie le réverbère. Et ça, c'est quoi ? continua-t-il en montrant une nouvelle fois quelque chose de l'index après deux pas.

– Une poubelle publique, lui apprit Louise, qui soupçonnait le démon d'être un p'tit peu con, selon ses propres termes.

– Oooh ! s'émerveilla le démon. Et ça, c'est- ?

– Pourrait-on avancer maintenant ou va-t-on devoir expliquer à notre ami l'ahuri tout ce qu'il voit ? asséna Louise qui avait son visage plongé dans sa paume. On fera du tourisme plus tard.

– Oui. Oui, je... D'accord.

Il ne fallut manquer de disloquer les épaules d'Arsinoé que quatre fois pour le faire avancer jusqu'à L'Armetelier qui se situait dans une église de quartier désaffectée, plantée au beau milieu d'une pelouse bien entretenue. Depuis cette partie en hauteur de Williamsburg, on voyait les quartiers en contrebas et la périphérie de la ville, notamment les dizaines et dizaines de cheminées d'usine brillantes qui crachaient une fumée noire. La façade et la cheminée blanches de L'Armetelier se détachaient clairement sur l'horizon de même que son toit bleu, sa porte verte, et ses vitraux rouges et jaunes qui ressemblaient à s'y méprendre à des écailles de dragon.

Louise leur intima de ne pas bouger et monta les deux marches qui menaient à l'entrée avant de s'engouffrer dans le bâtiment et crier quelque chose qu'ils ne comprirent pas. Quand elle revint, ce fut avec un homme à la carrure et au visage de boxeur poids-lourd en fin de carrière, le genre qui vient de conclure un divorce houleux avec son ex-femme : la peau brune, les épaules larges comme une commode, les bras aussi gros qu'une botte de poireaux et une barbe poivre et sel qui lui couvrait tout le menton. Une paire d'yeux noirs en amande se posèrent sur Arsinoé qui ne put répondre que par un sourire crispé, son propre regard fixé sur le nez cabossé de la personne en face lui. Il ferma les yeux alors que le nouveau venu s'approchait à pas lourds. Il put entendre sa voix de stentor lui dire :

– Entrez, j'ai fait du café.

__________

– Vous avez du café quelque part ? demanda Luc, agrippé à son mug blanc comme une moule à son rocher.

– Il y avait un vendeur ambulant de café ici il y a encore deux heures, mais je crois qu'il a explosé à cause de ce petit incident, siffla W.Asser du Secteur IV, Architecture, Urbanisme et Transports. Vous avez quelque chose à dire pour votre défense, au moins, Luc Ifer ?

– J'ai pas fait exprès. Non, mais, vraiment. Et puis, j'avais mes seuls collaborateurs qui étaient en train de rechercher un vieux dossier dans ma Salle de Tri, alors... Je n'ai aucune idée de où ils sont. Et, à ma grande surprise, je crois même que je ressens de l'inquiétude à leur sujet.

– Vous êtes trop bon, on voit que vous étiez un ange avant de vous « reconvertir », persifla-t-elle en mimant les guillemets. Est-ce que vous voyez des morceaux d'eux quelque part ?

La question était sans nulle doute indispensable, quoique stupide : la chaussée et les trottoirs étaient remplis de débris divers, d'énormes couches de poussière et de minuscules morceaux de briques et de verre. Les badauds et journalistes qui étaient de plus en plus nombreux sur l'Avenue Vogon n'aidaient aucunement Luc et Raspoutine à noter un détail important qui leur permettrait de savoir si Miss Fortune et Sir Prize étaient quelque part dans cette rue, en un seul morceau ou quarante-deux.

– Non, avoua Luc après avoir inspecté les lieux du regard.

– Vous avez vos papiers d'Inspection des Tuyaux d'Tri ?

– Non.

– Comme je m'en doutais, je les ai demandés directement au bureau concerné. Les voilà, soupira W.Asser du Secteur IV (2). Vous n'êtes pas du tout aux normes. Vous n'avez pas été inspecté depuis 82 ans. Or, les inspecteurs viennent tous les trois ans, et il y a eu une réforme des Tuyaux de Tri il y a dix ans. Quelque chose à dire pour votre défense ?

– J'étais occupé. Et la sonnette est en panne, répondit Luc qui cherchait désespérément de la caféine au milieu des lambeaux de tissu et fragments de papier à lettres.

– Vous êtes sensé dire à mon Secteur quand la sonnette est en panne, Luc Ifer ! lui rappela sèchement son interlocutrice dont le visage cuivré virait au rouge sous l'effet de l'énervement.

– Je l'ai fait ! Personne n'est venu ! 

– Oh que si ! J'ai les quatre avis de passage avec moi ! continua-t-elle en sortant une nouvelle feuille du classeur qu'elle tenait contre elle. Tous disent la même chose : « J'ai sonné, personne n'a répondu. »

La stupidité des membres de son propre Secteur sembla soudain frapper W.Asser du Secteur IV, qui se tut et eut un regard de poisson rouge durant deux bonnes minutes. Elle secoua finalement la tête et grommela dans sa barbe avant de se redresser et d'admettre :

– Bon. Je n'ai peut-être pas de leçon à vous donner en fin de compte, mais vous aurez une amende pour non-conformité aux lois. Et vous avez intérêt à rester avec les Secours Sataniques jusqu'à ce qu'ils finissent de tout dégager, au cas où ils trouveraient le corps d'un de vos collègues.

– Mais je...

Elle ne le lui laissa pas le temps de finir sa phrase et repartit à petit pas au milieu du carnage, laissant Luc et son chat les bras ballants. Il entendait les journalistes discuter entre eux, et le rire doux de La Mort, et les sirènes des Secours qui s'approchaient.

Il se sentait soudain très las.

Et il n'avait toujours pas de café.

__________

Arsinoé n'osait pas lever les yeux de ses doigts, pas plus qu'il ne bougeait les jambes ou les mains de peur de commettre un impair quelconque qui pourrait pousser Louise à l'assommer avec une poêle. Son père Léonce posa quatre cafés sur la table, dont un juste devant le jeune démon. Ce dernier titilla le liquide sombre et odorant du bout de la cuillère puis se décida à en boire une gorgée qu'il recracha aussitôt dans l'évier juste derrière lui.

– Désolé, posa la voix calme de Léonce. Je voulais vérifier si le sel n'avait vraiment pas d'effet sur toi.

Achevez-moi.

Bon prince, Dewey lui tendit sa propre tasse quand Arsinoé se rassit et il put en boire quelques petites gorgées. Louise était restée impassible durant toute cette scène sous le regard affectueux de son père. Elle finit par s'éclaircir la voix et lui demander en pointant le démon de l'index :

– Ton avis sur lui ?

– Inoffensif. Et un peu bache, se contenta de répondre son père.

– Bien ce que je pensais. Tu as pu téléphoner à la Ligue ?

– Oui, je l'ai fait. Une vieille dame m'a fait comprendre au bout du troisième appel qu'il fallait que tu ailles à Beauxjardins, sur la côte Ouest.

– C'est à deux jours de route ! s'indigna la jeune fille. On ne peut pas risquer de laisser un un un... un démon, même idiot comme lui, rester ici. Dans ce monde.

– Tu as ce que tu mérites ma Louise. C'est toi a agi dans la précipitation en menottant un démon et un humain avec ces bracelets en mercure, il est juste que ce soit toi qui règles cette affaire, trancha Léonce en se relevant de sa chaise.

– Mais P'pa !

– Tu es assez grande pour savoir te débrouiller toi-même. En plus, tu n'arrêtes pas de dire vouloir prendre ton indépendance et c'est une occasion pour toi de me prouver que tu peux agir seule. Sur ce, si tu m'excuses, j'ai du travail.

Léonce von Kraft quitta la pièce après un bref salut à ses invités et descendit les escaliers qui menaient jusqu'à l'ancienne nef où se trouvait le comptoir de commandes, la boutique et l'atelier dans lequel travaillaient une dizaine d'ouvriers et ouvrières. Face à l'air dépité de la jeune fille, Dewey laissa échapper un petit rire sardonique. Néanmoins, il se tut vite quand elle le darda d'un regard noir. Puis, elle sortit elle aussi de la cuisine et suivit son père. À présent seuls dans la pièce, Arsinoé et le bibliothécaire restèrent murés dans le silence, plongés dans la contemplation de leurs tasses. Un bruit dans l'escalier attira leur attention et quelque chose ouvrit la porte de l'extérieur avant de s'engouffrer dans la pièce. Puis un couinement apeuré traversa les lèvres de Dewey qui recula son siège précipitamment, le visage blême. La cause de son angoisse se dévoila tandis que le démon jetait un œil sous la table : Kaiser, l'imposant chien à poils longs des Von Kraft, posa la tête sur ses genoux et remua la queue.

– J'ai peur des chiens, avoua le bibliothécaire dans un murmure.

J'avais cru deviner, oui, songea Arsinoé en caressant le crâne de l'animal apparemment pas farouche. Il sourit pour la première fois depuis bien longtemps. La présence simple de cet animal suffisait à le réconforter un tant soit peu dans son voyage chaotique, et cette gentillesse animale le changeait du sarcasme de Dewey et du mauvais caractère de Louise.

__________

– Messieurs Dewey Rustedhook et Arsinoé... Nemo ?

Le bibliothécaire hocha vivement la tête devant l'air suspicieux de l'homme derrière le guichet de la Gare Centrale de Williamsburg. Avec tous deux un sourire forcé aux lèvres, ni lui ni Arsinoé n'avaient fière allure. Il fallut à Dewey une bonne bouffée d'air avant qu'il ne réexplique la raison de leur venue :

– Je suis venu prendre trois billets pour Beauxjardins à mon nom. Rustedhook donc.

– Vous comptez partir quand ? soupira l'homme devant eux qui s'appelait Puisjevousaider? si l'on se fiait au badge épinglé sur sa poitrine.

– Demain matin. Cela reviendrait à combien ?

– Vous bénéficiez d'une réduction quelconque ? Professionnel, moins de vingt ans, personne d'âge mûr ? lista Puisjevousaider? sans même lever les yeux de sa machine à calculer, qui ressemblait à une machine à écrire mais en bien plus compacte.

– Non, répondit aussitôt Dewey tandis que son voisin allait lui lancer qu'il entrait plutôt dans la catégorie «  Personne d'âge mûr » à défaut de trouver une catégorie « Décédé-mais-revenu-sur-Terre-Satan-sait-comment-et-pourquoi ».

– Très bien... Ça vous fera deux Leloups et un grand Fitzgerald. Vous n'oublierez pas vos papiers d'identité à bord du train, marmonna Puisjevousaider?.

– Nos papiers d'identité ? ne put s'empêcher de répéter bêtement Arsinoé.

– Pour passer la frontière des régions. C'est une simple formalité. Vous payez en chèque ou en espèces ?

– En esp- Ouille ! Quoi ? pesta le bibliothécaire à voix basse tandis que le démon lui donnait un coup de pied dans les chevilles.

– Tu penses réellement que je vais pouvoir aller à Beauxjardins sans papiers ? Ou bien tu crois peut-être que j'ai des papiers d'identité quelconques sur moi là ? J'ai déjà pas de sous-vêtements propres, alors des papiers d'identité valides ici, je ne pense pas, non.

– Merde ! Nous...» débuta Dewey avant de voir que Puisjevousaider? avait fait passer une famille de sept personnes devant eux et ne leur prêtait plus aucune attention.

Dépités et anxieux à l'idée d'avouer leur échec devant Louise et Léonce von Kraft, tous deux quittèrent la gare d'un pas traînant surtout Arsinoé qui restait bouchée bée et était très occupé à admirer les passants, les kiosques, les vendeurs de biscuits, les vendeurs à la sauvette, les mendiants, les vitraux colorés de la gare, les poutres de la gare, les trains, les collègues de Puisjevousaider ? (qui portaient le même nom, étrangement), les quelques voitures au dehors, les machines à poinçonner les tickets de train, les boutiques de souvenirs et autres joyeusetés ordinaires. Dewey dut le traîner de toutes ses maigres forces hors de l'immense bâtiment où le démon contempla la magnificence des embouteillages du centre-ville. Alors que le jeune homme aurait voulu revenir dans son quartier en prenant le Dragon Tapi, le tramway de Williamsburg, il dut renoncer à cette idée par crainte de devoir traîner le démon par la peau du dos.

_____

– Bonsoir ! salua Sir Prize en s'approchant du comptoir du Café o' Clock, situé à quelques pas de l'Usine 1, au cœur de la vallée juste à côté de la rivière Cheule.

Sa collègue lui adressa un regard noir pendant qu'elle essuyait ses mains tachées de farine, café et nettoyant ménager dans son tablier qui n'était pas de première jeunesse. Elle attacha ses cheveux en une queue de cheval approximative et s'approcha de lui, les dents serrées :

– Que désire Monsieur ?

– Un whisky, la journée a été dure.

– Ah bon ? Avez-vous dû chasser un rat gros comme un chat hors de votre buanderie tout en évitant de vous faire mordre et avoir la rage et en mourir ?

– Vous ne pouvez pas mourir de la rage Miss Fortune, vous êtes déjà morte, lui rappela son collègue à mi-voix. Et j'attends mon whisky.

Après avoir grommelé, la démone partit derrière le comptoir et revint avec la boisson demandée. Elle jeta un coup d’œil à Lola, la propriétaire du café alors occupée à nettoyer son comptoir avec un chiffon : ainsi, elle décida qu'elle pouvait discuter rapidement.

– J'en ai assez de ce cirque. Cela fait déjà plus d'une semaine que l'on est ici et à part récurer des fonds de casserole, je n'ai rien fait de bien édifiant. Je n'aurais pas du vous suivre. Tout ça pour... pour quoi déjà ?

– Sauver notre dimension ? Vous avez déjà oublié que l'Enfer est sur le point d'être éclaté en mille morceaux et qu'aucun d'entre nous n'en sortira... indemne ? demanda Sir Prize hypothétiquement après avoir longtemps hésité à dire « vivant », ce qui était un état depuis bien longtemps caduc dans leur cas.

– Je ne vois toujours pas très bien le rapport entre venir dans une vallée industrielle pour se salir les mains à l'usine ou à la cuisine et celui de passer pour des héros à notre retour. D'ailleurs Lola me demande souvent de parler de mon passé et de « notre village natal à l'Est » comme vous leur avez fait gober à notre arrivée, or, je ne me vois pas lui dire que ma concierge a quatre bras et des canines pointues, lui rétorqua sa collègue.

– Votre concierge est-elle un mélange entre un vampire et... une autre créature ? Enfin, tout cela n'est pas pertinent pour le moment. Ayez confiance en moi. Je sais ce que je fais, vous n'avez qu'à me suivre sans protester. Après tout, vous ne vous êtes jamais rebiffée contre Luc depuis toutes ces années, alors il n'y a pas de raison pour que vous vous rebellez maintenant. Surtout que vous ne savez pas comment rentrer chez nous.

– Est-ce une menace ? laissa-t-elle échapper, les muscles soudain tendus.

– Un fait, sourit-il après avoir bu une longue rasade de whisky. Vous êtes indispensable à ce que je projette et je vous donne ma parole que vous partirez d'ici saine et sauve et sans avoir été pourchassée sous une pluie de gros sel ou d'eau bénite par une foule en rage.

– Que vaut la parole d'un démon ? demanda-t-elle une nouvelle fois.

– La valeur que vous daignerez lui accorder. Je vais devoir y aller. Les portes de la résidence ouvrière ferment à vingt heures trente, et je dois encore traverser une bonne partie de la vallée en train pour y arriver, nota-t-il en quittant son siège à son tour. Bonne soirée à vous.

Miss Fortune prit l'argent qui lui tendait puis lui rendit ses salutations, le rouge aux joues. Non pas à cause de la chaleur qui régnait, non pas à cause du sourire charmeur et déstabilisant de son collègue, mais bien à cause de la colère. Certes, elle savait bien que les cachotteries et le dédain étaient part du caractère de Sir Prize mais cela ne signifiait en aucun cas qu'elle appréciait être traitée avec condescendance et encore moins mise à l'écart de projets la concernant. Après tout, elle était une démone comme les autres et si elle avait un rôle à jouer dans la sauvegarde de son univers, elle voulait en savoir tous les détails ! Elle fut sortie de ses pensées par sa patronne qui l'envoya prendre les commandes de trois nouveaux venus. Le Café O'Clock était bien souvent déserté la journée mais en soirée il devenait le repaire des ouvriers de l'Usine 1 qui était la plus grande de la région, lui avait-on dit. Cela n'empêchait en aucun cas ceux qui y travaillaient d'avoir une allure profondément misérable, que ce soit à cause de leurs visages creusés et vieux avant l'âge, ou leurs vêtements usés et tâchés. Miss Fortune prit sur elle pour ne pas suffoquer dans l'odeur de cigarette qui flottait en l'air et se concentra sur son travail pour tenter de mettre son cerveau sur pause.

_____

(1) Mot qui, employé entre guillemets, signifie « odieuse » , « horrible » ou même « atroce ».

(2) La précision du Secteur est primordiale, puisque sa sœur qui s’appelle également W.Asser s'occupe du Secteur III, comme déjà indiqué au chapitre 1. Et oui.

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Roxane Berg
Posté le 15/04/2021
Hello,

Pauvre petit chou d'Arsinoé qui découvre les éléments de décor de la vie humaine, c'était un passage limite attendrissant ^^
Tu as changé de rythme entre les histoires, et le fait qu'elles soient plus courtes permet de mieux suivre je trouve, c'est plus fluide, plus prenant.

Petite coquille au passage : "de son propre Secteur semblant (sembla) soudain frapper"
AliceH
Posté le 07/08/2021
Merci (pour la faute et le compliment ) !
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