Chapitre 6

Basile n’aborda pas le sujet de l’altercation entre Serge Vérany et Martin Doisneau, survenue quelques jours avant le phénomène. Il devait d’abord en apprendre plus. Quel fut l’objet de leur discorde ? Quelle en fut l’issue, également ? Sans un minimum de réponses ou de pistes, il préférait ne pas en parler à Ameline. Il ne la distrairait pas dans leur objectif commun : découvrir ce qui avait touché, puis emporté Martin Doisneau. Établir une chronologie des évènements lui semblait essentiel à leur compréhension globale de l’affaire. Les Vérany étaient-ils liés au phénomène, et de quelle façon ? Antoine Calvet les couvrait-il ou n’avait-il vraiment rien découvert sur eux ? Quel élément reliait les Vérany à la 2354 ? Ameline avait parlé de Margreet, et le portrait qu’elle en avait brossé était glaçant. De quelle manière les Vérany l’avaient-ils récupérée ? Joseph la leur avait-il donnée avant son arrestation ? Basile ne leur connaissait pas de lien, mais son père était un homme secret. Basile ignorait jusqu’à l’existence même de la 2354. Et enfin, dernière question qu’il se posait : comment Joseph s’était-il débrouillé pour réunir des adeptes autour d’une pareille fétichisation ?

Manipulation, songea Basile, seul à son bureau.

Tous les gourous procédaient ainsi. Ils jouaient sur la fragilité des gens, sur leur détresse et leur solitude. Ils ponctuaient leurs discours des propos adéquats et les enrobaient d’une compréhension que certains qualifieraient de feinte ; il avait pourtant fallu à Joseph cerner le problème de chacun de ses adeptes pour les réunir au sein de sa secte. Que leur avait-il promis, au juste ?

« Regardez du côté des marginaux, des personnes seules, âgées, celles et ceux qui font figure de fous du village… », se remémora Basile.

L’une de ces personnes avait pu intégrer la 2354.

Un café plus tard, il chercha tous les articles locaux mentionnant des évènements étranges, voire douteux. Il élimina les titres vendeurs et dépourvus de réelles informations, analysa des chapeaux peu accrocheurs et s’abonna à des journaux en ligne pour lire l’intégralité des articles qui l’intéressaient. Il refit du café et tourna un peu dans l’appartement. Ameline avait filé sitôt leur conversation terminée, et il se sentait encore plus démuni qu’à leur arrivée à Platès. Elle avait tant de pistes à explorer, alors que lui tâtonnait. Mais peut-être en savait-elle plus long que lui. Que ne lui avait-elle pas dit, encore ? Tout à l’heure, elle l’avait surpris avec de nouvelles révélations. Il comprenait qu’elle eut hésité à les lui dévoiler ; son histoire tenait plus du conte de fées que du fait-divers, mais Basile ne se fermait pas. Il ne se fermait à rien pour la bonne raison que son père était impliqué, d’une façon ou d’une autre, à la mort de Martin Doisneau. Bien des mystères demeuraient autour de Joseph Perliot, et d’expérience, Basile savait qu’ils attireraient forcément l’attention. Voire les foudres de quelques-uns. Il pensait aux Vérany, qu’Ameline s’était mis en tête d’enquiquiner jusqu’à ce que ce ne fût plus possible – jusqu’à ce qu’Antoine Calvet mît un terme à son petit jeu, par exemple. À Antoine Calvet, justement, et ses formidables œillères – ou ses piètres qualités de flic. Et à d’autres qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion de rencontrer.

Après un énième café, Basile se remit au travail. Il s’agaça très vite de ne pas savoir précisément ce qu’il cherchait. Ameline avait parlé d’évènements étranges, sans toutefois préciser jusqu’à quand il devait remonter. Puis il tomba sur un article d’octobre 2005. Françoise Gaudreault avait signalé une présence autour de son domicile en juin 2005, à peine deux semaines avant de rejoindre la 2354. Sur place, la police n’avait trouvé ni empreintes de pas, ni terre retournée, ni fleurs écrasées, ni buissons abîmés, signe qu’aucun rôdeur ne s’y était caché pour l’observer.

— Encore une impasse, soupira Basile.

Il n’avait cependant pas dit son dernier mot, même si l’après-midi s’était écoulée à une vitesse folle et que l’église sonnait déjà les coups de dix-huit heures.

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