Chapitre 58 - L’effervescence

Dans la citadelle Agape

L’anniversaire d’Arthur et les révélations qui avaient suivi avaient jeté un froid entre Vikthor et Manon. Apprendre que Loris et Garnel étaient ses oncles n’avait pas aidé Manon à y voir plus clair. Tous les deux pouvaient se montrer impulsifs quand on touchait à leur conviction. La Kalokas avait la tête dure et Vikthor n’aimait pas devoir s’excuser. Heureusement, se croiser dans les couloirs au moment de la douche, leur rappela leur amitié et leur besoin de passer outre.

_ J’ai réfléchi en me lavant, commença Vikthor dans son telsman.

_ Parce que ça t’arrive ? le piqua Manon.

_ Je veux dire de penser, pas de te laver, surenchérit la Kalokas face à l’absence de réponse de son ami.

_ Oui j’avais compris ton humour douteux merci, commenta Vikthor.

_ Bon, excuse-moi, je t’écoute vas-y.

_ Tu es bien né en décembre ? la questionna le beau brun en s’adossant contre le mur.

_ Oui, le 18 pourquoi ?

_ Parce que, comme ton frère, ce jour-là pour tes 17 ans tu demanderas une nouvelle réunion familiale, reprit Vikthor.

_ Si tu veux d’accord, oui. C’est tout ce que l’eau t’a révélé pendant la douche ? se moqua Manon.

_ Bien sûr que non ma petite insolente. J’ai remarqué quand tu t’es énervé contre moi que la table et le mobilier ont légèrement tremblé, reprit Vikthor.

_ En plus d’être télépathe, il semblerait que je puisse aussi bouger les objets par la pensée, avoua Manon en s’adossant, enfin, elle aussi contre le mur.

_ Tu es épatante, tu peux lire dans les pensées et contrôler un esprit, mais tu es aussi télékinésiste. Ton premier don est très rare, le second est exceptionnel, mais tu ne maitrises aucun des deux correctement. Tu es régi par tes émotions, lui expliqua alors le jeune Élu.

_ Et tu veux m’apprendre à m’en servir d’ici mon anniversaire ? comprit Manon.

 _ Oui, nous avons un petit peu plus d’un mois pour cela.

_ Et qui d’autre que toi, le talentueux Élu des physés, le grand, bon, fort et ténébreux Vilkthor pour jouer ce rôle ? le taquina Manon.

_ Tu as oublié beau ! Mais oui, je pense être le mieux placé pour relever le défi.

_ J’aurais plutôt dit prétentieux, mais si tu veux allons-y pour beau, surenchérit la Kalokas.

Même à travers le mur blanc qui les séparait, Manon pouvait imaginer son sourire éclatant. Leur complicité lui avait manqué, elle était contente de le retrouver ainsi. Elle était prête à suivre ses conseils et à aller de l’avant.

_ Allez, sérieusement, allons-y, insista Vikthor.

Le jeune homme était doué, il avait appris à maitriser ses dons très jeunes et avait aidé sa sœur et son ami Sonfà à faire de même. Si la diplomatie n’était pas son fort, la patience l’était. Il savait comment s’y prendre pour jouir des dons sans entraves. On devait lui reconnaitre que son rôle d’Élu, de guide, lui allait à merveille. Il savait comment s’y prendre.

_ Nous allons commencer par un exercice simple, tu vas te concentrer sur moi et faire léviter mon telsman, débuta le physé.

_ Très bien, je pense à un truc en particulier ? hésita Manon.

_   Tu fais le vide dans ta tête et ne penses qu’à ce que tu veux soulever. Je ne veux aucun sentiment, cela doit être une action clinique dénouée d’émotions, expliqua Vikthor.

Manon s’entreprit à se libérer, à tout lâcher. Il lui fallut de longues minutes pour se recentrer sur elle-même, elle avait tendance à beaucoup réfléchir et à s’inquiéter pour les autres. Lâcher prise n’était pas évident pour elle. Cependant, à force de penser à Vikthor et à sa mission, elle sentit son pouvoir bouillonner dans ses veines petit à petit. Pour la première fois, la sensation était apaisante. Elle se sentait stimulée et non angoissée comme les dernières fois. Manon prit alors le temps de penser à Vikthor, à le percevoir derrière le mur, à ressentir son poult, sa respiration.

_ J’y suis, souffla Manon.

_ Oui, enfin tu ne soulèves pas que mon telsman, mais moi tout entier. Je suis assis en tailleur à environ vingt centimètres du sol, constata Vikthor dans son telsman.

_ Oh pardon ! s’excusa Manon en desserrant son emprise d’un coup.

_ Aïe, ce n’est pas parce que je suis doué de guérison qu’il faut me laisser tomber comme une vieille chaussette, pesta Vikthor.

_ Je mettais pourtant concentrer sur toi, précisa la Kalokas mécontente de son échec.

_ Ne te blâme pas, tu viens de porter un homme d’1m95 par la seule force de ton esprit. Je pense que tu as plus de mal à aller dans le détail. On va donc y aller différemment, du plus gros au plus petit pour affiner ton don. Alors maintenant au tour du lit et tu le reposes en silence après !

Le peu de choses que contenait la cellule de Vikthor y passa. Lui, son lit puis les deux pour commencer. Ensuite, Manon dû faire bouger le néon, qu’elle finit par réparer en prime en arrêtant son clignotement habituel. Ensuite, Vikthor l’a mis au défi de défaire son lit puis de le refaire.  Au bout d’une vingtaine d’essais, sa protégée y arriva très bien. Elle se sentait libre et vivante comme elle ne l’avait jamais été. Elle était pourtant enfermée entre quatre murs étroits, mais sous les mots de Vikthor pour la guider, elle ne s’était jamais autant sentie elle-même.

_ Et enfin, mon telsman ?  Reproposa le jeune professeur.

 À cet ordre, Manon se concentra comme jamais. Cette fois du premier coup, elle y arriva. Pour le plus grand bonheur de Vikthor qui vit son amulette virevolter dans toute sa chambre. Elle s’amusait de lui en la faisant traverser la pièce sans qu’il puisse l’attraper.

_ Tu te joues encore de moi, vilaine ! fit semblant de s’offusquer Vikthor en attrapant enfin son telsman après une course acharnée.

Manon n’avait pas pu s’empêcher de pouffer à son insulte. Pour la première fois, elle avait retrouvé son rire d’adolescente et son insouciance. Côtoyer Vikthor lui faisait beaucoup de bien. Elle aimait apprendre à le connaitre chaque jour et avait l’impression de se découvrir elle aussi à ses côtés. Le diner du soir acheva leur premier entièrement dans la bonne humeur.

_ Manon, tu poses ma fourchette ! grommela Vikthor.

Après que l’ustensile en question fût retombé directement dans l’assiette pleine de L’Élu, ne manquant pas de l’éclabousser au passage, ils dinèrent chacun dans leur chambre, assis sur leur lit. Ils avaient enfin repris leurs discussions habituelles. Ils aimaient refaire le monde et s’imaginer le parcourir ensemble avec Arthur et Solenne, dans quelques années. C’était une des nombreuses promesses qu’ils s’étaient faites comme celle de veiller l’un sur l’autre et de sortir vivant de cet enfer. Plus ils s’en faisaient, plus Vikthor tombait amoureux sans jamais vouloir lui avouer. Il savait que Manon avait déjà une âme sœur et jamais il ne l’empêcherait d’être heureuse même si ce n’était pas dans ses bras.