Chapitre 58

Par Notsil

Mayar, Temple d’Eraïm, Dixième Royaume.

La mine revêche, le sous-commandeur  Ralf considérait le groupe de Prêtresses rassemblées dans les décombres du bâtiment principal qui composait autrefois le Temple. Il était agité de tremblements spasmodiques comme il se retenait de les mettre en pièces. L’une d’elle avait déjà payé de sa vie leur incompétence.  La seule pensée que le Commandeur Éric aux Ailes Rouges apprenne ce désastre et c’était sa vie à lui qui servirait de paiement.

–Redites-moi comment vos « prisonniers », ont « disparu » dans un « éclair de lumière » ? persifla-t-il.

La Prêtresse Séliné se dressa de toute sa hauteur, nullement impressionnée par les guerriers d’élite de l’Empire.

–Peu m’importe que vous mettiez ma parole en doute. Les faits sont là. Vos escouades de Maagoïs étaient censées patrouiller dans la forêt. Et n’oubliez pas que les phénix sont bien morts. C’était le plus important, non ?

Ralf ne pouvait qu’approuver, mais sans se permettre d’être d’accord avec une telle engeance.

Pour la cinquième fois, la Prêtresse venait de lui expliquer comment ses proies s’étaient soudainement évanouies « dans une lumière blanche ». Une licorne, rien que ça. Encore de sombres histoires de magie.

En bon Maagoï, Ralf n’y croyait pas une seule seconde. La magie n’existait pas. Par contre, elle devenait drôlement pratique pour justifier les échecs… Il pesta en silence. Ses consignes avaient pourtant été claires, trouver la gamine à la peau mauve, et la ramener immédiatement à l’Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force. Il se souvenait encore de la tête qu’avait tirée son supérieur en lui remettant l’ordre de mission : il crevait d’envie d’y aller à sa place. Ralf en avait été secrètement ravi. Cette mission serait un jeu d’enfant, et bientôt, il pourrait prouver à l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, qu’Éric était loin d’être indispensable. Un Massilien, à la tête des puissants Maagoïs ? Un homme qui aurait dû être esclave ? C’était une honte.

Certes, il avait passé les épreuves, haut la main. Certes, il avait été recruté dans sa jeunesse par l’Empereur en personne. Certes, il était plutôt doué une épée à la main. Il avait battu Ralf en duel des dizaines de fois, avait déjoué des centaines de tentatives d’assassinat… Mais Ralf était patient. Un jour, Éric aux Ailes Rouges commettrait une erreur. Et ce jour-là, lui, Ralf, saurait en profiter pour prendre sa place.

S’il ne subissait pas un échec avant. Il maudit encore une fois les Prêtresses et leur insistance sur leur discrétion. Rester dans la forêt ? Ils en avaient été bien avancés ! Entre les deux escouades massacrées par un ennemi invisible (le Messager qu’ils avaient découvert pouvait-il être le seul responsable ? c’était hautement improbable), et la disparition inexpliquées de leurs cibles… Ralf n’avait pas envie de présenter un tableau si sombre au Commandeur. Il avait besoin de responsables pour sauver sa tête.

–Vous n’avez vraiment aucune idée de l’endroit où ils auraient pu aller ? demanda-t-il pour ce qu’il estimait être la centième fois.

–Si vous nous laissiez interroger Eraïm… nous pourrions peut-être vous fournir une réponse, rétorqua la Prêtresse Séliné sans se départir de son aplomb.

–Vos entourloupes de magicienne ? Hors de question de vous quitter des yeux.

–Il s’agit du sacré et du recueillement. Mes Disciples n’arriveront à rien avec vos brutes sanguinaires à côté. Vous souhaitez la retrouver, non ? Alors permettez-moi de faire ce que je sais faire.

Le sous-commandeur prit quelques instants pour réfléchir. Il avait une très grande envie de passer les Prêtresses au fil de l’épée, mais il avait besoin de remplir sa mission pour revenir avec succès auprès de l’Empereur, Orssanc lui prête sa force. Le Commandeur lui avait bien précisé qu’il était inutile de se présenter devant lui tant que la fille ne serait pas en sa possession.

–Très bien, maugréa-t-il. Je vous préviens. Mes troupes forment un cordon de sécurité autour du Temple. Si vous tentez  quoi que ce soit d’inconsidéré…

Il laissa la menace en suspens.

–Inutile de chercher à nous intimider, rétorqua Séliné avec dédain. Venez, continua-t-elle en se tournant vers ses Disciples. Nous avons du travail.

De longues heures s’écoulèrent pour le sous-commandeur. Rongeant son frein, il faisait les cent pas en lisière de la forêt, cette mystérieuse forêt où les fuyards s’étaient envolés. Des troupes d’élites, envoyées là pour attendre ! Certes, il n’avait pas voulu se conformer à leur plan d’origine. Il avait envoyé une escouade assaillir le dernier étage du Temple, en pure perte. La gamine leur avait filé entre les doigts, sous la protection des Prêtresses, celles-là même qui étaient censées les aider !

Ralf n’aimait pas les subtilités. Il aimait quand un plan se déroulait sans accroc. Mais les Prêtresses dépendaient de leur taupe dans les Douze Royaumes, et le Commandeur lui avait ordonné de tout faire pour que l’implication des Prêtresses reste secrète. Il se demandait bien pourquoi cela avait autant d’importance…

–Sous-commandeur, la Prêtresse demande à vous voir, dit soudain l’un de ses hommes.

–Dites-lui d’approcher, ordonna-t-il.

La Prêtresse Séliné s’avança.

–Je sais où elle est, annonça-t-elle avec un sourire.

*****

Druus, Premier Monde, Palais Impérial.

Seul dans l’ombre de ses appartements, Dvorking ruminait de sombres pensées. Au lendemain de la Purge, son esprit était encore tout entier tourné vers Ismélia so Kailis. Son Iko. Celle qui aurait été la mère de son héritier.

Il en aurait hurlé de rage, s’il n’y avait pas eu autant de témoins de la scène. Ne jamais montrer de faiblesse…

Il maudissait le destin, et Orssanc avec, de lui avoir toujours refusé un fils. Vingt ans qu’il désespérait. Dvorking avait eu de nombreuses partenaires ; il était impossible qu’elles aient toutes été stériles.

Il savait que des rumeurs couraient à son sujet. Alors pour dissiper ses doutes, les examens avaient été confiés  à une poignée de scientifiques triés sur le volet. Les résultats avaient été formels : Dvorking ne serait jamais père.

C’est une fois cette conviction faite qu’il avait commencé à élaborer son grand plan. La quête d’immortalité dont chaque homme de pouvoir rêvait plus ou moins secrètement, il espérait la mener à bien… L’Arköm Samuel s’était révélé d’une aide précieuse. L’Empereur n’avait pourtant pu se résoudre à lui dévoiler l’entièreté de son plan.

Jouer avec les Familles n’était rien en comparaison de son dessein ultime.

Bientôt la fille serait en son pouvoir. Même si le Commandeur pensait le contraire, Ralf serait tout aussi compétent pour la ramener au sein de l’Empire. Dvorking ne souhaitait prendre aucun risque. Éric aux Ailes Rouges lui était indéniablement d’une loyauté à toute épreuve, pourtant il descendait de cette maudite famille vouée à protéger la descendante de Félénor. Dvorking ne risquerait pas son grand plan sur un retournement d’allégeance de dernière minute.

Alors que tout se déroulait sans accroc, sous les meilleurs auspices… Ce funeste coup du sort.

Comment avait-il pu passer à côté ? Pourquoi personne n’avait rien vu… ou dit. Qui l’avait corrompue ?

Car pour l’Empereur, il ne faisait aucun doute qu’elle avait été manipulée. La douce Ismélia … Les tentatives d’assassinats qu’elle avait commanditées étaient risibles, à peine dignes d’une débutante. Quelqu’un avait sciemment voulu qu’elle échoue. Quelqu’un à qui elle avait dû se confier, car tout s’était précipité sur les derniers mois. Quelqu’un dans le Palais même, qui avait dû lui faire craindre pour la vie de son bébé.

Les imbéciles. Il serra les poings. Les analyses étaient toujours en cours, mais Dvorking n’avait aucun doute : ce fils était le sien. Quand il découvrirait qui avait monté ce coup terrible… sa rage serait dévastatrice.

Il commençait à se demander si d’autres Iko n’avaient pas subi un sort similaire pour les mêmes raisons, restées secrètes. Aurait-il pu être aussi aveugle depuis tant de temps ? A jouer avec les Familles, à comploter avec l’Arköm, en aurait-il négligé les Iko ?

Les concubines impériales étaient confinées à l’intérieur du Palais et n’avaient que peu de contacts avec l’extérieur. Seules des femmes étaient autorisées à leur service, et leur sécurité était assurée par une garde d’élite exclusivement de sexe féminin.

Jamais encore une Iko n’avait trahi ainsi les idéaux impériaux. Cette découverte avait été un coup de tonnerre.

Pourquoi n’avait-elle pas démenti ? Pourquoi n’avait-elle pas cherché à prouver son innocence ? Dvorking se montrait certes implacable lors des Purges, mais il avait voulu connaitre les raisons qui avaient poussé son Iko à l’irréparable. Ses questions n’avaient eu aucune réponse ; Ismélia s’était murée dans le silence.

Une attitude qui l’avait blessé au plus point. Une douleur qu’il avait du masquer tandis que sa Cour épiait ses moindres réactions. Une peine qu’il avait ensevelie au plus profond de son être, affichant le masque de froide indifférence qu’on attendait de lui.

Maintenant qu’il était seul dans ses appartements, il pouvait laisser libre cours à sa fureur. Sa rage l’aveuglait dans une frénésie destructrice.

Cette vermine allait payer.

*****

Hésitant, le Maitre-Espion Fayaïs s’apprêtait à faire son rapport chez l’Empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force.

Le chambellan Alistair sy Voss, à l’écoute des bruits de destruction clairement audibles  de l’autre côté de la porte, se montrait assez réticent à lui ouvrir.

–Je crains que l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, ne soit de fort mauvaise humeur, annonça-t-il diplomatiquement. Vous aurait-il… convoqué explicitement ?

–Pas vraiment, répondit Fayaïs. Je suis seulement porteur de nouvelles concernant la Fédération des Douze Royaumes.

–De quelle nature ?

–C’est confidentiel, déclara Fayaïs en se redressant.

–Est-ce vraiment… urgent ? continua le chambellan avec un coup d’œil significatif vers la porte des appartements de Dvorking. L’Empereur, Orssanc lui prête sa force, a expressément demandé à ne pas être dérangé.

Le Maitre-Espion réfléchit. En temps normal, l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, aurait certainement été ravi des informations qu’il apportait. Mais au vu des récents évènements... La moindre petite erreur, le moindre détail qui déplairait à l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, et il obtiendrait un aller simple pour l’autel sacrificiel d’Orssanc. Il était peut-être plus sage d’attendre un retour au calme. Rien ne pressait, après tout. Ses informations avaient été vérifiées maintes et maintes fois. Si la Barrière de la Fédération n’était plus, il n’y avait aucune chance pour qu’elle réapparaisse miraculeusement. Malgré son dévouement à Dvorking, il tenait encore plus à sa tête.

–Je peux attendre quelques jours, déclara-t-il enfin. Faites-moi signe quand l’Empereur, Orssanc lui prête sa force, recommencera à donner audience.

Le chambellan Alistair s’inclina légèrement, soulagé.

–Ce sera fait, Maitre Fayaïs.

Le Maitre-Espion quitta les lieux d’un pas plus léger. L’offensive sur les douze planètes était prévue de longue date, et ils n’étaient pas à quelques jours prêts. La flotte était déjà en position et le lancement de l’attaque pourrait se faire en grande pompe lorsque l’Empereur Dvorking aurait repris ses esprits. Il donnerait ses consignes en ce sens.

*****

Massilia, Neuvième Royaume, Refuge de Haute-Montagne.

Lucas considéra avec résignation les deux bancs entremêlés qu’il avait placés devant la porte du refuge. L’ensemble était bancal et ne résisterait pas à une charge poussée, mais permettrait de lui faire gagner quelques secondes. La trappe qui donnait accès aux tunnels, qui eux-mêmes formaient un labyrinthe donnant sur plusieurs à-pic, était située dans le dortoir.

Vu son état, Lucas doutait de pouvoir voler longtemps. Il profiterait des courants aériens pour traverser la vallée et rejoindre un endroit sûr. Se cacher dans la forêt serait un jeu d’enfant.

Son but était de les perdre dans les tunnels, tandis que leur petit groupe prendrait le chemin le plus direct vers la sécurité.

S’il tenait suffisamment, ils seraient irrattrapables.

Lucas n’appréciait pas les Veilleurs – et ne s’en cachait pas – mais leurs talents étaient incontestables. Ils exploiteraient au mieux chaque minute qu’il leur gagnerait.

 Il s’assit sur le banc restant, posa son épée devant lui, pointe vers le sol, et croisa ses mains sur le pommeau. Lentement, il ferma les yeux. Il n’y avait plus qu’à attendre. Et il était prêt à grappiller toutes les minutes possibles.

Il dormait profondément lorsqu’un premier coup le fit sursauter. Combien de temps s’était-il écoulé ? Il n’en avait aucune idée. Le Veilleur leur avait dit que leurs poursuivants étaient proches.

Lentement, le Messager se releva comme un deuxième coup résonnait contre la porte. Ils devaient avoir compris que l’obstacle n’était pas très solide. Il s’étira, sentant ses muscles se réchauffer doucement. L’impatience du combat commençait à s’emparer de lui, et il se força à la repousser. Il n’était plus un jeune Envoyé. Il vérifia la présence de sa dague à sa ceinture, affermit sa prise sur son épée. Il était prêt, et les attendrait de pied ferme.

Il fallut quatre coups supplémentaires pour que la porte s’écroule avec fracas. Lucas reconnut sans peine l’uniforme gris des Maagoïs. Il espéra qu’ils ne disposent pas d’un autre moyen que les Portes pour changer de Royaume. Mais avec la traitrise des Prêtresses, il n’était plus sûr de rien…

Le premier homme s’avança enfin, l’épée en garde, paré à toute éventualité. Sauf peut-être celle de rencontrer un Mecer isolé dans ce coin perdu… Lucas ne lui laissa pas le temps de faire deux pas et le cueillit sous le menton. Le Maagoï s’écroula dans un gargouillis.

–Ils sont là ! hurla son camarade derrière lui.

Le Messager s’empressa d’avaler la fiole que Sanae lui avait confiée. Aussitôt, une énergie revigorante parcourut son organisme. Quelle petite remarquable, cette Sanae !

Les Maagoïs se bousculaient pour entrer. Dans ce lieu clos, leur nombre ne serait pas un avantage, mais l’étroitesse des lieux n’était pas non plus idéale pour le Messager qui préférait les grands espaces. 

Qu’importait. Il ferait au mieux, comme à son habitude. Bientôt, il n’eut plus le loisir de réfléchir ; ses ennemis mobilisaient toute son attention.

Lucas enchainait les coups et les parades, mais il arrivait toujours plus de Maagoïs. Il égorgea le plus proche, embrocha le suivant et le repoussa d’un coup de pied sur ceux qui s’agglutinaient derrière, toujours plus nombreux. Il grimaça. Tenir ici serait impossible, il devait amorcer son repli vers les dortoirs.

Un pas après l’autre, à la fois souple et solide sur ses appuis, il entreprit de céder du terrain. La manœuvre était délicate ; s’il se laissait submerger, ses adversaires lui couperaient sa seule voie de retraite.

Tandis qu’il ferraillait, son esprit comptait les cadavres et dénombrait ses adversaires. Ils étaient nombreux, au moins trois escouades. Il pesta en silence et se demanda s’il ne s’était pas fixé une tâche trop ardue.

Un Maagoï choisit cet instant pour s’abattre sur lui de tout son poids ; Lucas ploya sous la masse avant de réussir à plonger sa dague dans le torse de son adversaire, qui s’écroula à moitié sur lui. Le Messager tituba avant de réussir à se dégager en reculant. Il eut juste le temps de remarquer que le cadavre masquait la moitié de la trappe avant qu’un nouvel adversaire ne se jette sur lui.

Son sang se glaça dans ses veines comme il réalisait que ses espoirs de fuite étaient soudainement compromis. Il expédia son adversaire au tapis, non sans récolter une nouvelle entaille sur son bras. Il devait se ménager un peu de temps pour dégager la trappe ou il était fini.

Un pas en arrière l’amena près des couchages ; il se saisit d’une couverture et l’envoya sur les trois Maagoïs en approche. Il fit suivre par les oreillers et d’autres couvertures. Tandis qu’ils se dépêtraient des tissus, il se saisit du cadavre et banda ses muscles pour le déplacer… de quelques centimètres. Il jura entre ses dents. Il était bien trop lourd ! Changeant de tactique, il le bourra de coups de pieds pour le faire glisser plus loin. D’un regard, il vit que les soldats de l’Empire repartaient à la charge : le répit n’avait que trop duré. Il se saisit du loquet, souleva la trappe et s’y glissa en repliant ses ailes au maximum.

La noirceur du tunnel était aveuglante, mais il avait tout préparé. Il tendit la main vers la gauche et se saisit du morceau de bois qu’il avait placé là en prévision. D’un geste plusieurs fois répété, il le fit glisser dans l’anneau de la trappe pour la maintenir fermée. Des coups sourds au-dessus de lui firent comprendre que son bricolage ne tiendrait pas longtemps.

Ses yeux ne s’étaient pas encore accoutumés à la pénombre, pourtant il se mit en marche, bien décidé à mettre le plus de distance entre lui et ses poursuivants. Les tunnels étaient humides et glacés ; son souffle se condensait en légers volutes, et l’odeur d’humus qui s’en dégageait lui rappelait les forêts de conifères du domaine familial.

Il se rendit compte qu’il claquait des dents ; le froid soudain et le calme relatif des souterrains avaient fait chuter l’adrénaline qui parcourait ses veines. Il trébucha sur une racine, jura en manquant de s’étaler sur le sol inégal. Il tendit l’oreille, espérant percevoir des bruits de pas, mais nul autre son ne lui parvint sinon celui de sa propre respiration, bien trop rapide.

Il avançait maintenant comme un automate : il avait discuté avec Aioros de la stratégie à adopter. Ses compagnons prendraient la première sortie ; lui devait inciter les Maagoïs à s’enfoncer profondément dans les tunnels, à en explorer toutes les voies. Jamais ils ne retrouveraient Aioros et les autres, une fois qu’ils auraient condamné leur tunnel.

Sa vision s’affinait petit à petit, mais seules les marques en relief sur les murs lui assuraient pour le moment que la direction qu’il avait choisie était la bonne. Les tunnels formaient un labyrinthe, et Lucas n’avait nulle envie de se retrouver coincé dans un cul-de-sac. Grâce à son avance, il prit le temps de déposer ça et là quelques plumes qu’il arracha à la base de ses ailes.

Les Maagoïs ne sauraient pas déchiffrer les marques, mais ils étaient suffisamment nombreux pour se diviser et explorer toutes les possibilités. S’ils se concentraient sur ses leurres, il gagnerait encore du temps supplémentaire.

Le souffle court, il négocia un dernier virage, ses ailes raclant le sommet du tunnel étroit dans sa précipitation. Toujours aucun signe de ses poursuivants. L’espoir le revigora.

Une fenêtre lumineuse se découpa devant lui ; il protégea instinctivement ses yeux de la lumière aveuglante. Son ticket de sortie était là, à une centaine de mètres. Les tunnels possédaient plusieurs sorties, qui avaient toutes un point commun : elles s’ouvraient sur un à-pic vertigineux que seuls les Massiliens savaient emprunter.

Sa vision s’emplit soudain de tâches noires ; il trébucha une fois, puis une deuxième. Il posa une main contre la paroi terreuse et glacée pour se stabiliser. Sa respiration s’était accélérée, ses jambes tremblaient et sa vision devenait trouble. Impossible de ne pas reconnaitre les signes qu’il avait déjà vécus plus tôt : l’effet de l’élixir de Sanae arrivait à son terme, et son but n’était qu’à quelques dizaines de mètres. Il en aurait ri s’il en avait eu la force.

Serrant les dents, il se força à continuer, à mettre un pied devant l’autre, à progresser coûte que coûte. Ses oreilles bourdonnaient, sa vision se réduisait au tunnel où il progressait péniblement. Il devait tenir ! Encore quelques mètres…  Il banda sa volonté, obligeant ses muscles fatigués à répondre à son appel.

Il s’écroula, à bout de force, à deux mètres à peine de la liberté. Des échos de voix lui parvinrent, lointains. Ils finiraient par arriver jusqu’à lui, mais il disposait encore d’un peu de temps. Son corps réclamait du repos. Il posa la tête contre le mur et ferma les yeux, respira cette odeur d’humus qui lui rappelait tant son enfance. Il se sentait frigorifié, et si las… Il rouvrit brusquement les yeux. Non, il ne devait pas s’endormir maintenant, juste redonner quelques forces à son corps, pour se permettre de planer en lieu sûr. Là, il pourrait se reposer avant de chercher à rejoindre Aioros et les autres.

Les voix se rapprochaient. Il n’avait plus le choix, il devait se relever et continuer. Il n’aurait aucune chance dans un combat rapproché avec son état de fatigue. Il prit appui sur la paroi pour se redresser mais son corps épuisé lui refusa tout service. Il se retint de hurler sa frustration pour ne pas orienter ses poursuivants. À deux doigts de la survie et de la liberté !

Une douce chaleur l’envahit alors et Lucas se figea, stupéfait. Cette sensation…à la fois familière et étrangère… impossible !

La chaleur augmenta doucement, réchauffant ses membres glacés, l’enveloppant comme un cocon protecteur, dissipant ses courbatures et ses douleurs, gommant sa fatigue.

Un souffle chaud caressa son esprit torturé, comblant un vide béant.

Je suis Iskor. Tout va bien. Je suis là maintenant.

Des larmes roulèrent sur les joues du Messager, sans qu’il n’en ait conscience. En cet instant, il était incapable de la moindre pensée cohérente, figé par cette onde de compassion qui se déversait en lui.

Je m’excuse, Lucas. J’agis dans ton intérêt.

Avant de réussir à esquisser la moindre question, le jeune Mecer sombra dans les ténèbres.

Quatre Maagoïs débarquèrent presque immédiatement, avec à leur tête le sous-Commandeur Ralf.

Un sourire satisfait étira ses lèvres quand il découvrit l’homme ailé à terre, apparemment inconscient.

–Tiens, tiens, comme on se retrouve… Désarmez-le et ligotez-le solidement, ordonna-t-il à ses hommes.

–Vous le ramenez au Commandeur Éric ? demanda l’un d’entre eux.

–Et lui faire ce plaisir ? Nous pouvons nous permettre un prisonnier, aujourd’hui. Il vaudra une fortune au marché noir.

–Mais… les ordres…

Ralf posa la main sur le pommeau de son épée et considéra son subordonné.

–Nos ordres sont de retrouver la gamine à la peau mauve, Aiden. Et comme tu peux le constater, poursuivit-il en désignant le gouffre devant eux, ils nous ont semés. Peut-être souhaites-tu découvrir si tu es capable de voler en agitant les bras ? susurra-t-il.

L’air pâle, Aiden recula de quelques pas.

–Je ne souhaitais pas vous manquer de respect, sous-commandeur, marmonna-t-il.

–Parfait. Alors obéis si tu veux ta part du butin. Le Commandeur n’a pas à connaitre tous les détails de cette mission. Nous lui dirons que la fille a bénéficié de l’aide des Prêtresses.

Ses hommes approuvèrent et Ralf esquissa un sourire. Ces idiotes avaient cru le berner, mais elles paieraient pour leur arrogance.

Et il ne permettrait pas au Commandeur de tirer un plaisir supplémentaire de cet échec.

 

 

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Nathalie
Posté le 27/06/2023
Bonjour Notsil

Une douleur qu’il avait du masquer tandis que sa Cour épiait ses moindres réactions.
→ dû

Si proche du but… Cette potion ne dure décidément pas assez longtemps…
Notsil
Posté le 01/07/2023
Coucou,

Hélas pour lui, oui ^^

Merci pour la faute. Je me demande s'il n'y avait pas eu une réforme/truc de l'orthographe là-dessus que j'avais mal comprise. Je sais que des û sont devenus facultatifs, mais sur ce verbe c'est encore obligatoire je pense bien.
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