Chapitre 55 : Chemin impraticable

Par Ayunna
Notes de l’auteur : Hello les Jolies Plumes argentées

Voici un chapitre assez... sportif !
N’hésitez pas à exprimer vos ressentis, c'est précieux ! Merci :)
Ayunna

Quelques heures passèrent sans que nous ne fassions la moindre pause. Mes jambes ne pouvaient plus me porter, mes chevilles enflaient jusqu’à en devenir écarlates. La fatigue m’envahissait au point d’avancer les yeux mi-clos.

– Pourquoi n’utilisez-vous pas de moyens de transport sur Orfianne ? questionnai-je une nouvelle fois.

– Certains animaux peuvent nous porter, comme les embanores dans le désert, par exemple, me répondit Avorian. La plupart des peuples peuvent se téléporter, grâce au pouvoir de leur Pierre. Les Noyrociens – dont fait partie Orialis – se déplacent dans les airs, à bord de somptueux vaisseaux. Nous n’usons toutefois d’aucune énergie polluante. Nous ne vidons pas notre planète de ses précieuses ressources. Nous observons malheureusement les dégâts que cela produit sur Terre.

– Si seulement les Terriens prenaient exemple sur vous ! Ironie du sort : ce sont eux qui souillent votre – enfin notre – planète avec leurs pensées !

– Je commence à comprendre, fit Orialis, soudainement méfiante.

Elle nous regarda intensément, l’air contrariée, les mains posées sur ses hanches. Devant notre silence, elle prit un air suspicieux :

– Comment se fait-il que tu ne connaisses rien d’Orfianne ? Tu parles comme si tu venais d’ailleurs… Vous n’êtes pas des Ênkelis. Êtes-vous vraiment des Gardiens ? Vos noms me disaient quelque chose…

Un éclat illumina ses yeux gris-jaune.

– Cette puissante Gardienne revenue d’un autre monde, dont tout le monde parle, c’est toi, Nêryah. C’est bien toi que tout le monde cherche. Mais d’où viens-tu exactement ?

Je baissai la tête, contrite.

– J’ai vécu toute ma vie sur la planète Terre, lui avouai-je.

– Quoi ? s’étrangla Orialis en s’adressant autant à Avorian qu’à moi, comme si j’étais redevenue une étrangère. Aucun humain ne peut venir ici. Les Terriens doivent rester sur leur planète !

– Non, ce n’est pas ça…, commençai-je, à court de mots, déstabilisée par sa réaction.

– Calme-toi, Orialis, la réprimanda mon ami. Nêryah n’est pas humaine, mais bel et bien Orfiannaise. Elle a effectivement vécu sur la planète Terre, pour sa protection. Nous allons poursuivre comme convenu notre voyage vers le Royaume de Cristal. Ensemble ! La menace concerne tout le monde, tous les peuples, et même toutes les formes de vies ! Il faut remonter au cœur du mal. Détruire quelques êtres des ombres ne suffira pas !

La Noyrocienne nous observa tour à tour. Je crus qu’elle était en train de nous sonder. Son expression gagna en intensité, comme si elle venait de réaliser quelque chose.

– C’est donc une Guéliade… Et vous l’avez sauvée du génocide. C’est incroyable ! Il reste donc des Guéliades sur Orfianne ! C’est merveilleux ! Pardonnez-moi, je suis lamentable d’avoir réagi ainsi. D’ailleurs, humaine ou non, cela n’aurait rien changé pour moi… je t’apprécie sincèrement, Nêryah ! Je crois que le manque de sommeil me rend très irritable, et je ne me suis pas nourrie correctement depuis bien longtemps. Mes antennes commencent à se ternir.

– Je te comprends, Orialis. La carence en sommeil et la faim nous rendent fragiles et agressifs, la rassurai-je.

– Et donc… la Pierre de Vie des Guéliades t’a choisie…, ajouta-t-elle en me dévisageant.

J’acquiesçai en hochant lentement la tête, comme s’il s’agissait d’une triste nouvelle.

Le mage lui expliqua que nous étions les derniers représentants des Guéliades, les seuls survivants de notre espèce.

– Tout le monde croit notre peuple exterminé, et c’est mieux ainsi. Pour notre sécurité, nous devons dissimuler notre identité, tu comprends ? insista-t-il en s’adressant autant à moi qu’à Orialis.

Au fond, il avait raison. Par le simple fait d’être nés Guéliades, nous étions en danger, à chaque instant.

La Noyrocienne semblait perturbée par cette nouvelle, et ne comprenait pas pourquoi j’avais vécu tout ce temps sur une planète étrangère.

Avorian nous proposa de manger. Nous nous arrêtâmes près d’un torrent pour pique-niquer, après un brin de toilette. Orialis montra ses talents de guérisseuse ainsi que sa grande connaissance des plantes en frottant mes chevilles endolories avec des feuilles de forme incisée. Il s’en dégagea un jus verdâtre agréablement rafraichissant.

 Je voyais combien la jeune femme était épuisée, à cause de l’absence de rayons du soleil. Sa robustesse m’impressionnait. Je remarquais cependant que ses antennes changeaient de couleur : au lieu d’être dorées, elles viraient au marron-cuivré. Cela m’inquiétait.

 

Nous remplîmes nos gourdes puis reprîmes la marche. La végétation se densifiait. Nous progressions lentement, essayant d’éviter de nous accrocher aux ronces. Les arbres, larges et trapus, encombraient la route. Leurs branches, si longues, si feuillues, ne permettaient pas de voir au-delà d’un mètre.

Nous marchâmes et trébuchâmes la journée entière, nous égratignant les jambes, les bras. Quelqu’un semblait réellement veiller sur nous : pas d’ennemi en vue.

Lorsque le soir arriva, nous cherchâmes un endroit pour dormir.

La fin de cette journée fut placée sous le signe du silence, nous étions tous moroses et à bout de forces. Je plaignais surtout la pauvre Orialis. Elle faisait preuve d’un tel courage. Avorian nous considérait toutes deux d’un regard circonspect, attentif au moindre de nos mouvements, comme s’il se préparait à nous rattraper en cas de chute.

Quelques pas plus loin, nous découvrîmes une petite clairière tapissée de mousse où s’écoulait sans doute le même ruisseau que nous avions quitté tout à l’heure. Nous nous arrêtâmes pour camper.

– Orialis, m’inquiétai-je, tes réserves doivent être vides à présent. Tu avances sans te plaindre, et le soleil ne se montre toujours pas. Est-ce que tu vas pouvoir tenir le coup ?

Elle s’approcha de moi, prit mes mains dans les siennes en souriant.

– Tu es adorable ! Ne t’en fais pas pour moi. Mais tu as raison, à ce rythme-là, je risque d’être malade, et de vous ralentir.

– Tu es si valeureuse, la complimentai-je, admirative. Oh !

Un peu plus loin, j’aperçus une silhouette humanoïde, à demi cachée par un arbre. Je fis quelques pas pour m’approcher, mais elle disparut. Nos protecteurs ne voulaient toujours pas se montrer.

– Des Moroshiwas ! me souffla Orialis à l’oreille.

Je me souvins de ce peuple mystérieux, résidant dans les forêts. La peau verte, des plantes poussant sur leur tête à la place des cheveux, si bien que l’on pouvait facilement les confondre avec des arbres. On les disait silencieux, secrets, mais toujours prêts à aider les voyageurs.

– C’était donc eux… nos mystérieux sauveurs…, souffla Avorian. Je m’en doutais.

– Mais pourquoi se cachent-ils, alors ? demandai-je, surprise.

Après concertation avec ce dernier, nous décidâmes de respecter leur décision, et de ne pas tenter de les contacter, pour ne pas les offenser.

Grâce à nos protecteurs, la nuit se passa sans mésaventures.

 

Le lendemain, la marche reprit de plus belle. Nous arrivâmes dans une partie de la forêt qu’Orialis ne connaissait pas. Il fallait donc nous fier à notre instinct, et surtout à notre sens de l’orientation. Avorian semblait trouver la bonne direction avec facilité, nous montrant encore une fois combien il était habile.

L’air devint presque étouffant, comme si les plantes dégageaient une sorte de gaz toxique destiné à asphyxier les voyageurs imprudents. Nous foulions un sol couvert d’une herbe longue, allongée en large ruban, nous arrivant jusqu’aux mollets. Cette hauteur dérangeante me donnait l’impression que de petites créatures s’y dissimulaient.

En fin de matinée, le sol devint boueux ; nos pieds s’y enfonçaient jusqu’à salir nos vêtements. À tout cela s’ajoutait une nappe de brouillard qui rendait l’atmosphère lugubre. Comment trouver notre chemin dans cet endroit brumeux, inconnu ?

Chaque pas devenait de plus en plus difficile : il fallait désormais dégager nos jambes, profondément enfouies dans la boue. Nous progressions lentement, courbés par la fatigue et la faim. Mais nous ne pouvions pas nous arrêter sur ce sol instable, au risque de nous enliser !

Voyant nos mines affligés, Avorian tenta de nous encourager :

– Aidez-vous des branches, elles sont à notre hauteur, profitons-en !

Comme pour contredire l’espoir de ce dernier, la pluie vint amplifier nos tourments, rendant le sol encore plus glissant. Le chemin devint véritablement impraticable. Orialis et moi ne cessions de trébucher et de déraper. Nos corps se couvraient de boue. Jamais je ne m’étais sentie aussi sale de ma vie. De nature assez rigide et exigeante en matière de propreté, je ne supportais plus ce mode de vie. À chaque pas, je rêvais d’un bon bain bien chaud.

« Au moins, lançai-je pour faire rire les autres, avec ce bain de boue, on va avoir une peau de satin ! ». Orialis s’éclaffa en venant me frotter le dos. Nous reprîmes la marche, le cœur un peu plus léger.

S’accrocher aux branches des arbres pour avancer s’avérait laborieux, car nos mains glissaient. La notion du temps devint confuse. Je n’arrivais plus à me repérer dans l’espace.

La nuit tombait. La pluie avait enfin cessé. Quelques étoiles se dessinaient dans le ciel, tandis qu’Héliaka planait au-dessus de nous.

– Il faut nous reposer, jugea Avorian, à notre grand soulagement.

Il avait du mal à respirer. Ce long voyage l’épuisait également.

– Il va falloir grimper aux arbres… si vous en avez la force, reprit-il.

Je comprenais sa suggestion. Nous ne pouvions pas dormir sur ce sol capricieux. Je tentai d’escalader l’arbre le plus proche, mais n’y parvins pas. Mes jambes s’enfonçaient profondément dans la vase, et mes doigts boueux ripaient sur les branches. Je m’enlisais toujours un peu plus, incapable de lutter.

– Je n’y arrive pas, soufflai-je d’une voix faible.

Orialis ne se débrouillait guère mieux que moi : elle aussi demeurait prisonnière du sol. Soudain, je l’entendis crier. Avorian, aux aguets, s’approcha du mieux qu’il put. Mais nos anges gardiens se montrèrent plus rapides : de là où je me trouvais, je vis deux bras verdâtres provenant du haut de l’arbre attraper la Noyrocienne, la suspendre dans les airs, puis la faire glisser le long du tronc.

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