Chapitre 54 : les Cercles

Notes de l’auteur : Ce chapitre marque le début de la 3ème partie de la Mémoire des Sylphes !
Merci pour toutes vos lectures ! =^v^=

Lorsque Mathilde avait imaginé le retour des Augures, elle avait été loin de se douter de l’impact qu’ils auraient sur le quotidien du Collegium. À présent débarrassés de leurs costumes encombrants d’Augures, Sheila et Darin déambulaient dans les couloirs en pantalon, chemise et veston, les manches remontées, et pouvaient faire des apparitions impromptues à n’importe quel moment de leurs cours.

Ils s’asseyaient dans le fond de la classe pour écouter un peu, puis passaient dans les rangs pour parler à chacun et voir comment ils s’en sortaient, ce qu’ils comprenaient ou pas. Lorsqu’ils discernaient un aspect de la leçon qui peinait à s’imprimer dans leurs esprits, ils prenaient la relève du cours, quitte à interrompre les Tuteurs sur leur lancée.

La première fois qu’ils avaient coupé la parole à Lady Tymphos, tous les Filleuls s’étaient crispés dans l’attente de l’agacement tranchant de la Directrice Adjointe. Mais à leur grande surprise, celle-ci s’effaça devant eux sans la moindre protestation, le moindre coup d’œil acide, le moindre soupir méprisant.

Au contraire, il y avait du respect dans le silence qu’elle gardait dans l’attente de pouvoir reprendre la parole. Autour d’eux, elle prenait soin de préserver son sang-froid, même avec Hans qui l’exaspérait d’habitude avec ses difficultés de compréhension. Elle allait jusqu’à faire un effort supplémentaire pour clarifier les notions dans ses explications…

Face aux Augures, elle semblait rajeunir, gagner en fébrilité. Mathilde vit plusieurs fois sa main monter jusqu’au médaillon qu’elle portait en permanence contre son cou, où était logée la mèche de cheveux de son défunt mari. Elle cherchait tant à leur plaire qu’elle en oubliait presque d’être désagréable.

Mathilde trouva d’abord cela étrange, puis elle se rendit compte qu’en raison de leur longévité, les Augures avaient dû voir grandir Lady Tymphos depuis son arrivée au Collegium, à dix-huit ans. La Directrice Adjointe avait une cinquantaine d’années, ils avaient donc été dans sa vie pendant plus de trente ans ! En considérant cela, il n’était plus si étonnant de la voir plier en leur présence.

Cela offrait un répit bienvenu aux Filleuls, qui pouvaient ainsi davantage se concentrer sur leurs études que sur les mauvaises humeurs de leur professeur. Lady Thiang et Sir Malik étant moins susceptibles, leur manière d’enseigner fut moins impactée. Quant à Artag, il resta absolument fidèle à lui-même et continua ses longues séances de mise à l’épreuve mentale des Filleuls, sans se laisser distraire par la présence des Augures.

Après deux jours de reprise, la première classe tenue par les Augures fut annoncée. Elle prendrait place dans l’aile gauche du Collegium au deuxième étage, lieu encore inexploré des Filleuls, car réservé à l’usage des Directeurs pour leurs cours. Sheila en déverrouilla la porte et les devança d’un pas dansant dans l’allée desservant les différentes salles, qu’elle leur nommait au fur et à mesure.

— Ici vous avez la salle d’examen, là ce sont nos bureaux où vous nous rendrez visite un par un au cours de ce semestre, puis toutes ces portes donnent sur la bibliothèque réservée aux Sylphes.

Elle se retourna un moment pour savourer la curiosité qui naissait dans leurs yeux.

— Vous avez tous remarqué que la bibliothèque générale du Collegium ne comporte pas d’ouvrage sur les Sylphes. C’est parce qu’ils se trouvent tous ici. Vous pourrez venir les consulter sous notre supervision, mais soyez précautionneux en les maniant. Ce sont des documents précieux, anciens pour la plupart et bien souvent les uniques exemplaires existants.

Ils arrivèrent au bout du couloir, où une porte donnait sur un grand salon circulaire aux murs vitrés avec vue sur les jardins. Nombres de sofas et fauteuils garnis de coussins moelleux faisaient face au soleil filtrant à travers verre et feuillage.

Un tapis épais d’un pourpre moiré d’or absorbait chaque bruit de pas et amplifiait l’impression de confort qui se dégageait de la salle. Le plafond était couvert de moulures et de mosaïques colorées qui rappelaient le style des palais Dilkariens. Un lustre pendait au centre, et ses cristaux translucides à multiples facettes projetaient dans toute la pièce une multitude d’éclats scintillants qui se fondaient dans le décor.

Le long de la véranda, Darin les attendait en s’affairant à disposer quatorze tasses sur un plateau d’argent. Puis, alors qu’ils prenaient place sur les fauteuils, il les remplit toutes d’un liquide brun sortant d’une carafe en métal luisant et ornementé.

— J’espère que vous aimez le café, lança-t-il en soulevant le plateau. C’est notre boisson préférée à ma femme et moi.

Il leur donna à chacun une tasse sans faire mine de remarquer la surprise qui s’étalait sur les visages des Filleuls. Les Augures les servaient ? Mathilde comprenait qu’Artag fasse de même avec son thé, puisqu’il était Roturier à l’origine. Il avait dû garder cette habitude.

Mais les Augures étaient les personnes les plus importantes de l’Empire, si on considérait leur rôle auprès des Filleuls ! Sans parler de leur âge… C’était peut-être dû à son éducation de Noble, mais Mathilde se sentait très gênée de les voir se mettre ainsi à leur service. De son point de vue, cela aurait dû être leur tache à eux, Filleuls.

Néanmoins, elle prit sa tasse sans rechigner et se contenta de remercier chaudement Darin. Son trouble n’échappa pas au triple centenaire, qui s’en amusa discrètement et lui posa brièvement la main sur la tête avant d’aller servir le suivant.

Une fois que tout le monde eut sa tasse en main, les Augures placèrent deux fauteuils dos à la véranda et tirèrent un rideau derrière eux, afin qu’ils ne soient pas éblouis par le contre-jour. Ils s’assirent enfin et Sheila ouvrit la séance de sa voix douce.

— Bienvenus dans votre premier cours sur les Sylphes. Pendant les sept mois à venir, nous vous apprendrons tout ce que vous devrez savoir sur eux et ce qu’implique une union avec l’un d’eux. Vous aurez l’occasion d’admirer leur puissance, comprendre leur fonctionnement, contempler leur beauté.

Elle fit une pause calculée pour déguster une gorgée de café, puis balaya son public d’un regard assuré.

— Aujourd’hui, nous aborderons seulement les bases, si vous le voulez bien. Nous aurons tout le temps d’entrer dans les détails au fur et à mesure. Il y a deux jours, nous vous avons montré ce à quoi ressemblent les Sylphes sans leurs hôtes, aujourd’hui nous vous parlerons d’une toute nouvelle notion pour vous : les Cercles.

Mathilde serra plus fort sa tasse, oubliant la chaleur de la porcelaine qui lui brûlait les doigts. Sa curiosité se déchaînait à nouveau, brusquement sortie de sa léthargie.

Elle s’était si souvent posé la question sur les Cercles, que les Porteurs de Sylphes mentionnaient à chaque fois qu’ils se présentaient ! La réponse était toute proche, incarnée dans ce couple. Sheila continua avec sa voix chaude et profonde, les yeux aussi pétillants que ceux de ses élèves.

— Vous avez déjà pu goûter au pouvoir d’un Sylphe ces derniers mois par le biais de notre talentueux Artag. Peut-être que certains d’entre vous s’imaginent que tous les autres Sylphes ressemblent au sien. Détrompez-vous : chacun est unique par nature. Il existe une classification par sortes de puissance, mais leurs similitudes s’arrêtent là.

Elle laissa la parole à son mari qui la remercia d’un hochement de tête. Puis, il présenta trois doigts levés à l’assistance.

— Cette classification comporte trois catégories en fonction des transformations qu’apportent les Sylphes à leur hôte. Vous avez ceux du Premier Cercle, qui offrent une modification physique. Ce sont les plus nombreux et ceux que vous aurez le plus de chance d’obtenir. Il y en a vingt-quatre au total, mais dix habitent déjà des Filleuls plus âgés. Ils sont les moins puissants des trois Cercles, mais aussi plus faciles à maîtriser, aussi ne les sous-estimez pas.

Mathilde tourna la tête vers Rok, qui buvait chaque mot des Augures avec autant d’avidité qu’elle. Son sponsor, le général Mathàn, était un porteur de Sylphe du Premier Cercle. À la place du géant, elle brûlerait de lui écrire une lettre pour lui demander plus de précision.

Que signifiait cette « modification physique » ? Qui étaient ces neuf autres porteurs de Sylphe ? Les rencontreraient-ils à présent que les Augures avaient ouvert la porte aux révélations ?

Elle s’ébroua et se concentra sur les mots de Darin. Elle aurait tout le loisir d’explorer ses montagnes d’interrogations plus tard. Pour l’heure, elle se contenterait d’absorber ce qu’on lui offrait sans en manquer une miette.

— Le Deuxième Cercle octroie une modification plus profonde qui vous donnera accès au contrôle d’un élément qui vous entoure. C’est le cas du Sylphe d’Artag, qui lui permet de maîtriser tout ce qui touche aux émotions. Les Sylphes de ce Cercle sont beaucoup plus exigeants et choisissent rarement un hôte. Ils sont aussi difficiles à assimiler, mais lorsque l’union du Filleul et du Sylphe est atteinte, ils révèlent une puissance supérieure au Premier Cercle. Cinq parmi les douze sont déjà pris, mais il est assez peu probable que vous obteniez l’un d’eux.

Sheila posa une main sur l’épaule de son mari en riant.

— Ne les décourage pas si vite. Le Deuxième Cercle n’est pas impossible d’accès… Le Troisième Cercle, si. Ces Sylphes-là ne sont que cinq, et ils sont très difficiles en matière d’hôte. Au cours de notre très longue vie, nous ne les avons vus choisir qu’une petite poignée de Filleuls. À moins d’avoir une connexion particulière avec l’un d’eux, vous ne pourrez même pas les approcher.

— Quelle modification offrent-ils ? demanda Galis, accentuant ce faisant le sourire des Augures.

Mathilde se retint d’applaudir. Cette question aurait franchi ses propres lèvres, si elle n’avait pas été prise de vitesse par son cousin. Ces descriptions des Cercles se conformaient à ce qu’elle avait pressenti.

Il y avait bien une histoire de puissance liée à l’annonce de la provenance de son Sylphe du premier ou Deuxième Cercle. Mais ce troisième était encore inconnu et de ce fait beaucoup plus intrigant à ses yeux.

— Nous les appelons les Sylphes mythiques, car ils sont les seuls à tirer leur pouvoir d’une Chimère, répondit Sheila.

Chimère. Ce seul mot eut l’effet d’une douche froide sur son auditoire. Les Filleuls frissonnèrent alors que surgissaient devant leurs yeux les créatures tapies dans les entrailles du Collegium qui les guettaient du fond de leurs cauchemars. Sheila les arrêta aussitôt en agitant la tête.

— Pas ces Chimères-là, des espèces bien plus anciennes, qui ont disparu il y a plus de mille ans. Ce n’est qu’une hypothèse de notre part, car nous manquons cruellement de source, mais nous supposons que certains spécimens devaient posséder d’une force spirituelle exceptionnelle tel que, à leur mort, leur âme s’est muée en Sylphe.

Darin hocha la tête avec un air rêveur.

— Pour nous, ce sont les plus intéressants de tous, car comme ils ne choisissent quasi jamais d’hôte, ils restent très mystérieux encore à ce jour.

Ils n’avaient pas l’air de vouloir s’étendre davantage, comme s’ils se réservaient déjà pour leur cours suivant… et pourtant Mathilde brûlait de les interroger plus avant. Les Sylphes, d’anciennes Chimères ? Avant qu’elle pût formuler correctement sa phrase dans sa tête, une voix jaillit de l’assistance.

— Ce sont les plus puissants ? demanda Fineas, les yeux brillants.

Sheila grimaça à cette question, qu’elle parut juger déplacée et presque... vulgaire. Elle y répondit néanmoins d’un air pincé.

— En effet. Mais aussi les plus compliqués à maîtriser, et même à supporter. Les rares hôtes que nous avons eu la chance de guider en trois cents ans ont tous traversé d’immenses difficultés avant d’avoir la main mise sur leur Sylphe. C’est une puissance qui se mérite.

Le Mauve se renfrogna, déçu, et plongea le nez dans sa tasse. Une quinte de toux suivit, témoin de sa tentative de noyer sa frustration dans son café brûlant, et tira un sourire en coin à Mathilde.

Cette réponse un peu froide des Augures l’avait persuadée de patienter avant de les submerger de ses questions, mais elle leur pardonnait sans peine. La mine déconfite de Fineas lui suffisait pour les trouver plus sympathiques encore. Darin reprit ses explications.

— Chaque cercle définit donc la sorte de modification apportée par le Sylphe. Entre nous, nous qualifions celles du Premier Cercle de « physio-sensorielles », celles du Deuxième sont dites « modifications de contrôle » et celles du Troisième « modifications mythiques ».

Il avala une gorgée de café et ajouta en appuyant davantage sur ses mots.

— Certains Sylphes ont un côté grandiose, d’autres non. Tous ne sont pas aussi ostentatoires ou aussi puissants que celui d’Artag. Néanmoins je ne peux trop vous recommander de ne pas les sous-estimer. Dans quelques jours, des Porteurs de Sylphe du Premier Cercle viendront vous faire une démonstration et vous pourrez juger par vous-même ce que nous entendons par là.

Des murmures excités parcoururent l’assistance comme une lame de fond. Des Filleuls porteurs de Sylphe débarqueraient bientôt au Collegium ? Cette nouvelle seule électrisait l’atmosphère. Sheila hocha vigoureusement la tête, elle-même impatiente à l’idée de revoir d’autres de ses protégés.

— Cette première séance n’est qu’une petite mise en bouche sur le sujet, dit-elle. Mais ne vous inquiétez pas, au bout de quelques semaines, vous en saurez plus que n’importe qui dans l’Empire qui n’appartient pas aux Filleuls.

Cette déclaration donna la chair de poule à tous ses auditeurs. Enivrée de révélations, de promesses et de l’arôme corsé du café des Augures, Mathilde se répéta mentalement chaque détail qu’ils avaient mentionné sur les Cercles. La prochaine fois, elle emporterait de quoi noter avec elle.

Les Augures avaient beau aimer une ambiance fraternelle et détendue, et tout faire pour l’instaurer, Mathilde redoutait de manquer une information sur les Sylphes. Ils faisaient leur cours sur un ton si coulant et naturel qu’elle le sentait presque filer entre ses doigts.

Mieux que la prise de note, elle n’avait jamais plus désiré la présence de son inventeur de frère, qui aurait pu lui créer une sorte de radio enregistreuse, afin qu’elle puisse réécouter chacune de leurs phrases sans manquer le moindre mot. À ce stade, tout lui paraissait d’une importance cruciale.

« Trois Cercles, trois types de modifications : physio-sensorielle, contrôle et mythique », énuméra-t-elle intérieurement.

Bientôt, elle aurait l’occasion de voir ces manifestations de ses propres yeux. Rien que d’y penser, elle avait l’impression de rêver.

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Aryell84
Posté le 14/03/2022
Je suis toujours aussi enthousiaste !!!!! Les Augures sont décidément de plus en plus sympathiques (surtout à rembarrer les orgueilleux) et les révélations progressives titillent la curiosité (notamment sur le Troisième cercle héhé: j'ai envie de croire que Mathilde en aura un, mais en même temps c'est un peu trop facile donc on verra bien ;) )
Quelques petites coquilles:
- Il y a un nouvel alinéa entre « Il avait dû garder cette habitude » et « Mais les Augures étaient les personnes les plus importants de l’Empire » alors que ça me semble dans la continuité.
- « cela aurait dû être leur tache à eux » → tâche
Je continue ma lecture!!
MarenLetemple
Posté le 05/02/2022
Ah-Ha ! J'avais raison pour le premier cercle, il s'agit des pouvoirs physiques ! J'imagine qu'ils donnent de la force ou de la vitesse à leur porteur.
Bon, tu es frustrante avec tes chapitres qui se terminent toujours alors qu'on en veut plus, des informations !
Emmy Plume
Posté le 05/02/2022
... Merci ?
En vrai, je ne peux quand même pas tout révéler en un seul chapitre (ça serait beaucoup trop long et indigeste)
Je préfère remonter la piste des Sylphes sans bâcler l'histoire.
Et puis ne t'inquiète pas, la suite sera là au rendez-vous, vendredi prochain ;p
(BTW, bravo pour avoir deviné en quoi consistait le Premier Cercle ^^)
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