Chapitre 54 : Elena

Par Zoju
Notes de l’auteur : J'espère que ce chapitre vous plaira :-) Bonne lecture

Après avoir vérifié qu’Isis ait bien suivi mes ordres, je reporte mon attention sur Liam. Autant en profiter pour lui demander des informations sur les rebelles quand Tellin n’est pas dans les parages.

- Tellin m’a appris que tu étais chargé d’analyser les vidéos.

Il opine d’un hochement de tête, mais ne répond rien.

- Alors ? le pressé-je.

- J’ignore si je peux t’en parler.

- S’il souhaitait que cela reste secret, il se serait abstenu de l’évoquer devant moi, répliqué-je un peu brusquement, puis reprends d’une voix plus calme. J’aimerais savoir si tu as trouvé quelque chose.   

Il s’humecte les lèvres avant de lâcher :

- Elles sont inutilisables. Par je ne sais quel tour de force, les caméras ont été désactivées avant l’intrusion.

Je le fixe incrédule.

- Et personne ne s’est rendu compte de quoi que ce soit ?

- C’est ça qui m’étonne le plus. Lorsque je suis allé me renseigner chez les surveillants, ils m’ont affirmé que rien n’avait bougé jusqu’à la coupure.

Je suis de plus en plus perdue. Si elles étaient désactivées, l’écran aurait dû être noir. Voyant mon air dubitatif, le capitaine poursuit :

- Ils ont dû faire tourner en boucle l’image du couloir avant leur forfait.

Le traitre est plus habile que je le craignais.

- Quand penses-tu que les vidéos ont été débranchées ?

Liam ferme les yeux pour réfléchir.

- Pour ne pas éveiller l’attention, je dirais quelques minutes avant l’attaque.

Bien que je ne devrais pas me réjouir, je m’accorde un bref espoir. Hans devrait être blanchi avec ça. Il était de garde toute la nuit. Je m’apprête à appeler Isis, mais Liam semble vouloir rajouter quelque chose. J’attends qu’il se décide. Après un court silence, il se lance :

- Darkan, je sais que ce n’est pas toujours facile pour toi.

Ignorant où il souhaite en venir, je l’invite à poursuivre.

- Isis m’a appris que lorsque tu devais la laisser seule, tu la déposais chez Luna ou Nikolaï.

- Et quoi ? Vu que ma sœur est morte, tu voudrais prendre sa place.

Ma remarque assez froide le déstabilise. Après une longue hésitation, il répond :

- Je désire simplement t’aider. Jamais je ne me permettrais de profiter de la situation. Tu sais, j’appréciais Luna.

Je soupire.

- Comme tout le monde, il était difficile de la détester.

- Qu’en penses-tu ? me demande-t-il avec un sourire quelque peu crispé.

Cela me serait d’un grand secours effectivement, mais je n’arrive pas à me détacher de cette méfiance que je ressens pour lui. Il a l’air du genre bavard. Je crains qu’il ne tienne pas sa langue avec Isis. D’autant plus que la jeune fille est de nature curieuse. Je jette un coup d’œil à mon aide de camp qui est dans son débarras. Je ne pourrais pas toujours la protéger, j’en ai eu la preuve à de nombreuses reprises, Jobert, Tellin et encore aujourd’hui. Cela ne sera pas la dernière fois. Je reporte mon attention sur le capitaine, il semble fort attaché à elle, mais est-ce sincère ? Je m’accorde un temps de réflexion. Liam me fixe sans rien dire. Je finis par me décider.

- Si Nikolaï est occupé, je te l’amènerai.

Son visage s’illumine.

- Merci.

- Ce serait plutôt à moi de te remercier, tu m’enlèves une épine du pied. Au fait, Tellin est déjà passé ?

- Je venais de faire mon rapport quand j’ai croisé Isis.

- Tu dois encore le revoir ?

- Normalement non.

- Dans ce cas, pourrais-tu t’occuper d’Isis ? Nikolaï est de garde sur les remparts. Il remplace son frère qui a été blessé durant l’assaut. Je dois vérifier quelque chose, mais je ne peux pas emmener la miss avec moi.

- Pas de problème. Reviens juste dans trois heures, après ça, j’ai une réunion.

- D’accord.

D’un geste, j’invite Isis à approcher. Elle se dépêche de s’exécuter. Je lui explique en quelques mots la situation. Contrairement à ce que je croyais, elle ne semble pas particulièrement ravie. Je dois me faire des idées. Cela me fait penser que nous devrions nous parler davantage. Avec tous ses évènements, je dois reconnaitre que je l’ai un peu négligé et je le regrette. Toutefois, il va falloir, encore une fois, reporter cette discussion. Après m’être assurée que tout allait bien, je les salue et quitte la pièce le cœur beaucoup plus léger qu’à mon arrivée. Les couloirs grouillent toujours autant de monde. Je dois jouer des coudes pour me frayer un passage. Juste avant d’entrer dans mon bureau, le colonel Bévier m’interpelle :

- Tellin nous a convoqués pour une réunion. Salle 5.

Il aurait pu me le dire quand il m’avait sous la main.

- Quand ? demandé-je.

- Immédiatement.

Je soupire. Je vais devoir reporter à plus tard mes recherches.

- Dis-lui que j’arrive, je dois prendre quelque chose dans mon bureau.

Sans rajouter quoi que ce soit, mon collègue tourne les talons et s’éloigne. Je pénètre dans la pièce. J’attrape mon cahier de note et de quoi écrire. Je ne veux oublier aucune information sur l’attaque de cette nuit. Je me dépêche de sortir pour me diriger vers la salle de réunion. Celle-ci se trouve de l’autre côté de la base. Après avoir réussi à m’extraire de la foule, je m’engage dans un couloir désert. Je reprends ma marche d’un pas rapide. Les quelques soldats que je croise me saluent d’un signe de tête. Je suis trop concentrée pour le porter davantage d’attention. J’y suis presque. Je remarque Bévier qui entre déjà dans la salle. Quelqu’un m’appelle derrière moi. Je reconnais la voix de Tellin. J’hésite à l’ignorer et à aller tout de suite dans la salle de réunion. Il m’appelle une nouvelle fois. Je me retourne et l’attends. Il serait capable de me faire payer mon insolence. Il est encore au fond du couloir. Je m’adosse au mur et soupire. La fatigue et le stress de la nuit commencent à peser dans mon corps. Un autre soldat entre à l’intérieur de la pièce et laisse la porte légèrement entrouverte. Lorsque Tellin est presque arrivé, un étrange cliquetis me parvient aux oreilles. Je reconnais immédiatement le bruit. Mon sang ne fait qu’un tour. J’ai à peine le temps de rouler à terre et de protéger ma tête avant qu’une bombe explose.

 

Lorsque je retrouve mes esprits, j’ai du mal à faire le point sur la situation. Mes oreilles bourdonnent douloureusement. Je suis complètement perdue. La bonne nouvelle est que je ne semble pas blessée, toutefois impossible d’en être certaine. J’ouvre péniblement les yeux et découvre le couloir plongé dans la poussière. Je respire pour calmer les martèlements de mon cœur, ce que je regrette immédiatement. La saleté rentre dans ma gorge. Elle me brule. Mon corps réagit à l’instinct et tousse. C’est encore pire, mais je n’arrive pas à stopper cette quinte de toux. Je ferme les yeux. Ils me font mal. Ils pleurent d’eux-mêmes. Je rampe à l’aveuglette. J’ignore si je vais du bon côté. Le bourdonnement ne s’est toujours pas estompé. Quelqu’un me soulève par la taille et m’éloigne le plus vite possible du sinistre. Je crache mes poumons, mais cela n’apaise rien. Après plusieurs tentatives, j’arrive à rouvrir les paupières. Je vois trouble, mais reconnais Tellin. Il a couvert son nez et sa bouche avec un bout de tissu. Lorsque la distance lui semble suffisante, il me dépose à terre. Il abaisse son masque. Un sentiment de soulagement parait sur son visage. Il me tend un mouchoir. Je l’accepte avec gratitude. Ma toux s’est un peu calmée. Avant qu’il ne puisse parler, une plainte provient de l’endroit où la bombe a explosé. Tellin pose une main sur mon épaule.

- Je m’occupe des survivants. Va chercher les secours.

Sa voix me provient comme un son étouffé. J’opine, car c’est la meilleure chose à faire. Je me relève péniblement. Mon supérieur remet son masque de fortune à sa place et il repart dans la poussière. Je m’accorde un instant pour reprendre mes esprits avant de m’élancer aux pas de course vers le centre de soin. J’ordonne aux soldats que je croise d’aller apporter leur aide. Aucun ne discute à mes ordres. J’arrive relativement vite à destination qui semble plutôt calme. Cela me surprend que l’explosion n’ait pas été entendue. Je ne prends pas la peine de passer par la réception. Je me place dans le hall d’entrée et hurle d’une voix éraillée : 

- Explosion, aile ouest, salle 5. Blessés graves ! 

Je ne parviens pas à poursuivre, car je suis de nouveau pliée en deux par une toux sèche. Je remarque que cela s’active autour de moi. Un infirmier m’apporte un verre d’eau que je bois d’un coup. Les grattements dans ma gorge se calment quelque peu. Je lui remets le verre entre les mains.

- Merci, j’y retourne.

Il me retient et me tend un masque. Je l’empoigne et le fourre dans ma poche. Je suis rapidement de retour. Tellin a aligné plusieurs personnes. Un soldat que j’ai croisé dans les couloirs s’occupe des blessés. Certains gémissent alors que d’autres ne réagissent plus. Tellin doit être en train de rechercher les dernières victimes. Je crains que l’on ne retrouve plus personne en vie. Je m’accroupis pour stopper les saignements d’une des blessures. Les bruits de pas pressés indiquent que les médecins ne devraient plus tarder. Je me relève dès qu’ils apparaissent pour leur laisser le champ libre. Tellin, accompagné d’un soldat, nous rejoint rapidement avec les autres victimes. J’en compte au total huit. Certains sont dans un piteux état. Je me tourne vers mon supérieur. Son uniforme est recouvert de poussières et de sang. Il respire difficilement. Il se laisse glisser contre le mur pour récupérer. Un infirmier me tend une bouteille d’eau. Je la prends et me dirige vers le major. Il m’arrache la bouteille des mains et se met à boire à grande goulée. Il la finit d’une traite. Je m’accroupis à ses côtés et lui rends son mouchoir. Il éponge son front en sueur avec. Il fixe les cadavres de nos collègues sans rien dire. Je reconnais Bévier. J’ai un pincement au cœur en me rappelant que je venais de discuter avec lui. Les victimes sont toutes gradées. Je comprends que l’explosion a eu lieu dans la salle de réunion. En me retenant, Tellin m’a probablement sauvé la vie. Encore une fois. Il se relève brusquement et se redirige vers le site du drame. Je lui attrape la manche.

- Attends un peu avant d’y retourner, m’exclamé-je.

Il se dégage et me toise de ses yeux rougis par la poussière.

- Dans ce cas, accompagne-moi. La fumée se dissipe, lâche-t-il d’une voix enrouée.  

Sans attendre ma réponse, il s’éloigne. Il est furieux. J’applique le masque offert par l’infirmier sur ma bouche et mon nez. Je me relève et emboite le pas à mon chef. Lorsque je découvre la salle de réunion, je peine à retenir un haut-le-cœur. Tellin ignore mon trouble et s’avance au milieu de la pièce. Elle est complètement carbonisée. Que s’est-il passé ? Le malaise éloigné, je m’introduis à mon tour dans ce qu’il reste de l’endroit. Une odeur désagréable de brulé sature l’atmosphère. Aucun doute n’est possible, l’explosif a été déclenché ici. Des traces de sang recouvrent les parois. Ceux-ci ont supporté le choc. D’un côté, la base a été construite pour résister aux attaques aériennes, il est donc logique que les murs se maintiennent encore. La porte quant à elle a été défoncée. Je contemple les restes de la table de réunion qui gisent pathétiquement au sol. Plus rien ne tient debout, ici. Le côté macabre de la scène de crime me donne froid dans le dos. On assiste rarement à ce genre de catastrophe dans cette base. Je tente tant bien que mal d’éloigner la sombre pensée de mon esprit qui me dit que j’aurais pu me trouver parmi les victimes.

- J’en ai assez vu. Partons, déclare mon supérieur.

Nous retrouvons les infirmiers. Les blessés ont déjà été évacués. Seuls les morts sont encore présents. Un soignant se place devant nous.

- Si vous le souhaitez, une aide psychologique peut vous être proposée.

Tellin nous fait sursauter en éclatant d’un rire glacé. Il récupère directement son sérieux après pour déclarer d’une voix aigre :

- L’unique réconfort que nous pouvons avoir est la vérité.

Il dépasse l’homme et conclut :

- Rien d’autre n’a d’importance. Elena, tu viens avec moi, j’ai besoin de ton témoignage.

Je remercie tout de même l’infirmier pour son aide et rejoins Tellin. Je dois trottiner pour me placer à ses côtés. Il marche d’un pas rapide en faisant de grandes enjambées. J’ai du mal à le suivre. Sur le chemin, il donne des ordres à des gradés comme sécuriser le périmètre ou encore d’avertir les familles des victimes. Je ne le croyais pas si prévenant. Nous arrivons à son bureau. Il ouvre la porte me laisse entrer, puis la claque d’un geste sec tout en jurant. Il s’installe à sa table et sort une feuille. Ces mouvements sont saccadés.

- Alors ? grogne-t-il.

Je garde le silence.

- Réponds, m’ordonne-t-il en haussant la voix.

- Je te conseillerais d’abord de te calmer.

Il se lève brutalement en frappant sa table du poing.

- Nos effectifs se font décimer et tu voudrais que je sois calme ?

- Impossible d’avoir les idées claires dans cet état.

- Une bornée comme toi, qui n’écoutes que ses impulsions, n’a rien à me conseiller.

C’en est trop. Je me relève et me dirige vers la porte. 

- Je t’ordonne de te rassoir ! hurle Tellin.

Je fais volte-face.

- Ordonner, tu ne sais donc faire que ça ? répliqué-je sur le même ton.

Il me fixe, interdit.

- Je ne te permets pas.

Je l’ignore.

- Qu’est-ce que tu crois ? Moi aussi, j’ai perdu des collègues. J’enrage de ne pouvoir rien faire. Tu étais là quand la bombe a explosé. Tu as tout vu. Si j’étais rentrée avec Bévier, rien ne me dit que j’aurais survécu.

Tellin pâlit en entendant ma dernière remarque puis se laisse tomber lourdement sur son siège. Je pose ma main sur la poignée de la porte, mais avant que je puisse l’abaisser, mon supérieur me demande d’une voix beaucoup plus hésitante :

- Où vas-tu ?

- Prendre des nouvelles, des survivants. Eux au moins doivent pouvoir m’aider à comprendre.

Sans un regard en arrière, je quitte son bureau. 

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annececile
Posté le 01/06/2020
He bien, il s'en passe des choses dans ce chapitre! On a l'impression qu'il y a plus d'un traitre pour pouvoir agir ainsi... peut-etre veulent ils faire diversion des evasions nocturnes? (au fait, quand je fais ce genre d'elaborations, je ne veux surtout pas que tu me donnes de reponses, j'aime juste reflechir ainsi a ce que j'apprends au fur et a mesure des chapitres....)

"Vu que ma sœur est morte, tu voudrais prendre sa place." Est-ce une question? La structure de la phrase me semble un peu bizarre, pourquoi pas qqchose comme "tu veux prendre la place de ma soeur morte?"

Ca parait bizarre que, dans ce centre de commande qui semble moderne, il n'y ait aucun moyen d'alerter les secours, pas de telephones, d'alarmes, il faut que la pauvre Elena se traine jusqu'a l'infirmerie et crie pour alerter les secours.

"Si vous le souhaitez, une aide psychologique peut vous être proposée." Si cette offre etait proposee a des nouveaux, des civils ou des aides de camp, ca serait logique. Mais cette offre a de hauts grades en pleine alerte alors qu'ils doivent coordonner la reponse a apporter, ca tombe un peu "comme des cheveux dans la soupe."

On ne comprend pas vraiment ce que veut Tellin a la fin, quand il veut ecrire qqchose. Recapituler les faits pour essayer de comprendre? Ca pourrait etre bien de glisser qqchose sur ce qu'il veut en contraste a la reaction d'Elena.

C'est Tellin qui a voulu cette reunion, et c'est lui qui a fait en sorte que Elena ne soit pas dans la piece.... (des soupcons m'envahissent a son sujet). :-)

Bon courage pour la suite!
Zoju
Posté le 01/06/2020
Merci pour ce commentaire ! Je vais changer les éléments que tu as mentionné. En ce qui concerne l’infirmier, j’avoue que cela tombe un peu à plat, mais je pense garder l’idée (Sans doute la retravailler) car les militaires même s’ils ont « l’habitude » des zones sinistrées, ils restent humains. En tout cas, merci de continuer à me lire. Ça fait plaisir ! :-) PS : t’inquiète, je ne dirais rien sur l’intrigue, mais c’est intéressant de voir les questions que tu te poses.
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