- Fred non plus ne vieillit pas, fit remarquer Oriana alors que Baptiste effectuait sa palpation hebdomadaire.
- C’est un membre de mon personnel. Si je suis le Diable, alors c’est un démon. Les démons ne vieillissent pas. Oh !
- Quoi ? demanda Oriana soudain inquiète.
- Fred n’apprécie pas du tout d’être assimilé à un démon. Nous avons vraiment tous nos jugements de valeur personnels.
Était-il télépathe ? se demanda une fois de plus Oriana. Comment pouvait-il connaître l’avis de Fred – sa surprise semblait indiquer qu’il l’apprenait à l’instant – alors que ce dernier ne se trouvait pas dans la pièce ?
- Pourquoi une telle comparaison lui déplaît-elle ? interrogea Oriana, curieuse.
Baptiste pencha la tête un instant, écouta un son audible de lui seul puis tourna de nouveau son attention vers Oriana et annonça :
- Parce que les démons n’ont pas d’âme. Apparemment, Fred tient beaucoup à son âme.
Baptiste ricana. Il semblait se moquer de son collaborateur. Oriana ne voyait pas bien ce qu’il y avait de drôle.
- Vous voudrez bien transmettre mes excuses à Fred ? Je ne cherchais pas à le blesser.
- Excuses inutiles, annonça Baptiste. C’est à moi qu’il en veut, pas à toi.
- Je m’excuse quand même, insista Oriana.
Baptiste haussa les épaules. Il semblait trouver tout cela totalement inutile.
- L’examen indique que tout va bien. Tu prends bien soin de toi. Je suis satisfait.
Oriana sourit. Contenter le maître des lieux était agréable.
- Oriana ! Grimpe !
La jeune femme releva le nez de ses semis de concombres pour constater la présence d’une navette volant juste devant elle. Un personnel en blouse blanche venait de lui donner cet ordre. Elle l’observa, surprise.
- Allez, s’il te plaît, monte ! insista-t-il.
Il suppliait maintenant. Elle sourit. Il savait ne pas avoir d’ordre à lui donner. Elle n’obéissait qu’à Baptiste. Un peu agacée, elle se leva pour sauter sur la rampe d’accès qui se referma derrière elle. Au bord de son champ de vision, elle avait pu voir le sol glisser à grande vitesse. Le pilote n’avait pas attendu longtemps avant de relancer les moteurs – silencieux, comme d’habitude.
Oriana suivit le personnel jusque dans la cabine de pilotage, où elle n’avait jusque-là pas mis les pieds. Deux sièges permettaient de s’asseoir face à un pare-brise. Une femme pilotait avec concentration. La navette volait droit sur un mur.
- Je demande l’ouverture du passage vers le complexe F, indiqua la pilote en freinant brusquement, ce qui n’entraîna aucun ressenti particulier à l’intérieur de la cabine de pilotage.
Oriana avait ancré sa main sur le dossier d’un siège, s’attendant à une impact mais ce fut inutile.
- Demande refusée, répondit une voix synthétique. Il y a un humain à bord de votre navette.
« Un humain » ? pensa Oriana. « Ben non ! Trois ! »
- Évidemment qu’il y a un humain ! Oriana est avec nous ! s’exclama le copilote, agacé.
- Oriana n’est pas autorisée à sortir de ce complexe, répliqua la machine.
- Je m’en fous ! s’exclama le copilote. Je veux qu’elle sorte ! Maintenant !
- Autorisation de Baptiste requise, précisa la machine.
- Mais c’est justement parce que Baptiste est indisponible que j’ai besoin d’Oriana !
- Autorisation de Baptiste requise, répéta la machine.
Cela fit sourire Oriana. Le copilote enrageait contre une IA un peu trop pointilleuse. Elle s’obligea à conserver son sourire tout en réfléchissant. Si même le personnel de la Clinique luttait pour l’en faire sortir, quelle stratégie pourrait-elle mettre en place pour fuir ? Comment faire en sorte que l’IA ne se rende pas compte de sa présence dans la navette ?
- Baptiste est indisponible ! hurla le copilote. Je passe outre cet élément de sécurité. Code 27C5X.
- C’est intelligent de faire ça devant elle, gronda la pilote.
- Tu vois une autre solution ? s’écria le copilote.
- Lui interdire d’entrer dans le cockpit ? proposa la pilote, visiblement agacée.
- Autorisation accordée, dit l’IA.
- Ah ben c’est pas trop tôt ! grogna le copilote tandis que la pilote mettait la gomme.
Oriana se demanda la raison pour laquelle ces deux-là dépensaient une telle énergie. À travers la vitre, Oriana vit ce qui ressemblait fort à la Clinique : de la verdure et des bâtiments. La navette s’éloigna des constructions pour se poser dans une clairière.
- On y va ! s’exclama le copilote en sortant en trombe.
Oriana le suivit, un peu surprise. Ils traversèrent quelques fougères, contournèrent deux rochers et derrière le troisième, Oriana découvrit une femme asiatique allongée. Une autre se tenait près d’elle, lui tenant la main. Trois personnels en blouse blanche observaient sans rien faire.
Du ventre de la femme au sol sortait un bout de bois. Du sang se répandait assez lentement autour de la blessure. Oriana s’accroupit près d’elle et commença par observer la situation.
- Elle est tombée faisant du cheval, indiqua le personnel venu la chercher.
La femme lui parla mais Oriana ne comprenait pas sa langue.
- Elle dit qu’elle ne sent plus ses jambes, traduisit l’homme.
Oriana attrapa son poignet pour repérer son rythme cardiaque mais un des membres du personnel lui indiqua ses constantes. Comment pouvait-il connaître son rythme cardiaque, son rythme respiratoire et son taux d’oxygénation sans la toucher ? Oriana choisit de le croire.
- Donnez-les moi toutes les deux minutes, s’il vous plaît, ou immédiatement s’il y a un gros changement.
- Bien, Oriana, répondit l’homme qui ne semblait pas prendre ombrage de l’ordre donné.
- Donc vous portez des blouses blanches mais vous n’avez pas la moindre compétence en médecine, c’est ça ? demanda Oriana.
Ils acquiescèrent.
- Super, maugréa Oriana.
Elle prit la situation en main. Elle énuméra ce dont elle avait besoin et reçut immédiatement le matériel demandé à l’exception d’un :
- Kit de suture, demanda-t-elle.
- Utilise ça, c’est mieux, indiqua un membre du personnel alors que l’autre annonçait les constantes.
Oriana observa l’appareil qu’elle n’avait jamais vu.
- C’est quoi ?
- Ça remplace un kit de suture.
- Ça a l’air génial mais dites-moi, monsieur le génie, vous savez vous en servir ?
- Euh… non, admit-il.
- Moi non plus alors donnez-moi un putain de kit de suture. Quand Baptiste sera disponible, il pourra toujours enlever les points et utiliser son bijou de technologie.
Elle obtint gain de cause.
- L’un de vous s’y connaît-il en hypnose ?
- Non, dirent-ils en même temps.
- Pas d’anesthésie, je suppose, maugréa Oriana.
- Tu n’as qu’à l’hypnotiser ! s’exclama l’un des personnels.
- Je ne parle pas sa langue. Ça ne marchera pas. Je vais devoir l’opérer à vif. Tenez-la.
Plusieurs s’avancèrent pour immobiliser la souffrante. Oriana commença l’opération, sous les hurlements de la femme. Cela devint rapidement insupportable pour la chirurgienne qui avait l’habitude du calme.
- Baptiste m’a mis la main sur la bouche pour m’oxygéner, dit Oriana qui transpirait. Pouvez-vous faire cela ?
- Oui.
- Alors faites-la taire, s’il vous plaît, et profitez-en pour soutenir son système respiratoire.
Enfin, le silence se fit. Oriana se refusa à regarder le visage de la femme dont elle imagina aisément les yeux révulsés de douleur et d’horreur. Enfin, le morceau de bois tomba mais le sang gicla rapidement et Oriana se dépêcha de cautériser la plaie.
- Je dois partir, annonça celui qui tenait son bras droit. Je vais craquer.
Il se leva précipitamment et partit. Un autre le remplaça mais la patiente, en bougeant, avait fait déraper Oriana qui grogna.
- Ça va ? demanda un membre du personnel.
- Non, gronda-t-elle. Putain de conditions de merde ! Ben pour des caïds en médecine, vous êtes vraiment mauvais.
- Ce genre de situation est rarissime, se défendit-il.
- Elle a une hémorragie interne. Son ventre saigne. Le bébé risque d’être en souffrance. Elle survivra mais je ne promets pas pour son enfant, qui risque de manquer d’oxygène.
- Je ne peux pas lui en mettre plus. Au delà, elle mourra, précisa celui qui maintenait sa bouche.
- Le problème est qu’elle manque de sang pour faire parvenir l’oxygène au bébé. Avez-vous de quoi faire une transfusion ?
- Une transfusion ? s’étrangla l’homme le plus proche d’elle.
- Elle a l’air d’aller bien. Il faut qu’elle donne son sang à sa copine, dit Oriana en désignant l’autre femme, toujours choquée face à ce spectacle.
Celui aux constantes l’attrapa sans ménagement et l’obligea à s’asseoir près de la souffrante.
- Putain mais non ! s’exclama le premier. Baptiste hurlera quand il apprendra qu’on a volontairement blessé une femme en parfait état.
- Il appréciera encore moins de perdre cet enfant, répliqua Oriana.
Celui aux constantes sourit, annonça ses valeurs, puis réalisa le montage avec précision.
- Soigner quelqu’un, non, mais lui prendre son sang, oui, en conclut Oriana. Vous avez des compétences étranges et inattendues.
Ils sourirent tous, comme s’ils partageaient une blague connue d’eux seuls. Oriana termina l’opération et la femme put enfin gémir tout son saoul.
- Elle est transportable, annonça Oriana. D’habitude, je dirais de lui donner des antibiotiques mais je suppose que ça n’est pas envisageable.
- Non, en effet, confirma un membre du personnel, mais ça ne sera pas nécessaire. Il n’y aura pas d’infection. Nous contrôlons l’intégralité du biotope de cet endroit. Tu peux la ramener.
Celui venu la chercher lui fit signe de le suivre et elle retourna dans la navette. À peine rentrée, elle prit une douche, but une gourde entière puis se coucha pour n’être réveillée que trois heures plus tard par une très pressante envie d’uriner. Sa vessie vidée, elle rejoignit la salle à manger où se trouvaient déjà une dizaine de femmes. Il était tôt mais le réfectoire était rarement vide.
Oriana dégusta des fruits et des pâtisseries, un dîner très peu équilibré mais c’est tout ce qui lui faisait envie. Le silence se fit soudain dans la salle. Oriana, surprise, leva le nez de son assiette, suivit le regard des autres convives pour voir Baptiste venir vers elle. Il s’arrêta devant elle et lança :
- Bonjour Oriana.
- Bonjour Baptiste, répondit-elle.
Venait-il la rabrouer pour le contenu fort discutable de son assiette ?
- Je te remercie pour ce que tu as fait cet après-midi.
Oriana en resta muette de surprise. Il la remerciait, elle ?
- Tu n’avais pas à faire cela. Rien ne t’y forçait. Tu as sauvé ma création.
Oriana avait avant tout sauvé cette femme.
- Le bébé va bien ?
- Il se porte à merveille. Je te dois une faveur.
Oriana enregistra l’annonce mais de manière lointaine. Elle ne voulait qu’une seule chose : partir d’ici et cette faveur-là, jamais il ne lui offrirait. De ce fait, cette annonce lui passa au dessus de la tête.
- Vous devriez songer à mettre des médecins dans votre clinique, proposa Oriana et cette remarque n’avait rien de taquine.
Elle le pensait vraiment.
- Il semblerait qu’il y en ait déjà un, répliqua Baptiste en la transperçant du regard.
- Je suis rouillée, répliqua-t-elle.
- J’ai constaté, indiqua Baptiste. Il te suffit de t’entraîner. Pas d’IA, promis. Juste des hologrammes et une salle entièrement sous le contrôle de ta tablette. Qu’en penses-tu ?
- Qu’il faudrait songer à ce que certains membres de votre personnel soient médecins.
- Certains sont déjà en train de monter en compétence mais cela prend du temps. En attendant, veux-tu bien être la référente en mon absence ?
Il lui proposait réellement le poste de second de sa Clinique ? Oriana n’en revint pas. Elle sourit bêtement et accepta d’un léger hochement de tête.
- Entraîne-toi quotidiennement !
Oriana acquiesça. Il eut un léger regard vers le plateau rempli de produits sucrés. Oriana rougit intensément puis Baptiste s’éloigna en secouant la tête. Oriana termina son plateau puis le compléta avec des légumes et des œufs en faisant la moue, tandis que les ragots explosaient dans le bâtiment. Pendant une semaine, toutes les pensionnaires ne parlèrent que de ça.
Oriana pestait contre ce bidule qui au mieux, ne faisait rien, au pire brûlait ou découpait la chair de son patient holographique. Cet appareil était censé remplacer le kit de suture en refermant une blessure ou cautérisant la plaie. Oriana avait beau lire et relire le mode d’emploi présent sur sa tablette, ça ne donnait le résultat escompté qu’une fois sur cent. Pourtant, il n’y avait que trois boutons, dont un pour allumer et éteindre. Ça n’aurait pas dû être si compliqué !
Deux semaines à s’acharner pour un résultat pitoyable. Demander de l’aide à Bryan aurait certainement permis d’éclaircir le problème en deux secondes seulement voilà, rattacher l’IA à elle la rendrait de nouveau visible, réduisant à néant toute chance d’évasion.
- Tu n’aimes pas la technologie ?
Oriana se tourna vers Baptiste qui se tenait, amusé, assis à demi sur une table proche.
- Je n’aime pas quand elle me résiste ou empire la situation. Avec un kit de suture, j’aurais terminé depuis longtemps, grogna Oriana.
- Bryan pourrait t’aider…
- Je ne suis pas encore sénile donc, non merci. Ces machines qui pensent à notre place, je n’en veux pas.
- Tu l’avais volontiers accepté lors de ta première visite ici, fit-il remarquer.
- Il faut croire que j’ai évolué depuis, répondit-elle et Baptiste ne la contredit pas.
Il se contenta de s’approcher et de tapoter sa tablette jusqu’à ce qu’elle affiche un tableau de plusieurs pages. Il s’écarta afin de la laisser le compulser tranquillement. Elle avait déjà survolé cet ensemble imbuvable de lignes et de colonnes sans s’y attarder.
Sentant qu’elle ne comprenait pas, Baptiste, gentiment, lui montra une ligne. Oriana regarda le bras du faux patient, puis le tableau et comprit le lien. Elle régla l’appareil sur le bon mode et l’activa mais le résultat fut atroce : les chairs se déchiquetèrent au lieu de se refermer. Baptiste ricana doucement. Il réinitialisa l’hologramme, se plaça derrière Oriana, attrapa le scalpel de sa main gauche pour inciser le bras du faux patient puis se saisit de la main droite d’Oriana tenant l’objet technologique et la manipula. Sous les yeux abasourdis de la chirurgienne, la blessure se referma à la perfection.
- Ce n’est pas juste, grogna Oriana. Ce truc ne répond qu’à son maître !
- Non, dit-il amusé. Tu ne prends juste pas en compte cette valeur.
Il montra une case du tableau. Se faisant, il se pencha, se collant contre le dos d’Oriana qui trouva ce contact très agréable. Sa chaleur la pénétra, la faisant frissonner. Elle sourit et dut faire un énorme effort pour rester concentrée sur cette suite imbuvable de valeurs.
- Tu vois ? dit-il.
- L’angle d’attaque a de l’importance, comprit-elle, son cerveau parvenant toujours à fonctionner.
Les hormones viendraient bientôt tout bouleverser, elle en fut persuadée.
- Prouve-moi que tu as compris, dit-il en s’éloignant un peu – à peine.
Il trancha la chair du pauvre patient holographique et attendit. Oriana observa la plaie, compulsa le tableau, finit par trouver la valeur, activa l’appareil sur le bon mode, le plaça dans le bon angle et la blessure se referma.
- Mouais, dit-elle. En situation réelle, le temps que je trouve l’information, le mec aura eu le temps de se vider trois fois de son sang !
- C’est parce que tu ne comprends pas la logique. Regarde…
Il lui expliqua comment fonctionnait le tableau et les valeurs jusque-là aléatoires prirent sens. Il parlait d’une voix douce et chaude, sensuelle et bienveillante, répondant à ses questions avec plaisir et entrain, s’amusant de ses réflexions ou de ses incompréhensions, la félicitant lorsqu’elle faisait une remarque juste.
- Tu es prête, annonça-t-il en éteignant la tablette.
Il blessa la fausse victime et Oriana réfléchit intensément, temps qu’il mit à profit pour l’enlacer de son bras droit, observant ses gestes par dessus son épaule gauche. Il déposa le scalpel qu’il maniait de sa main gauche et alors qu’Oriana choisissait un mode, il posa sa main sur l’extérieur de la cuisse d’Oriana, par dessus la robe. Il caressa doucement. Ses intentions étaient très claires et Oriana ne le dissuada pas de continuer.
Oriana savait que de nombreuses pensionnaires couchaient avec le personnel et visiblement, les hommes en blouse blanche ne se refusaient pas. Les rencontres apportaient du plaisir à tous. En revanche, Oriana n’avait jamais entendu quiconque se vanter d’un moment avec le maître des lieux.
Elle avait pris l’habitude, ces dernières années, de beaucoup baiser, son argent lui permettant de se rendre dans de nombreuses soirées. Elle utilisait un moyen contraceptif non invasif et comptait sur sa bonne régénération pour ne pas choper de maladie. Les deux cumulés lui avaient permis de connaître de nombreux amants. Elle avait une vie sexuelle très active.
Le désert depuis son arrivée à la Clinique la mettait, elle devait bien l’admettre, quelque peu sur les nerfs. Le sexe lui manquait. De ce fait, les avances de Baptiste ne lui déplaisaient pas, bien au contraire.
Tout en tentant de rester concentrée sur ses actes, elle se mordait les lèvres. Baptiste, constatant la réaction positive de sa partenaire, décida de monter un cran plus loin et sa main passa sous la robe au niveau du genou et il remonta lentement le long de l’intérieur de la cuisse.
Oriana tressauta. Sa main bougea et l’angle, en changeant, firent se rompre quelques tissus.
- Tu es facilement distraite, chuchota-t-il à son oreille.
Oriana lâcha l’appareil et se retourna, obligeant Baptiste à la lâcher, ce qu’il fit sans se plaindre.
- Quoi ? dit-il tandis qu’elle lui envoyait un regard noir. Ce n’est pas de ma faute si tu n’arrives pas à tenir ta concentration. Il se vide de son sang !
Oriana éteignit l’hologramme.
- Trop facile ! s’exclama-t-il. Tu rates ton intervention alors tu tues ton patient. Quelle méthode barbare !
- Ce n’est qu’un hologramme ! se défendit Oriana.
- Tu l’as désactivé, ce qui revient à le tuer, insista Baptiste. Tout ça parce que tu n’es pas capable de le soigner. Je ne te savais pas aussi brutale !
Son ton amusé laissait clairement entendre l’ironie de ses propos. Oriana continua à le transpercer des yeux.
- Ah mais non, je comprends, continua-t-il. C’est moi. Mes mains n’étaient juste pas au bon endroit.
Oriana soupira en souriant.
- Tu aurais préféré qu’elles soient là, dit-il en empoignant sans honte les seins de sa partenaire.
Il se mit à les malaxer tendrement, comme s’ils furent deux balles anti-stress.
- C’est mieux comme ça ? demanda-t-il, taquin.
Oriana lui sourit franchement en retour. Les deux médecins étaient clairement sur la même longueur d’onde. Ils avaient tout deux envie l’un de l’autre. Oriana n’avait aucun scrupule à coucher avec Baptiste pour s’enfuir à la première occasion. Il s’agissait de sexe, pas de sentiment.
Elle le vit pour la première fois d’un œil différent, la femme regardant l’homme et elle dut admettre qu’il était carrément magnifique, ce dont elle n’avait jusque-là absolument pas pris conscience. Il dut constater son regard sur lui car il annonça :
- Tu peux me toucher.
Oriana se rendit compte que ses mains étaient fermement ancrées sur la table d’opération, ses phalanges rouges à force de serrer. Attendait-elle son autorisation ? Craignait-elle la colère du maître des lieux si elle agissait sans son autorisation ? Elle aurait voulu pouvoir nier mais de fait, oui, peut-être. En tout cas, ses mots la rassurèrent.
Elle décolla ses mains et, pleine de terreur, tout doucement, avec appréhension, effleura le bras droit, craignant que le contact avec le Diable ne la brûle. Il ne se passa rien d’autre que la sensation de la soie de sa chemise sur sa paume. Elle sourit tandis qu’il descendait une main sur ses hanches, l’autre remontant sur son cou.
Les deux partenaires ne se quittaient pas des yeux, guettant dans le regard de l’autre la moindre réaction, elle craignant sa colère, lui vérifiant qu’ils avançaient à l’unisson.
Rassurée par le toucher sans conséquence, Oriana ajouta sa seconde main à la première tandis que Baptiste appuyait davantage ses caresses, sa main gauche descendait, par dessus la robe, se dirigeant, lentement, mais sûrement, vers le lieu de tous les désirs.
Il rompit le contact visuel pour regarder la main caressant son bras et, tout en amenant sa main vers le sexe d’Oriana, approcha son visage du bras de sa prisonnière pour y déposer un baiser.
Oriana se recula vivement en criant « Non ». Baptiste retira immédiatement ses mains de sa partenaire et les plaça devant lui en geste de défense.
- Je ne ferai rien que tu ne désires, assura-t-il pour la rassurer alors qu’Oriana tremblait de terreur. Je suis désolé si je suis allé un peu vite. J’avais juste l’impression que…
- Baptiste, non, vous ne…
- Je ne te forcerai pas, la coupa-t-il. Je nous pensais juste sur la même longueur d’onde.
- Ce n’est pas…
Oriana sentait son cœur s’affoler. Trop d’émotions en même temps. Elle peinait à se contrôler. Bientôt, elle perdrait pied. Baptiste sentant la détresse de son interlocutrice fit un pas en arrière. Oriana lui attrapa le bras, l’empêchant physiquement de s’éloigner. Il ne s’offusqua pas de ce mouvement, comme si ce moment précis se trouvait en dehors du temps, sortant des règles habituelles. Ils n’étaient plus la patiente et le médecin, la prisonnière et le geôlier, mais juste deux êtres vivants tentant de se rapprocher, apprenant à se connaître, trébuchant sur ce premier rapprochement difficile et complexe.
- Ne partez pas, s’il vous plaît, supplia-t-elle.
- Tu souffles un peu le chaud et le froid, fit remarquer Baptiste. C’est difficile pour moi de comprendre. Tout ton corps indique « oui » et tu dis « non ». Non pas que ça soit dérangeant. Tu peux avoir envie physiquement et pas mentalement. Je ne t’en veux pas. J’avais juste l’impression que…
- Baptiste ! Taisez-vous ! s’énerva Oriana qui n’arrivait pas à en placer une.
Se rendant soudain compte de ce qu’elle venait de faire, elle mit ses mains sur sa bouche. Elle avait osé donner un ordre au maître des lieux et hausser le ton sur lui. Il lui prit doucement les mains et les caressa tout en lui disant :
- Non, je t’en prie. Je comprends. Tout va bien. Je parle trop. Mon frère me le reproche souvent. Pas plus tard que ce matin, tiens ! Il est venu pour prendre des nouvelles. C’est rarissime. Dans le genre occupé, mon frère, ça se pose là.
Oriana cligna plusieurs fois des yeux. Ne sachant trop comment réagir. Il lui semblait que c’était l’hôpital se moquant de la charité mais elle n’osa pas le dire à voix haute et de toute façon, elle n’arrivait pas à en placer une. C’était incroyable comme un homme aussi muet professionnellement pouvait s’avérer loquace dans un cadre privé.
- J’ai commencé à lui expliquer toutes les nouveautés, continua Baptiste qui caressait doucement les mains d’Oriana dans les siennes, comme s’ils furent un vieux couple se racontant leur journée, et à un moment, je me suis retourné vers lui. Il n’était plus là. J’ignore totalement depuis combien de temps il était parti.
Oriana se retint de rire. Elle ne savait pas trop comment réagir. La situation avait basculé dans un mode très étrange. Que Baptiste ait besoin de parler était une évidence.
- Du coup, je suis allé voir Gilles parce que lui au moins, se rend disponible et m’écoute.
« Gilles ? » répéta Oriana. Elle décida de ne plus se poser de question. Elle l’écoutait mais prêtait davantage attention au ballet de ses lèvres, à la coordination parfaite entre son souffle et ses mots, la symphonie, la cadence, la mélodie de la logorrhée, la langue tournant habilement, claquant contre les dents ou sur le palais. Elle souriait à ses douces caresses sur ses mains et décida de profiter de ce moment tendre. Il était rare que Baptiste lui accorde autant de temps.
Elle s’enivra de son odeur, s’imagina le goûter, profiter de son corps parfait. Le Diable serait-il à la hauteur de sa réputation ? Baptiste continua à parler mais soudain, il s’arrêta au milieu d’une phrase, semblant enfin se rendre compte qu’Oriana ne l’écoutait pas vraiment. Il grimaça puis souffla :
- Excuse-moi. Je vais me taire. Promis. Parle. Je t’écoute. Je m’en voudrais de laisser passer une telle excitation. Tu exhales le désir à plein nez. Ton rythme cardiaque, ta…
Il s’arrêta brusquement et serra les dents, prenant clairement conscience qu’il parlait encore. Il inspira fortement et le ballet s’arrêta. Il continua à caresser les mains d’Oriana dans un silence total. Elle attendit quelques instants, comme pour s’assurer qu’il allait vraiment se taire, avant de se lancer.
- J’ai envie de vous, assura Oriana.
- Je le vois, mais tu…
Il serra de nouveau les dents et gronda, contre lui-même sembla-t-il. La situation aurait pu faire rire Oriana si ce qu’elle s’apprêtait à dire n’était pas aussi difficile. Elle avait vraiment besoin d’une attention en face et de ne pas être coupée.
- Je ne pourrais juste pas…
Oriana souffla doucement, tentant de contrôler son cœur s’emballant.
- C’est trop dur. Vos lèvres sur ma peau. Le souvenir de votre baiser me hante. C’est la chose la plus atroce qu’on m’ait jamais faite.
Le visage de Baptiste devint blême et tandis qu’Oriana baissait les yeux de malaise, il serra plus fort ses mains puis dit :
- Oh Oriana ! Je suis désolé. J’ai… encore une fois mal interprété. Je suis navré. Bien sûr ! Je comprends. Je comprends totalement.
Une larme dévala une joue d’Oriana. Rien qu’y repenser la plongeait dans des abîmes de souffrance. Elle s’était crue morte ce jour-là. Revenir avait été si difficile. Et la douleur ! Transperçante, cinglante, brûlante.
- Oriana ! Reste avec moi, je t’en prie !
Il lui lâcha une main pour lui caresser le visage, essuyant la goutte d’eau salée.
- Je ne te toucherai pas avec mes lèvres durant nos moments intimes, je te le promets.
Il ne s’interdisait rien en dehors mais lui offrait cette bulle de sécurité. Dans ce moment en dehors du temps, il ne la toucherait pas de cette manière.
- Mais dis-moi, continua Baptiste soudain songeur, si je ne peux pas te toucher avec mes lèvres, rien ne t’interdit en revanche de me couvrir de bisous ?
Ce disant, il la lâcha pour retirer sa chemise ce qu’il fit très rapidement avec des gestes précis. Aucun bouton ne lui résista et le tissu tomba au sol en quelques instants. Oriana sourit, le cauchemar retombant dans l’oubli et l’excitation revenant au galop.
De sa main, il lui fit signe de s’approcher. Avec sensualité, elle attrapa sa main gauche et la baisa tendrement pour remonter sur le poignet. Elle atteignit rapidement l’épaule, n’hésitant pas à sortir la langue pour le goûter. Le Diable sentait bon et avait très bon goût. Elle savoura son cou tandis qu’il souriait, ses mains parcourant le corps de sa partenaire.
Il avait relevé sa robe pour caresser ses hanches, dévoilant la culotte sans que cela ne dérange nullement sa propriétaire. Elle descendit sur le torse, titillant les tétons durs, goûtant les abdominaux ferme et bien dessinés, pour finir à genoux, le nez dans ses poils pubiens.
Quand avait-il retiré son pantalon et son caleçon ? Elle n’en avait aucune idée. Elle s’empressa de couvrir son sexe bien dur de baisers, léchant par moment et Baptiste réagissait à merveille. Peu certaine de pouvoir aller plus loin, Oriana attendit un signe. Baptiste guida sa bouche vers le bout de sa verge et Oriana se lança.
Baptiste ne cachait pas son plaisir. Ses gestes, ses caresses, ses râles, tout indiquait son contentement. Après un petit moment, il plaça sa main sous son menton pour la faire cesser et Oriana se recula.
- Debout, dit-il amusé.
Elle se redressa. Il passa ses mains sous sa robe et lui retira sa culotte.
- Non ! Garde la robe ! Je préfère, annonça Baptiste alors Oriana cessa son geste en haussant les épaules.
Ils apprenaient à se connaître. C’était parfait si chacun parvenait à indiquer ses volontés. Elle enregistra qu’il la préférait couverte. Il la fit se retourner et s’approcha dans son dos, l’enlaça, jouant avec ses seins par dessus la robe.
Ses pieds écartèrent ceux d’Oriana qui suivit volontiers le mouvement et sa main droite quitta la poitrine pour fondre sur le sexe offert. Oriana cria instantanément. La vache ! Le Diable savait carrément y faire ! Il titillait son bouton d’amour d’un doigt tout en la pénétrant d’un autre, caressant harmonieusement.
Oriana n’avait jamais connu caresse aussi agréable. Elle ne put retenir sa jouissance. Ce qu’il lui faisait aux seins n’était pas en reste. Oriana avait l’impression d’être parcourue par un courant électrique en plaisir continue. Elle jouit une seconde, puis une troisième fois avant que Baptiste ne se décide à mettre son sexe dans l’antre humide, chaud et accueillant d’Oriana qui l’accueillit en accompagnant le mouvement.
Il garda sa main sur son clitoris, tournant, appuyant, effleurant, alternant les rythmes tandis que son sexe réalisait de doux allers et retours, amenant Oriana à un nouvel orgasme. Il se retira pour la changer encore de position. Elle put jouir encore trois fois avant d’être de nouveau déplacée pour recevoir d’autres orgasmes. Enfin, il jouit et partit se rhabiller.
- Encore ? miaula-t-elle.
- Tu es insatiable, répondit-il en souriant tout en boutonnant sa chemise.
Oriana se releva. Elle se sentait merveilleusement bien. Ce moment avait été sublime. Elle attendrait avec impatience le prochain.
- À plus tard, Oriana.
- Baptiste ?
Quelque chose dans le ton indiqua au maître des lieux que sa partenaire venait de redevenir sa prisonnière. Il leva les yeux sur elle, curieux.
- Est-ce que ça compte comme de l’activité physique ?
Il explosa de rire avant de répondre :
- Oui, Oriana, ça compte.
- Vous ne voudriez pas venir trois heures par jour ? proposa Oriana en rougissant.
- Je n’ai pas autant de temps de disponible, je le crains. Tu vas quand même devoir faire de la marche, de la piscine ou du jardinage. Et puis, tes pauvres tomates ! Tu ne vas tout de même pas les abandonner comme ce pauvre hologramme. Elles, contrairement à lui, sont des créatures vivantes.
Oriana sourit et Baptiste, après un clin d’œil, disparut dans le couloir. Oriana se mordilla la lèvre inférieur puis relança la machine. Au moment de sortir pour dîner, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas remis sa culotte et pas moyen de remettre la main dessus. Tant pis, elle partit manger sans pour n’en remettre une que le lendemain matin.
- Oriana ? lança Felicia. Ça va ? Qu’est-ce que tu as ?
Oriana ne répondit pas. Elle ne pouvait pas. Tout tournait autour d’elle.
- Bryan ! Préviens le personnel ! Oriana a l’air malade.
Oriana entendit Felicia s’approcher d’elle mais des points noirs dansaient devant ses yeux et ses oreilles bourdonnaient.
- Qu’est-ce qui se passe ? dit une voix masculine.
- Oriana a l’air mal, expliqua Felicia. D’habitude, elle est très active sur le potager alors quand je l’ai vue immobile aussi longtemps, je suis venue la voir et je l’ai trouvée comme ça. Elle ne répond pas.
À quatre pattes, Oriana tenta de reprendre contenance mais ses forces lui manquaient.
- Oriana ? dit la voix masculine. Tu m’entends ?
Elle voulut répondre mais impossible de parler. Elle voulut hocher la tête. Son corps ne lui obéissait plus. Elle luttait contre ses paupières lourdes.
- C’est inutile, continua la voix. Il est occupé.
- Ah ouais ? s’exclama une seconde voix masculine. Ben attends. Tu ne vas pas être déçu. Regarde : Oriana se sent mal. Tu vas voir s’il ne va pas rappliquer vite fait. Ah ! Tu vois ! J’arrive ! Felicia, tu peux t’en aller. Nous nous occupons de ta copine.
Oriana entendit Felicia s’éloigner.
- Putain ! Comment t’as su qu’il viendrait ? demanda la première voix.
- Il la baise, t’es pas au courant ? répliqua la seconde.
- Tout le monde le sait. C’est l’information du moment ! Je ne vois pas bien le rapport. Moi aussi je baise des pensionnaires et je m’en fous complètement si l’une d’elle se blesse.
- C’est sa première relation sexuelle avec une femme depuis trois cent mille ans et tu penses que ça n’importe pas ?
« Trois cent mille ans » pensa Oriana. « Quoi ? ».
- Baptiste baise souvent, répliqua la seconde voix. J’en sais quelque chose !
- J’ai dit « avec une femme », insista le premier.
- Oh ! dit le second.
Oriana comprit que Baptiste baisait habituellement des hommes. Son cerveau enregistra l’information sans s’y attarder, préférant tourner son énergie vers l’évanouissement proche.
- Oriana ? dit la voix lointaine de Baptiste.
Il la toucha alors il devait au contraire être proche.
- Qu’est-ce qu’elle a ?
- Aucune idée, répondit la première voix. Elle ne bouge pas, ne répond pas.
- Tu as mal quelque part ?
Elle voulut répondre par la négative mais ne parvint ni à parler, ni à bouger. Il la prit dans ses bras et près de lui, en confiance, elle lâcha prise et sombra. Elle entendit Baptiste crier son prénom.
Elle ne voyait plus rien. Les bruits lui parvenaient déformés. On la déplaçait. Elle se sentit posée sur son lit.
- Elle hyperventile.
- Son rythme cardiaque est très élevé.
- Son taux d’oxygénation est bon.
- Elle semble dormir.
- Pourquoi ne répond-elle pas ? demanda Baptiste. Oriana ? Tu m’entends ? Serre ma main.
Elle tenta de le faire.
- Oui, elle nous entend.
Il avait senti sa pression !
- Tu as mal ? demanda Baptiste.
Elle serra deux fois la main.
- Non, elle ne souffre pas.
Elle fut ravie qu’il ait compris. Ses jambes devenaient lourdes, sa tête aussi. Bientôt, elle le sentait, elle sombrerait totalement. Allait-elle mourir ? Non, car Baptiste était là. Sa présence la rassurait. Ensemble, ils vaincraient.
- Je vais t’embrasser le bras, Oriana, prévint Baptiste.
Elle voulut hurler mais son corps engourdi ne sortit qu’un faible gémissement. Malgré la douleur et la sensation de mort imminente, Oriana ne put se défendre.
- Son sang ne contient pas un milligramme de sucre ! s’exclama Baptiste en reposant le bras meurtri sur le lit. Elle est gravement anémiée ! Perfusion, tout de suite ! Putain ! Elle ne mange pas ?
- Aucune idée. Bryan ne la suit pas.
« Je mange ! » voulut hurler Oriana.
- Je vais chercher Felicia.
Oriana sentit la piqûre dans son bras gauche et soudain, elle se sentit mieux.
- Elle reprend des couleurs.
- Oriana ! J’espère pour toi que tu n’as pas fait de connerie ! gronda Baptiste.
« Je vous jure que non ! » voulut se défendre Oriana mais sa réponse demeura silencieuse. Pendant quelques instants, il ne se passa rien dans une atmosphère qu’Oriana, même dans son état, sentait lourde.
- Est-ce que ça t’arrive de manger avec Oriana ? demanda soudain Baptiste, clairement agacé.
- Tous les jours, répondit Felicia.
- Elle mange bien ?
- Oui, répondit Felicia. Je la charrie souvent là-dessus. Elle mange facilement trois à quatre fois plus que moi. C’est un ogre ! À peine arrivée au potager, elle me dit qu’elle a faim. Elle s’emmène des tartines pour la route mais ça tient à peine une heure. Ensuite, elle se plaint, encore et encore, d’avoir faim.
- Que mange-t-elle ? interrogea une voix masculine.
- De tout, répondit Felicia. Majoritairement des mets sucrés mais elle consomme également de la viande, des légumes, des pâtes, des pommes de terre. Elle n’est pas difficile.
Il y eut un petit silence puis une voix masculine emplit le vide :
- Le BX1 grandit. Il lui prend toutes ses ressources. Il la vampirise de l’intérieur. L’apport digestif ne suffit plus. Oriana a perdu du poids. Elle a pris sur ses réserves. Elles sont épuisées.
- Il faut la soutenir. Augmentez la dose.
- Ces poches-là ne conviennent pas. Elle hyperventile parce qu’elle manque d’oxygène. Il faut la soutenir aussi par là.
- Je vais chercher les améliorées.
Il y eut un moment de silence puis Oriana se sentit mieux.
- Elle respire calmement. Ça marche.
- Je vais mettre ma main sur ton torse, annonça la voix de Baptiste.
Il posa la main sur le cœur et attendit.
- Elle s’est bien calmée, en effet. Le choc est passé. Je vais prendre ta main. Est-ce que tu te sens mieux ?
Oriana ne répondit rien. Elle réfléchissait. Mieux que quand ? Que la minute précédente, oui. Mieux que dans le potager, non. Elle restait aveugle et incapable de bouger. Les sons lui parvenaient toujours déformés. Elle choisit finalement de répondre « non » en serrant deux fois sa main.
- De son point de vue à elle, non, elle ne va pas mieux, indiqua Baptiste. Augmentez le débit.
Là, ça fit de l’effet. La luminosité revint et les sons devinrent clairs.
- Je suis fatiguée, parvint-elle à murmurer.
- Dors, ma belle, dors.
Oriana lui obéit instantanément, heureuse de se retrouver dans un doux cocon de sécurité et de sérénité. Elle était entre de bonnes mains, elle le savait.
Elle perçut un bruit dans la chambre. Elle ouvrit péniblement les yeux pour découvrir Fred qui changeait la poche de sérum nourrissant.
- Tu es réveillée, constata-t-il. Comment te sens-tu ?
- Épuisée, répondit Oriana.
- Pendant que tu dors, nous cherchons un moyen de te sustenter encore davantage. Toutes nos équipes travaillent dessus. Ne t’inquiète pas. Nous trouverons.
- Restez, s’il vous plaît. J’ai peur toute seule, pleura Oriana.
Fred fit le tour du lit pour se placer à sa droite, lui prit tendrement la main et lui sourit.
- Si tu veux.
Oriana se rendormit, rassurée. Elle avait tellement de peur de se réveiller seule, de ne pas pouvoir appeler, de se sentir mourir et d’être abandonnée.
Elle ne compta plus les réveils. Fred se trouvait toujours là. Partait-il pendant qu’elle dormait ? Elle l’ignorait. Toujours était-il qu’il était fidèle au poste. Lorsqu’elle ouvrait les yeux, il relevait le dossier du lit et l’obligeait à avaler des cuillères d’une gélatine transparente au goût très sucré. Oriana trouvait cela très bon mais n’avait généralement pas la force d’en avaler plus que deux.
Parfois, elle avait l’excellente surprise au réveil de trouver Baptiste. Avec lui, elle trouvait l’énergie d’en avaler quatre avant de sombrer, totalement épuisée, dans un sommeil sans rêve, lourd et puissant.
Elle s’éveilla pour se trouver bien. Fred, assis sur le siège près d’elle, naviguait sur une tablette. Il la regarda et lui sourit.
- Ça va mieux on dirait, fit-il remarquer.
Oriana se tourna vers la poche. Son contenu était rouge et plus transparent.
- Vous me transfusez du sang ? demanda-t-elle.
- Pas exactement, non, mais ça s’en rapproche. Il y a de l’hémoglobine de synthèse dedans. Tu hyperventiles beaucoup. C’est principalement d’oxygène dont tu manques. Tout ton corps s’éteint à cause de cela. On augmentait les doses de nutriments alors que c’était l’oxygénation sur laquelle il fallait jouer.
- C’est étrange, dit Oriana.
- Quoi donc ?
- J’ai envie d’un bain, indiqua-t-elle. Je voudrais être dans l’eau.
Fred sourit énigmatiquement avant de répondre :
- Moi, ça ne me surprend pas.
- Je ne crois pas être capable de me lever, précisa-t-elle.
- Je vais te porter, dit-il en s’avançant.
Oriana se laissa soulever. Il ne sembla pas avoir la moindre difficulté à la soutenir. Il était aussi fort qu’un démon. Sachant qu’il n’appréciait pas la comparaison, elle se garda bien de le lui dire et profita simplement du transport agréable. La perfusion suivait tranquillement. Dans ce monde étrange, plus rien ne surprenait Oriana.
Fred la déposa dans une grande baignoire sans prendre la peine de lui retirer ses vêtements. Il passa deux sangles au dessus et en dessous de ses seins.
- Comme ça, tu pourras dormir sans risque de noyade, indiqua-t-il. Pour les retirer, appuie simplement sur ce bouton. Le but n’est pas de t’immobiliser contre ton gré mais bien de te sécuriser.
Oriana hocha la tête. Elle voulut le remercier mais quelque chose n’allait pas.
- La température ne convient pas ? demanda Fred.
Non, l’eau était tout juste chaude, idéale.
- Il te veut entièrement dans l’eau ? Avec un masque respiratoire ?
- Il ? répéta Oriana.
- C’est le bébé qui parle, précisa Fred. Il… oh ! Je crois savoir ce qui ne va pas ! Attends, parce que ça va être coton à réaliser ! Cette baignoire n’est pas prévue pour. Je vais appeler les techniciens.
Pendant plusieurs minutes, des hommes et des femmes en blouse bleue – qu’Oriana voyait pour la première fois – s’afférèrent autour de la baignoire, discutant dans une langue slave, enlevant des modules électroniques, en mettant d’autre à la place, s’énervant, grondant, râlant ou souriant, riant et se tapant gentiment dans le dos. Ils semblaient très bien s’entendre.
- On va avoir besoin de toi, annonça l’un d’eux en se tournant finalement vers Oriana. Tu nous dis à quel moment c’est bien.
- D’accord, répondit Oriana sans trop comprendre.
L’eau ne changea ni de température, ni d’odeur, ni de couleur, ni de texture et pourtant, en effet, elle ressentit un mieux.
- C’est pas mal, dit-elle. C’est encore mieux. Oui, c’est bien. Non, ça ne va pas.
À force de les guider, ils trouvèrent le réglage exact puis partirent. Seul Fred resta.
- Ne bois pas l’eau de la baignoire, lui dit Fred.
- Il y a quoi dedans ? demanda Oriana, inquiète.
- Du sel, répondit Fred. BX1 veut de l’eau salée. Oh mais ! C’est ça ! Il veut du sel ! Il y en a extrêmement peu dans la nourriture à la Clinique. Cet élément manque cruellement dans les poches que nous te fournissons. C’est peut-être ça le dernier élément pour que tu reprennes enfin des forces.
Une femme en blouse blanche entra et tendit à Fred une poche transparente.
- Pas d’hémoglobine artificielle ? s’étonna-t-il.
- On teste et on voit, indiqua la femme. On testera plusieurs sérums. Oriana, n’hésite pas à les noter en fonction de ton ressenti. On ajustera en fonction.
- D’accord, répondit Oriana qui fut heureuse de se sentir impliquée et écoutée.
La nouvelle poche remplaça la précédente.
- J’ai très envie de faire pipi, indiqua Oriana que l’eau chaude engourdissait.
- Tu peux uriner dans l’eau. Elle est nettoyée, filtrée et réchauffée en permanence.
Oriana se soulagea avec bonheur. Elle se sentit lourde.
- Dors. Je reste près de toi, promit Fred.
Oriana rejoignit de nouveau le monde noir et vide de ce sommeil prenant. À son réveil, elle se sentait mieux. Aucun problème de vue ou d’audition. L’odeur de l’eau salée lui parvint, une odeur d’océan. Avaient-ils rajouté de l’iode ?
- C’est agréable de te voir sourire.
- Baptiste ! lança-t-elle gaiement.
- Ça semble fonctionner.
Oriana hocha la tête. Elle se sentait bien, prête à reprendre sa vie en main.
- Je voudrais sortir de la baignoire, indiqua Oriana.
- Sans que j’en profite ? Hors de question, dit-il avant de rentrer dans la baignoire.
Elle ne déborda pas. Tout ici réagissait à la perfection aux perturbations. Les machines de ce complexe étaient décidément très bien programmées. Baptiste retira sa culotte à Oriana. Il adorait le faire.
Elle avait voulu la retirer elle-même une fois, alors qu’il était venu lui proposer de baiser en plein déjeuner à l’intérieur du restaurant était bondé. Elle l’avait suivi sous le regard rieur des pensionnaires et avait tenté de retirer le bout de tissu dès que les environs furent intimes. Il l’en avait empêché.
- J’adore la retirer moi-même, avait-il précisé.
- Mais vous ne me la rendez pas ensuite ! avait-elle accusé.
- C’est parce que j’adore te savoir le sexe à l’air pour le reste de la journée, de savoir que mon sperme va dégouliner le long de tes jambes et que tu ne pourras rien y faire.
- Je peux ne pas en mettre du tout, si vous préférez ! avait précisé Oriana.
- Garde t’en bien ! J’adore ma collection de petites culottes.
- Vous les conservez !
- Évidemment ! avait-il répliqué.
Depuis, elle les choisissait avec soin chaque matin et se trouvait fort triste de l’avoir toujours le soir car cela signifiait que Baptiste n’avait pas trouvé de temps à lui consacrer.
À cause de son état de fatigue, cela faisait des jours que Baptiste n’avait pas proposé de relation sexuelle. Oriana en crevait d’envie. Le regain d’énergie lui faisait pousser des ailes.
Elle dirigea sa main vers le bouton libérant les sangles mais Baptiste s’interposa.
- Tu veux bien rester attachée ?
Oriana lui lança un regard amusé.
- Soit, dit-elle en retirant sa main.
- Merci, ma belle.
Elle le caressa de ses mains tandis qu’il la pénétrait dans l’eau. Il restait trop loin pour qu’elle puisse l’embrasser et les sangles l’empêchaient de l’approcher. Il malaxait ses seins tout en la pilonnant. Le sentir aussi profondément la fit décoller. Son clitoris fut soudain titillé, caressé, effleuré. Le doigt tournoya, tritura, pinça, suça ?
Oriana ne comprenait pas ce qui se passait. Il la pénétrait de son sexe et ses mains malaxaient ses seins. Ils étaient seuls dans la pièce alors qu’est-ce qui s’occupait aussi divinement de son clitoris ? Elle décida de ne pas chercher à comprendre et de simplement profiter. Elle se laissa aller et reçut trop d’orgasmes pour compter.
- Je crois que tu vas mieux, en effet, en conclut Baptiste qui sortait de l’eau. Nous avons enfin trouvé le bon compromis. Ceci dit, tu ne peux pas vivre tout le temps sous perfusion. Certes, tu es capable de changer les poches toi-même et de remettre la perf en place si elle bouge, mais cela reste inconfortable. Nous essayons de trouver une autre solution. Mes équipes sont dessus.
- Je vous remercie, dit Oriana.
- Maintenant que BX1 a du sel, je pense que tu dois pouvoir sortir de l’eau. N’hésite pas à prendre des bains ou à te rendre à la piscine. Par contre, je retire les trois heures d’activités sportives obligatoires par jour. Au contraire, repose-toi. Je ne t’interdis pas de bouger non plus. Fais juste en fonction de tes capacités.
- D’accord.
- Pardonne-moi d’avoir douté de toi, finit-il sur un ton très doux en lui caressant la joue. Tu prends bien soin de toi et du bébé. Continue. Je suis très satisfait.
Oriana sourit doucement. Il l’aida à sortir de la baignoire et à se rendre dans la salle de bain pour une douche rapide lui permettant d’éliminer le sel sur sa peau. Il la sécha. Non pas qu’elle n’en eut pas la force. Il en avait juste envie. Il lui tendit une robe sèche mais pas de culotte. Elle ne demanda rien. Elle connaissait ses préférences.
- Baptiste ? lança-t-elle.
- Hum ? répondit-il.
- C’est vrai que vous êtes homosexuel ?
Baptiste fronça les sourcils.
- Qui t’a dit ça ?
- Des membres de votre personnel l’ont sous entendu, indiqua Oriana.
- Ils feraient mieux de se taire, gronda-t-il.
Il y eut un petit silence puis Oriana insista :
- Du coup, c’est vrai ?
- Oui, répondit Baptiste. J’ai mis du temps à l’accepter mais oui.
Oriana lui caressa doucement le cou.
- Vous aurais-je réconcilié avec le genre féminin ?
Il sourit puis indiqua :
- C’est différent. Je trouve très agréable d’avoir une bite dans le cul.
- Je ne vous contredirai pas là dessus.
- Je prends note, indiqua Baptiste tout sourire. Ceci dit non, Oriana, tu ne m’as pas réconcilié avec le genre féminin. Ce n’est pas le genre féminin que j’aime baiser mais toi.
Oriana en fut soufflée. Il parlait bien de sentiments, là ? Ou alors comprenait-elle mal ? Baptiste s’éloigna sans un mot supplémentaire. Oriana rejoignit la salle à manger – car son estomac vide la lançait – plongée dans une intense réflexion.
Où était passée son envie de s’enfuir ? Envolée ! Il avait réussi, comprit-elle. Il se jouait d’elle. Il couchait avec elle uniquement pour lui donner envie de rester. Il la couvrait de bonheur dans cet enfer déguisé en paradis. Il avait senti son besoin sexuel et l’avait comblé, uniquement pour l’endormir. Face à ce géant, sa volonté vacillait.
Tout en mangeant, Oriana comprit qu’elle était en train de se faire avoir. Ils ne prenaient pas soin d’elle, mais du BX1. Tout tournait autour de lui. Elle était l’incubateur dont il fallait prendre soin mais le but final était bien ce bébé, pas elle. Ils la satisfaisaient uniquement pour s’assurer sa coopération. Si elle prenait elle-même soin d’elle, cela leur faisait du travail en moins. Plus elle collaborait, plus elle entrait dans leur jeu.
Oriana en fut maintenant certaine : rien n’était vrai. Tout n’était que mensonge. Elle se sentit stupide, manipulée et idiote. Ils gagnaient. Elle perdait. La prison s’enrobait de coton, de guimauve. Elle suivait le chant des sirènes jusqu’au fond de l’eau où elles la noieraient. Il fallait qu’elle s’en aille et vite. Sinon, elle sombrerait.