Chapitre 5 : Mary

— Hé, c’est pas grave. Tu la lui rendras tout à l’heure. Ou alors, tu l’as lis maintenant..., chuchota Siméon en gardant un œil sur la vieille chouette qui leur servait de documentaliste.

— Non, je te l’ai déjà dit. Ça ne se passe pas comme ça. Je ne lis jamais les lettres de mon oncle, c’est mon père qui s’en charge. Malgré leur apparence moyenâgeuse, ce sont des documents de travail.

— D’ailleurs, poursuivit Siméon, tu penses que celle-là a un lien avec la caisse reçue par ton père ce matin ?

— C’est certain. La lettre et le mystérieux colis sont arrivés le même jour. Mais il y a quelque chose de bizarre... Oncle Edward avait besoin de s’assurer que personne d’autre que mon père ne puisse lire sa missive. C’est pour ça qu’il a fermé l’enveloppe à l’aide d’un cachet de cire.

— Ouais, il se la joue grand seigneur ! railla Siméon.

— On peut dire ça. L’oncle Edward est un curieux personnage, et ce genre de détail ne devrait plus m’étonner, mais… je me demande... Si l’information qui est en sa possession est si importante et qu’en plus elle est en lien avec la caisse, alors pourquoi a-t-il choisi de faire livrer sa mystérieuse cargaison au musée ?

— Étrange, effectivement... D’autant plus que la taille de la caisse éveille la curiosité ! chuchota Siméon. 

— Qu’avait dit ton oncle dans sa dernière lettre ? questionna Meggie en mâchouillant la gomme de son crayon à papier.

— Il était en route pour le Dakota du Sud. Je n’en sais pas plus.

D’un hululement sifflant, la documentaliste réclama sévèrement le silence.

Joey s’affaissa sur sa chaise en fronçant les sourcils. Elle tenta de se concentrer sur ses exercices de physiques, mais ses pensées étaient parasitées par le contenu de cette étrange missive. Elle ne pouvait s’empêcher de lui lancer des regards en coin, reconsidérant inlassablement la proposition de Siméon. Tout à coup, elle lâcha son stylo et saisit l’enveloppe. 

— J’imagine qu’à l’heure qu’il est, mon père est en train d’ouvrir l’étrange caisse de mon oncle. Et si le courrier contenait des instructions précises ?

— C’est pas nous qu’il faut convaincre, Joey. C’est toi ! Allez, arrête de tourner autour du pot. Ouvre-la ! trancha Siméon, péremptoire.

Joey savait pertinemment que son père ne lui en tiendrait pas rigueur mais, rien à faire, elle s’évertuait à croire qu’elle était sur le point de désobéir. Désobéir aux règles qu’avait forgées l’habitude, mais désobéir tout de même.

— OK, OK... C’est pour la bonne cause. Mon père me remerciera peut-être...

D’un geste un peu gauche, Joey décacheta l’enveloppe du Professeur Huntley. Elle considéra silencieusement le parchemin qu’elle venait de déplier et entama une lecture chuchotante :

 

« Cher Victor, 

Ma très chère Joey (puisque je sais que tu rôdes toujours dans les parages),

Laisse-moi d’abord te souhaiter un très joyeux anniversaire.

Je vous écris d’un petit hôpital du comté de Dewey. Figurez-vous que je me suis cassé la jambe en remontant l’escalier d’une tranchée de tourbe que j’avais creusée un peu plus tôt. Il s’agit d’un regrettable accident, mais sans gravité. Je serai bientôt sur béquilles ! 

Victor, as-tu déjà réceptionné mon petit colis ? Si c’est le cas, termine bien la lecture de cette lettre avant de déballer les objets qu’il contient, cela t’aidera à y voir plus clair. » 

 

Joey déglutit bruyamment. 

 

« Tu seras sans doute surpris par la nature des éléments que je t’envoie. Depuis quand me suis-je improvisé archéologue, te demanderas-tu peut-être ? Ne te laisse pas duper par l’absurdité trompeuse de la situation ! Je ne suis pas, comme tu le sais, un grand amateur de poteries, de céramiques et de statuettes, mais je sais encore différencier celles qui présentent un certain intérêt de celles qui n’en possèdent aucun. Et c’est précisément ces dernières que j’ai sélectionnées pour intégrer la caisse que je t’envoie. J’espère qu’elles auront réussi à convaincre d’éventuels pillards du peu d’intérêt apparent que représente mon expédition. Quand toi et tes amis aurez déballé les centaines de babioles qu’elle contient, tu découvriras le véritable trésor que je t’adresse.

Figure-toi qu’un soir, il était déjà tard, mais j’avais tenu à poursuivre les recherches commencées le matin même dans cette partie de la tourbière de la réserve de Standing Rock. Alors que je fouillais sans relâche une terre noire et pâteuse qui collait à la lame de mon piochon, je remarquai tout à coup que mon outil n’avait pas raclé la tourbe comme à l’accoutumée : je m’affairais depuis suffisamment longtemps pour m’en être rendu compte ! Bien qu’une trace de boue recouvrait presque intégralement l’un des verres de mes lunettes, j’étais certain que ce que j’entrevoyais à la lumière de ma lampe frontale allait changer le cours de l’Histoire. 

C’est qu’elle m’en avait donné du fil à retordre, cette coquine ! C’est tout à son honneur, une lady ne se laisse pas approcher aussi facilement. Je l’ai appelé Mary. Tu la trouveras ensevelie dans une caisse parmi toutes les bricoles dont je te parlais tout à l’heure. Il s’agit d’une femelle, une vieille dame de soixante-six millions d’années tout à fait extraordinaire. Tu verras, elle n’a pas pris une ride !

Comme tu le sais, je suis un homme de terrain, aussi mon travail est-il terminé. Mon cher Victor, à ton tour de prendre soin d’elle. Je suis certain qu’une fois en confiance elle te livrera ses secrets.

Bien affectueusement,

Pr Edward Huntley

 

P.S. : Quelle merveille cette plume de coq de bruyère, ne trouvez-vous pas ? Elle accroche sur le papier juste comme il faut et sa tige creuse s’avère être un réservoir à encre plus que satisfaisant ! »

 

La première réflexion de Joey fut de penser que l’oncle Edward était décidément un homme énigmatique qui manipulait les figures de style avec habileté. Mais à ce moment précis, elle aurait tellement préféré que le paléontologue soit allé droit au but. Joey essayait tant bien que mal de recoller les morceaux de ce drôle de puzzle.

— On va pas se mentir, j’ai rien compris ! lâcha finalement Siméon. Ton oncle n’a quand même pas enfermé une grand-mère dans cette caisse ?

Joey replia la lettre énergiquement et la fourra dans son enveloppe.

— Non, bien sûr ! Mais un dinosaure, oui ! Mary est un dinosaure !

Joey se leva de sa chaise. Celle-ci se renversa sous le poids de son sac à dos mais qu’importe, il fallait qu’elle quitte Saint-Georges au plus vite. Elle ramassa son sac, oubliant la chaise, et fonça en direction de la sortie. C’était sans compter la présence d’un élève, occupé à ranger des manuels sur les étagères déjà pleines de la section « physique ». Elle bouscula son chariot et toute la pile d’ouvrages qu’il supportait s’écrasa au sol. Joey se retourna pour bafouiller des excuses inaudibles, heurta le comptoir de la documentaliste parce qu’elle ne regardait plus devant elle et renversa sa tasse de thé avant de prendre la fuite. 

Réflexe amical, Siméon avait suivi Joey et il se demandait encore ce qui lui avait pris. Arriver avec quelques minutes de retard était une chose, mais sécher les cours en était une autre. Le garçon slaloma entre les vestiges délabrés du passage de son amie avec autant d’habileté que son grand corps maladroit le lui permettait, c’est-à-dire pas beaucoup. Il se promit à cet instant de rappeler plus tard à Joey qu’elle était une catastrophe ambulante. Meggie, désormais habituée aux facéties de ce drôle de duo, les avait regardés décamper avec amusement. 

Le spectacle était grandiose !

Joey et Siméon montèrent deux à deux les marches qui menaient jusqu’au parvis du musée et se faufilèrent entre les touristes qu’était en train de servir Édith. Ils s’engouffrèrent sans attendre dans le monumental hall du muséum. Le bâtiment était réputé pour son entrée spectaculaire dominée par un immense squelette de diplodocus. Au fond de la salle, un majestueux escalier en pierre desservait une large coursive surmontée de deux pans de verrière qui baignaient l’endroit d’une lumière mystérieuse. Construit à l’époque victorienne, le musée avait des allures de cathédrale avec ses arches arrondies, les sculptures végétales de ses piliers et les fresques de ses plafonds. Pour Joey, l’endroit était d’ailleurs tout aussi sacré qu’un sanctuaire.  Elle vénérait pour ainsi dire chaque spécimen qui y était exposé.

Sans perdre une minute, Joey et Siméon tournèrent sur leur droite sous la première voûte et s’élancèrent dans une longue galerie qui menait au département de paléontologie. Sur leur gauche se trouvait l’immense salle d’exposition et, de là où ils se trouvaient, ils entendaient les rugissements de la reproduction animée du tyrannosaure qui ponctuait la visite guidée. En chemin, ils croisèrent Arnold, son képi vissé sur la tête et son sifflet autour du cou, qui effectuait son tour de ronde. Ils saluèrent le gardien qui, un sourire en coin, leur répondit en soulevant la visière de son couvre-chef.  Joey et Siméon se trouvaient désormais dans l’espace du musée inaccessible aux visiteurs. Ils passèrent devant la salle d’extraction des fossiles, la pièce de stockage et le laboratoire de recherches. Encore quelques mètres après la porte coupe-feu et ils arriveraient à destination. C’est le cœur battant que Joey, peut-être plus encore que Siméon, se présenta devant la porte du bureau de son père.

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SalynaCushing-P
Posté le 28/02/2020
Mary ? ..... c'est pas le nom d'un squelette de T-rex ? Ou je confonds avec autre chose. Par contre, j'ai un peu du mal à situé l'époque ?
Curieuse de découvrir la suite de cette aventure.
peneplop
Posté le 29/02/2020
C'était Violette, il me semble XD Dans mon histoire en tout cas ! Pour l'époque... On est censé être cette année ! C'est pas si évident a priori... T'es pas la première à me le faire remarquer...
MrIous
Posté le 22/01/2020
Bien intriguante cette Mary. Étant donnée que ton histoire est de la SF, on peut s'attendre à tout (même à une véritable grand-mère XD ).
L'intrigue se dévoile petit à petit et Joey ne cesse de me faire sourire ^^.
La lettre est vraiment bien faite, et le grand-père en devient presque passionnant. La suite est par là --> à plus ^^
peneplop
Posté le 01/02/2020
Hey, merci de ton commentaire ! Le Pr Huntley est un de mes persos préférés :) Je promets qu'aucune grand-mère n'a été maltraitée pendant l'écriture de cette histoire !
Renarde
Posté le 22/12/2019
Coucou Peneplop,

"Ou alors, tu l’as lit maintenant" - "Tu la lis" plutôt ?
en gardant un oeil à la vieille chouette - garder un œil sur ?

Joey ne va pas améliorer sa situation à l'école en faisant l'école buissonnière !

J'ai adoré la lettre qui commence par "Ma très chère Joey (puisque je sais que tu rôdes toujours dans les parages)". On sent qu'il la connaît vraiment bien XD.

Mary est-elle vraiment un dinosaure ? Pas sûr...
peneplop
Posté le 23/12/2019
"Mary est-elle vraiment un dinosaure ? Pas sûr..." : rdv au chapitre suivant ;)

Merci pour les coquilles... (ça me désespère).
_HP_
Posté le 28/10/2019
Hey,

Ce livre est vraiment génial (du moins pour l'instant :p )
Il y a juste un tout petit petit truc qui me dérange...Dans le sixième (sans compter le "Cher victor"), tu as écrit "tu l'as trouvera". Sauf erreur de ma part, on dit plutôt "tu LA trouveraS", non ? ^^
En attendant hâte de lire la suite !
peneplop
Posté le 29/10/2019
Coucou HP ! Contente de lire que ça te plaît ;) Tu as raison, c'est bien "tu la trouveras" puisque le "la" fait référence à Mary ! Bien vu !
Anna Ferju
Posté le 09/05/2019
Alors alors, me revoilà ! 
Je viens de finir le chapitre 4 et je dois dire que je m'attache de plus en plus à cette Joey au caractère bien trempé. Le personnage un peu geek de Siméon me plaît bien aussi, j'espère qu'on continuera à le voir souvent dans les prochains chapitres, comme le "wing man" de Joey pour l'aventure et les bêtises. 
Pour les coquilles que j'ai pu relever :
Chapitre 3 : En effet, Joey et Merlin savaient pertinemment que chaque retard était sanctionné par une heure de retenue à la fin des cours.
Alors soit j'ai loupé un épisode, soit tu t'es trompé de nom, car j'avais retenu que Joey était accompagnée de Siméon ? 
Où vas-tu maintenant ? questionna-t-il comme pour balayez le souvenir désagréable du moment qu’ils venaient de vivre. 
Joey catapulta discrètement un peu de purée à l’aide de sa cuillère (il manque le "de")
Chapitre 4 : On eut l’impression qu’il se désincarcéra littéralement de derrière son bureau. (problème de temps ?)
Joey sentit l’urgence de la situation dans la manière qu’avait son père de propulser sa chaise (pareil, la concordance des temps me perturbe, je ne suis pas certaine de la formulation. "Eut" peut-être à la place de "avait"?).
Voilà, voilà, j'ai hâte de découvrir ce que cache véritablement cette caisse, n'ayant aucune idée de ce qu'est un Dracorex (un dragon peut-être ?). 
peneplop
Posté le 09/05/2019
Merci beaucoup de tes retours ! Décidemment j'ai un problème de version...!!! Merlin c'était le nom initial de Siméon... Je vais corriger tout ça !
Le chapitre suivant répondra à ta question ;)
  
Zenodote
Posté le 02/05/2019
Hello Peneplop!
Rythme au poil, personnages pétillants, intrigue alléchante... Y a pas à dire, ça démarre très bien ce roman!
J'ai beaucoup aimé la manière dont tu te sers du vent comme vecteur d'entrée dans l'histoire. Et je suis jalouse de certaines de tes phrases, comme celle-là:
"Sous son nez aquilin se fendait une bouche aux lèvres quasi inexistantes qui semblaient avoir été limées par l’aigreur quotidienne de ses propos."
A ce stade, je n'ai pas de critique à faire, à part qu'il y a un peu trop de points d'exclamations dans les dialogues, et que les paragraphes de description des personnages dans ce chapitre sont un chouilla "monolitiques" par rapport au reste de la narration - mais c'est vraiment du pinaillage. 
J'ai noté une coquille: tu dis que Cornebuse est prof de littérature puis de biologie dans le paragraphe ci-dessous.
— J’ai un cours de littérature... Avec monsieur Cornebuse, répondit Joey. 
Le silence qui avait entrecoupé sa phrase ne laissait pas de place au doute : Joey appréhendait de se rendre à sa première leçon de la journée. Si Calûm ne l’effrayait pas le moins du monde, Cornebuse, lui, lui glaçait le sang. Igor Cornebuse était en effet un professeur de biologie tout ce qu’il y a de plus rigide. 
Je suivrai la suite de ton histoire avec plaisir!
Tchüss 
Zénodote 
peneplop
Posté le 02/05/2019
Merci à toi Zenodote !
Bien vu pour la coquille !
Pour les points d'exclamation, c'est pas faux... Je me rends compte sur le forum d'ailleurs... Je sens que c'est pas mon point fort par ailleurs les dialogues. 
Tu veux bien me dire ce que tu entends par "monolitique" ? Un pavé descriptif pour mon héroïne et boom un second pour son meilleur copain, cest çà ? C'est vrai que ce n'est pas filé dans le récit... C'est un peu grossier ? 
Merci encore ! 
Mary
Posté le 27/05/2019
Me revoilà ! 
Tout de même, je ne suis pas si vieille que ça hahaha XD J'ai bien ri ! 
 Quelle énigmatique lettre ! J'avoue n'avoir rien saisi du tout, en fait, si ce n'est qu'il a trouvé un fossile ou quelque chose d'approchant. Je ne vois pas ce qui peut susciter une telle réaction. 
Par contre, rien à dire sur la richesse du vocabulaire, comme d'habitude ! 
Je m'en vais lire la suite !  
Détails :
"Les deux amis montèrent deux à deux les marches qui menaient jusqu’au parvis du musée." j'enlèverais le "jusqu'" qui n'est pas nécessaire, selon moi.  
"comté de Dewey" je préciserais que c'est dans le Dakota. Tu sous-entends les États-Unis avec la réserve de Standing Rock, mais le Dakota parlera plus au lecteur que le comté de Dewey.
peneplop
Posté le 21/10/2019
Hello Mary !
Je me rends compte que je n'ai pas répondu à ton message. Depuis ton commentaire, j'ai pris le temps de récrire le chapitre (et celui d'avant). Cela devrait avoir pour effet d'être un peu moins énigmatique sur la nature de la bestiole ;) Enfin... Je l'espère !
A bientôt !
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