Chapitre 5 — Blaine

Ces derniers jours, j'avais échangé de nombreux messages avec Kayla pour m'assurer qu'elle aille bien. Elle n'avait rien voulu me dire de plus, craignant que notre père tombe dessus par hasard.

Heureusement, en fin de semaine, elle eut une fenêtre pour sortir. Notre père avait un déplacement à l'autre bout de la ville, ce qui laissait à ma sœur toute une après-midi pour s'enfuir.

Elle m'avait proposé de nous retrouver dans un parc à quelques minutes de la maison. Même si le temps était encore un peu frisquet, elle pourrait facilement rentrer à la maison au moindre imprévu.

Malgré les derniers évènements, elle semblait en plutôt bonne forme. Je m'attendais à la voir cernée et l'air fatigué. Elle avait un peu de maquillage, mais je doute qu'elle en ait utilisé pour masquer quoi que ce soit.

Dès qu'elle me vit, elle avait couru à travers le parc pour me retrouver et se jeter dans mes bras.

— Oh mon Dieu ! Blaine, tu m'as tellement manqué ! lâcha-t-elle, la tête encore sur mon épaule.

— Heureusement, ça ne fait que quelques jours...

— Mais j'avais tellement peur que ce soit plus.

Elle me relâcha et me regarda longuement. Un timide sourire se dessina sur son visage.

— Est-ce que ça va à la maison ? Est-ce que c'est supportable ?

Elle hocha lentement la tête puis elle croisa ses bras, un peu gênée. Désormais, je savais que, peu importe ce qu'elle me dirait, je saurais qu'il y avait quand même quelque chose.

— Papa me surveille beaucoup, mais pour éviter que tu prennes contact avec moi. Alors sortir, ça devient compliqué. Je sens que je vais galérer à voir Hailey et que ça risque d’être tout aussi compliqué pour mon traitement dans le futur.

— T’en as encore pour suffisamment longtemps ? demandai-je, inquiet.

— Suffisamment pour un mois.

Au moins, ça nous laissait un mois pour trouver une meilleure solution. Elle pouvait encore s'extraire de cette situation, même si ça impliquait que notre mère se retrouve seule.

— Et toi... ? Les pères de Charlie n'ont pas été trop... méchants ?

Je sentais qu'elle voulait trouver un mot plus doux pour les définir, mais elle avait fini par prendre le premier qui lui était venu à l'esprit.

— Étonnamment... Ça s'est très bien passé. Ils ont été très accueillants et ne semblaient pas méfiants du tout.

— Même quand ils ont appris que Charlie et toi étiez mariés ? s'enquit-elle en arquant un sourcil.

— Aussi... Et ça a été assez bizarre de passer d'un extrême à un autre.

Kayla semblait un peu peinée par ce que je venais de lui dire. En même temps, je pouvais comprendre. Elle était encore coincée dans cette maison et pire que tout, en plein combat contre sa violente addiction.

Il fallait vraiment que je la tire de là, ou du moins, que je l'aide au mieux. Je savais que je ne devrais pas me sentir coupable si un malheur arrivait, mais je ne pouvais pas chasser cette pensée de mon esprit. Ma sœur faisait partie des êtres les plus précieux à mes yeux.

— Dire que c'est dans ma propre famille où ça s'est le plus passé, ajoutai-je un brin ironique. Mais c'était évident... et j'étais dans le viseur de notre père depuis quelque temps.

— Parce que t'as tout encaissé à ma place... Il pense que tu te drogues, alors que c'était moi.

— Mais tu n'aurais pas pu encaisser ça...

Elle se mordit les lèvres. Elle avait terriblement envie de me contredire, mais elle savait qu'elle n'en avait pas encore la force. Déjà, elle avait fait d'énormes progrès ces derniers temps, elle devait aussi accepter que la guérison était un long chemin.

Elle détourna son regard un instant et entama une marche dans le parc. Je la suivis silencieusement. Pendant quelques minutes, on resta l'un à côté de l'autre, sans dire un mot, juste à apprécier le moment présent.

— Maman m'a avoué quelque chose à mon sujet, lança-t-elle en fixant ses pieds.

— Tu n'es pas obligée d'en parler si tu ne te sens pas prête...

Elle prit une longue inspiration. Elle ne cherchait même pas à se défiler. Je sentais qu'elle avait terriblement envie de se confier.

— Elle a trompé notre père pendant un moment et c'est pour ça qu'il la déteste depuis ce jour. Il lui fait payer à chaque fois cette erreur.

Je me tournai vers elle et je compris que ce n'était pas toute l'histoire, sinon elle ne m'aurait pas demandé de venir en urgence.

— Et de cet adultère, je suis née. Notre père pense que je suis vraiment sa fille, parce qu'elle lui a toujours fait croire que c'était le cas... Mais pas du tout.

Désormais, je voyais toute sa peine se dessiner sur son visage. Elle n'était ni soulagée ni heureuse. Elle était dans un entre-deux où elle n'arrivait pas à se décider.

— Maman m'a donné toutes les informations qu'elle avait sur mon père. Je peux aller le voir...

— Est-ce que tu en as envie ?

Elle s'arrêta dans sa démarche et regarda aux alentours, comme pour trouver un moyen de s'échapper. Puis son regard se posa de nouveau sur moi.

— Je crois que oui... J'ai jamais trop su qui j'étais, quelle était ma place dans ce monde... Et là, j'essaie de me battre contre mon addiction. Sauf que j'ai besoin de plus pour m'en sortir. J'ai besoin de croire en quelque chose... Peut-être que la réponse se trouvera là...

Elle avait les yeux humides et tout son mal-être était en train de ressortir. Ce mal-être qui l'avait fait se tourner vers l'héroïne. Comme beaucoup de personnes, elle aurait terriblement voulu trouver une autre solution. Mais elle me l'avait répété à plusieurs reprises : l'héroïne était ce qu'il y avait de plus efficace. Ça coupait tout. Toute la douleur, toute la peine s'envolaient et seul le calme restait. Malheureusement, jamais pour bien longtemps...

— Tu veux que je t'aide ? lui demandai-je en voyant à quel point elle s'était perdue dans ses pensées.

Elle hocha timidement de la tête comme seule réponse. Parce qu'elle savait que si elle ouvrait la bouche, elle éclaterait en sanglots.

— On s'y rendra quand tu veux, dès que tu te sentiras prête...

— Ce qu'il faut, c'est surtout du temps. Il est à Los Angeles, c'est à plusieurs heures de voiture d'ici...

— J'ai un permis et une voiture, et surtout tout mon temps.

Elle m'adressa un timide sourire. Il était évident qu'elle craignait surtout les excès soudains de notre père, mais je serais son pilier, comme je l'avais toujours été jusqu'alors. Un jour, il faudrait bien que j'abandonne ce rôle, parce qu'elle ne pourrait jamais se construire. Mais chaque chose en son temps.

— Dès que je pourrai partir, je te préviendrai, m'annonça-t-elle timidement.

— Évidemment...

— Mais si ça se trouve, ça ne sera qu'une désillusion de plus...

Elle avait encore une fois vraiment envie de pleurer, sauf qu'elle se retenait de toutes ses forces. Le plus dur était encore devant elle et elle ne voulait clairement pas craquer maintenant.

— Mais si tu ne tentes pas, tu ne pourras jamais le savoir. Alors peut-être que ton père biologique sera tout aussi pourri que celui qui t'a élevé, mais au moins, tu sauras qui il est, d'où tu viens...

Elle acquiesça silencieusement d'un simple hochement de tête. J'espérais vraiment pour elle qu'elle ne tombe pas sur un autre connard qui lui ferait du mal.

— Maman a tout fait pour l'éloigner de moi. Elle lui a fait croire qu'il n'était pas le père, mais sous la pression. Peut-être que d'autres circonstances, maman ne serait pas restée avec notre père et l'aurait quitté pour cet homme.

— Évidemment, je doute qu'elle soit restée avec lui par amour. Elle n'avait juste pas le choix.

— J'aimerais aussi qu'elle sorte de cet enfer...

— On l'aidera aussi. Notre père se retrouvera seul, quoi qu'il arrive. Mais je doute qu'il se remette en question...

— Je ne crois pas non plus, soupira-t-elle.

Malheureusement, notre père était quelqu'un de têtu et qui avait une vision du monde assez dangereuse. Même s'il avait pu être un père extrêmement proche de moi quand j'étais encore considéré comme son fils "prodige", il avait un fond exécrable.

Parfois, il m'arrivait de l'oublier. Mes souvenirs heureux avec lui prenaient souvent le dessus. Il avait pu s'occuper de moi comme d'un père aimant. Peut-être que ce n'était qu'une façade, peut-être qu'il avait été réellement sincère... Je ne pourrais jamais le savoir. Sauf que maintenant, il m'avait foutu dehors et m'avait rejeté petit à petit dès qu'il s'était rendu compte que je n'étais plus la marionnette qu'il pouvait façonner à son image...

Alors, on allait sauver tous ceux qu'on pourrait et tant pis pour le reste...

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