Chapitre 5 - Azris

Par Siocbo

Sur le continent d’Ubeth, trois créatures se faisaient appeler “roi démons”. Renvoyés sur ce continent austère il y a quelques millénaires après leur défaite cuisante face aux humains, ils se disputaient désormais les maigres terres leur étant disponibles. Bien entendu, aucun d’entre eux ne souhaitaient de la partie du continent qui était ravagée par le point zéro. Assez ironiquement, celui-là même se faisait maintenant appeler “roi démon” par les démons prosternés face à lui.

Inintéressés par les humains et la reconquête d’Eisios, le continent qui abrite les très nombreux humains, les trois roi démons avaient organisé une armée unie et autonome dédiée à la défense du territoire face aux attaques régulières des humains. Sans surprise, Elmunneth en était le général. Cette armée leur permettait d’avoir la paix et de pouvoir se concentrer sur leur batifolage et les guerres qu’ils menaient pour quelques terres inutilisables.

À en croire les rides qui étaient venues décorer le front du général, celui-ci ne pensait rien de bien de la situation. Cependant, sa colère grandissante se manifestant au cours de son récit fut stoppée nette par la curiosité de l’être immaculé.

 - Elmunneth, comment te sens-tu face à moi ?

 - Complet, mon Roi.

La réponse fut immédiate et catégorique, la véritable curiosité du roi se dévoila lors de sa prochaine question.

 - Et comment te sentais-tu face aux autres roi démons ?

 - Je me sentais oppressé par leur aura, mon Roi. Cependant je me rends compte désormais qu’ils ne sont qu’une fraude, et une insulte au véritable Roi des démons.

Il était impossible d’en juger pour sûr, mais il semblait désormais improbable que ces rois ne soient une existence similaire à la sienne. Après tout, sa seule existence imposait soumission et admiration aux êtres vivants. Bien qu’il soupçonnait que cela n’était applicable qu’aux démons. Sa seule présence, un doux péché dans lequel on s’enfonçait un sourire aux lèvres, les démons qu’il avait rencontrés furent charmés dès lors qu’il ne leur était pas hostile.

 - Seigneur, ils auront aussi remarqué votre disparition, celle du point zéro. Il n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’arrivent ici.

Tous les démons avaient quitté la salle où siégeait le roi pour s’atteler à des tâches diverses et variées lorsqu’ils furent fatigués du long récit dans lequel s’était lancé Elmunneth. Seul le ton pressé et le visage sévère du géant pourpre lui faisait face alors que Bogibu se tenait fièrement à côté de lui. Bien entendu, le malheureux ne comprenait rien à ce qui se disait, et pourtant son regard intense donnait l’illusion qu’il avait suivi jusqu’ici le récit.

 - Pourquoi les humains ne vous ont pas encore annihilés ?

Elmunneth n’affichait même plus de signe de surprise aux changements abruptes de conversation qu’il lui faisait subir. Il n’y pouvait rien, le roi immaculé semblait avoir une tendance naturelle à laisser ses pensées partir au galop.

 - La raison est bien ridicule, je le crains, mon Roi. Les humains ne nous attaquent pas de toutes leurs forces. Entre l’inaction des faux roi démons, l’étendue d’eau colossale qui nous sépare, les humains ne nous voient plus comme des menaces sur lesquelles il est nécessaire de faire front commun… Ils ont donc commencé à se battre entre eux et n’ont plus la puissance militaire à disposition pour nous éliminer proprement. Ainsi nos affrontements sont dans une impasse.

Effectivement, la raison lui semblait ridicule. Mais la honte ne s’appliquait pas qu’aux démons, contrairement à ce que les rides prononcées du général semblaient crier. Les humains, si belliqueux, manquent l’opportunité de mettre fin à leurs ennemis jurés parce qu’ils se chamaillent entre eux ?

Peu importe, la guerre entre les humains et les démons ne l’intéressait pas. Pour autant qu’il était concerné, il ne faisait partie d’aucune des deux races.

En revanche…

Lorsqu'il posa son regard au loin, le roi vit Elmunneth frissonner du coin de l'œil.

Il faut vraiment que je règle mes fuites, prit-il en notes. Mais pour l’heure, ils avaient de la visite.

 

***

 

 - Krrnch Krrnch ! Ce vaurien d’Elmu-truc ne donne toujours pas de nouvelles ! AZRIS ! Krrnch Krrnch ! Ramène moi ce gros rat, krrnch il est temps que je m’en débarrasse !

Telle était sa mission. Devant ses yeux de jade, les babines graisseuses du roi glouton s’agitaient dans un grotesque théâtre présentant un gros tas en train de manger. Lorsque ce roi démon était autant remonté, il était ardu de s’empêcher d’être hypnotisé par la panse gigotante du personnage. 

Azris s’empressa d’acquiescer et de s’éclipser de la salle du trône. Elle avait horreur des entrevues avec son roi démon tant il la repoussait. Malgré son apparence grotesque, il n’en était pas moins l’un des êtres les plus puissants de cette contrée, et elle avait travaillé dur et sacrifié bien des choses pour atteindre sa position de bras droit après seulement 30 ans de vie.

Elle était d’ailleurs souvent regardée de haut par les vieux barbus qui servaient de conseillers au roi. Ces abrutis multi centenaires étaient maintenus en vie par la puissance du roi pour des raisons qui lui échappaient, mais il était nécessaire de faire avec si elle souhaitait accomplir son ambition. Alors elle se contentait de les ignorer.

Grrrt…

Le bruit grinçant de ses crocs trahissait cependant l’échec de la manœuvre.

À l’instar de son visage fin et raffiné, son armure de métal s’illuminait à la lumière du soleil. Le trot déterminé agita sa longue queue de cheval couleur jade au vent pendant plusieurs jours sans événements particuliers. Nombreux étaient les démons qui connaissaient la furie qu’elle incarnait, et aucun n’était assez stupide pour se mettre en travers de sa course. Ils ne savaient pas où elle se dirigeait à une telle allure, mais ils n’allaient certainement pas l’en empêcher. Au contraire, au plus la calamité se trouvait loin d’eux, au mieux ils se portaient !

Alors qu’elle approchait dangereusement de la forêt des gobelins, dernier rempart avec ce qui était encore récemment connu comme le territoire du point zéro, ses mains devinrent moites. Le sujet des légendes d’une mort implacable s’étendait derrière cette forêt, et maintenant Elmunneth, le chef des armées, avait disparu sans donner signe de vie en y entrant.

Les arbres dénudés semblaient ricaner d’elle, toute hésitante à la vue d’une forêt remplie de gobelins. Les branches aiguisées l’invitaient avec confiance en leur sein. Mais quand bien même son instinct lui criait de rebrousser chemin, quand bien même ses cheveux se dressaient sur son crâne, il fallait qu’elle avance. Elle ne pouvait pas s’arrêter ici, elle continuerait à avancer comme elle l’avait toujours fait !

Le souffle court et le corps rempli d’adrénaline, elle sinuait entre les arbres.

 

Puis le silence. Son regard calme perçait d’une lueur sanguinaire le géant pourpre accompagné d’un petit gobelin.

 - Elmunneth… T’es en vie.

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