Recemment, le palais royal semblait avoir gagné un calme dont il n'avait pas été sujet depuis des mois. Bien que l'état de la Princesse se soit améliorée, cette dernière s'était vue contrainte de demeurer alitée pendant une semaine supplémentaire afin d'être certain que la maladie l'ayant si violemment secouée s'en était allée. Quand cette dernière reprit connaissance, il n'y eut à son chevet que le médecin de la cour, deux aides, quelques domestiques et enfin Lola. La brave Lola ayant fondue en larmes dès que Son Altesse avait rouvert les yeux. La nouvelle s'était alors propagée comme une traînée de poudre en quelques heures seulement. Les domestiques inquiets s'étaient vus reprendre le travail avec le sourire et l'atmosphère toute particulière qui régnait sur le palais s'en allait progressivement grâce aux quelques brises de vent qu'apportait la venue du printemps.
- Cela est ridicule ! Je me vois confiner dans ma propre chambre sans pouvoir sortir alors que je vais parfaitement bien ! râla Méryl en s'agitant dans tous les sens
Effectivement, on ne pouvait entendre que ses plaintes et ses grognements de l'autre côté du couloir et cela en fit sourire plus d'un. C'était une preuve suffisante pour la majorité pour comprendre que Son Altesse se portait comme un charme. Néanmoins, depuis trois jours, personne ne vit le Prince, principal acteur de ce miracle, approcher des quartiers de la jeune Princesse. Romain avait veillé à faire courir certains bruits de couloirs sur sa reprise du travail, mais les domestiques, témoins de son geste, demeuraient à ce jour persuadés que le Prince avait gagné ses propres appartements afin de s'y reposer. Il n'avait ni dormis ni mangé pendant trois jours durant, veillant la Princesse comme aucun autre ne l'aurait fait. Il l'avait veillé, l'avait soigné et l'avait même nourrie pendant trois jours jusqu'à ce que la fièvre daigne déclarer forfait et se retirer du combat. Il était ce héros silencieux que personne n'osait alors mentionner à la Princesse car tous redoutaient une chose : sa réaction.
- Vous pourrez sortir vous promenez cette après-midi, mais pas plus d'une heure. Ordre formel du médecin, déclara Lola en tâchant d'apporter de l'ordre dans la pièce
- Une heure ? Mais cela ne me laisse même pas le temps de faire le tour des jardins.
- Une heure et ce n'est non négociable !
Lola qui, d'habitude se montrait sur la réserve, apparaissait plus autoritaire et plus ferme également depuis les récents événements. Elle avait prié des jours durant, sur ses genoux, dans la chappelle du palais. Ce ne fut que lorsqu'elle s'effondra à son tour que les Soeurs décidèrent de lui en interdire l'accès. Néanmoins, la jeune femme se satisfait de son succès voyant que ses prières avaient visiblement été exaucées car Méryl râlait.
- Qu'en est-il de Son Altesse ? demanda alors la jeune femme
James avait fait promettre à quiconque l'ayant vu, de garder le secret. Personne ne devait parler de sa présence au chevet de son épouse sous peine d'être tué. Aucun domestique n'en comprit la raison. Si la Princesse savait, n'agirait-elle pas différemment à son égard ? Pour beaucoup, il était évident que leur relation n'avait rien de celle que partageait un couple typique, mais ils n'en étaient guère un. Lui était le fils de la famille la plus affluante du Royaume et elle, elle était l'héritière du royaume et la garante de sa pérénité. Mariés à un bien jeune âge, ils s'étaient contentés de se trouver dans une cohabitation jugeait froide, mais après avoir vu de telles démonstrations d'amour, nombres de domestiques et d'aides se virent à présent douter.
- Son Altesse ? répéta Lola confuse cherchant soigneusement une excuse, Il était...
- Occupé ? Ne m'en dit pas plus. Il doit très certainement préparé son voyage vers le Duché à l'heure qu'il est. Au moins, il doit être satisfait que je n'ai pas à partir avec lui car cela semblait être une telle corvée !
- Probablement, finit-elle par dire à voix basse.
Mais il n'en était rien de cela. En vérité, le départ vers le Duché Catawey avait été inévitablement reporté. Le Prince avait ordonné de mettre une priorité absolue sur la santé de la Princesse. En revanche, son absence à ses côtés à son réveil demeurait un réel mystère. Tout comme son comportement.
Lola se voyait déjà interroger Romain à ce sujet. Sans doute que son assistant le plus proche devait être au courant sur pourquoi Son Altesse ne venait-il pas ? Par moment, même si elle le connaissait depuis plusieurs années, elle-même peinait à comprendre ce qui pouvait bien se passer dans sa tête. N'avait-il pas été celui qui s'était réjouit du mariage ? N'avait-il pas crié sur tous les toits dans la demeure familiale, à l'époque, être l'homme le plus heureux du monde ? Alors pourquoi ?
- Je m'en vais vous chercher à manger car vous devez reprendre des forces. Désirez-vous quelque chose d'autre ? demanda la jeune femme
- Non, ça ira, je te remercie.
Lola disparue aussi sec et plutôt que d'aller faire une course, elle semblait vouloir disparaître. Lola savait faire bien des choses, mais elle ne savait pas mentir et alors qu'elle avait promit, ses lèvres se mirent à trembler comme si elles ne demandaient qu'à dire la vérité. En outre, son regard fuyant la trahissait et prenant peur que la Princesse comprenne, elle avait préféré fuir en avant.
Une fois Lola partie, Méryl sentie soudainement une vague de solitude l'envahir. Pas plus tard qu'hier, une montagne de domestiques s'agitaient dans tous les sens dans sa chambre et aujourd'hui c'était à peine si l'un d'entre eux avaient osés venir si ce n'était les femmes de chambres et deux commis de cuisine venant quérir son menu. Une part d'elle-même venait même à espérer voir James car même si ses souvenirs demeurèrent flous à ce jour, elle savait qu'ils avaient encore beaucoup à se dire et qu'ils étaient restés sur une phrase l'ayant particulièrement choquée : «Je suis navré, Méryl, sincèrement. Mais je ne le peux» Pourquoi diable s'obstinait-il à la garder en otage quand leur mariage était un si grand désastre ? Ils ne s'aimaient pas. Soudain, tout lui parut plus clair. C'était comme une illumination. C'était pour le titre. Forcément ! Cela ne pouvait être que ça. Il se voyait déjà Roi à la place de Sa Majesté. Après tout, pouvait-on espérer quelque chose d'autre de la part d'un homme aussi ambitieux, calculateur, borné et distant ? Il ne l'avait d'ailleurs pas épousée pour l'amour, mais bien pour la promesse d'être Roi, même si cela ne serait que par alliance car tous les pouvoirs régaliens reviendraient de droit à Méryl.
Cette dernière se mise alors à sourire toute seule, allongée sur son lit.
- Que suis-je bête ? A quoi devrais-je m'attendre d'autre ?
Avait-il au moins entendu que sa femme était souffrante ? S'était-il inquiété d'avoir la moindre nouvelle de son état ? Probablement pas. James n'était pas un sentimental et il ne l'avait jamais été. Jamais il ne lui avait montré une once d'affection alors pourquoi agirait-il différemment aujourd'hui ?
Méryl comprit alors qu'il n'y avait pour elle plus d'espoir de vivre son rêve que d'avoir un jour, sa propre romance et de la vivre pleinement. Elle n'était ni heureuse, ni épanouie et s'en était même tout le contraire. Même encore aujourd'hui, il devait probablement monitorer tous ses faits et gestes, s'inquiétant qu'elle le ridiculise d'une quelconque manière que ce soit. Peut-être devrait-elle le prendre par surprise ? Elle se voyait déjà faire entrer un amant au palais, comme cela serait drôle ! Elle tuerait pour voir la tête qu'il ferait en voyant un autre homme dormir à ses côtés.
- Pense à autre chose. Pense à autre chose. Pense à autre chose ! Tout ceci est ridicule, Méryl, tu n'as plus quinze ans.
Elle se frappa plusieurs fois les joues, espérant alors chasser une nouvelle fois toutes pensées concernant son glacial époux. Puis elle s'arrêta brusquement, le voyant se tenir contre l'encadré de la porte de sa chambre.
- Voilà que j'ai des hallucinations maintenant, dit-elle à haute voix, Va t'en fantôme ! Je n'ai pas le temps de jouer avec toi.
Il ne bougea pas le moins du monde. Bien au contraire, son regard semblait planté sur elle.
Cela ne pourrait même pas être James. Une chemise débraillée, sortie de son pantalon avec quelques boutons ouverts à hauteur du torse, ses longs cheveux noirs tombant telle une cascade et ses yeux...des yeux si...S'ils n'avaient pas aussi sombres, Méryl pariait qu'elle pourrait si noyer.
- Je vais devoir appeler un prêtre pour exorciser ma chambre, poursuit-elle en levant les yeux au ciel.
- Moi aussi je suis ravis de vous voir, ma chère, finit-il enfin par dire
- Bon sang !
Sa soudaine prise de parole lui arracha un sursaut. Enfin vint le déclic. Ce n'était définitivement pas un fantôme.
- Vous semblez surprise, poursuit-il en entrant alors dans la pièce
- Êtes-vous venu vérifier que je respirais encore ? Ha ! Je ne suis pas morte ! Vous n'aurez donc pas votre héritage, quel dommage ! le nargua la jeune femme en lui tirant la langue
Il ne prit même pas la peine de répondre, au lieu de ça, il sourit. Il sourit, mais de façon à peine perceptible. Si bien que Méryl ne vit absolument rien.
Effectivement, elle était bel et bien «en vie». Comme il en fut soulagé !
- Vous venez m'achever ? Approchez donc encore et je promets de vous mordre.
- Vous vous ferez mal avant même de pouvoir m'atteindre. Et non, je ne viens ni vous achever, ni me réjouir sur votre tombe. Vous avez des pensées particulièrement horribles me concernant, s'offusqua-t-il
- Ne faites donc pas le surprit, cela ne vous sied guère. Que venez-vous faire ici, James ? Vous n'êtes jamais venu jusque dans mes appartements.
Faux. Il y avait passé toutes ses journées et ses nuits dernièrement. Il connaissait donc les recoins de cette pièce par coeur et il fut étonné de ni voir aucune décoration plus personnelle que quelques fleurs et un minuscule portrait de feu la Reine affichée sur la table de nuit de la Princesse. Dans ses affaires, il n'y trouva pas non plus de robes de hautes coutures ou de somptueux bijoux. Tout ici respirait la neutralité et l'humilité au possible. Or, pour connaître Méryl, l'humilité n'était guère son fort.
- Je viens quérir de vos nouvelles, finit-il par dire en s'arrêtant près du lit dans lequel le dévisageait sa jeune épouse visiblement confuse
- Tout compte fait, je vais finir par croire que vous êtes souffrant. Avez-vous consulté le médecin avant de venir ?
- Nous avons effectivement longuement discuté. A votre propos.
- Je devrais faire décapiter cet homme, grogna-t-elle, Ne connait-il rien au secret professionnel ?
- Je suis votre époux, s'empressa-t-il de dire pour se justifier
- Uniquement quand cela vous arrange.
La voyant s'agiter, pester, grogner et probablement le maudire secrètement, James ne put qu'éprouer un profond soulagement comme une immense gratitude. Elle était là, lui attribuant probablement tous les noms d'oiseaux possible dans sa tête, mais elle était là. Pleine de vie, comme à son habitude.
Il avait tant à lui dire ou à lui confesser, mais il ne trouva guère l'occasion car dès qu'il semblait s'approcher, ne serait-ce que d'un pas, Méryl se recroquevilla sous sa couette. Elle avait encore ce comportement de chaton apeuré quand elle le voyait et il n'y avait rien de plus blessant, mais aussi de plus compréhensif. Comment pouvait-il espérer un changement soudain ? Cela n'était pas prêt d'arriver. Pas maintenant. Pas tant qu'elle ressentait rancoeur et méprise à son encontre.
- J'ai ouïe dire que vous avez le droit à une promenade d'une petite heure.
- Dois-je remercier ce bon docteur pour cela ? Vous a-t-il dit également quand est-ce que j'ai mes menstruations au passage ?
Il fit une tête de dégoûté.
- Au moins, il sait garder certains secrets, dit-elle dans un demi sourire victorieux
- Je disais donc...Désirez-vous aller vous promener ?
- Avec vous ? reprit-elle hilare en le pointant du doigt comme s'il venait de prononcer la chose la plus incensée qu'il soit.
- Avec moi.
Seigneur. Il s'était peut-être cogné la tête contre l'encadrement ? Après tout, James était particulièrement grand. Ou peut-être avait-il avalé quelque chose de travers durant son déjeuner ? Sinon, comment expliquer une telle requête ? Méryl le dévisagea longuement, passant tout son être sous son regard suspicieux. James détestait aller dehors. Cet homme ne sortait jamais de son bureau sauf s'il avait une obligation. S'il le pouvait, il dormirait même dedans.
- Vous êtes mourant, James ? demanda-t-elle
- Je vous demande pardon ? Non, bien sûr que non ! Je suis en parfaite santé contrairement à certaine.
- Déjà, êtes-vous mon époux ? Peut-être a-t-il un frère jumeau dont j'ignorais l'existence jusqu'à présent.
- Je n'ai pas de frère, vous le savez.
- Justement, non. Que sais-je de vous au juste ? Je devrais probablement faire venir le médecin, vous avez probablement un problème dans votre tête car il n'y a que ça qui me paraît logique.
S'apprêtant à attraper la sonnette afin d'appeler quelqu'un, la main de Méryl fut brusquement arrêtée dans son mouvement quand celle de James vint la saisir. Ce n'était pas la première fois qu'ils se tenaient la main pour ainsi dire, mais c'était bel et bien la première fois qu'elle remarquait que seule sa paume suffisait pour englober tout son petit poing. C'est alors que pendant trois longues secondes, ils se perdirent l'un et l'autre dans leur propre monde rien qu'à eux.
- Votre Altesse, j'ai votre repas ! s'écria Lola en arrivant au même moment dans la pièce.
Ils se lâchèrent si soudainement que la main de James claqua contre le rebord pointu de la table de chevet, l'érraflant au passage.
- Oh. Ooooh. Excusez-moi, je ne savais pas.
- Tu tombes bien ! s'empressa la Princesse, Aporte-moi donc ma couverture avec les fleurs jaunes s'il te plaît.
- D'accord.
James semblait s'être retrouvé pétrifié sur place, prit, embourbé par la surprise.
- Vous sortez tout compte fait ? demanda Lola en voyant la Princesse se redresser
Son regard passa alors de la jeune femme, au Prince se tenant à proximité.
- En effet. Je sors. Son Altesse va m'accompagner. Va donc quérir le médecin de la cour car j'ai besoin de lui faire faire un check-up complet de l'état mental de mon époux. Je le crains atteint d'une étrange maladie.
Ce dernier ainsi rappelé à l'ordre la foudroya du regard. Comment osait-elle parler de cela devant sa dame de compagnie ?
- Il est atteint «d'amabilité» et je crains que cela ne lui nuise, s'amusa-t-elle
- Très bien. J'y vais ! Mais faites attention à vous s'il vous plaît, je ne voudrais pas...
Attrapant sa main avant même qu'elle n'eut le temps de sortir du lit, James s'interposa entre elles, se positionnant alors devant Méryl.
- Je veillerais à ce que rien ne lui arrive, dit-il confiant
- Si c'est Votre Altesse qui le dit dans ce cas...je ne peux que le croire, s'inclina Lola
Mais les croyances étaient quelque chose de si fragiles et de si facile à bouleverser car qui aurait cru un jour voir le couple royal se promener ainsi, main dans la main, à travers les jardins ?