Chapitre 5

- Allez, les garçons, mettez-vous en place ! s'exclame le directeur du stade d'une voix tonitruante.

- Attendez ! crié-je en marchant vers lui d'un pas rapide. Il manque quelqu'un !

L'homme se tourne vers moi, surpris - sans pour autant cesser d'être grincheux -, et réplique sèchement :

- S'il voulait participer, il n'avait qu'à être là.

- Mais... protesté-je en fronçant les sourcils.

Il est stupide, c'est pas possible !

- Encore un mot et tu es disqualifié ! s'énerve le directeur du stade, le visage se couvrant progressivement de plaques rouges.

Je serre les dents : c'est inutile de protester, il ne veut rien entendre. Je décide d'obtempérer et vais me mettre en position de départ aux côtés des autres garçons.

Le Sage n'étant pas là, le directeur du stade se dispense de discours, et j'ai presque envie de dire tant mieux. Attends. Pourquoi presque ?

- 3... fait l'homme, la voix amplifiée par les imposantes enceintes disposées aux quatre coins du stade. 2... 1...

Toujours pas de traces de Liago.

- GO !

Aussitôt, trois groupes se forment : devant, ceux qui partent le plus rapidement possible, sans doute pour prendre le plus d'avance possible (stratégie utilisée par les personnes pas forcément très malignes puisque sur dix tours, ils perdent toute leur énergie dans cette première accélération). Derrière, ceux qui ont raté le départ (les pauvres) ou qui courent tout simplement très doucement.

Quant à moi, je me situe pile entre les deux groupes, dans le troisième et dernier. Je veux garder de l'énergie pour la fin, en espérant qu'il en reste suffisamment pour le sprint final et en espérant que j'en fasse un. Mon objectif est simple : je dois garder exactement la même vitesse pendant les neuf premiers tours.

Actuellement, je pense que je me situe peut-être en 15ème position, sur 20 personnes. Je vois que mes parents ont les sourcils froncés. Ils se demandent sûrement pourquoi je vais si lentement, tandis que Sloane, assise plus loin avec les autres filles, m'observe, un petit sourire satisfait étirant ses lèvres, les bras croisés.

Nous arrivons maintenant à la fin du deuxième tour, et Liago n'est toujours pas réapparu. Je commence vraiment à m'interroger : ce vulgaire scarabée de Sage n'a pas osé lui faire de mal, tout de même ?

Nous entamons le troisième tour, je pense que j'ai gagné quatre ou cinq places, ce qui me conforte dans ma position : décidément, ma stratégie semble être la bonne !

Soudain, quelque chose attire mon regard, reportant aussitôt mon attention ailleurs, loin de mes muscles qui tirent déjà.

Liago revient, le Sage marchant devant lui. Aussitôt, mon ami remarque qu'on ne l'a pas attendu pour débuter la course : nous sommes déjà partis, et lui a déjà perdu. Il se retourne d'un bond, outré, vers le Sage, qui l'observe avec une satisfaction qu'il ne cherche même pas à contenir.

Le jeune homme se précipite alors sur le stade, franchissant la ligne de départ et me rejoignant, moi à mon quatrième tour et lui à son premier.

- Hérion, me dit-il, comment te sens-tu ?

- Bien, lui réponds-je entre deux respirations.

- Sloane a gagné ?

- Non.

- Ok, alors tu sais quoi, Hérion ? Tu vas tout péter, tu vas gagner. Moi, je peux pas, à cause de l'autre abruti, mais toi tu peux. Alors tu vas gagner, pour toi, pour Sloane, pour moi, pour nous.

Je me demande comment il fait pour parler en même temps de courir, mais je pense que la colère qui l'anime lui suffit. A présent, nous franchissons la ligne d'arrivée du quatrième tour qui marque le départ du cinquième.

- Tu vas aller dans cette foutue base, poursuit Liago après un long moment, tu vas tous les battre et tu vas revenir quand tu seras devenu le meilleur. C'est clair ?

- Très clair, approuvé-je avec un sourire.

- Bah alors, qu'est-ce que tu attends pour accélérer ?

Mon sourire s'agrandit et, malgré  le fait que mes jambes chauffent de plus en plus, j'accélère la cadence, motivé comme jamais, quitte à le regretter plus tard.

 

Je me situe désormais en 7ème position, dans le groupe de tête. Il ne me reste plus que deux tours, et malgré le fait que Liago ne me lâche pas d'une semelle, les autres adversaires ont un niveau élevé. Après tout, c'est normal, nous avons tous suivi la même préparation physique, et ce depuis notre plus tendre enfance.

Ce n'est qu'à la moitié du huitième tour que le garçon en deuxième position décide enfin de lâcher prise, rouge comme la piste et essoufflé à un point affolant.

Le garçon qui mène le groupe, je le connais bien, et c'est d'ailleurs le seul. Il a un an de moins que moi et on parle de lui partout, vantant ses qualités de coureur hors-pair. Il s'appelle Bosco, et semble bien décidé à gagner cette course.

D'un signe de la main, Liago me fait comprendre qu'il va falloir que je double deux ou trois personnes si je veux vraiment remporter la victoire. Nous passons la ligne d'arrivée du neuvième tour. Il n'en reste plus qu'un. Alors que je m'apprêtais à doubler, Bosco accélère brutalement et j'avoue rencontrer quelques difficultés à suivre.

Une fois que je me suis à peu près remis dans le rythme, je me force à courir encore plus vite, pour - enfin - me retrouver au coude-à-coude avec Bosco.

Allez, plus qu'un demi tour !

Le jeune homme remarque ma présence à ses côtés, alors il se met à sprinter, trois cent mètres avant l'arrivée. Je serre les dents et oblige mes jambes à aller plus vite, plus vite encore, alors qu'elles pèsent de plus en plus lourd.

200 mètres. La foule retient son souffle, plus aucun bruit ne se fait entendre. A moins que ça ne soit moi qui, concentré comme je le suis, n'entends plus rien autour.

100 mètres. Nous ne sommes plus que deux, Bosco et moi, même Liago ne nous suit plus. Plus que deux masses rouges grimaçantes dans des habits noirs.

50 mètres. Je ne sens plus mes jambes, mes poumons me brûlent, j'ai vraiment du mal à respirer.

20 mètres. Je sens mon sang battre, partout dans mon corps, et plus la ligne d'arrivée s'approche, plus je sens mes forces diminuer et la douleur n'en faire qu'à sa tête.

10 mètres. Mes muscles sont en feu, et, dans un ultime effort, je me jette en avant, passant la ligne d'arrivée devant Bosco !

Je reste figé pendant quelques instants, essoufflé, les jambes tremblantes et la gorge sèche, ayant encore du mal à réaliser ce qu'il vient de se passer.

- Bravo mon gars ! s'exclame Liago, arrivant vers moi, un grand sourire aux lèvres et ses yeux pétillant de bonheur, tout de même bien essoufflé par la course. T'as tout pété, comme prévu ! A la fin, tu allais tellement vite que même si je n'avais fait aucun tour avant, je ne t'aurais pas rattrapé !

Je rigole doucement.

- Hé ! proteste mon ami. Te moque pas !

- Mais je ne me moque pas ! répliqué-je.

- Bravo, Hérion ! me félicite Sloane joyeusement. C'était super impressionnant ! Et toi, Liago, tu as couru finalement ?

- Non, répond ce dernier avec une petite grimace, mais après tout, vu le niveau, c'est peut-être mieux comme ça. Ça m'a évité de me ridiculiser.

Il plaisante, mais je sais qu'au fond il aurait bien aimé savoir de quoi il est capable.

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