Chapitre 5

- Armand, dis-moi que c’est l’une des tes blagues de mauvais goût.

- Eh bien…

- Armand.

- Quoi ?! Je ne vais pas te mentir simplement pour te faire plaisir !

Les voix lui parvenaient lointaines, étouffées, comme si un mur épais le séparait d’elles sans pour autant l’isoler complètement.

- Il est VRAIMENT ici ?

- …

- ENFERS ARMAND ! Ce type m’a DÉFIGURÉE !

Grâce… son corps lui faisait un mal de chien…

Armand lui en avait déjà fait voir des vertes et des pas mûres, mais là… chaque muscle lui semblait avoir été soigneusement passé sous un rouleau compresseur. Deux fois. Le simple fait de PENSER lui faisait mal…

Son esprit divagua un moment, l’emmenant loin des hurlements outrées de la femme vampire, jusqu’à ce qu’une pression douce sur son épaule l’oblige à revenir.

Il entrouvrit les yeux avec un grognement douloureux.

Deux silhouettes se tenaient au-dessus de lui, celle d’Armand, reconnaissable à l’éclat de ses yeux rouges dans la pénombre de la pièce, et celle d’une jeune femme au visage à moitié dissimulé derrière un élégant masque ajouré.

Akasha.

La vampire qu’il avait défiguré le jour où Mélies était mort.

Chianlie…

- Des yeux bleus. Évidement. Tu es impossible, tu le sais ça ?

- Akasha, chérie…

La vampire leva la main pour l’arrêter ; un geste sec qui détonnait de son agacement profond, toujours présent malgré sa voix radoucie et son air affable.

- Tu lui as donné à boire ?

- Euh non… il était dans les vapes jusqu’à maintenant.

Le visage se rida légèrement sous le masque, et Shekil eu la vague impression de voir passer un éclair soucieux dans le regard d’un bleu profond qu’elle posait sur lui.

- Redis-moi ce qu’il s’est passé ?

Akasha s’était penchée en avant, ses mains glacées se promenant sur le visage brûlant du chasseur, l’auscultant avec délicatesse et lui tirant malgré lui un soupir d’aise. A ses côtés, Armand s’était raidit et suivait tous les mouvements autour de sa proie avec une attention d’aigle.

- Comme je te disais tout à l’heure, j’étais en train de le sonder. J’avais mis le doigt sur une information plus qu’intéressante – tu savais qu’ils communiquaient via miroirs, même pour leurs instructions ? – lorsqu’il s’est mis à avoir des spasmes.

- Des convulsions.

- Oui bon. Si tu le dis. C’est mon premier humain de compagnie, j’ai moins d’expérience que toi dans le domaine !

- Ça n’était pas une critique.

Étrangement, les gestes de la créature penchée sur lui étaient très doux, manipulant chacun de ses membres avec soin, ses paumes froides étant d’un apaisement bienvenu sur ses muscles noués.

- Quoi d’autre ?

- Il avait les yeux révulsé et la bave aux lèvres.

- Je vois…

Les ongles de la vampire s’allongèrent légèrement et elle souleva les paupières de l’humain pour inspecter les globes oculaires, grimaçant en les voyant si injectés de sang qu’il ne s’y trouvait plus une seule trace de blanc.

- … Il a fait un AVC.

- Hein ?

- Minuscule, mais un AVC quand même.

- Toujours « Hein ? »

- Une petite veine a claqué dans son cerveau. Tu as dû trop abuser des sondages. Tu lui en fait souvent ?

Petit silence.

- Environ quatre à cinq par jours quand je ne le manipule pas ?…

La gifle les surpris tous les trois.

Shekil, parce qu’il ne s’attendait pas au bruit et que son crâne lui faisait un mal de chien.

Armand, parce qu’il ne s’attendait pas à en recevoir une.

Et Akasha, parce qu’elle n’avait absolument pas eu l’intention de la donner.

Et pourtant la joue de l’Ancien lui cuisait, elle était même très légèrement colorée de rouge, la main de la vampire la brûlait un peu, et les lèvres du chasseurs s’étiraient à présent d’un léger sourire.

Bien fait.

- Mais…

- D’accord, je déteste ce type, mais quatre à cinq sondages par JOURS ?! Est-ce que tu veux le tuer avant qu’on ai pu récupérer tout ce qu’il a dans le crâne ?!?

- Enfin c’est un Aria ! Il est résistant !

- OOOOUUUH ne m’oblige pas à te frapper encore ! Aria ou pas ça reste un humain. Un humain qui est en train de mourir si j’en crois son état actuel.

L’Aria n’en était pas sûr, a cause de la pénombre et de la douleur sourde qui pulsait derrière ses yeux, mais Armand avait blanchit. Presque immédiatement, ce dernier se téléporta à l’autre bout de ses appartements pour revenir avec une fiole et s’agenouiller près de son humain, empoignant son visage pour l’obliger à ouvrir la bouche.

Il lui aurait administré la dose fatale d’hellebore si Akasha ne l’avait pas arrêté.

- Qu’est ce que c’est que ce truc ?

La main gantée de la vampire s’était nouée autour du poignet de l’Ancien, interrompant son geste et générant brusquement une telle tension que l’humain en gémis, préférant se reculer au maximum dans le lit l’abritant, quitte à souffrir le martyr de ce geste, plutôt que de rester près des deux prédateurs qui se défiaient.

Par chance, Armand le laissa filer.

- Lâche moi Akasha.

- Non. Qu’est ce que c’est que ce truc ?

- Un médicament.

- Quel genre ?

- Le genre qui soigne les Aria.

- Fait voir.

- Non.

- Armand. Fait. Voir. Tout de suite !

A la grande surprise de l’humain roulé en boule dans ses draps, l’Ancien observa quelques instant la jeune vampire avant de lui céder la fiole, et la tension retomba d’un coup dans la pièce, laissant le chasseur épuisé et Armand vaguement défaitiste. Ce dernier posa ses fesses sur le lit, tendant la main pour effleurer les cheveux brun de sa proie trop fatiguée pour l’éviter.

- Emmène-le dans le salon, j’ai besoin d’y voir clair.

Le vampire s’exécuta sans un mot, soulevant Shekil avec douceur après l’avoir soigneusement emballé dans un drap pas trop poisseux. L’humain était vraiment brûlant…

- Déshabille le, l’air frais de ta crypte devrait lui faire du bien.

L’autre s’exécuta avec réticence, répugnant à dévoiler le charme de celui qu’il considérait comme sa possession, mais un regard noir de sa compagne le dissuada de résister : Akasha pouvait vraiment être effrayante quand elle le voulait… et il n’avait jamais pu résister à des yeux bleus. Debout près du canapé, elle reniflait avec prudence le contenu de la fiole, son exquis visage oscillant entre l’excitation et le dégoût.

- C’est à base d’hellebore.

- Ouais. C’est ce qui donne aux Aria leur odeur et leur résistance. Ils s’en servent pour guérir vite.

Agenouillé près de l’humain, Armand avait entreprit de le rafraîchir avec un linge et de l’eau froide, plus inquiet qu’il ne voulait le laisser paraître.

- Ça les tue aussi.

- Pardon ?

- C’est hautement toxique pour les humains. A trop forte dose, l’hellebore les tue. Crois-moi, j’en ai perdus quelques-un avec ça.

Le regard de l’Ancien passa successivement d’Akasha à la fiole, puis à Shekil qui respirait avec peine, puis de nouveau à la fiole.

- Les Aria consomment ça à haute dose… ça guéris leurs blessures en quelques minutes…

- Il crie ?

- Comment ça ?

- Est-ce qu’il crie lorsque ça le soigne.

- Euh… oui. Pourquoi ?

- Parce que ça n’est jamais bon signe. A mon avis, on ne devrait pas en abuser. En plus de tes sondages, ça a dû l’affaiblir à chaque utilisation jusqu’à ce que son corps cède.

- … il ne m’en a jamais rien dit.

La vampire masquée poussa un soupir.

- Armand. C’est un Aria. Bien sûr qu’il ne t’en a rien dit. Ça aurait finit par le tuer.

Le silence qui prit place dans le salon était si lourd que le chasseur eut le réflexe d’essayer de le toucher, ses doigts tordus d’avoir été trop souvent brisés et mal ressoudés par l’hellebore se crispant sur le vide jusqu’à ce qu’Armand les prennes doucement dans les siens.

- Doucement. Tu ne dois pas bouger.

- C’est mieux en effet. Je suis moins experte en soins humains que tu ne le penses Armand. A mon avis, tu devrais l’emmener dans un hôpital.

- Non. Il reste ici.

- Idiot.

Mais elle savait qu’il serait impossible de le faire changer d’avis… elle connaissait ce regard… il avait eu le même pour elle de nombreuses années auparavant, et pendant de nombreux siècles après ça. Jusqu’à ce que le temps passe et que leur amour se transforme en tendre affection sans plus rien derrière que de bons souvenirs. Doucement, elle posa sa main sur l’épaule de son ancien amant avant de s’esquiver vers la sortie.

- Empêche le de se rendormir. Sans utiliser l’hypnose d’accord ? Je reviens.

Et la porte se referma sur elle…

 

*

 

Le soleil…

La morsure du soleil sur sa peau…

Ô Grâces ça faisait un bien fou !

La tête renversée en arrière dans sa chaise roulante, les yeux clos, Shekil laissait son corps se gorger des précieux rayons, savourant le moindre souffle d’air, le moindre bruissement de feuille, la plus infime sensation de brûlure, que lui prodiguait l’extérieur. A en juger par l’avancée de la floraison du parc dans lequel ils se trouvaient, le printemps était déjà bien avancé, ce qui passait son nombre de mois d’incarcération à huit et non pas cinq comme il le croyait, mais il fallait dire que sa période d’hospitalisation restait floue.

L’humain qui l’accompagnait, un homme dans la trentaine, brun aux yeux noirs, fit doucement le tour de sa chaise pour remonter un plaid sur ses jambes et lui présenter une paille qu’il accepta avec un soupir : son aide soignant était intransigeant, il devait prendre ses médicaments à heures fixes, et où qu’il se retrouve. La médication humaine avait mis du temps à agir sur son corps amélioré, mais grâces aux étonnamment vastes connaissances en chimie d’Akasha (quoi que… quand on avait l’éternité pour apprendre…) ils avaient pu mettre au point un traitement adapté qui l’avait tout doucement remis sur pieds.

Pas assez pour pouvoir sortir autrement qu’en chaise roulante, certes.

Mais suffisamment pour que les humains de compagnie de la vampire prennent le soin de l’y attacher.

Enfin… si ça lui permettait de prendre le soleil plusieurs fois par jour, il voulait bien s’y plier pour le moment…

- Est-ce que tout vas bien ?

Le jeune homme ouvrit les yeux, surpris de s’être laissé aller à les fermer. L’homme était penché sur lui, visiblement soucieux, et l’Aria se força à sourire pour le rassurer tandis qu’une partie de son esprit cartographiait rapidement les différents points de pressions sur lesquels appuyer pour le mettre K.O. et qu’une autre finissait de dresser une carte mentale des lieux. S’il parvenait à jouer convenablement la comédie, sa convalescence durerait un peu plus… et il aurait une bonne chance de s’enfuir.

- Je suis fatigué…

L’autre fronça les sourcils.

- C’est anormal.

Une main fraîche se posa sur son poignet pour prendre son pouls, qu’il avait ralenti à dessein, et une autre sur son front réchauffé par le soleil. Dodelinant légèrement de la tête, pris de réels vertiges, Shekil referma de nouveau les yeux tandis que l’autre le manipulait avec gentillesse pour vérifier son état de santé, puis décidait de le ramener à l’intérieur.

Intérieur dans lequel l’attendait Armand.

L’Ancien était retranché dans la zone la plus sombre de la pièce, des lunettes de soleil sur le nez pour protéger ses pupilles fragiles, ses bras puissants croisés sur son costume Armani pour dissimuler son agacement et sa tension nerveuse. Il n’aimait pas que Shekil puisse sortir. Il n’aimait pas qu’il soit hors d’atteinte… et il ne supportait pas de ne pas pouvoir fourrer son nez (et ses dents) dans son cou à l’odeur de soleil. Akasha lui avait strictement interdit de le toucher.

- Alors ?

- Il a besoin de se reposer.

- Encore ?

L’humain soigneur retint un soupir agacé. Armand n’était pas Akasha, et si sa maîtresse avait une certaine indulgence envers ses impertinences, il se doutait que l’Ancien n’en aurait pas autant.

- Encore Monsieur Gertfall. Son organisme a été très malmené, il lui faudra du temps pour se remettre.

- Combien de temps ?

- Au moins trois semaines de plus.

Le vampire émit un bruit étranglé mais ne fit aucun commentaire, son regard rouge ne se détachant pas de l’Aria qu’on était en train de transférer de sa chaise à un lit placé près d’une fenêtre grande ouverte dont tombaient des rayons solaires. Ça lui faisait un mal de chien de le fixer mais… il n’arrivait pas à le lâcher. Shekil était à lui. Point.

- Monsieur ?

Il ramena son attention sur le médecin planté devant lui, portant machinalement sa main à ses yeux pour les frotter alors qu’il peinait à faire l’accommodation entre la zone lumineuse et l’ombre dans laquelle il se tenait.

- Vous avez mangé dernièrement ?

- Ça ne vous regarde pas.

- Mais cela inquiète Maîtresse Akasha.

Le vampire ne répondit pas, préférant quitter la pièce et le chevet de sa proie qui dormait, le visage baigné par le soleil, plutôt que de devoir continuer à en supporter sa vision sans pouvoir le toucher.

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