Chapitre 49 - Zakaria

Notes de l’auteur : Bonjour :D Je n'ai pas eu autant de temps et d'énergie que je l'aurais voulu pour retravailler ce chapitre, mais le voilà enfin ! Bonne lecture :)

Tu n’es qu’un menteur. Une abomination. Tu n’aurais jamais dû être un prince.

Zakaria frissonna sous son manteau, et chassa une mèche de ses cheveux noirs qui commençaient à devenir trop longs. Il était presque tenté d’invoquer une lame pour les massacrer comme à son habitude, mais ne serait-ce que cela lui paraissait trop difficile.

Mieux valait se concentrer sur ce qu’ils avaient à faire. Penser à lui-même de quelque façon que ce soit ne lui rapporterait rien de bon.

Leur prochaine mission, le temps que Nodia récupère de ses blessures, était d’apprivoiser des Féroces en chair et en os.

Se rendre à pied à la Toile à pied prendrait des mois, et ils n’avaient que quelques jours. Del avait bien proposé de les catapulter dans une sphère, mais avec autant de passagers et sans savoir à quel angle les envoyer, ils risquaient surtout de transpercer la couche nuageuse et tomber au-delà du bout du monde, trop vite pour que les nuages les ralentissent. Aussi efficace et élégante que cette solution aurait pu être, elle était beaucoup trop dangereuse, même pour lui. Suzette et Sia avaient retracé le chemin jusqu’à la forêt où ils avaient laissé l’Oursin, pour confirmer l’absence de leur navire - Orane n’avait pas menti. Cette option là était aussi définitivement fichue.

Ils ne savaient toujours pas ce qu’ils feraient, une fois dans la Toile. Rejoindre Pied-de-Troll était un bon début : ils seraient plus près du bout du monde, et donc de leur objectif, qu’ils ne pourraient de toute façon atteindre qu’avec un bateau. En trouver un et naviguer dedans alors que ni les maegis ni l’Armada ne les voulaient en vol serait un sacré défi. Sans compter qu’ils ne savaient pas dans quel état était le ciel, en ce moment.

Fenara savait tout, elle. Comment pouvait-il croire qu’ils vaincraient, face à quelqu’un comme elle ?

Tu es un idiot, Zaza. Un grand bênet qui s’attaque toujours à -

Une bourrade dans les côtes interrompit ses ruminations, et il baissa les yeux pour trouver les iris gris de Lo qui le fixaient avec réprimande.

— C’était pour quoi, ça ? s’insurgea Zakaria.

— Je n’en suis pas certain, mais tu avais l’air d’en avoir besoin.

Il rigola, et lui renvoya la bourrade, assez fort pour lea forcer à se coller à lui pour ne pas tanguer sur ses sabots.

— Le Cauchemar, il t’a montré quoi ? demanda Zakaria avant que Lo ne puisse creuser la raison de ses ruminations.

— Rien, répondit Lo avec un haussement d’épaules. J’ai de l’entraînement.

— Tu as les mêmes de ton côté du désert ?

Iel secoua le tête, et quelques boucles rebelles s’échappèrent de derrière ses cornes.

— Les nôtres étaient artificiels. Créés par des maegis… Peut-être qu’ils sont retournés à l’état sauvage depuis.

A son ton, Zakaria devina que ce n’était pas la peine de lea presser pour des détails. Combien de vies Lo avait vécues, avant qu’il ne lea rencontre ? Combien de combats, combien de drames ? Combien de joies ? Combien lui en restait-il encore ? Le prince pouvait sentir qu’iel était loin d’avoir donné son dernier coup de sabot. S’iel avait déjà vécu mille vies avant ce jour, iel en vivrait encore mille après. 

Peut-être que se contenter d’imaginer était pour le mieux, pour Zakaria. En savoir plus sur iel lea rendrait bien plus réel qu’il n’était prêt à l’accepter.

— Vous êtes prêts ? appela Del, confortablement perché sur le dos de Sehar.

Le petit maegis affichait un enthousiasme inversement proportionnel au danger de la situation, mais le rire qu’il arracha à Lo, Sehar et Zakaria était une raison suffisante pour ne pas lui faire perdre son insouciance. Tant qu’il ne courrait pas partout, tout irait bien. Del avait été difficile à maintenir en place, une fois assez reposé pour se déplacer seul et explorer les couloirs abandonnés de la forteresse, mais s’il le fallait, ils l’attacheraient encore.

— Tu es toujours sûre de toi ? demanda Lo à Erin.

Elle acquiesça sans rien dire, murée dans un silence froid et pensif depuis leur départ. Ils avaient parlé de ce qu’elle avait perçu, lorsque les Féroces les avaient attaqué. Une trace de magie, comme si les créatures se comportaient ainsi parce que quelqu’un les y provoquait. Elle leur avait parlé d’un lien, entre les Féroces, sur lequel elle savait qu’elle pouvait s’insérer assez longtemps pour laisser Sehar user de ses charmes. Si les talents de l’hybride se limitaient aux créatures d’ombres, ils pourraient toujours tenter d’amadouer les Féroces avec de la nourriture. Une fois le contrôle extérieur brisé, peut-être qu’elles seraient capables d’apprécier autre chose que des valenis comme casse-croute.

Lo, en revanche, n’avait pas senti ce lien.

Iel n’avait rien dit d’autre à ce sujet, mais Zakaria n’en avait pas eu besoin pour sentir à quel point cet absence lui pesait. Raison de plus pour ne pas s’attacher au faune. C’était évident que Lo retournerait chez iel, dès que tout cela serait finit. Peut-être qu’iel l’aurait déjà fait, si c’était dans sa nature d’ignorer les gens qui avaient besoin de son aide.

— Je vais m’asseoir là, il y a même un petit caillou ! indiqua Del à Sehar pour qu’il l’y dépose.

Le rocher en question s’enfuit avec un couinement de détresse lorsque Sehar s’en approcha, à la grande déception de l’hybride. Del éclata de rire, et s’assit dans l’herbe sans difficulté malgré le départ précipité de son siège. La troupe réduite, composée de Zakaria, Lo, Sehar, Del, Ressa et Erin, se ressembla non loin du jeune maegis, et Erin s’en détacha pour s’installer dos à eux, face à la vallée. 

Ses pieds nus d’un vert vibrant dans l’herbe grise, elle enfonça ses orteils dans la terre comme des racines. Sur la peau de sa nuque et de ses bras, les nuances de verts se mélangeaient et s’entrelaçaient. Entre les épines et les tiges qui couvraient sa tête surgirent des bourgeons, qui grossissaient et rosissaient jusqu’à s’ouvrir sur des dizaines de petites fleurs. Zakaria n’aurait su donner un nom à leur parfum, délicat et légèrement sucré, mais le trouva étrangement apaisant et familier.

Un parfum de chez soi. Un parfum de foyer.

— On doit attendre combien de temps ? murmura Del.

— Elles ne sont pas loin, répondit Erin, les yeux toujours rivés devant elle. 

— Tu peux les sentir ? demanda Sehar.

— Trois… Non. Quatre sont en approche.

Zakaria balaya le paysage du regard à la recherche des créatures, et chercha à suivre la direction que fixait Erin. Il ne verrait rien de cette façon, cependant : la maegis avait les yeux rivés sur ses pieds, la vue totalement abandonnée au profit de la magie qui parcourait ses veines depuis la terre. Ce n’était pas si différent de ce qu’il se passait lorsqu’un valeni se connectait avec les ombres, en apparence. Mais si Zakaria aurait été incapable d’en comprendre les détails, il savait pourtant que ce qu’Erin faisait était néanmoins d’un tout autre registre que ses propres sortilèges.

Ils attendirent de longues minutes, dans un silence tendu, avant que les silhouettes des Féroces n’apparaissent. Pas au grand galop comme lorsqu’elles poursuivaient une proie, mais un petit trot curieux. Assez lent pour qu’ils aient le temps d’admirer la musculature puissante sous la peau noire et luisante, de compter les huit yeux alertes sur chaque face au-dessus de la gueule gigantesque, d’observer les griffes qui déchiraient la terre à chaque pas ou se posaient délicatement sur l’herbe selon l’animal, les garrots marqués ou presque plats, les petites tâches grises ou bleue sur les flancs, les liserés blancs le long de quelques colonnes vertébrales.

Les Féroces, terribles et monstrueuses Féroces, n’étaient finalement que des créatures comme les autres - avec quelques yeux en plus et des dents un peu plus acérées, c’était tout.

Elles ralentirent au milieu de la colline, puis s’arrêtèrent à une distance respectable de leur troupe, visiblement indécises.

Erin ne bougea pas, ne prononça pas un mot. Derrière elle, eux retenaient encore leur souffle.

Puis timidement, Sehar se détacha du groupe, sous le regard protecteur de Ressa, prête à se jeter sur les Féroces si elles tentaient quoi que ce soit contre lui. L’hybride arriva au niveau d’Erin, qui l’arrêta d’un bras, puis détacha une des fleurs qui avaient poussé sur sa tête pour la glisser dans les longs cheveux noirs de Sehar, avant de lui faire signe de continuer.

Les Féroces le regardaient avec une curiosité marquée, leurs petits yeux grands ouverts comme si elles cherchaient à savoir quoi faire de lui, s’il n’était pas un casse-croûte. En comparaison de n’importe quel bipède, les quatre créatures étaient gigantesques - mêmes les kèvriens, qui dépassaient Zakaria d’une bonne tête pour Tsisco et presque deux dans le cas de Ressa, auraient fait pâle figure au milieu d’elles. 

Sehar était minuscule, tout juste assez grand pour entrer entier entre leurs dents. Mais il avança.

— Bonjour, salua l’hybride de sa voix douce.

L’une des Féroces, donc deux des yeux gauche étaient creux et aveugles, s’approcha et baissa sa tête contre le sol pour le renifler de plus près. Elle pencha la tête sur le côté, puis de l’autre, et le sourire de Sehar s’élargissait de seconde en seconde - jusqu’à la créature ouvre grand la gueule.

Aussitôt, ils sortirent tous les armes, et les Féroces reculèrent d’un bond avec des grognements furieux. Sehar recula à son tour, mais fit signe à ses amis de baisser les armes.

— Tout va bien ! assura-t-il.

Pas vraiment convaincus, ils rangèrent lances et épées, et Sehar fit un pas en avant. Zakaria grimaça, prêt à intervenir en un battement de cil. Il n’avait vraiment pas envie d’être celui qui expliquerait à Tsisco qu’ils avaient laissé son fils se faire dévorer.

La Féroce, de nouveau rassurée, reposa sa tête sur le sol et ouvrit de nouveau la bouche. Ils ne bougèrent pas, cette fois-ci, et suivirent entre les rangées de dents pointues le trajet d’une langue étroite comme une liane, qui se déroula pour lécher la face de Sehar. L’hybride rit doucement, et une fois la créature satisfaite, la gueule gigantesque se referma. Couvert de bave, Sehar s’approcha encore, et posa ses mains sur le museau humide pour le caresser.

— Ravi de te rencontrer, ma grande, souffla Sehar.

Zakaria laissa filer un soupir de soulagement lorsque la Féroce ferma à demi les yeux de contentement. Tout le groupe se détendit - il semblait que les créatures étaient prêtes à faire ami-ami.

— Bon, à qui le tour ? les encouragea le prince avec un grand sourire.

Alors que Sehar saluait les Féroces les une après les autres, Lo s’avança, récupéra une fleur auprès d’Erin, la coinça dans les boucles entre ses deux cornes, et descendit à son tour la colline pour faire connaissance. Zakaria lui emboîta le pas, et Del suivit presque aussitôt, la démarche maladroite d’être resté longtemps immobile.

Malgré le succès de Sehar, le prince avait encore ses doutes. Il laissa une des Féroces le renifler, puis tendit lentement ses doigts pour lui caresser le museau, incrédule.

— Ces créatures nous ont terrifiées pendant des générations. Et on est là, à les caresser comme si c’était des gros poneys... 

— Des générations ? répéta Sehar. Je croyais que c’était Fenara qui les avait rendues agressives ?

— Les maegis peuvent vivre très longtemps, répondit Erin.

Elle n’avait touché aucune Féroce, mais échangeait de longs regards avec chacune d’entre elle, salutations silencieuses mais pleines de sens.

— Certains, en tout cas, grommela Del.

Sa mauvaise humeur fut chassée en quelques coups de langues de la Féroce qui lui faisait face. Elle recouvrit son casque de verre de bave, alors que le maegis essayait de fuir, tordu de rire.

— Dégueu ! lâcha-t-il une fois qu’elle eu terminé. Je l’aime trop, celle-là.

La Féroce en question, plus petite que les autres, avait plusieurs dents cassées et la moitié de la tête arrachée par une cicatrice. Elle sautillait sur ses pattes plus fébrilement que ses congénères, et ne tenait décidément pas droit dès qu’elle faisait un pas.

— C’est ton portrait craché, remarqua Lo.

— Y’a un petit air de famille, c’est clair.

Del avait définitivement adopté la grosse bestiole, dont il grattouillait la peau avec un grand sourire.

— Tu veux être le premier a tenter de monter dessus ? provoqua Zakaria.

— Euh… seulement si Sehar vient avec moi et après que quelqu’un ait fait une démonstration sans se casser la gueule ?

Si c’était un défi, le valeni pouvait le relever. Il s’approcha de la Féroce avec qui il pensait le mieux s’entendre, la plus grande des quatre. Elle le fixait avec un air grognon qui lui rappelait vaguement Suzette. Il lui tapota le flanc, et puisqu’elle ne bougea pas, il escalada rapidement et soigneusement la bête pour atteindre son dos. Il eut à peine le temps de poser ses fesses, cependant. Elle rua, et Zakaria vola dans l’herbe.

Il se redressa avec une grimace. Rien de cassé, mais ça faisait mal quand même.

Sehar le regardait avec inquiétude, Del avec effroi, alors que Lo et Ressa réprimaient difficilement un rire moqueur. Erin n’attendit même pas de savoir s’il avait survécu à la chute. Elle approcha la plus téméraire du lot, celle qui avait léché le visage de Sehar en premier, et d’un seul regard obtient d’elle qu’elle s’allonge par terre. Erin n’avait plus grand chose à grimper pour tranquillement s’asseoir sur son dos.

— Tricheuse.
Après le succès d’Erin, Del était enfin motivé à s’y risquer à son tour avec l’aide de Sehar. Si elle ne ruait pas, la petite Féroce gigotait dans tous les sens, persuadée que le but du jeu était de les faire glisser de son dos le plus souvent possible. Zakaria retenta sa chance - vola de nouveau. Lo s’y prit avec calme et lenteur, et prit le temps de faire connaissance avec la Féroce qu’iel avait choisi. Malgré la tension dans ses muscles puissants, la créature lea laissa rester quelques instants sur son dos, mais pas plus. D’un raclement nerveux, elle lui fit comprendre que pour le moment, iel ferait mieux de redescendre.

Erin avait remis pied à terre, elle aussi, alors que Sehar et Del avaient enfin réussi à rester assis assez longtemps pour que l’hybride tente d’invoquer entre ses paumes un petit oiseau d’ombre. Il projetait ce dernier au devant du museau de leur monture pour la guider là où il le voulait, avec un succès ralentis par les fous rires des deux garçons. 

Zakaria était déterminé à ne pas abandonner si facilement. Il approcha sa Féroce pour la troisième fois, calma sa respiration, le coeur battant… et termina une nouvelle fois par terre. 

Il serra la mâchoire. Qu’est-ce que les autres avaient qu’il n’avait pas, pour avoir tous réussi presque du premier coup ?

— Laissons-les pour aujourd’hui, trancha Erin. Elles ont besoin de réfléchir.

— On peut leur donner les bonbons que mon père leur a fait ? demanda Sehar.

La maegis approuva d’un simple signe de tête, et Sehar récupéra le sachet auprès de Ressa. La kévrienne n’avait pas tenté d’approcher les Féroces, et se réveillait paisiblement de sa sieste, visiblement peu inquiétée par la situation générale. Zakaria n’en savait pas autant qu’il en aurait voulu sur le désert, mais il devina que les Féroces de l’Abradja n’étaient sans doute pas assez gigantesques pour l’impressionner. 

Sehar caressa chaque museau et distribua une poignée de friandises, préparées le matin par Tsisco avec une quantité indécente de sucre. Del l’avait suivi, et câlinait sa Féroce favorite autant que sa combinaison le lui permettait.

— A bientôt, Pépite ! salua-t-il à contrecoeur une fois le sachet de bonbon vidé.

— Pépite ? répéta Zakaria avec un léger rire.

— C’est un gateau maegis, tout mou à l’intérieur avec du croquant au-dessus. Elle a une bonne tête de Pépite, non ?

Le sourire enthousiaste du maegis fut brièvement chassé par un grognement en provenance de son estomac, sur lequel il posa une main avec une grimace. 

— Vous en avez pas à la Toile par hasard ? Qu’on en vole un peu au passage…

Erin secoua la tête, l’esprit visiblement trop occupé pour vraiment prendre part à la conversation. Lo retint un rire, et souffla à Zakaria, assez fort pour que Del l’entende quand même : 

— Il ne vaut mieux pas lui dire que c’est une pâtisserie inventée par un des rois gnomes, pas un truc de maegis. Aucune chance d’en trouver de ce côté-ci.

Le prince rit de la moue déçue du petit maegis, et tenta, sans succès, d’ignorer la douleur qui avait brusquement pincé son coeur. Il le savait, pourtant, que jamais rien ne durait - qu’un jour, ces étrangers rentreraient chez eux. Il le savait, et chaque rappel enfonçait doucement mais amèrement cette réalité au creux de son âme. 

Un jour, ils partiraient. 

Chacun de ses compagnons avait quelque part où revenir, une fois ce cauchemar terminé. Une maison qui les attendait, une famille qui leur manquait.

Zakaria n’avait plus rien. Juste Suzette, et encore… Sa vieille amie avait retrouvé ses nièces, et il savait qu’il n’aurait pas sa place à leurs côtés… 

Une bourrade dans les côtes manqua de lui faire perdre l’équilibre, et il lança un regard surpris à Lo. Sans qu’il ne s’en rende compte, le reste de la bande les avait distancés, déjà prêt de la forteresse alors qu’il restait encore une colline à grimper pour le valeni et lea faune. Le mécanisme de la porte, remis en marche par Ressa avec les indications de Jin et Suzette, leur permettait de laisser les battants ouverts, puisque personne n’était censé venir ici de toute façon.

— Tu vas me frapper à chaque fois que j’ai l’air pensif ?

— Tu pourrais me dire ce qui te préoccupes, si tu veux.

Zakaria hésita à le faire - mais à quoi cela l’avancerait-il ? Il connaissait la réponse et n’avait pas envie de l’entendre. C’était à lui seul de faire le deuil et de se préparer à l’avenir. Inutile de mettre ce poids sur le coeur de qui que ce soit d’autre. Sans compter que peut-être, nobles d’âmes comme Lo et le reste étaient, iels se sentiraient coupables de le laisser tout seul et hésiterait à rentrer chez eux alors que c’était ce qu’iels désiraient vraiment faire.

— Nah. 

Il lui renvoya la bourrade, mais Lo l’esquiva et trotta hors de sa portée. Ce n’était pas cela qui l’arrêterait : Zakaria lea poursuivit à l’intérieur, et les deux adultes se chamaillèrent comme des enfants alors que le reste de la bande remontait dans la tour se reposer de leur sortie. Les pas du valeni et de lea faune les mena dans une partie de la forteresse qu’ils n’avaient pas encore exploré. Un étage plus bas de plafond que le rez-de-chaussée, coincé au-dessous du chemin de ronde, avec de larges fenêtres invisibles de l’extérieur qui laissaient entrer une belle lumière sur la pierre grise. Un étage de vie secret, qu’ils découvrirent au pas de course entre deux croche-patte et coup d’épaules.

Lorsque Zakaria en eut assez de courir et des coups de sabots dans le dos, de sauter par-dessus de vieux meubles abandonnés - tables et chaises dans un petit salon, lits miteux dans un long dortoir, bassines dans une anciennes salle d’eau - il poussa Lo contre un mur, et l’y bloqua avec ses deux bras. Lea faune devait sans doute avoir aussi couru assez à son goût, car il ne lui donna aucun coup de sabot pour l’écarter, mais le fixa avec une lueur amusée dans ses yeux gris.

— Déjà fatigué ? lui demanda-t-iel.

— Même pas un petit peu.

— Toujours pas envie de me dire ce qui ne va pas ?

Il n’avait pas changé d’avis, et plissa ses traits en une moue résolue, étudiant le visage de Lo à mesure qu’iel devenait de plus en plus amusé. Les plis autour de ses yeux sereins et vifs, la courbe de son sourire qui ne se dessinait que d’un côté sur sa peau brune, les oreilles duveteuses dressées dans sa direction, la légère torsion de son nez arrondi recouvert de petites tâches claires - le moindre détail le charmait, et lui donnait de moins en moins envie de discuter à chaque seconde.

— Non. Je peux t’embrasser, plutôt ?

— C’est une alternative raisonnable, oui.

Le sourire de Lo s’élargit alors que Zakaria s’approchait pour embrasser son front, puis sa tempe droite, puis sa joue, puis ses lèvres dont un léger rire s’échappait encore. Les mains de lea faune se glissèrent sous le tissu de ses vêtements pour s’accrocher à son dos et le tirer contre iel. Ses propres doigts trouvèrent le lacet qui fermait la chemise de Lo, et se débattirent maladroitement pour l’ouvrir, ce qui fit davantage rire lea faune et encouragea les caresses de ses mains.

C’est juste pour cette fois.

Zakaria savait que rien de tout cela ne durerait. C’était la première, et la dernière fois, et cela devait le rester. Il savait que c’était une mauvaise idée, de laisser Lo intégrer ainsi sa mémoire et sa chair, d’y laisser une marque. Il savait à quel point cela ferait encore plus mal, lorsqu’iel partirait.

Il le savait, mais il l’oublia. Très vite, il ne pensa plus qu’à Lo, et à rien d’autre.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nanouchka
Posté le 13/07/2022
Oh, yaaaaay ! Très inattendu, ce chapitre, et ça a fait du bieeeeeen. D'avoir notre équipe qui travaille ensemble, et Zakaria qui s'illumine petit à petit, qui s'autorise du bonheur. Ça donne de l'espoir, et en même temps tu continues de travailler la thématique de l'au revoir, et de l'après-quête. Chouette que ce ne soit pas immédiat pour les Féroces, qu'on y revienne plus tard. Et je confirme que, sur ce chapitre aussi, on sent de l'amélioration dans ta prose.
AnatoleJ
Posté le 23/07/2022
Héhéhé, il y a quelques chapitres tout doux au milieu de l’angoisse dans cette partie, c’était très fun à écrire !
Vous lisez