Chapitre 47 : Mes compagnons d'infortunes (partie 1)

Par Kieren
Notes de l’auteur : Si vous lisez mes autres histoires, cela vous fera sourire, ou pas...

Les flots finirent finalement par refluer de virage en virage en virevoltant vers la terre comme des vers de mer.

Nous étions en sécurité. Les gosses dormaient depuis longtemps, mais moi il me restait encore une chose à faire.

Je quittai le cercle de lumière et me dirigeai vers la cuve où mijotaient les fleurs d'acacia, tandis que les fourmis s'étaient noyées depuis longtemps. Je retirai la plaque de taule et récupérai notre butin, sans craindre de me faire mordre. Je tins dans la main un morceau de firmament et je l'exposai face à la lune. Alors la sève s'écoula de la branche sectionnée, comme de l'encre noir, comme de l'or fondu.

Je portai le liquide à ma bouche et délectai en silence des étoiles. Elles avaient la saveur de la tornade de Jupiter et d'une éruption solaire, suaves et sucrées comme le miel, et sous les astres elles pétillaient sous ma langue.

A la fin de ce court repas, j'attachai un sac plastique à son moignon et fourra délicatement la grappe de fleur dans mon sac à dos. Il était remarquable que celles-ci ne changeassent plus de couleur une fois coupées, et qu'elles continueraient à donner de la sève tant qu'elles fussent exposées au même ciel qu'au moment de la récolte, comme si elles le drainaient. Cependant il faut prendre garde : elles blanchissent si on les expose à un autre éther, et elles faneront en 3 jours.

Je m'étais déjà expliqué avec les Gamins, ils les laisseront dans la cave sous ma... la cabane, dans le noir.

Puis je retournai vers le feu après avoir récupéré les lampions. Je regardai les gosses, ils dormaient dans le même sac de couchage, les cheveux de la Gamine enserraient le Gamin tandis que lui la recouvrait de son étreinte. Leur amour avait l'air pur.

Je jetai quelques branches au foyer et retournai me coucher.

Le lendemain, les oiseaux nous réveillèrent. Il y avait quelques nuages. Nous vidâmes la cuve et y replaçâmes l'échenilloir et l'épuisette. Puis nous la cachâmes sous les branches et les débris de la maison. Le retour se fit calmement.

A notre arrivé, ma chienne courut vers nous en boitant. Le Gamin se jeta sur elle et ils firent un roulé boulé jusqu'au pied de la colline. Le rire était présent sans être là. Ma chienne lécha la mine enjouée du gosse. La Gamine et moi continuâmes notre route.

Quoi dire du reste de la journée ? La récolte de la sève se fera la nuit si aucun nuage ne décide de pointer le bout de son museau. Nous étions retournés à notre quotidien : les moutons, le potager, les poules, les criquets. La Gamine ramena des seaux d'eau de la rivière et nous lavâmes la cabane.

Ah oui ! C'est vrai. En rangeant, nous avions retrouvé une vieille caisse contenant de vieilles photos, vestiges de vieux souvenirs. Alors que je m'empressai de les cacher tout au fond du placard où je conservais les trucs qui ne me servaient à rien, une des reliques de mon passé s'échappa et atterrit sur la tête du Gamin. Bien sûr il la regarda. Bien sûr.

Pas de question Petit, s'il te plaît.

Mais évidemment il me regarda tout excité et il me pointa du doigt, puis il montra sur la photo un grand gaillard, fin, avec une petite barbe.

« Et oui Gamin, c'est moi. Plus jeune certes, mais c'est moi. »

Tout sourire, il indiqua du doigt les autres personnes sur la photo.

… Et en plus c'est cette photo... « Tu veux savoir de qui il s'agit Gamin ? » Il secoua frénétiquement la tête... Je souris malgré moi. « Et bien il s'agit de mes amis. De mes... compagnons de vie, de quand j'étais jeune... Là on s'était pris en photo devant ce cerf qu'on avait chassé ensemble. » Il me regardait avec des yeux ronds, alors je continuai.

« Là, le type à la moustache et les cheveux frisés, il s'agit d'Hector, un brave type, le cœur sur la main. En ce moment il aide des gens perdus, loin de chez eux et franchement dans le besoin d'un peu de chaleur humaine...

Ici, le petit grassouillet, c'est Gaël, un blagueur, un vrai renard. Il faut faire gaffe avec lui, il a déjà remplacé ma boisson avec du dégripant sous prétexte que j'étais entrain de rouiller. Il vit paisiblement dans un village à des kilomètres au nord d'ici.

La fleur délicate qui se tient à ma droite, c'est Vilma. Elle a eu des cheveux blancs très tôt dans sa vie, elle nous disait qu'ils étaient devenus comme ça le jour où elle vit ce dont l'amour de sa vie était capable. C'était la rose la plus solide que je n'avais jamais vu. Elle est devenue maire du village où habite Gaël. Je ne me souviens plus qui des deux avait rejoint l'autre.

Celui qui sourit à pleine dents à côté du loup, c'est le Dompteur. Un drôle de type. Il bouffe comme ta sœur de la viande crue, et chasse toujours avec une bestiole. Il disparaît pendant des mois et puis il revient avec un nouveau bestiau. Il nous a déjà ramené un lion dans nos parties de chasse. La bête n'était pas très bien adaptée à la vie en forêt, alors il l'a donné à une compagnie de cirque qui croisa notre chemin. Ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu, mais il vient me voir des fois en haut de ma colline.

Le type un peu plus vieux avec les rides s'appelait René, un très bon menuisier. Il avait un chien noir qui s'appelait Filou. Un peu bourru, mais gentil. C'est lui qui nous apprit à chasser.

Les deux blonds là, c'est Max et Max, les Maximonstres . Deux sosies, mais qui n'étaient pas de la même famille. Ils s'étaient rencontrés à Paris, une grande ville, à la terrasse d'un café. Leur copine respective les avait confondus et s'étaient installées à la mauvaise table. Finalement ils ont passés le reste de leurs vacances ensemble. Ils étaient devenus frères par la suite, alors que leurs petites amies étaient parties depuis longtemps.

Le nain là, avec les grandes oreilles, c'est la Mousse. Calme, il ne parlait pas souvent, mais il avait une âme riche. Il jouait du piano avec une grâce et une dextérité sans pareil. C'est fou ce que ce petit homme a pu accomplir de grand.

Et pour finir, la géante qui tient les cornes de notre prise, c'est Big Mama. Ses cheveux étaient plus longs que ceux de ta sœur, c'est dire ; elle les tressait et s'en servait comme d'une écharpe. Elle commença à faire la cuisine pour le groupe dès le premier jour où elle nous rejoignit, sous prétexte qu'on bouffait de la merde. Comparé à ce qu'elle était capable de faire, on bouffait vraiment de la merde. Elle était douée ! Et elle nous foutait de ces roustes quand on faisait des conneries. Elle me brisa pas mal de côtes. » dis-je en me frottant un peu, elles recommençaient à me faire mal et je me surpris à rire.

« Voilà, c'était ma bande de l'époque. Tu sais tout. » Mais il fronça les sourcils et fit ''non'' de la tête. Il tapa du doigt tour à tour René, les deux Max, la Mousse et Big Mama. « … Tu veux savoir quoi de plus sur eux ? »

« Il veut savoir ce qu'ils sont devenus » répondit la Gamine qui s'était glissée derrière moi.

« Alors tu écoutais toi aussi ? »

« En effet, mais je ne savais pas si vous me l'auriez dit à moi, alors j'ai préféré rester discrète. »

« … C'est vrai, je ne sais pas si je te l'aurais dit. Après tout tu me parlerais de votre passé Gamine ? »

« … Non Vieux Gamin. Je ne parlerai pas de notre passé. »

« … Même après avoir entendu le mien ? »

« Tu ne l'as pas raconté à moi, dois-je te le faire remarquer ? »

« … Sérieusement ? Tu te fous pas de ma gueule un peu ? » elle sourit alors.

« Si en effet. Je ne tiens pas à parler de notre passé. C'est quelque chose... » elle regarda son frère « dont je n'ai pas envie de me souvenir. »

« … Ils sont morts. Pour la plupart. René et la Mousse ont tous les deux disparu. Mais l'un était vieux et l'autre était un nain, et il n'a pas la même espérance de vie que les autres. Vilma, Gaël, Hector et le Dompteur sont vivants mais ils sont vieux et plus ou moins cassés par le temps. Nous avons fait de belles choses ensemble. Mais toutes les belles choses ont une fin. Tout comme nous. Et ressasser le passé fait mal, mais je l'ai quant même fait... Pour vous, malgré toi. »

Je remis alors la photo dans le carton et m'apprêtai à la ranger lorsque je sentis quelque chose tirer sur mon pantalon. Il s'agissait du Gamin, qui me pointait du doigt et il souriait.

« Il tient à te faire remarquer, Vieux Gamin, que tu lui as raconté cette histoire le sourire aux lèvres. »

« … Ce qui veut dire ? »

« Et bien, outre le fait que cela t'ait fait du bien, il tient à entendre d'autres histoires de ta jeunesse. Et ce... » elle le regarda, puis tourna son regard à nouveau vers moi. « Et ce, en regardant d'autres de tes anciennes photos. »

… Je n'ai pas envie. « Je n'ai pas envie les gosses. »

« Pourquoi donc ? Cela te fait du bien. »

« Un prêté pour un rendu les gosses. Vous me racontez votre passé, je vous raconte le mien. »

« Très bien, nous laissons tomber. » déclara la Gamine, jusqu'à ce que son frère la prenne par le bras et se mettent à pleurer, les yeux bourrés de reproche. « Très bien, je vous raconterai notre histoire. Mais tu as intérêt à tenir parole ! » jura la chieuse.

Je souris un peu. « Je tiendrai parole, mais toi aussi. » dis-je en présentant ma main aux deux gosses. « Une histoire pour une histoire. »

Le Gamin mit sa main sur la mienne et prit celle de sa sœur qui se laissa faire à contre cœur.

Elle ferma les yeux, souffla de dépit et accepta : « Une histoire pour une histoire. »

Il faudra que je sois vachement évasif quant même. De toutes façon la Gamine fera la même chose. Mais il y a du progrès. C'est déjà ça.

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