Chapitre 46 (Cinquième Fragment) - Nodia

Notes de l’auteur : Bonjour :D Cette semaine, c'est le chapitre que j'attends depuis le tout début de l'histoire, dès l'ébauche du concept ! Il a fallu 45 chapitres avant pour y arriver, mais on y est x) Bonne lecture !
PS: Si j’avais la main libre sur la mise en page, la mention Cinquième fragment serait indiquée en petit juste en dessous de celle Chapitre 46. Promis vous comprendrez bientôt cette histoire de fragments !

La douleur la réveilla. La douleur, ou bien le froid.

Nodia ne savait pas où elle se trouvait, et peina à reconnaître la présence à ses côtés. Les images d’un combat lui revinrent en mémoire, puis le fantôme d’une violence - sa violence - lui tordit les entrailles. 

Elle avait trouvé un valeni, mais pas le bon. Dans sa douleur, elle avait voulu tuer. Elle avait manqué mourir.

La colère remonta de son estomac à sa gorge. Elle voulu se redresser pour hurler, sans succès. Le moindre geste était une torture.

— Doucement, Nodia. Tu es blessée.

Sehar. C’était sa voix. Dans sa main, elle sentit les petites écailles de ses doigts qu’elle serra contre les siens. Elle avait senti sa présence aussi, lorsqu’elle avait cru mourir. Elle avait été furieuse de le laisser ainsi en danger, alors qu’elle pouvait encore entendre la terreur dans sa voix.

Mais désormais la terreur n’était plus là. Nodia n’avait plus besoin d’être en colère. Plus besoin d’être une tornade.

Elle ouvrit les yeux pour de bon, et le visage doux de son petit frère l’accueillit avec un sourire. Elle se trouvait dans une pièce à la lumière grisâtre, avec pour seul meuble le lit sur lequel elle était allongée. Elle ne voyait personne d’autre que Sehar, mais entendait des voix depuis le couloir, dans une pièce voisine peut-être.

— Tu as soif ?

Elle acquiesça doucement, une grimace de douleur sur les lèvres. Il l’aida à boire, puis lui proposa à manger, et minutes après minutes ses raideurs diminuèrent. Assez pour qu’elle décide une nouvelle de fois de s’asseoir, cette fois-ci avec succès. Sehar ne la pressa pas, quand elle mangea encore un peu, mais il jetait souvent des coups d’oeil vers la porte, et elle sentait chez lui une nervosité grandissante.

Tu attends quelque chose ? signa-t-elle.

Il écarquilla les yeux, puis laissa son regard retomber sur ses mains qu’il tordait l’une dans l’autre.

— Je… C’est que, pendant que tu étais inconsciente, il y a… enfin…

Ses mots se coincèrent dans sa gorge, puis il prit une grande inspiration, et sourit pour lui assurer que tout allait bien. En retour, elle sourit aussi, pour l’encourager à continuer.

— Il y a quelqu’un que je veux que tu rencontres.

Elle observa Sehar avec curiosité, mais n’eut pas le temps de deviner de qui il pouvait s’agir. Comme s’il attendait au coin de la porte depuis le début, un gigantesque individu serpentin entra dans la pièce avec un sourire radieux.

Elle n’eut pas besoin qu’on lui dise qui il était. Les deux reptiles rayonnaient de la même innocence, le coeur au bord des lèvres, prêt à l’offrir au monde entier.

— Bonjour, Nodia. Je suis Tsisco, le papa de Sehar.

Tsisco hésitait, et elle aussi. Finalement, elle lui adressa un petit coucou de la main, auquel il répondit avec un léger rire contagieux.

— Tu as encore mal ? J’ai fais tes soins d’urgence, mais tu étais… c’était une très vilaine chute, grimaça Tsisco.

Elle haussa les épaules, et Sehar traduisit la réponse qu’elle signa.

Un peu, juste besoin de repos.

— Bien, bien, tant mieux… 

Il laissa échapper un nouveau rire, plus nerveux cette fois-ci, et secoua la tête. Puis il sourit - un sourire d’une telle douceur qu’elle en eut presque les larmes aux yeux.

— C’est idiot, j’attends de te rencontrer depuis si longtemps et maintenant que tu es là, je ne sais pas par quoi commencer !

— Dis-lui ce que tu m’as dit, sur maman ? proposa Sehar.

— Le plus important, c’est vrai. 

Tsisco tira Sehar contre lui, comme pour se donner du courage, et ne commença qu’après quelques instants pensifs. Nodia ne réussit pas à détacher les yeux de leurs deux visages, si similaires mais si différents de tout ce que Sehar avait reçu d’ailleurs.

— Lorsque votre mère a quitté l’Abradja, elle était en danger. Je n’ai jamais su tous les détails, parce qu’en parler lui faisait trop mal, mais… il fallait qu’elle parte, pas juste pour être heureuse, mais pour survivre. Les personnes qui l’entouraient là-bas lui ont fait croire qu’elle n’aurait jamais pu être une bonne mère pour toi, Nodia, et les jeunes parents passent déjà leur vie à douter, mais avec des enflures pareilles pour l’enfoncer, tu n’imagines pas… elle est partie pour échapper à leurs sortilèges.

Le coeur de Nodia se serra dans sa poitrine, et elle n’osa pas bouger, de peur d’interrompre le kévrien. 

Alors, ce n’était pas à cause d’elle que Myria était partie ? 

L’entendre aussi clairement énoncé, de la bouche de quelqu’un qui avait vraiment connu sa mère, l’avait soulagé d’un poids qu’elle avait fini par oublier. Elle lutta pour ne pas laisser les larmes la submerger, et Tsisco continua.

— Elle pensait à toi tous les jours, mais ce n’est qu’après la naissance de Sehar qu’elle m’a avoué ton existence. Ton absence la dévorait. Elle n’aurait pas pu t’oublier même si elle l’avait voulu, et ce n’était pas le genre de personne à vouloir oublier son petit bout de nuit. Dès qu’elle m’a parlé de toi, j’ai su que nous allions tout faire pour te retrouver.

Mille questions se bousculaient dans sa tête. Pourquoi ne l’avaient-ils pas fait, alors ? Pourquoi Myria ne l’avait jamais rejointe ? Comment Tsisco avait-il réussi à trouver son fils, là tout de suite ?

— Mais il y avait Sehar. L’emmener si petit dans l’Abradja était beaucoup trop risqué, le laisser à la garde d’autres kévriens dans la Tour revenait à lui réserver le même sort, si jamais aucun de nous deux ne réussissait à revenir… Un kévrien ne passe pas vraiment inaperçu, par ici, nous aurions immédiatement été une cible. 

Alors Myria est partie seule, en déduisit Nodia.

— Oui. Elle devait te ramener chez nous, et moi prendre soin de Sehar en attendant son retour. Mais… 

Tsisco retenait ses larmes avec grande difficulté, si mal que quelques unes roulèrent de ses yeux bleus sur les écailles de ses joues. Il sortit d’une des sacoches accrochées à sa taille une lettre, soigneusement protégée par une pochette en écorce souple. Le papier avait souffert - la lettre, Nodia le savait, avait été lue et relue des milliers de fois.

— J’ai reçu cette lettre, un jour, d’un médecin qui s’appelle Edgard Dune… sa réputation va jusqu’à la Tour, et nous avons d’anciens documents de lui pour confirmer son écriture. Il y avait le pendentif, aussi…

De la même sacoche, il tira un pendentif que Nodia ne reconnut pas. Elle n’osa pas demander ce qu’il signifiait - elle devina, cependant, que cela avait été une preuve suffisante pour confirmer ce que le médecin Oranimus avait pu dire dans la lettre.

— Nous nous étions fait une promesse, elle et moi. Que nous serions ensembles, tous les quatre, quoi qu’il arrive. Que vous grandiriez ensembles, tous les deux, notre petite nuit et notre boule d’écailles. Mais… 

Les mots moururent sur ses lèvres, et Tsisco laissa sa phrase inachevée. Il força un sourire lorsque Sehar le serra dans ses bras pour le réconforter, mais le kévrien ne parvenait plus à s’empêcher de pleurer. Ses larmes étaient aussi contagieuses que ses sourires, et Nodia sentait ses yeux la piquer dangereusement. Lorsque Tsisco reprit enfin la parole, elle pleura aussi.

— Je suis désolé que tu aies eu à rester si longtemps seule, Nodia.

Elle renifla, et signa si confusément qu’elle dut recommencer une seconde fois, avec moins de mots pour être sûre que Sehar la comprenne tout à fait.

— Elle n’était pas toute seule, pas vraiment… Tu parles de Maro, Chaussette et Pacôme, c’est ça ?

Elle confirma d’un signe de tête, et le sourire revint brièvement sur le visage de Tsisco.

— Ceux qu’on doit retrouver à Pied-de-Troll ? Je dois au moins aller là-bas pour les remercier, alors. 

Un léger silence s’installa, juste assez long pour que Tsisco reprenne en partie sa contenance. Il la regarda de ses grands yeux bleus, et elle savait qu’il lui restait encore quelque chose à dire - mais quoi ? La peur lui enserrait le ventre. Et s’il lui annonçait que désormais, il allait ramener Sehar chez lui, et faire en sorte qu’il ne sorte plus de la Tour, pour ne pas être en danger inutilement à cause des embrouilles dans lesquelles sa soeur l’entraînait ? 

S’il était aussi nerveux, c’était parce qu’il avait une mauvaise nouvelle à annoncer, non ?

— Je sais que… c’est un peu tard, maintenant. Et qu’on vient juste de se rencontrer…

Tsisco rit nerveusement, et Nodia se tendit davantage, alors que Sehar souriait paisiblement.

— Mais j’ai fais une place dans mon coeur pour toi depuis que je sais que tu existes, et si tu veux la prendre… cette place sera toujours là pour toi, Nodia.

Elle écarquilla les yeux avec surprise, et resta hébétée si longtemps que le kévrien ne sut plus comment se tenir, désormais incertain et gêné. Bon vaincu, il sourit et caressa la tête de Sehar, avant de commencer à s’éloigner.

— Je vais vous laisser, Sehar veut sans doute…

Nodia ne le laissa pas finir. 

Elle le tira contre elle, entraîna Sehar avec, et s’agrippa aux deux reptiles aussi fort qu’elle put avant qu’ils ne disparaissent.

Qu’elle ait rencontré Tsisco à peine une heure avant n’avait pas d’importance. Elle connaissait Sehar, et elle avait l’impression de le connaître par lui. Elle savait que ses paroles étaient sincères, qu’aucun de ses mots ne pouvaient tout à fait refléter l’étendue de ce qu’il ressentait vraiment. Elle le savait, et elle voulait y croire plus que tout.

Sa blessure lui faisait encore mal, et la pression de leurs étreintes n’arrangeait rien, mais elle avait besoin de sentir les deux paires de bras autour d’elle comme un cocon protecteur. Elle garda près d’elle toutes les émotions qui tourbillonnaient dans son ventre, la joie, la colère, l’incompréhension, le doute, la quiétude. Elle voulait garder tout cela près d’elle pour ne jamais l’oublier, les graver dans son coeur avant que tout n’explose et qu’elle ne hurle.

Elle savait, sans avoir besoin de rien demander, sans que ni Tsisco ni Sehar n’ait besoin de rien dire, qu’ils n’auraient pas peur du monstre qu’elle était devenue. Que cela ne changerait rien, qu’il y avait vraiment de la place dans ce cocon qu’il tissait pour elle et tout ce qu’elle était. Elle pouvait être monstrueuse et redoutable et aimée, tout cela à la fois.

Après un long moment qui lui parut bien trop court, elle les relâcha doucement, soigneusement pour ne pas les casser. Elle laissa Tsisco attraper son visage pour mieux la regarder, et caresser ses joues avec ses pouces. Elle ne pleurait plus, et lui non plus. Seul un léger sourire restait sur leurs lèvres.

— Myria était la personne la plus extraordinaire que je connaisse, murmura-t-il. Et quelque chose me dit que tu as pris beaucoup plus d’elle que seulement son visage, petite Nuit.

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Nanouchka
Posté le 01/07/2022
"Petite nuit", surnom le plus beau au monde.
J'ai adoré cette phrase qui m'a transpercée de vérité : "Elle pouvait être monstrueuse et redoutable et aimée, tout cela à la fois."
Très, très beau moment de guérison, réconciliation, vérité, amour. La fin d'un cycle émotionnel pour tous ces personnages.
De plus en plus intriguée par ce personnage de mère absente que tu tisses. Elle devient plus riche et réelle à chaque chapitre.
AnatoleJ
Posté le 03/07/2022
Aaah je suis très content que tu aies aimé ce chapitre, c’est un de mes préférés ! Dans la toute première version que j’ai imaginée de l’histoire, c’était même l’avant-dernière scène avant la fin (la dernière scène est toujours la même, héhé). Ils avaient tous les trois besoin de cette réunion (et nous aussi) :D
A bientôt :)
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