Chapitre 46

Par Notsil

Sagitta, Douzième Royaume….

Ils galopaient depuis ce qui leur paraissait des heures. Les naseaux dilatés, l’écume au ventre, les chevaux commençaient à renâcler aux ordres de leurs cavaliers : toujours plus vite.

Ils jaillirent des forêts comme si une armée était à leurs trousses, apercevant enfin la Porte qui les conduirait sur Mayar, le Dixième Royaume. Chaque foulée les rapprochait un peu plus de leur objectif ; et le soleil avait entamé son long déclin vers l’horizon.

Un homme se tenait près de la Porte, contemplant le crépuscule. Les Portes avaient besoin de l’énergie solaire pour fonctionner, or dans quelques instants, le soleil disparaitrait derrière la colline.

Les deux colonnes étaient taillées dans un marbre violet veiné de blanc ; sur le linteau qui les surmontait, la flèche violette, symbole du Douzième Royaume, pointait vers les nuages.

La Porte de Sagitta se dressait là, loin de tout couvert végétal. Leur but était tout proche.

S’ils rataient cette occasion, ils devraient passer une nouvelle nuit sur Sagitta – avec le risque d’être attaqués par les impériaux.

Et le temps leur était compté.

–Attendez ! s’écria Lucas, nous devons à tout prix aller sur Ma…

–Dépêchez-vous ! tempêta le vieil homme, arborant la broche des Prêtres d’Eraïm. Elle est déjà ouverte mais ne va pas tarder à se fermer !

L’un après l’autre, les cinq chevaux franchirent la paroi ondulante. Satia retint son souffle, Laria ferma les yeux, cherchant à éviter le contact, Itzal se raidit comme si il allait percuter un mur et Lucas soupira de soulagement. Ils avaient réussi.

Un froid glacial les saisit à l’arrivée. Satia fronça les sourcils en resserrant sa cape. Le climat de Mayar était chaud toute l’année, alors pourquoi y avait-il autant de neige ? Elle vit que les autres étaient tout aussi perplexes qu’elle, et se sentit rassurée. Ils affronteraient ce nouveau problème ensemble.

Lucas était dans un tout autre état d’esprit, troublé de sentir l’odeur de sa planète natale. Il n’aurait jamais cru respirer encore l’air glacé des montagnes de Massilia…

Pourquoi n’étaient-ils pas arrivés sur Mayar comme prévu ? Il se tourna vers le gardien de la Porte et demanda des explications, mais le prêtre de Mayar secoua négativement la tête en réponse à ses questions. La Porte avait été uniquement ouverte avec Sagitta. Ils avaient dû avoir un problème de compréhension de l’autre côté. Ils devraient maintenant attendre que le soleil se lève à nouveau pour réutiliser la Porte et aller sur Mayar.

Le Messager soupira. Ils n’avaient pas le choix, ils étaient coincés ici pour la nuit. Il n’avait plus qu’à leur trouver une confortable auberge dans la ville de Citrine toute proche.

Ces derniers jours avaient épuisé ses compagnons, et un peu de repos ne serait pas de refus, y compris pour lui.

Une vague de douleur le submergea, et il serra les dents tout en talonnant son cheval, concentré sur sa respiration. Ce contretemps était loin d’être une aubaine.

Ensuite, il prit quelques minutes pour expliquer la situation et annoncer au petit groupe frigorifié qu’ils s’arrêteraient pour la nuit. Tous n’avaient qu’une hâte, se mettre à l’abri du vent dans un endroit chaud.

Seul Lucas trouvait un certain réconfort dans l’air glacial qui rafraîchissait agréablement son corps brûlant. Il inspira à pleins poumons, sentit le froid descendre au plus profond de lui, le revigorant. La sensation d’étouffement qu’il ressentait disparut.

Après de longues minutes à chevaucher dans une belle épaisseur de neige, ils confièrent leurs montures éreintées aux bons soins des palefreniers de l’auberge L’Aile d’Or. La tenancière vint aussitôt les accueillir. Grande et svelte, loin de l’image de l’aubergiste replète, elle était vêtue d’une longue robe écarlate dont la fente remontait presque jusqu’à sa taille.

Une ceinture formée de boucles métalliques laquées de noir retenait une dague au manche orné de rubis. Dans son dos s’élevait une paire d’ailes, grises piquetées de plumes noires et blanches. Le sourire éclatant qu’elle arborait de façon professionnelle s’élargit un peu plus lorsqu’elle reconnut le Messager.

–Lucas ! C’est toujours un plaisir de te voir. Bienvenue à L’Aile d’Or !

–Merci pour ton accueil chaleureux. Mes amis, je vous présente la T’Sara Elein, répondit le Messager en se retenant de justesse de desserrer le col de son uniforme.

Par Eraïm, il avait l’impression de pénétrer dans une étuve !

Au contraire, ses compagnons étaient heureux de cette chaleur bienfaisante qui les réchauffait agréablement. Satia se détendit, desserra ses bras et remua ses doigts glacés sous sa pèlerine, tandis qu’Itzal soupirait de contentement.

–Que te faut-il ? s’enquit aimablement l’aubergiste.

Le Messager hésita à séparer le groupe. Étaient-ils en sécurité, ici ? Il sursauta comme Ziandron collait sa tête contre sa jambe en émettant ce qui ressemblait à… un ronronnement ? Il ébaucha un sourire.

–Deux chambres mitoyennes, s’il te plait. Des bains et un repas chaud. Nous repartirons tôt demain matin.

Elein ne masqua pas sa déception.

–M’accorderas-tu ta compagnie cette nuit, dans ce cas ?

Le Messager se raidit. Accepter compromettrait la sécurité de ses compagnons, mais refuser la proposition d’une T’Sara n’était possible qu’en de rares cas sévèrement encadrés.

–Ce ne sera pas possible, Elein.

L’aubergiste fronça les sourcils, mais ne répondit pas. Elle connaissait suffisamment Lucas pour comprendre que son refus était forcé par les circonstances. Elein considéra un instant de prendre le jeune Envoyé en compensation ; l’Atlante semblait pourtant le considérer comme sa propriété, nota-t-elle avec amusement. L’air de défi qu’elle avait adopté ne laissait aucune place au doute. Dans d’autres circonstances, elle n’aurait pas été contre un petit duel, mais l’état du Messager était plus préoccupant. S’approchant, elle posa une main fraîche sur son front.

–Tu as de la fièvre, déclara-t-elle sans ambages.

Il l’écarta plus brusquement qu’il ne l’eut souhaité, agacé. Chaque minute qui s’écoulait le vidait un peu plus de ses forces. Il devait s’accrocher, lutter jusqu’au bout. Encore quelques heures, et Satia serait à l’abri sur Mayar.

–Je sais, dit-il froidement. Nos chambres, s’il te plait.

Elein n’insista pas, mais ses traits restèrent marqués par l’inquiétude.

–Très bien. Je vois que tu es toujours aussi têtu. Suivez-moi. Erysie, continua-t-elle, va préparer les bains pour nos clients. Privés, je te prie, et assure-toi qu’ils ne soient pas dérangés.

–J’y cours, Elein, répondit une jeune Massilienne qui disparut aussitôt dans les couloirs.

Suivant la T’Sara, ils traversèrent la salle commune, emplie du bruit des rires, des chopes cognant sur les tables, résonnant des discussions des clients. Le fumet alléchant qui se dégageait des cuisines leur rappela qu’il s’était écoulé de nombreuses heures depuis leur dernier repas.

À l’étage, Elein leur montra leurs chambres pour la nuit : deux lits chaque fois, avec une porte-fenêtre donnant sur un petit balcon.

–Les bains privés sont à gauche au fond du couloir, leur indiqua-t-elle. J’ai supposé que vous seriez moins familiés des bains mixtes locaux. Je vous fais monter les repas dans un salon privé ?

–Ce serait préférable, répondit le Messager.

–Bien. Erysie viendra vous prévenir pour le repas. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à sonner, dit-elle en indiquant l’emplacement d’une petite cloche à côté de la porte. Eraïm vous garde.

Les quatre jeunes gens la remercièrent chaleureusement et dès qu’elle fut sortie, Satia enleva avec soulagement la pèlerine qui avait camouflé le teint violet de sa peau et de ses cheveux, aisément reconnaissables.

–J’ai vraiment hâte de prendre un bain.

*****

Satia ferma les yeux et la chaleur de l’eau l’envahit. Après plusieurs jours de voyage dans la forêt, elle avait été ravie de quitter ses vêtements empoussiérés et tachés de sueur. Ce décrassage complet était une aubaine ; au moins elle ressemblerait à quelque chose quand elle rencontrerait les Prêtres et Prêtresses d’Eraïm sur Mayar.

–Lucas m’inquiète. Je crains qu’il ne soit plus affaibli que ce qu’il montre.

Surprise, Satia tourna la tête vers Laria. L’Atlante était plongée comme elle dans un agréable bain parfumé. Elle jouait distraitement avec les bulles de savon, pourtant elle affichait un air préoccupé. Satia l’était également.

La veille, après l’attaque, elle s’était éloignée de ses compagnons pour réfléchir, encore sous le choc de cette violence qu’elle abhorrait. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée assise, là, seule sur un tronc de chêne, plongée dans ses pensées.

Lucas était apparu, soudain, comme à son habitude, surgissant sans bruit des fourrés. Sans un mot, il s’était assis à ses côtés, et elle avait apprécié qu’il respecte son silence. Elle l’avait dévisagé, tandis qu’il restait immobile, les mains croisées et posées sur ses genoux, le regard dans le vague. Un bandage sommaire sur son bras droit lui rappela qu’il avait été blessé. Elle avisa alors les cernes sous ses yeux, son teint pâle, fatigué.

Il était bien loin de son image de Messager impassible.

–Comment vas-tu ?

La voix du Messager brisa le silence. Satia appuya sa tête entre ses mains. Il était direct, à son habitude.

–Je ne sais pas. Encore une fois ma confiance a été trahie. Je me sens… vide. Et j’ai peur. Il y a Dvorking, il y a Damien, et maintenant cette fuite et toujours des attaques. En quelques jours ma vie s’est écroulée. Malgré tout ça, je ne suis pas capable de condamner des gens comme tu le fais.

–Il le faut parfois. Pour survivre.

–C’est vrai. Je sais que je représente beaucoup pour le peuple de la Fédération, que je ne peux pas me permettre de me faire tuer mais… je reste emplie de doutes. Et si Dionéris s’était trompé ? Si je n’étais pas faite pour être Souveraine ? Crois-tu…crois-tu qu’il m’a choisi à cause de mes origines ? finit-elle dans un souffle.

–Satia… tu es faite pour être Souveraine. Tu as en toi des ressources que tu ne soupçonnes pas. Rien à voir avec tes ancêtres. Le moment venu, tu sauras agir.

–Comment peux-tu en être certain ? dit-elle avec amertume. Tu es  si… si sûr de toi. Tu n’hésites pas, tu fonces, sans remords, sans…

Avec douceur, il mit deux doigts sous son menton et lui releva la tête.

–Moi, je crois en toi.

Et il posa ses lèvres sur les siennes.

Son cœur s’emballa ; un instant, Satia se demanda si elle n’avait pas rêvé ce bref contact. Un témoignage de sa confiance ? Le Messager ne se serait pas permis davantage.

C’était inattendu.

Satia se jeta dans ses bras, secouée de sanglots trop longtemps refoulés.

–Je ne veux pas te perdre.

Qu’était-il aujourd’hui, pour elle ? Bien plus qu’un ami sur lequel elle pouvait compter. Un protecteur ? Il avait amplement dépassé ce rôle.

Elle aurait voulu rester là, blottie dans sa chaleur. Oublier qu’il sacrifiait des vies pour elle, comme il allait bientôt sacrifier la sienne pour honorer le serment qui le liait au Wild.

–Beaucoup de choses auraient pu être, et ne sont pas. C’est ainsi, dit-il en remettant en place l’une des mèches échappées de sa chevelure.

–Eraïm, pourquoi est-ce si difficile ?

–Parce que tu y attaches de l’importance. Tu n’auras pas toujours quelqu’un pour te protéger.

–Comment fais-tu ? Comment peux-tu être… si détaché ?

Un instant, son regard se perdit dans le vague.

–Un entrainement, une habitude, appelle ça comme tu veux. Une façon de me préserver, aussi. La souffrance ne fait qu’augmenter, tu sais. Suffisamment pour que la mort apparaisse bientôt comme une délivrance.

Que pouvait-elle répondre à ça ?

–Allez, viens, il faut y aller. Ils nous attendent.

Des coups frappés à la porte tirèrent la jeune femme de ses pensées, la ramenant au moment présent. Ses anciennes peurs refirent surface. Allait-elle devoir se battre ? Comment pouvait-elle fuir d’ici ?

–Je m’en occupe, dit Laria.

L’Atlante quitta son bain, sans prendre la peine de cacher sa nudité, mais s’équipant de sa dague restée à portée. La main posée sur le loquet, elle demanda :

–C’est pour quoi ?

–Le dîner a été monté, mesdames, fit une voix étouffée.

–Je vous remercie.

–A votre service. 

Laria attendit que les bruits de pas s’éloignent avant de se détendre.

–Tout va bien, dit-elle en se tournant vers Satia.

La Durckma soupira de soulagement.

–Désolée de te causer tant de soucis, finit-elle par dire, embarrassée.

La Guerrière de Perle considéra la jeune femme amenée à devenir Souveraine à la mort de Dionéris. La semaine qui venait de s’écouler avait été dure pour elle. Ses convictions avaient été brisées les unes après les autres. Lucas lui avait pourtant assuré qu’elle fuyait les sbires de Dvorking depuis sa naissance ; comment restait-elle si terrifiée à l’idée de donner la mort pour défendre sa vie ?

Elle était trop clémente vis-à-vis de ses adversaires, une attitude que l’Atlante ne comprenait pas. Croyait-elle vraiment qu’il y avait une solution pacifique à tous les problèmes ?

–Pas de problème. Lucas compte sur moi, et je n’ose pas penser au sort qu’il me réserverait si je devais lui faire défaut.

Satia quitta la baignoire à son tour, et attrapa une épaisse serviette éponge en commençant à frictionner ses cheveux.

–Je n’arrive toujours pas à y croire, déclara-t-elle.

–Ce n’est pas une chose facile à accepter, convint Laria.

–Comment vais-je faire, si tous mes alliés disparaissent un à un ?

–Tu n’es pas seule, dit Laria en posant la main sur son bras. Tu trouveras la force d’y arriver.

Satia ne répondit pas. Ses doutes revenaient à la charge, et même si Laria faisait de son mieux, ce n’était pas pareil.

Ça ne serait plus jamais pareil.

Elle s’habilla d’une tenue propre ; un pantalon simple et un pull léger, parfaits pour voyager. Pour ses cheveux, par contre… à l’extérieur, la capuche de sa cape l’avait protégée. Dans les couloirs de l’auberge, en revanche, ce serait trop voyant.

–Veux-tu que je te prête un voile ? proposa Laria en remarquant son expression.

–Je n’en ai jamais porté, avoua la jeune femme.

–Laisse-moi t’arranger ça, dit l’Atlante en joignant le geste à la parole. Tu ressembles à une Matriarche des Sables !

Satia sourit, presque malgré elle. Laria avait un caractère enjoué, quelles que soient les circonstances.

–Je me demande quand même pourquoi le Djicam Ivan ne nous a pas adjoint un autre Mecer, dit pensivement la Guerrière de Perles en nouant avec dextérité les voiles qui composaient ses propres vêtements.

–Je crains qu’il n’ait pas eu le choix, commenta sombrement Satia. Et cela m’inquiète.

–Notre séjour sur le Dixième Royaume ne sera pas long, tenta Laria pour la rassurer. Ensuite, tu pourras demander des explications.

–Tout s’est déclenché dans la peur et la précipitation, fit pensivement la Durckma. J’ai l’impression qu’un détail important m’échappe. Je n’aime pas ça.

*****

Les yeux perdus dans le vague, le Massilien était accoudé sur le rebord de l’étroite fenêtre grillagée. La vapeur qui se dégageait des deux cuves qu’avaient apportées les serviteurs envahissait la petite pièce. Il ne portait qu’une serviette nouée autour de ses reins et pourtant, il aurait donné cher pour ouvrir en grand la seule fenêtre des lieux.

Plongé dans l’eau chaude, les ailes confortablement surélevées, Itzal laissa échapper un soupir de contentement.

–Tu ne profites pas, Lucas ?

Le Messager se détourna de la fenêtre pour croiser le regard de son jeune ami.

–J’attends que l’eau refroidisse, répliqua-t-il.

Itzal se demanda un instant si Lucas était sérieux ou ironique.

Toi déjà vu lui drôle ?

Le commentaire de Roïk lui arracha un gloussement. Le petit félin s’était retranché le plus loin possible de cette masse liquide qu’il exécrait, sans oser toutefois se rapprocher de Ziandron. Le tylingre partageait son aversion pour l’eau, mais feignait d’ignorer totalement son malaise. Il dédaignait également le jeune panthirion qui, impressionné par tant de dignité, gardait ses distances.

Malgré sa fatigue, Lucas était amusé par le manège des deux félins. Ziandron avait pris les deux jeunes sous son aile, c’était évident. Sa sagesse et son expérience leur seraient bénéfiques. Il leur donnerait de bons conseils, une fois qu’il serait….

Avec effort, il chassa la pensée de son esprit, et essuya la sueur qui ruisselait déjà sur son front. Elein avait raison, la fièvre le rongeait.

Son corps réagissait seulement à la souffrance de Lika. Il avait déjà connu cette sensation dans le passé ; jamais avec autant d’intensité. Il suffisait aux phénix de s’embraser pour se débarrasser de tout poison ou maladie. Or, cette toxine inconnue les en empêchait. Si certains avaient réussi à modifier en urgence leur métabolisme pour éviter la mort foudroyante de leurs congénères, leur agonie n’en était que plus longue.  La sienne comme celle de Lika avait déjà commencé.

Lucas secoua la tête. Rien à faire, il ruminait toujours de sombres pensées. Comment en aurait-il pu être autrement ? Comment se résigner ? Chaque heure qui passait le rapprochait un peu plus d’une mort inévitable. Il comprenait maintenant pourquoi connaitre l’heure de son trépas était si angoissant.

Des coups frappés à la porte le firent sursauter et, sans réfléchir, il porta la main à son côté, cherchant une épée justement absente.

–Qui va là ? demanda-t-il.

Itzal hésita entre sortir de l’eau délicieusement chaude pour se préparer en cas d’attaque, ou rester là et subir les réprimandes de Lucas par la suite…. mais quel attaquant frapperait avant d’entrer ? Sans compter que ni Roïk ni Ziandron ne paraissaient suspecter le moindre danger.

–Elein m’envoie dire que le dîner vient d’être monté.

– Remercie-la de sa prévenance.

–J’aurais préféré qu’ils tardent un peu plus, maugréa le jeune Envoyé.

–Je partage ton point de vue, fit Lucas en regardant d’un air résigné la cuve encore fumante.

*****

Les quatre jeunes gens dégustèrent avec un plaisir non dissimulé le potage et le ragoût épicé apportés par les gens d’Elein. Ils étaient ravis de changer du régime viande séchée accompagné de fromage. La tenancière n’avait pas oublié les deux félins, qui se partageaient un plat de poissons.

Épuisées et repues, Satia et Laria gagnèrent sans tarder leur chambre et les deux Mecers les imitèrent.

Le Messager s’allongea sur le lit proche de la fenêtre. Il ne fallut que quelques minutes pour qu’il entende la respiration calme et régulière d’Itzal.

Mais il eut beau se tourner et se retourner, il fut incapable de s’endormir. Il se leva sans bruit et ouvrit doucement la fenêtre donnant sur un petit balcon. L’air glacé lui fouetta le visage et il soupira de contentement. Lucas n’hésita que quelques secondes avant de se glisser sur le balcon et referma soigneusement les battants. Il s’étendit sur le dallage, rabattant l’une de ses ailes pour s’isoler de la neige qui tourbillonnait en gros flocons, et savoura le froid mordant. Cet air glacé le revigorait. Ici, il serait bien.

La torpeur l’envahit et il sombra dans un sommeil sans rêves.

*****

Lorsque Satia s’éveilla le lendemain, le soleil était à peine levé. Elle s’étira longuement. L’Atlante dormait encore.

La jeune femme goûta l’atmosphère paisible des lieux. La cuisine était déjà en pleine activité, si elle en croyait le ronronnement des conversations au milieu des bruits assourdis des casseroles.

Sans hâte, pour une fois, elle fit une rapide toilette et s’habilla avant de préparer son sac. Elle doutait qu’ils s’attardent.

L’Atlante s’éveilla à son tour, grommelant en avisant que Satia était déjà prête. Elle noua rapidement sa tenue puis glissa ses dagues dans leurs fourreaux.

–Le petit déjeuner vous attend, mesdames, dit une voix étouffée après un coup à la porte.

Les deux femmes se hâtèrent vers le salon privé qui leur avait été alloué, et y retrouvèrent Itzal et Lucas. L’Envoyé étouffait un bâillement, apparemment peu réveillé. Lucas… était Lucas. Le teint un peu pâle peut-être, mais l’uniforme impeccablement ajusté, prêt à partir.

Les quatre compagnons remercièrent Elein pour son hospitalité avant de récupérer leurs chevaux pour se diriger vers la Porte qui les emmènerait à Mayar, la dixième planète de la Fédération.

L’air était glacial et le ciel dégagé, mais la couche de neige rendait leur progression lente : inutile de faire trébucher les chevaux ou de glisser sur une plaque de verglas.

Lucas semblait ragaillardi par sa bonne nuit de sommeil et leur détailla la traversée de la ville qu’ils avaient parcourue la veille dans la pénombre, sous l’air surpris et ravis des jeunes gens. Le Messager était généralement peu loquace ; sa planète natale déliait sa langue.

Un Massilien atterrit soudain devant eux, les obligeant à s’arrêter pour éviter la collision. Il était mince, ses ailes d’un brun qui tirait sur le roux par endroits ; ses sourcils étaient froncés.

–Hé, toi là-bas ! Je te défie ! interpella-t-il avec arrogance.

Lucas se contenta de toiser l’individu.

–Ton comportement te couvre de honte, dit-il d’une voix glacée.

Le jeune rougit sous l’insulte et Lucas fronça les sourcils devant l’absence d’excuse.

–Tu le connais ? demanda Itzal en s’approchant.

–Non. Les jeunes Massiliens passent leur temps à lancer des défis, tu sais, répondit Lucas en contournant l’obstacle.

Furieux d’être ainsi ignoré, le Massilien se rapprocha d’un battement d’ailes.

–Je te cause ! Cesse de me manquer de respect ! Je te défie a’sar !

Itzal s’était figé, inquiet.

J’ai bien compris, c’est un défi à mort ?

Oui, confirma Ziandron.

Le sourire du jeune Massilien s’élargit comme pour dire : « Cette fois, tu ne peux refuser ! »

Lucas haussa les sourcils.

–Ta stupidité n’a d’égale que ton arrogance, si tu crois avoir les capacités de battre un Messager. Peut-être n’avais-tu remarqué ce détail, dans ton aveuglement ?

Sous ses airs sévères, Lucas était indulgent, songea Itzal. Il lui laissait une dernière échappatoire. À moins que cette clémence ne soit qu’une illusion, une tentative de préserver ses forces pour la dernière partie de leur voyage ?

–Je t’attends, fit bravement le Massilien.

Déjà, son éclat attirait quelques badauds. Lucas retint un soupir avant de se laisser glisser à terre. Encore un contretemps.

Laria s’approcha.

–Es-tu certain de…

–Ça ira, coupa le Messager. Itzal, observe. Je vais te montrer l’une des premières techniques qu’apprend un Émissaire.

En quelques pas, Lucas rejoignit son adversaire et dégaina. La lame en Ilik était parée d’un orangé pâle, témoignage de ses derniers combats.

–Attaque, j’ai autre chose à faire.

Le jeune Massilien pâlit sous le ton sec. Il commençait à comprendre qu’il avait commis une erreur. A son crédit, il ne recula pas et fit glisser son épée d’acier hors du fourreau. Il avait de bons appuis, nota Lucas par automatisme. Mais ça ne serait pas suffisant. Le Messager n’eut qu’à tordre son poignet pour dévier la lame de son adversaire, qui bondit aussitôt en arrière pour prendre du champ.

Une erreur, comme il allait le découvrir. Lucas déploya ses ailes, concentré sur son adversaire, et une aura enflammée l’enveloppa aussitôt tandis qu’un cri perçant déchirait les airs.

Ses amis sursautèrent tandis que le jeune Massilien se pétrifiait littéralement. Les yeux agrandis par la peur, la bouche béante, il restait totalement figé. Son arme tomba au sol, s’échappant des doigts sans force.

Le Messager s’en saisit d’un pas coulé, avant d’envoyer son adversaire au sol d’une bourrade. D’un geste vif, il planta l’épée dans la neige tassée. Un filet écarlate coula sur la joue du jeune Massilien, inconscient.

–Imbécile, marmonna Lucas avant de rejoindre son cheval.

Ils se remirent en route, et le Messager se mura dans le silence.

–A’sar ne veut pas dire « à mort » ? interrogea Satia en se portant à sa hauteur.

–C’est le cas.

–Pourquoi l’avoir laissé en vie ? Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose, ajouta-t-elle précipitamment devant son regard perplexe. Seulement, c’est rare que tu fasses preuve de compassion.

–Une vie sera payée. Nul besoin de gâcher la sienne.

La jeune femme ouvrit la bouche, puis la referma, incapable d’exprimer sa pensée.

Il n’y avait pas qu’avec son arme que Lucas la terrifiait, parfois.

–Qu’as-tu fait exactement ? demanda l’Envoyé, piqué par la curiosité.

–Cette technique s’appelle l’Intimidation. Elle consiste à générer une illusion grâce à l’empreinte de ton Compagnon. Quand tu y parviendras, tes adversaires verront un panthirion prêt à fondre sur eux, idéalement avec un rugissement convaincant.

Itzal se promit de s’entraîner durement dès que possible : enfin quelque chose d’intéressant à apprendre !

 

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Nathalie
Posté le 25/06/2023
Bonjour Notsil

Et tu as du remarquer comme Ziandron souffre de cette situation.
→ dû

–J’aimerai parfois qu’ils se montrent moins classiques dans leurs approches, soupira Laria. Cette attente est pénible.
→ J’aimerais

« La veille, après l’attaque, elle s’était éloignée de ses compagnons pour réfléchir, encore sous le choc de cette violence qu’elle abhorrait. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée assise, là, seule sur un tronc de chêne, plongée dans ses pensées. »
→ À partir de là, on est dans le passé. De nouveau, tes temps ne vont pas. Par exemple, « La voix du Messager brisa le silence. » devrait être « La voix du Messager avait brisé le silence. » et ce jusqu’à « Des coups frappés à la porte tirèrent la jeune femme de ses pensées, » où on revient au présent.

épaisse serviette éponge
→ Ça n’existait pas à l’époque moyenâgeuse mais après tout, vu que tu fais des mélanges avec de la SF, pourquoi pas. A toi de voir si tu gardes ou pas.

Comment en aurait-il pu être autrement ?
→ Le « en » est mal placé dans cette phrase.

Ils étaient ravis de changer du régime viande séchée accompagné de fromage.
→ accompagnée

sous l’air surpris et ravis des jeunes gens.
→ ravi
Notsil
Posté le 27/06/2023
Coucou !

Merci pour les fautes :)
Pas faux pour la serviette, je vais voir si je change ça ou pas.

Le changement de temps, oui, après c'est lourd aussi d'avoir tout un truc au plus-que-parfait, mais il faudrait peut-être que je marque autrement la différence souvenir/présent (peut-être en sautant une ligne). Je vais y réfléchir, merci !
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