Chapitre 45

Par Notsil

— Vous m’avez demandé, votre majesté ?

Alistair rayonnait dans l’uniforme gris des Maagoïs, avec les trois étoiles rouges sur le côté gauche de sa poitrine qui indiquaient son rang de capitaine. Il avait mis genou à terre, cinq pas devant elle, le regard rivé au sol comme l’exigeait le protocole.

Le cœur de Shaniel se serra. Sa grâce et sa prestance tranchaient avec ses ailes abimées. Il les avait repliées sur son dos, mais les dégâts étaient tels qu’ils resteraient visibles encore longtemps.

Et la distance qu’il avait mise entre eux était d’autant plus douloureuse. Bientôt une semaine qu’il était rentré, et il n’avait pas cherché à la contacter. Seule une convocation officielle l’avait obligé à paraitre ainsi devant elle.

— Relève-toi, Alistair.

Même ici, dans l’intimité de ses appartements, il jouait au subordonné modèle. Shaniel pinça les lèvres. Avait-il cherché à l’éviter, ces derniers temps ? Depuis son couronnement, Shaniel n’avait eu que peu de temps pour elle. La restructuration de l’Empire absorbait toute son énergie. Le jugement de Kolgulir de Meren pour trahison, notamment. Son jeune âge plaidait en faveur d’une manipulation mais Shaniel savait qu’elle ne pourrait jamais lui faire confiance, désormais. Il était trop influençable. L’exécution de Varyl n’avait surpris personne ; depuis sa capture, il arborait un air hébété en permanence, et ils n’avaient rien tirer de lui. Une frustration de plus.

Aujourd’hui, sa robe était d’un jaune pâle, ses yeux poudrés d’or, des plis et des voilages qui mettaient en valeur les courbes généreuses de ses hanches et de sa poitrine.

Elle comptait bien utiliser tous ses atouts.

Shaniel s’approcha jusqu’à le frôler. Alistair maitrisa son trouble mieux qu’elle ne l’aurait cru.

— Shani…

— Ne dis rien, menaça-t-elle.

— Il le faut, poursuivit Alistair avant de reculer d’un pas pour se soustraire à son toucher. Tu es Impératrice, maintenant. Ce n’est plus possible.

— Tu appartiens à l’une des Neuf grandes Familles ! protesta Shaniel. Pourquoi cela ne serait-il pas possible ?

— Parce que je ne veux pas être Empereur. Parce que je ne veux pas remplacer Rayad dans ce rôle. Tu sais bien que la situation de ma famille n’est aucunement comparable à la situation des huit autres. Notre union mettrait une lignée d’ailés sur le trône. Ils ne l’accepteront jamais.

Shaniel garda le silence. Il avait raison sur tous les points, mais par Orssanc ! Elle aurait tellement aimé qu’il en soit autrement. Elle l’avait si longtemps considéré comme un pion, n’avait réalisé que récemment à quel point il comptait pour elle. Devait-il lui échapper, comme son frère ? Passait-elle à côté de l’essentiel ?

Shaniel refoula les larmes qui perlaient à ses paupières.

Elle était devenue Impératrice, elle avait choisi de s’exposer en pleine lumière. Toute décision menait à un sacrifice, aurait dit son père. Elle pouvait modifier le destin de ses sujets sur un claquement de doigts, mais elle ne pouvait se résoudre à contraindre Alistair. Il avait déjà trop souffert pour elle.

— Très bien, dit-elle d’une voix qu’elle parvint à garder ferme. Je te rends donc ta liberté, Alistair.

Sa surprise lui fut aisément perceptible. Il s’était attendu à devoir lutter davantage.

— Tant de clémence ne te ressemble pas, dit-il enfin, suspicieux. Qu’attends-tu de moi ?

— Tu es devenu perspicace. Accorde-moi une dernière nuit. J’ai besoin de toi, Alistair, ajouta-t-elle comme il ouvrait la bouche pour protester. S’il te plait.

Le silence qui suivit lui parut interminable. Shaniel retint son souffle. Jamais elle ne l’avait ainsi supplié.

— La dernière, céda Alistair.

****

Le souffle court, ils se séparèrent.

— L’aube vient bien trop tôt, marmonna Shaniel avant de se lever. Ne bouge pas, prévint-elle comme il esquissait le geste de la suivre. Laisse-moi prendre une douche et m’habiller. Nous devons parler.

Conscient que leur relation ne serait plus jamais la même, Alistair acquiesça. Il s’assit pour l’attendre. Avait-elle exigé cette dernière étreinte pour jouer sur ses sentiments ?

Il l’aimait, elle le savait. Alors pourquoi s’interdisait-il de poursuivre leur relation ? Alistair n’avait plus envie de se contenter de brèves étreintes, de la partager avec les courtisans avec lesquels elle jouait. Tout comme il n’avait aucune envie d’officialiser leur relation maintenant qu’elle était impératrice. Ce rôle était fait pour elle, et lui n’appartenait plus à cette vie. Il brûlait de retourner sur le terrain, de profiter de sa famille sur Iwar, attendait déjà avec impatience la prochaine visite de sa cousine.

Perdre Shaniel était la seule solution envisageable, même si c’était une souffrance supplémentaire dont il se serait passé.

Elle reparut bien plus rapidement qu’il ne l’avait prévu. Son cœur accéléra quand il détailla le léger déshabillé dont elle s’était parée. Les yeux rouges se posèrent sur lui, moqueurs, et Alistair déglutit. Par Orssanc, à quoi jouait-elle ?

Shaniel posa un genou sur le lit. Il lui était impossible de ne pas remarquer qu’elle ne portait rien d’autre sous cette délicate dentelle qui ne cachait pas grand-chose d’elle. Shaniel s’avança jusqu’à le frôler, parfaitement consciente de son trouble.

— Je te fais tant d’effet que ça ? susurra-t-elle.

Son souffle caressait son visage tandis qu’il s’obligeait à rester immobile, ses lèvres l’effleurèrent. Quand elle se recula enfin, le jeune ailé ne put retenir un soupir de soulagement mêlé de déception.

Shaniel eut un léger rire.

— Je n’ai qu’une parole, mon cher Alistair. La nuit est terminée.

Elle s’approcha de son bureau, s’empara d’un rouleau de feuilles.

— Voici pour toi.

— Qu’est-ce donc ? questionna-t-il, méfiant.

— Mon cadeau d’adieu. Tes nouveaux ordres. Appelle ça comme tu préfères. Tu peux les lire, capitaine.

Alistair pinça les lèvres devant l’utilisation de son titre, si rare dans sa bouche. N’était-ce pas ce qu’il avait souhaité ?

Il y a un monde entre ce qu’on désire et ce qu’on obtient, remarqua Zéphyr.

Alistair ne pouvait qu’être d’accord. Il saisit le rouleau, défit le ruban, parcourut les feuilles du regard, se figea.

— Tu m’envoies sur le sol de la Fédération ? s’exclama-t-il. T’ai-je donc tant déçu que tu souhaites ma mort ?

— Tu vas être difficile à remplacer, Alistair. Je compte bien t’utiliser à mon avantage, oui. Je tiens cependant à ce que tu me reviennes en vie. Regarde bien. Je te donne un statut officiel d’ambassadeur impérial. Qui t’accorde donc une immunité totale, précisa-t-elle.

— Qu’as-tu donc en tête ? murmura Alistair, sonné.

Shaniel sourit, prédatrice.

— Je ne fais que payer ma dette. Offrir un cadeau aux douze Royaumes en remerciement de leur aide. Consolider notre alliance.

— Comment ?

— Lis la suite. Tu comprendras.

Curieux, le jeune ailé s’exécuta. Et jura.

—  Tu es sérieuse ?

— Oui. Tu resteras sur place le temps que tu jugeras nécessaire, reprit Shaniel. Je te laisse carte blanche pour les détails.

Alistair resta silencieux.

— Je ne pensais pas mériter autant ta confiance, dit-il enfin.

Shaniel s’approcha de lui.

— Il y a beaucoup de choses que tu as choisies d’ignorer.

Elle s’empara de sa main, y déposa la broche de son nouveau statut. Alistair déglutit devant le symbole impérial. L’étoile rouge à neuf branches, chacune terminée par un rond, pour les neuf mondes impériaux.

La gorge serrée, Alistair referma le poing sur l’insigne.

— Dois-je te remercier ?

— Tu l’as déjà fait.

Alistair se leva, se rhabilla sans pouvoir ignorer le regard appréciateur de Shaniel. Orssanc le brûle, jusqu’à la fin elle profiterait de lui.

Shaniel s’avança, lissa son uniforme, épingla son insigne, apprécia son contact une dernière fois.

— Tu m’as beaucoup apporté, Alistair. Et tu vas me manquer. Sois heureux.

— Tu seras une grande Impératrice, Shani.

— Je n’y serai jamais arrivée sans toi. Fais honneur à ta famille. Fais honneur à l’Empire.

*****

C’était une mauvaise idée, se répéta Alistair. Depuis que Shaniel, depuis que l’Impératrice des Neuf Mondes lui avait confié cette mission suicidaire, le jeune capitaine avait été persuadé qu’il allait droit au-devant d’un échec cuisant.

Qu’aurait-il pu faire d’autre, alors qu’il s’était engagé sur son honneur ?

Malgré ses précautions, malgré ses plumes encore trop peu nombreuses, il avait suffi que sa cape s’entrouvre alors qu’il se renseignait à l’auberge, pour que l’un des clients remarque la plume rouge à ses pieds.

Alistair avait préféré éviter la ville de Citrine, proche de la Porte, lui préférant le calme d’un village plus petit, Agate. À tort, apparemment, car nul ici ne semblait connaitre le symbole de l’Empire, sa seule protection dans ces contrées hostiles. Qu’avait dit Shaniel, déjà ? « Immunité totale » ?

Jamais il n’aurait dû accepter.

Dans un lieu si confiné, Alistair n’avait pas osé sortir son épée. Sa main était crispée sur sa dague alors qu’il évaluait un moyen de s’en sortir vivant. Un combat à un contre huit, c’était illusoire.

Deux, pas un, rappela Zéphyr.

Désolé de t’avoir entrainé là-dedans.

La porte s’ouvrit avec fracas, détournant l’attention des Massiliens. Alistair songea que c’était peut-être sa chance pour se faufiler à l’extérieur.

— Alistair !

Surpris, le jeune homme s’immobilisa à deux pas de l’entrée. Une silhouette bondit sur lui pour l’enlacer.

— Je pensais bien avoir reconnu Zéphyr au-dehors ! Comment vas-tu ? Que fais-tu là ?

— Je suis bien content de te voir, sourit Alistair. Je ne m’attendais pas à être accueilli à bras ouverts, mais là…

Derrière lui, tous s’étaient raidis à la vue des ailes blanches. Elésyne relâcha Alistair et croisa les bras, contrariée.

— Le message du Djicam et de la Souveraine n’est pas encore arrivé jusqu’ici ? Alors que nous ne sommes qu’à quelques heures de la Porte, alors que des Courriers de la Fédération ont été dépêchés il y a quinze jours ?

— Nous ne nous attendions pas à sa présence en ce lieu, Émissaire, marmonna l’aubergiste, mal à l’aise.

— C’était juste la surprise, renchérit un autre Massilien. Un simple malentendu.

Et tous les autres s’empressèrent d’acquiescer frénétiquement à ses propos. Sceptique, Elésyne haussa un sourcil.

— Confirmeras-tu leurs propos, Alistair ?

— Le voyage n’a pas été de tout repos, je préférerai passer une soirée tranquille, avoua l’impérial.

— Mais où est passé l’Alistair que je connais ? s’étonna Elésyne. Celui qui aurait rasé un village pour un regard désapprobateur sur ses ailes ?

Alistair éclata de rire.

— Orssanc me brûle, Elésyne, pense à la réputation que tu es en train de me faire !

L’Émissaire sourit à son tour.

— Alors considérons que l’incident est clos. Je t’offre un dai’kiwi ?

— Avec plaisir, cousine.

La tension avait déserté les lieux aux paroles d’Elésyne, et c’est avec un sourire hésitant que l’aubergiste les servit au comptoir.

Les deux ailés se désaltérèrent en silence tandis que les murmures des conversations reprenaient dans la salle commune.

— Alors, tu ne m’as pas dit ce qui t’amenait ici ? Je pensais que tu aurais pris des vacances, après tous ces combats. Tu l’aurais mérité.

— Je suis en mission pour Shaniel, Orssanc lui prête sa force.

— T’envoyer sur Massilia ? s’étonna Elésyne. Qu’est-ce que tu lui as fait pour mériter ça ?

Alistair esquissa un sourire.

— J’ai eu la même réaction. Mais comme d’habitude, elle avait un coup d’avance.

— Elle est bien plus retorse que son comportement ne le laissait imaginer, tu veux dire ?

— Évidemment.

— Tu attises ma curiosité, là.

— J’ai dois délivrer un cadeau à ton père, en fait.

Elésyne écarquilla les yeux.

— Pourquoi tu ne m’as pas prévenue ? N’ajoute rien, coupa-t-elle. Je t’accompagne. Je ne veux pas manquer de voir sa réaction.

Alistair sourit.

— J’accepte ta proposition avec grand plaisir, Elésyne. J’ai comme l’intuition que ta présence va me faciliter la vie.

*****

Le Djicam Aioros s’était retiré à la Cité d’Argent, capitale de Massilia. Quatre jours de trajet qu’Alistair savoura tandis qu’Elésyne le conduisait au travers d’une planète qu’il découvrait à travers elle. De Massilia il ne connaissait que ce qu’il avait lu, et ce qu’il avait vécu de sa petite expérience. Elésyne lui fit goûter à toutes les spécialités locales sur leur chemin. Elle avait le chic pour dénicher des petits villages isolés, dans une forêt qu’Alistair aurait cru déserte, où elle était toujours chaleureusement accueillie. La vue des ailes d’Alistair engendrait souvent une brève tension, pourtant l’impérial fut surpris que la curiosité l’emporte le plus souvent sur l’animosité. Le temps du changement était-il venu ? Ou les récits de son combat contre Orhim commençaient à circuler. Il s’en serait bien passé.

— Alors, à quelle heure prévois-tu d’arriver ? Vas-tu le prévenir ?

— Je n’aime pas utiliser le Lien de cette façon, grimaça Alistair. Pour le reste… en début d’après-midi, qu’en penses-tu ?

— Ça nous ferait partir en milieu de matinée, réfléchit Elésyne. Tu aurais le temps de bien te préparer. Et je connais un coin sympathique où nous pourrons nous restaurer, tout près de la maison.

— Ça me parait bien.

— Stressé ?

— Un peu, avoua Alistair. J’espère surtout que Shaniel, Orssanc lui prête sa force, ne s’est pas trompée.

— Je n’en doute pas une seule seconde.

*****

Cette fois, impossible de reculer. Alistair prit une dernière inspiration, sauta à bas de Zéphyr, tapota sa tête pour se donner du courage.

La Cité d’Argent méritait amplement son titre de capitale de Massilia. Depuis les airs, la ville apparaissait gigantesque, assemblage complexe de bâtiments perchés à flancs de falaise. Elle occupait tout le creux de l’étroite vallée, entourée d’une vaste forêt de conifères. Par chance, la demeure du Djicam se trouvait à l’écart des faubourgs les plus fréquentés, presqu’en dehors des limites de la ville.

Comme si en se développant, les maisons s’étaient déployées pour rejoindre la Seycam isolée.

Plusieurs soldats patrouillaient sur le toit ; des Mecers s’il en croyait leur uniforme, et qui l’avaient déjà remarqué.

Alistair s’efforça d’ignorer l’angoisse qui lui nouait la gorge. Il n’était pas un ennemi, mais un accident était si vite arrivé…

Par précaution, il avait préféré se poser à plusieurs mètres de l’entrée, leur laissant le champ libre pour l’analyser. Apparemment, il n’avait pas été jugé menaçant.

Alistair ne savait pas trop s’il devait en être déçu ou flatté.

Peut-être que la présence de Taka n’y est-elle pas étrangère ? renifla Zéphyr.

Sans blague ?

Alistair se reconcentra, ajusta la cape qui couvrait ses épaules et ses ailes, vérifia que l’insigne impérial était bien visible sur la gauche de la poitrine. Une dernière caresse à Zéphyr et il s’avança d’un pas déterminé vers le garde de l’entrée.

Alistair s’immobilisa, se plia dans un salut formel et s’éclaircit la gorge.

— J’ai un message à délivrer au Djicam Aioros sey Garden, de la part de sa majesté l’Impératrice Shaniel, Orssanc lui prête sa force.

Le garde hésita un instant, appela l’un de ses confrères à l’intérieur.

— Je vais vous conduire, dit celui-ci après un bref salut. Qui dois-je annoncer ?

— Alistair d’Iwar, ambassadeur impérial.

Autant rappeler son statut pour éviter tout incident. Alistair doutait que les citoyens de la Fédération connaissent la signification de l’emblème épinglé sur sa poitrine et le souvenir de l’accrochage dans l’auberge était encore frais dans son esprit.

Le jeune impérial suivit le garde à l’intérieur de la demeure. Ce n’était pas la même que celle où ils avaient été accueillis au début de leur voyage, mais elle était bâtie sur le même modèle. Les rires qui s’élevaient de la cour centrale lui arrachèrent un sourire ; les préoccupations des enfants étaient bien loin de celles des adultes. Alistair se demanda si ses frères jouaient ainsi, eux aussi, maintenant qu’ils avaient pu regagner la maison. Quand il les avait quittés, il y avait encore beaucoup de travaux à faire.

Et Alistair savait que rien ne redeviendrait totalement comme avant. La perte de Rayad lui était encore trop difficile à accepter.

Mais ses paroles t’ont fait du bien.

Oui, reconnut Alistair. Ne t’inquiète pas, Zéphyr. J’ai besoin de temps.

Je le comprends.

Ils arrivèrent dans l’atrium. Si ses jeunes cousines couraient et bondissaient entre les massifs fleuris, le Djicam Aioros l’attendait, debout dans son uniforme blanc de Messager, les bras croisés, le cerceau d’argent de sa charge posé sur ses cheveux plus gris que noirs. A ses côtés, Elésyne affichait un grand sourire, et poussées par la curiosité, Sidonie et Anaé s’étaient jointes à leur père.

Nerveux, Alistair déglutit avant de saluer. Il avait redouté ce moment depuis que Shaniel, Orssanc lui prête sa force, l’avait envoyé en mission.

— Cousin Alistair ! Cousin Alistair !

Trois furies bondirent sur lui, s’accrochèrent à ses jambes et manquèrent de le renverser. Alistair vacilla, reprit à  temps son équilibre, se retrouva face à trois des petites soeurs d’Elésyne - impossible de se souvenir de leurs noms. Un sourire sur les lèvres, mais une lueur taquine dans le regard, elles le dévisageaient avec curiosité.

— C’est vrai que tu as combattu contre un dieu ?

— Et que t’as même pas eu peur ?

— Moi, je lui aurais mis un grand coup dans la tête, comme ça !

Alistair se recula juste à temps pour éviter l’épée de bois. Par Orssanc, si ça c’était un jouet convenable pour une enfant de six ans ! S’il s’en tirait sans une bosse ou un doigt cassé, il aurait de la chance.

Puis une silhouette frappa dans ses mains ; les trois jeunes filles s’élancèrent aussitôt vers leur mère, et Alistair retint un soupir de soulagement. Il s’empressa de saluer Dame Elycia, qui lui sourit en retour.

— Tu as un message pour moi, parait-il ?

Alistair acquiesça en reportant son attention sur son oncle, puis lui tendit le rouleau de feuilles, soigneusement cacheté de cire rouge, où s’imprimait l’emblème impérial.

Il noua ses mains dans son dos et se contraignit à l’immobilité. Par Orssanc, Shaniel avait intérêt à ne pas s’être trompée !

Respire, Alistair, se moqua Zéphyr.

Dévisager son oncle serait impoli mais il en mourait d’envie, alors qu’il était suspendu à sa réaction. Hélas, fidèle à lui-même, Aioros ne laissa rien paraitre. Il avait brisé le sceau de cire, semblait plongé dans sa lecture, tandis qu’Elésyne cherchait à lire par dessus son épaule.

Après un moment qui lui parut interminable, Aioros releva finalement les yeux et Alistair se sentit pesé, jugé, considéré.

— L’idée vient vraiment de sa majesté impériale ?

Alistair s’empressa d’acquiescer.

— Je vous jure que je n’y suis pour rien, Djicam.

Son coeur tambourinait dans sa poitrine. Shaniel ne pouvait s’être trompée à ce point ? Mais Aioros se contenta de sourire ; et toute la tension qui habitait Alistair se dissipa.

Enfin, peut-être pas toute, mais le sourire était un signe encourageant, non ?

Parce que tu te trouves détendu ? Tu es plus stressé que lors de ta convocation devant l’Impératrice !

Tu ne m’aides pas !

Avec un cri perçant, Saeros, le faucon nain Compagnon du Djicam, piqua vers eux ; battit des ailes un instant avant de se poser sur l’avant-bras d’Aioros.

— Eh bien, je te suis donc ?

Le coeur battant, Alistair refit le chemin en sens inverse, Aioros, Elycia et ses cousines sur ses talons. Les gardes à la porte parurent surpris de le revoir si vite, mais ne firent pas un geste pour les accompagner et Alistair en fut soulagé.

A l’extérieur, le soleil brillait entre les rares nuages et des plaques de neiges subsistaient dans les recoins ombragés. Alistair marchait sur un épais tapis d’aiguilles qui étouffait les pas, n’osait parler. Bientôt, il retrouva Zéphyr, accorda une caresse distraite au griffon, osa se retourner. La surprise était visible chez ses cousines, enfin sauf chez Elésyne, et Elycia souriait.

Devant eux, vingt autres griffons aux coloris variés les regardaient, curieux et méfiants tout à la fois. Le cadeau de Shaniel aux Douze Royaumes, même s’il était plus spécifique à Massilia.

— Elle est observatrice, déclara Aioros en s’approchant.

Alistair n’avait pas besoin de Zéphyr pour savoir que son oncle savait s’y prendre : il côtoyait des Compagnons depuis longtemps.

— Et j’imagine qu’elle avait un but précis en tête ? poursuivit Aioros.

Alistair acquiesça.

— Les gens qui ont des difficultés à marcher utilisent un véhicule, ou un cheval, pour leur déplacement. Elle a songé qu’il n’existait rien de tel pour les ailés, et dans l’Empire, les griffons ont été conçus pour être des montures exotiques.

— Il est certain que nous y trouverons des applications, dit Aioros. C’est moins encombrant et plus pratique qu’un aquilaire. Tu pourras remercier l’Impératrice pour son cadeau. Même si je me pose la question de l’impact de ces nouveaux prédateurs sur notre environnement.

Alistair sourit.

— Justement, ce sont des animaux élevés pour apprécier le contact des hommes. Il ne devrait pas être trop compliqué de leur apprendre tout l’intérêt qu’ils auront à rester auprès des villes.

Le jeune ailé retint son souffle comme l’un des griffons s’approchait de la main tendue de son oncle. Les griffons étaient des êtres méfiants par nature. Se laisseraient-ils apprivoiser facilement ? Shaniel y croyait, mais Alistair se souvenait qu’il avait fallu une bonne année aux héritiers impériaux pour gagner le droit de monter sur leur dos.

Là, pourtant, l’animal vint presser son front contre la main offerte et Alistair sentit la tension disparaitre de ses épaules.

Il est Lié, rappela Zéphyr. Ne crois-tu pas que Saeros l’aide, sur ce point ?

Tu n’as pas tort.

Les plumes noires sur les joues et le mouchetage du buste rappelaient le faucon duquel les scientifiques s’étaient inspirées ; l’arrière-train tacheté venait d’une panthère, Alistair en aurait mis sa main au feu.

— Savais-tu qu’il existe des panthères ailées, au nord du continent ? Mon père était Lié à l’une d’entre elles. Hélas, ces créatures ne se laissent pas chevaucher… et Shaniel a passé trop peu de temps ici pour le savoir.

— Elle est observatrice. S’il y avait eu une autre solution que les aquilaires, vous l’auriez utilisée.

Aioros hocha la tête.

— En effet. Je suppose que tu restes manger, ce soir ? Quand dois-tu repartir ?

Alistair haussa les épaules, fataliste et mal à l’aise à la fois.

— Quelques jours, au moins, le temps de régler les détails.

Il n’ajouta pas que même si Shaniel ne lui avait rien dit à ce sujet, beaucoup de nobles le tenaient encore responsables de la mort de Rayad. Cet exil ici, sur un sol où il s’était promis de ne jamais revenir, était aussi une forme de punition.

Tu exagères. Elle te protège plus qu’elle ne te punit.

Tu n’as pas autre chose à faire que reformuler mes pensées ? s’agaça Alistair.

Il espérait encore ne pas trop s’attarder dans les douze Royaumes. Ambassadeur impérial, c’était peut-être un joli titre, mais Alistair ne rêvait que de ses prochaines missions auprès de ses camarades Maagoïs. Son père ne lui avait jamais dit directement qu’il souhaitait le voir lui succéder à la tête des soldats d’élite impériaux ; certains signes ne trompaient pas. Il jeta un coup d’oeil à sa cousine. Deviendrait-elle Djicam avant qu’il ne soit Commandeur ?

Le destin vous jouerait un sacré tour si vous étiez nommés le même jour, fit Zéphyr.

Autant ne pas y penser, songea Alistair. Avec un instant de retard, il réalisa que son oncle était déjà sur le dos du griffon. Il n’allait quand même pas décoller là, tout de suite, sans même un vol d’essai ?

Tu n’as même pas passé un mois sans voler et je sais combien ça te mine, alors tu crois vraiment qu’après toutes ces années il ne serait pas aussi impatient qu’un enfant ? se moqua Zéphyr. Seule la politesse lui a permis de ne pas courir et sauter sur le dos de l’un d’entre eux à la lecture de ton message.

— Reste le temps que tu voudras, Alistair. Elésyne, je te laisse gérer la suite. On se retrouve au diner.

Un simple signe de tête, Alistair plongea dans un profond salut et sentit le souffle des battements d’ailes ébouriffer ses cheveux. Lorsqu’il se releva, le Djicam était déjà bien loin et ses cousines le suivaient du regard. Brûlaient-elles de le rejoindre ? Dame Elycia avait les larmes aux yeux.

— C’est un magnifique cadeau que tu nous fais, Alistair, dit-elle enfin.

— C’est l’idée de l’Impératrice Shaniel, Orssanc lui prête sa force, rappela-t-il. Serait-il possible de leur attribuer un endroit sûr où ils puissent s’établir ?

— Bien sûr.

Elle lui indiqua le périmètre surveillé par leurs gardes, où normalement nul prédateur ne s’aventurait. De toute manière, les griffons seraient aptes à se défendre, au vu de leur taille.

Sur le retour, Elésyne glissa son bras sous le sien, Sidonie et Anaé se rapprochèrent.

— Alors, cousin. Dis-nous tout. Comment ça se passe, avec… tu sais qui ?

Alistair maugréa pour la forme. Il était coincé.

— Disons, soupira-t-il, que c’est compliqué.

La jeune ailé eut un sourire carnassier.

— Parfait. Nous avons toute la nuit devant nous.

 

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Nathalie
Posté le 26/09/2023
Bonjour Notsil

— J’ai dois délivrer un cadeau à ton père, en fait.
→ Je dois

Peut-être que la présence de Taka n’y est-elle pas étrangère ? renifla Zéphyr.
→ le « -elle » est de trop.
Notsil
Posté le 27/09/2023
Coucou,

Merci pour les coquilles. Je vais reprendre le texte avec tout ça et passer un coup de correcteur encore là-dessus, scrivener n'est pas assez performant en français.
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