Chapitre 43 - Le cénacle des Oripeaux

Kentrony

La nuit avait été révélatrice pour nos deux frères d’armes. Grâce à elle, ils avaient rencontré de nouveaux alliés. Pourtant en venant jusqu’à la capitale, Vikthor et Arthur ne se doutaient pas une seconde de ce que Kentrony pouvait leur offrir, mais ce n’était rien par rapport à ce qui les attendait à l’avenir.

_ Tu as essayé de recontacter Manon ? tambourina Vikthor à la porte de la salle de bain tandis qu’Arthur finissait de se préparer.

_ Toujours rien et toi ? lui répondit Arthur.

_ Non, heureusement nos amis sont là pour nous aider maintenant. Plus on est de fous, plus on rit.

_ J’adore Hiwi ! Il est touchant je trouve. Je ne connaissais rien des Yeghes, mais ce sont des personnes uniques en tout point ! déclara Arthur en sortant de la salle de bain.

_ Tu m’étonnes que tu l’aimes bien ce rouquin, qui se ressemble s’assemble ! ricana Vikthor en allumant sa première cigarette, dissipant ainsi une bonne odeur de plantes.

_ Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?

_ Ce que je veux dire c’est qu’entre son pelage carotte et tes cheveux flamboyants on ne sait pas lequel de vous deux tient le plus du renard ! pouffa Vikthor hilare.

_ Pfff, qu’est-ce que tu peux être con, gamin ! lui sourit Arthur en se dirigeant vers la porte de leur chambre.

À sa grande surprise, l’ainé se trouva nez à nez avec l’aubergiste. Le visage fermé, il leur demanda de les suivre discrètement.

_ La milice fait des descentes un peu partout dans la ville. Ils sont à trois rues d’ici, vous comme moi savons qu’ils ne doivent pas vous trouver ici ! Allez venez.

Ils n’avaient pas d’autre choix que de s’exécuter. Il est trop tard pour fuir et trop risquer de s’engouffrer dans les souterrains devant l’aubergiste.

_ Descendez dans ma réserve secrète. Ce n’est qu’une visite de courtoisie rien de plus, ils n’ont pas l’air de fouiller ! surenchérit Flopin en ouvrant une trappe derrière son comptoir.

Les deux gaillards Siréliens se retrouvèrent alors recroquevillés sous le plancher de l’hôtel entre bouteilles d’alcool, tabac et quelques denrées rares. Au milieu du foutoir se trouvait également une enfant frêle qui leur mima de garder le silence.

_ Bonjour, vous êtes bien Monsieur Konrad Michelet, propriétaire de cette auberge ? questionna un milicien à peine rentré dans l’accueil.

_ C’est cela même, que puis-je pour vous ? lui répondit Flopin.

_ Nous recherchons ces deux fugitifs, vous ne les avez pas vus ? continua le militaire.

_ Non, jamais vu. Ce sont de belles bêtes, on ne peut pas les rater !

_ Très bien, puis-je voir votre registre.

Après avoir vérifié que rien ne clochait, le groupe de miliciens quitta l’hôtel aussi vite qu’ils étaient rentrés. De longues minutes s’écoulèrent avant que Flopin daigne ouvrir la trappe où il cachait ses seuls clients.

_ C’est bon petite tu n’as plus rien à craindre ! assura Flopin en serrant la gamine dans ses bras.

_ Je m’appelle Flopin ou encore Konrad Michelet pour la milice, mais je suis plus connu sous le titre de roi des vauriens, mais tenez-vous-en à Flopin, s’amusa l’aubergiste dans son habit de vagabond.

_ Pourquoi vous nous avez cachés ? le questionna Vikthor avec méfiance.

_ Oh, mais de rien jeune homme ! Vous savez quel est le prix à payer pour n’avoir pas rempli correctement mes registres ? La prison… me retrouver dans une Bant non merci ! Alors héberger deux criminelles de guerre, activement recherchés, c’est la pendaison. Je préférais qu’ils ne vous trouvent pas.

_ Et elle pourquoi vous la cachée ? le coupa Arthur.

_ Parce que j’ai… chuchota l’enfant.

_ Parce que sa mère a disparu, mais qu’elle était sur leur liste, tout comme vous. Aussi, j’ai besoin qu’elle quitte la capitale et d’après ce que j’ai entendu vous pouvez faire cela, le coupa Flopin d’un air taquin.

_ Je ne sais pas ce que vous avez entendu, mais ce n’est pas si simple.

_ Arthur, je ne lui fais pas confiance… déclara silencieusement Vikthor dans leur telsman.

_ C’est du donnant donnant n’est-ce pas ? Vous aurez besoin de moi pour faire sortir les Yeghes que vous cachez et je veux juste que Mirà les accompagne.

_ Qu’est-ce que vous dites ? s’emporta Vikthor prêt à bondir sur l’aubergiste.

_ Je vous ai vu hier avec l’homme renard et l’homme tronc avant que vous retourniez tous sous terre. Vous n’êtes pas les premiers à utiliser les passages souterrains. Ce n’est pas pour rien qu’on m’appelle le roi des vauriens. Puis ce n’est pas comme si vous aviez le choix, ils ne tarderont pas à revenir, s’agita Flopin en recoiffant ses dreadlocks et en faisant battre ses paupières comme s’il voulait charmer ses interlocuteurs plutôt que se battre.

_ Vous connaissez des personnes qui pourraient nous aider, un endroit où être plus en sécurité ? s’interposa Arthur tout en dévisageant l’homme tout de cuir vêtu.

_ Vous pouvez lui faire confiance, souffla la gamine. Je m’appelle Mirà et Flopin m’a sauvé la vie. Je sais où il veut vous emmener, car j’y suis née, les coupa l’enfant.

_ Pour cela, nous allons passer par les galeries ! Ce n’est pas pour rien que l’une d’elles débouche dans ma cour, ricana le nonchalant aubergiste. Tel un rat sous la terre j’y suis né, j’y ai vécu et j’y retourne avec vous, rétorqua Flopin en se dirigeant dans son arrière-cour. 

Après s’être tous les quatre engouffrés dans les sous-sols, Arthur présenta les Yeghes au jovial Flopin. Loin d’être impressionné, il ne les dévisagea pas comme si la différence ne lui faisait pas peur. Il ne s’attarda aucunement sur leurs physiques insensés et les pressa de les suivre dans le dédale labyrinthique des galeries souterraines. Il ne prêta même aucune attention aux ronces menaçantes qui sortaient des mains de Vikthor, prêtes à servir à la moindre entourloupes de leur guide. La démarche du roi des vauriens était chaloupée, pareille à un navire pris dans les vagues pourtant il effectuait chacun de ses pas avec grâce. On aurait dit une chorégraphie burlesque retranscrite par un danseur, mais dans son quotidien. Flopin était un homme atypique. Son cerveau était saint d’esprit, mais son corps semblait hanté par des démons qui lui prêtaient de grands gestes vaporeux. Vikthor ne lui faisait aucunement confiance. A ses yeux, même un ivrogne aurait parût plus sain d’esprit.

Au bout de quinze minutes de marche sans encombre, Flopin et Mirà leur présentèrent ce qu’ils appelaient le Cénacle des Oripeaux. Sous leurs yeux ébahis, les six Yeghes ainsi qu’Arthur et Vikthor découvrirent un cratère dessiné par de nombreuses galeries. Chacune abritaient des grottes qui servaient de maisons à une foule haute en couleur.

_ Je vous présente notre Cénacle, bâti dans le second plus grand cratère de la capitale. Si le premier détient le conseil ministériel et son administration, celui-ci est rempli de tous les apatrides ! déclara Flopin en les embarquant avec lui parmi la foule.

Devant eux le cratère s’agitait sous une musique rythmée. Ses habitants dansaient avec volupté sans se soucier de l’arrivée d’intrus. Pareil à une fourmilière, le trou grouillait de centaines d’habitants tous parés d’habits aux couleurs flamboyantes. Chacun dansait, chantait, jouait de la musique, buvait, pariait ou vendait des denrées méconnues. Éclairé par des flambeaux le cratère donnait l’impression de cacher bien des secrets. Son orifice était presque totalement bouché par un amas de rochers. Le soleil pénétrait à peine dans ses entrailles, mais des cracheurs de feu et des jongleurs venaient égayer le labyrinthe.

_ Ici, nous sommes des frères ! Habitués à la misère, nous vivons dans la joie. Par chez nous, on peut à peine voir le ciel, juste les entrailles de la terre. Nous ne croyons pas aux enfers, mais nous nous voyons plutôt comme des vers, ceux qu’on met à l’écart par peur qu’ils pourrissent le reste des terres ! cria Flopin en présentant son peuple d’un geste de la main, tout en rondeur.

À ces mots, la foule mima une courbette en direction du roi des vauriens. Ils semblaient enfin remarquer l’arrivée des Yeghes et des deux Siréliens. Pas rebutés pour un sou, enfants et femmes s’approchèrent pour les couvrir de colliers de fleurs. Tous, sauf d’eux d’entre eux. Une femme à la peau mate et aux long cheveux brun semblait les étudier de près. Ses yeux dorés s’attardaient sur chacun des membre de la troupe, sans aucune discrétion. A côté d’elle, un homme fluet jouait avec deux bout de charbons qui s’éteignaient et s’embrasaient à répétition dans ses mains blanches.

_ Oh oui, pardon, voici mes conseillers. Les hauts gradés de cette cours. Je vous présente Zorina et Krÿ. Soyez amis, ou vous ne resterez pas ici, plaisanta Flopin.

_ Vous, vous êtes recherché par toutes la milice ! déclara la femme à la peau d’ébéne.

_ Il se peut qu’on ait quelques avis…

_ Elle ne parlait pas de vous ! Mais d’eux… le coupa Krÿ. Je n’ai jamais vu un intru aussi imbu de sa personne.

_ Au vu de sa réaction, ils sont surement aussi recherchés, releva Zorina en touchant machinalement le piercing sur son nez.

Un trizkel remarqua alors Vikthor. Symbole d’une religion qui rendait hommages aux énergies créatrices des dons plutôt qu’à la Déesse ou aux trois frères Sirel.

_ Ils vous prennent pour des vagabonds et vous laissent vivre à l’écart, intervena Arthur pour détendre l’atmosphére.

_ Pour nous, le sang a la même couleur qu’il soit celui d’un humain, d’un Sirélien ou d’un vaurien ! Nous abritons les filles de joies qui aiment danser avec les voleurs, les mendiants y trouvent un refuge et chantent nos louanges. De toute façon lui, toi, eux et moi nous sommes tous destinés à la potence ! Alors à quoi bon, nous ne prônons rien à part la liberté, lui répondit le jeune homme en s’approchant de lui.

Il était si près qu’Arthur pu repérer ses yeux verrons dans la pénombre. L’homme voulait le déstabiliser mais il n’avait pas l’air méchant. En tout cas pas plus qu’un milicien. Quand il recula enfin, Arhtur perçu l’odeur d’épice qui régnait autour d’eux et remarqua les couleurs vives que la troupe portait. Aucun d’eux ne s’était attendu à ça, la ville austère de Kentrony abritait une vraie cour des miracles remplie de bonne humeur en son ventre.

_ Nous sommes d’accord nous sommes tous nés d’un même sein. Le Nouveau Monde n’appartient pas au conseil, mais à Namon, leurs nouvelles lois n’y peuvent rien, s’enthousiasma Hiwi en rejoignant les danseuses qui l’avaient invité à les suivre.

_ Nous sommes de la même race, de celle qui croit que la couleur de la peau, de ton telsman, n’a pas d’importance ! Ici vous ne trouverez aucune couleur, aucune nation. Nous ne sommes pas humains, siréliens ou je ne sais quoi, mais juste un mélange de tout. Nous nous servons de nos oripeaux pour seul drapeau. La couleur de mon sang est la même que celui de l’Élu guérisseur, de son ami ou que celui de l’homme tronc ou de la femme nuage ! lui répondit l’aubergiste en attachant ses dreads noires dans un chignon approximatif.

_ Vous êtes comme des apatrides, se renseigna Arthur en arborant les marchés colorés qui se tenait face à eux.

_ Oui puisqu’ici une personne sur deux est évadée d’une Bant et que l’autre moitié reste tout de même une foule de repris de justice ! surenchérit Krÿ comme s’il voulait leur faire peur.

_ Des hors-la-loi ? s’inquiéta Vikthor.

_ Tout comme toi ! acquiesça Zorina en frappant dans ses mains au rythme de la musique gitane. Elle, on lui reproche simplement de ne pas être assez humaine, reprit-elle en désignant Mirà.

_ Et les autres ? la questionna Vikthor.

_ Eux, d’avoir dû voler pour manger un peu de pain, elle de savoir lire l’avenir dans les lignes de ta main, Krÿ ne serait pas assez puissant pour un Sirélien, eux n’ont pas voulu choisir leurs camps entre humains et siréliens. Ici il y a des mendiants, des putains, des bohémiens, des truands et peut-être des voleurs, mais aucun assassin. On ne peut en dire autant de l’autre cratère ! ajouta-t-elle en rejoignant les danseurs dont faisait partie tous les Yeghes à présent.

La musique battait son plein accompagnée des claquements des talons des danseurs et des applaudissements des spectateurs. Les Yeghes découvraient enfin la vie et une civilisation qu’ils n’avaient même pas imaginé.

_ Et vous qu’est-ce qu’on vous reproche ? tenta Mirà.

_ De tout faire pour sauver mes sœurs, de vouloir aimer qui on veut et de se battre pour ça, de ne pas vouloir nous laisser faire et eux d’avoir tenté de protéger notre civilisation, lui répondit Arthur.

_ Alors bienvenue parmi les Oripeaux ! Les trois quarts sont sur cette foutue liste de la honte, on fait partie des recensés pour la déportation ! Certains ne voudront jamais quitter ce paradis, mais les plus saints d’esprits se sont résolus à le faire. Nous pouvons partir aisément de la ville et aidez vos amis. Cependant, nous avons nulle part où aller, mais vous oui n’est-ce pas ? cria Flopin en quittant la danse.

_ Vous pourriez vous réfugier dans ses terres, répondit Arthur avec enthousiasme. Yacuiba est une contrée pleine de cachettes. Il pense que sa sœur a déjà dû y faire son nid.

_ On ne vous accompagnerai pas, mais je pourrais vous donner le moyen de les retrouver et de vous y faire accepter, ajouta Viktor plus méfiant.

_ Comment trouver notre nouveau cénacle si tu ne nous accompagnes pas gamin ? se moqua Krÿ en lui faisant face.

_ Nous avons prévu, avec Vikthor, de nous infiltrer dans les appartements du ministre Asage. Pendant ce temps, vous fuirez loin de cette ville, nous occuperons une bonne partie de la milice et cela vous laissera une chance ! répondit Arthur malgré les sommations silencieuses de Vitkhor pour le faire taire.

_ Cela ne répond pas à sa question, intervint Mirà.

_ Pour rentrer chez le ministre, ils ont besoin des plans de la ville, comprit Zorina après un long silence.

_ Pourquoi voulez-vous rentrer chez cet homme ? la coupa Krÿ, toujours méfiant.

_ C’est une mission de sauvetage. Nous pensons que mes sœurs sont détenus par Garnel Asage.

_ Pour cela, ils doivent voler ces plans à la bibliothèque du cratère ministériel. Elle regroupe aussi les plans de toutes les régions. Ils sont plus ou moins fidèles et ne répertorient pas forcément les cachettes, mais cela devrait nous aider à nous en approcher surtout avec les connaissances de Vikthor pour les étudier, ajouta Tomàs par peur que la situation dégénère.

_ Oh vous pensez ramper dans la gueule du loup et sous leurs yeux et ressortir avec les plans sans aucune problème ? s’écria le roi des vauriens en faisant semblant de s’offusquer soudainement.

_ Nous attendrons la nuit évidemment, mais c’est la seule solution. Nous sommes conscients du danger.

_ Vous n’arriverez jamais à vous repérer dans ce labyrinthe. C’est un miracle que ces Yeghes soient toujours vivants… cracha Krÿ moqueur.

_ Alors aidez-nous ! s’enthousiasma Tomàs.

_ Une fois les plans en main je vous expliquerai au mieux comment atteindre les différentes grottes de ma région. Ma sœur vous accueillera à bras ouverts, car vous lui passerez un message pour moi. Ce que je vous dirai de faire sera votre laissez-passer, ajouta Vikthor conscient qu’ils avaient besoin d’eux.

La proposition du jeune Elu resta alors sans réponse. Flopin recula de quelques pas, suivi par ses trois acolytes. Mirà, Krÿ et Zorina écoutaient tous leur roi, sans lâcher du regard les nouveaux venus. La femme, aussi âgée que l’aubergiste donnait l’impression d’être la plus sensé des quatre. C’était même la seule personne que Vikthor sentait plutôt bien.

_ Très bien ! Alors nous sommes partants. Agitons-nous, faufilons-nous mes petits vers. Je vais faire grouiller les Oripeaux dans les entrailles pourries de cette ville ! éclata de rire Flopin après quelques minutes.

Pour lier l’acte à la parole, il prit Vikthor et Arthur par la main pour les inviter à danser parmi les brigands de sa fausse.

Le roi des vauriens agitait ses bras battant le rythme avec ses pieds. Sa peau sombre luisait sous la lueur des flambeaux et des bolas enflammées. Vikthor et Arthur se mêlèrent à la foule pour danser avec les hors-la-loi dont ils faisaient à présent partie malgré les réticences de l’Elu. Filles de joie, voleurs, diseurs de Bonaventure, farceurs ou bonimenteur, tous les accueillirent à bras ouvert sans se poser de question. Pour eux, ils avaient la même couleur de peau, de sang ou de telsmans bien qu’on en dise le contraire. L’important était de vivre le présent avec le plus de joie, pas de compter leurs différences.

_Allez mes amis ! Rions, dansons et partageons nos calices ! chantonna Flopin de sa grosse voix à l’intention de son peuple.

_Vive le cénacle des vauriens ! Ce trou est rempli de délices !

Remuez vos oripeaux en guise de drapeaux !

Aucune couleur n’y est jamais de trop !

Allez mes amis ! Rions, dansons et partageons nos calices !

Vive le cénacle des vauriens ! Ce trou est rempli de délices !

C’EST LE CÉNACLE DES ORIPEAUX ! répondit en cœur la foule en continuant à chanter l’hymne joyeux de leur cratère d’apatrides.