Chapitre 41 - L'ours Brun

Dans le train pour les terres australes

 

Gaultier avait été entassé comme les autres dans un wagon à bestiaux. On ne ménageait pas ceux qu’on considérait comme des traitres. L’inébranlable force de la nature qu’il était ne se résolu pas à faire profil bas pendant le trajet. Le temps était long, les heures défilaient lentement sans jamais que le train s’arrête. Trois jours sans boire, ni manger, les plus faibles avaient du mal à résister. Pour chacun d’eux Gaultier accorda de son temps.

 

_ Il pleut ! Tendez tous vos mains, casquettes, tous ce que vous pouvez mais il nous faut récupérer de l’eau ! ordonna Gaultier.

 

Le peu qu’il récoltait, il en faisait profiter quelqu’un. Lui, il pouvait tenir encore un peu. Tous ceux qui l’avait reconnu se turent. Ils trouvaient son geste fabuleux, suivre ainsi son peuple dans la douleur était un signe de profonde humanité. En réalité il ne suivait pas que son peuple, il poursuivait son âme sœur. Il se devait de retrouver celui qui l’avait toujours maintenu dans le droit chemin.

 

Il était fort mais pour l’instant son pouvoir ne lui servirait à rien. Il aurait préféré être un physé pour soigner tous les malades qui avait attrapé froid au tour de lui ou tout simplement pour invoquer l’eau ou n’importe quelle plante qui aurait permis de les nourrir et de les hydrater.

 

Je suis si impuissant, songeait secrètement l’Elu des oranges.

 

Au bout du troisième jour, il vit la neige tomber. Si l’eau leur manquait moins désormais c’était le froid leur pire ennemi. Ils avaient quitté leur ville en fin d’été pour arriver dans des terres baignées dans un hiver perpétuel. Gaultier eut beau faire son maximum pour rassembler les personnes dans son wagon, une bonne partie mourrait de froid. Il n’y pouvait rien.

 

_ Cela fait déjà si longtemps qu’on nous promène, pense-tu qu’on est bientôt arrivé ? l’interrogea l’une des déportés blottis contre lui.

 

_ Oui, je pense qu’on arrive mais je ne suis pas sûre qu’on y sera mieux, avoua Gaultier.

 

Ils étaient presque tous endormi quand les cliquetis de la porte du wagon les réveillèrent un à un. Le vent glacial qui s’engouffrait peu à peu dans le wagon venait claquer sur les joues des malheureux. Face à eux, la lune brillante éclairait leurs nouvelles maisons. Telle une sorcière, elle les narguait à être aussi belle face à un paysage de désolation.

 

_ DESCENDEZ ! PLUS VITE QUE CELA LES TRAITRES ! Cria un milicien bien emmitouflé dans sa parka devant des prisonniers grelotant.

 

Le wagon de Gaultier était rempli d’humains comme les trois autres qui le suivait. Pour le reste, une foule de siréliens descendait difficilement à l’avant du train. Ils avaient dû être malmené pendant tout le trajet. Comme les humains, à l’inverse de Gaultier, ils avaient des mines affreuses tel des malades en pleine infection. Gaultier n’avait jamais vu cela. Décidément, Garnel Asage savait y faire.

 

_ Mais quel poison a-t-il-pu utiliser pour mettre mon peuple ainsi ? C’est une aberration, marmonna-t-il.

 

_ Ecoutez moi attentivement ! Vous allez être trié. Tous les humains et les siréliens seront mélangés. Nous allons vous attribuer un lit et des taches à faire selon vos forces, vos capacités. Nous allons également vous répartir selon vos dons ou votre métier et bien sûre rompre toutes les affinités connues. Nous allons donc séparer les familles et empêcher les plus forts de s’unir. Humains et Siréliens vous vivrez ensemble selon notre bon plaisir, hommes et femmes confondus. Vous serez séparés de vos conjoints, de vos enfants, de vos frères et soeurs, vous les retrouverez peut-être pour travailler. Maintenant, alignez-vous ! Ordonna un autre milicien dans un porte-voix.

 

Chacun d’eux avait au tour du coup sa pièce d’identité, accroché depuis le début du voyage sous peine de mort. Là encore les faux papiers de Gaultier lui sauvèrent la mise.

 

_ Arsan Vildart ?

 

_ Lui-même, menti Gaultier. Le sergent Mandrin avait raison, il y avait peu de chance qu’un milicien le reconnaissent ici.

 

_ Très bien, selon votre fiche vous êtes forgeron ?

 

_ Oui c’est bien cela ! affirma Gaultier.

 

_ Quel ironie du sort de faire d’un magnétiseur un forgeron, songea intérieurement l’Elu des Hylés.

 

_ C’est un beau spécimen que tu détiens-là milicien ! Le pris à parti celui qui criait les ordres dans le porte-voix.

 

_ Tu as vu cela ? Je l’aurais pris pour un Sirélien s’il ne portait pas d’amulette ! Lui répondit l’autre.

 

_ Dans le doute, fouille-le ! Il a un gabarit si dessiné ! Si tu ne trouves rien sur lui c’est que je me suis trompé, dans ce cas admet le à la cabane A. Il n’y a que des têtes là-bas, un peu de muscles ne leur fera pas de mal pour casser des cailloux.

 

_ Tu as raison je vais vérifier ! rétorqua le jeunot en alliant l’acte à la parole. Mauvaise piste ! reprit-il après la fouille. Il n’a rien, juste un putain de traitre humain. Tu pourras toujours tenter de t’allier avec ces maigrelets du bâtiment A, mais s’il n’y a que ta paire de muscle contre nous tu ne feras pas le poids ! rajouta le milicien à l’intention de Gaultier cette fois.

 

Rassuré par l'absence du telsman de Gaultier, le milicien prit même le risque de le pousser pour le faire avancer plus vite. Amusé par son petit jeu, l’Elu dû faire semblant de tanguer un tant soit peu sous sa force pour ne pas raviver les soupçons. Pourtant il était le seul dans cet état. Son peuple se trainait, les visages grisâtres, les jambes tremblantes. Les humains quant à eux avaient été affaiblis par la faim, la soif et le froid tout simplement. Lui, il pouvait tenir encore un peu mais combien de temps ?

 

_ Avancez ! Resserrez-vous !  Tonnaient les miliciens en cœur.

 

Regroupés dans une première cabane, tel un troupeau. On leur ordonna de se déshabiller, tous, homme et femme sans pudeur à la vue de tout monde.

 

_ Ils veulent nous déshumaniser, chuchotaient certains.

 

_ Taisez-vous et faites ce qu’ils disent ! répondaient d'autres.

 

Tous les humains dont Gaultier faisait partie furent alors affublé d’un ensemble blanc. Ainsi on repérait chaque communauté par sa couleur bien qu’ils soient mélangés. Les Siréliens étaient donc quant à eux réparti sous des costumes rouge, orange ou jaune, comme leur telsman.

 

_ Impossible pour un Sirélien de passer inaperçu, souffla Gaultier.

 

_ Nous allons vous attribuez des brassards. La lettre désigne votre cabane où vous séjournerez, le chiffre quant à lui c’est votre affectation !

 

_ A6/3 pour vous Vildart ! Cabane A, le matin vous casserez des cailloux avec les gringalets et l’après-midi vous ferez des chaines avec une section Sirélienne. On vous a fait des muscles hors du commun, autant que ça serve, lui tendit l’homme désigné pour attribuer les brassards.

 

_ Maintenant, passons aux colliers !

 

_ Aux colliers ? Répétèrent en cœur les nouveaux déportés.

 

_ Afin de toujours savoir à qui nous avons à faire, nous allons vous mettre ces colliers en métal. Plus vous essayerez de les enlever plus ils se resserreront, c’est mécanique. Dessus est gravé toutes les informations nécessaires à votre détention : Nom, prénom, âge, jour d’entrée, peuple et dangerosité. Vous n’êtes rien plus que des bœufs, des bêtes sans importance !

 

_ Tenez Vildart ! Non attendez, il est noté peu dangereux. Je vous rajoute deux poinçons sur le collier, vous ne m’avez pas l’air si inoffensif, lui glissa à l’oreille l’officier qui l’avait fouillé à la sortie du wagon.

 

_ J’oubliais ! Tous les camps sont entourés de grillages électrifiés. Si vous tentez de fuir, vous tomberez griller dans la neige, le corps encore fumant ! Maintenant à vos cabanes mes bœufs ! Annonça un autre milicien en guidant le premier groupe d’humain jusqu’à la cabane A.

 

_ Nous vous amenons trois nouvelles recrues. A part l’ours brun ici présent, gronda l’un des miliciens en désignant Gaultier, ce ne sont que des professeurs, des penseurs comme vous des maigrichons qui n’ont rien dans les muscles et tout dans la tête ! Mais ne pensez pas trop. Vous êtes coincés ici pour une éternité que vous soyez de simples traitres ou des Siréliens. Vous trois, prenez les lits qu’il reste ! Pour tout le monde, mangez votre pain rassis et aux lits les enfants ! 

 

_ C’est un cauchemar, souffla Gaultier en rentrant dans la cabane A.

 

_ Il parait qu’on les appelle les lendemains sans peur car après une journée la mort nous y attend… le lendemain c’est donc plus la peine d’avoir peur. Cela doit faire plus de trois jours que je suis ici. Je ne suis toujours pas mort mais j’ai eu peur à chaque instant, jusqu’à maintenant, lui répondit discrètement une voix qu’il connaissait si bien.

 

_ Achot, murmura Gaultier les yeux larmoyants. Je t’ai retrouvé.

 

_ Oh oui tu m’as retrouvé s’écria Achot prêt à lui sauter au cou.

 

_ Pas ici, ici je suis Arsan Vildart, humain et père d’une petite sirélienne que j’ai dû abandonner, le stoppa discrètement Gaultier.

 

_ Très bien, ours brun ! C’est noté, ne pût s’empêcher de ricaner Achot. Nous pourrons en discuter plus facilement après le repas, mais qu’avez-vous prévu monsieur Vildart ?

 

_ Oh bah je vais simplement m’allier avec vous les maigrichons ! Avec mes muscles et vos têtes bien faites on devrait arriver à leur faire peur, lui rétorqua Gaultier en s’installant dans le lit d’à côté.

 

_ Pour Arsan Vildart aussi c’est pour toujours et à jamais ?

 

_ Oh que oui Achot, pour lui aussi. Plus que jamais même. Maintenant, reprenons des forces d’ici là. On doit faire tourner ta jolie petite tête et celles de tes amis dans les jours à venir et on verra qui aura peur des lendemains ! Le rassura Gaultier en entamant son pain rassis avec ses nouveaux colocataires.

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Elenna
Posté le 12/11/2020
Bon... Même si la situation me fait penser genre +++ aux camps de concentrations Nazis (je pense que le parallèle n'est pas laissé au hasard), il y a au moins une bonne nouvelle. Il a retrouvé son âme soeur. Par contre désolée pour les 9 autres bonnes nouvelles. J'ai la flemme de les chercher.
ludivinecrtx
Posté le 15/11/2020
Oh j'avais oublié de répondre à ses commentaire.

Oui il faut quand même des bonnes nouvelles ahaha.
Renarde
Posté le 02/06/2020
Coucou ludivinecrtx,

Le parallèle avec les camps de déportation de la seconde guerre mondiale est plus que flagrant dans ce chapitre. Et c'est bien ça le pire, on ne peut même pas t’accuser "d'exagérer".

Il y a juste un point qui m'a chiffonné. Je trouve dommage que les retrouvailles entre Gaultier et Achot se passe via un dialogue. J'aurais bien aimé une petite description. Gaultier qui entend une voix bien connue, qui se retourne + petit focus sur ses sentiments.

Moi qui réclame des descriptions, on aura tout vu XD.

Je me réjouis de voir comment ils vont s'en sortir. Et te connaissant, tu ne vas pas leur facilité la tâche...
ludivinecrtx
Posté le 02/06/2020
Coucou Renarde !

Oui l'allusion est voulu et réel, et malheureusement j'aurais aimé avoir à forcer le trait mais non.

Je note pour la petite notion d'émotion et de description, pour une fois qu'on me réclame de décrire XD.

Gaultier est assez bourru aussi alors je le voyais pas dans le pathos même s'il est fou d'Achot.

Je ne comprends pas pourquoi tout le monde me dit ce genre de chose XD. Je suis pas du genre à torturer mes perso, les exiler ou les faire souffrir voyons !

On verras ce que je leur réserve mais tu as peut-être raison, j'aime bien leur faire vivre des épreuves. ;)
UnePasseMiroir
Posté le 05/05/2020
AH !!!! LE chapitre !!!!

Bon, ça sent les wagons de déportation de la WWII à plein nez… sympa l’ambiance. Tu la rends très bien d’ailleurs.

« On leur ordonna de se déshabiller, tous » Si on oublie complètement le contexte, j’ai des images très sympa de Gaultier qui me viennent en tête. Oui je suis chelou.

« Plus vous essayerez de les enlever plus ils se resserreront, c’est mécanique. » Awiii ok ça rigole pas là.

J’ai envie d’assassiner ces miliciens là je rigole même pas ! C’est quoi ce genre d’appeler d’autres êtres humains « mes bœufs » ??? TU VAS TE CALMER JEAN-JOSEPH HEIN ! SINON C’EST MOI QUI TE CALME !

AHHHHH OK ?!!! Je pensais que ce serait un vrai ours mdr, autant pour moi. Désolé Gaultier.
« des professeurs, des penseurs comme vous des maigrichons qui n’ont rien dans les muscles et tout dans la tête » Ohoh…

AAAHHHHHH !!!! OUIIIII !!!! LE ACHIER EST DE RETOOOOUR !
Non je ne suis pas en train de faire la danse de la joie dans ma chambre. Même pas vrai.

(Vais-je oser avouer que je suis limite déçue qu’ils se retrouvent aussi vite ? que je voulais pleeein d’angst et de solitude ? … nooooon parce que je sens que ça ne va pas être aussi simple. T’es trop tordue pour que ça se passe bien.)

« _ Oh bah je vais simplement m’allier avec vous les maigrichons ! » Non mais hé, le respect s’il vous plaît XD

Ptn j’ai en même temps trop peur pour eux et trop hâte de voir ce qui va se passeeeeer !



Le coin des coquilles vagabondes :

Déciment, Garnel Asage savait y faire. => décidément

Rassuré par la non-présence du telsman de Gaultier, => l’absence plutôt non ? ça me paraît bizarre de parler de « non présence »… XD

_ Ils veulent nous déshumaniser, chuchotait certain. => chuchotaient certains
_ Taisez-vous et faites ce qu’ils disent ! répondait une autre. => répondaient d’autres serait plus approprié je pense

A part l’ours brun ici présent, gronda l’un des miliciens à l’intention de Gaultier, se sont que des professeurs, des penseurs comme vous des maigrichons qui n’ont rien dans les muscles et tout dans la tête ! => Je pense que tu devrais remplacer le « à l’intention de Gaultier » par « en désignant Gaultier », ça me paraît plus approprié par rapport à ce que tu voulais dire. Et aussi « ce ne sont que »

Pour tout le monde, mangez votre pain rancît et aux lits les enfants ! => c’est soit « rance » « soit « rassis ». Dans le contexte ce serait plus rassis.
ludivinecrtx
Posté le 05/05/2020
Bon final je fais la queue pour les courses alors je réponds en attendant mdr.

Et non c'est pour ça que ça m'a fait rire.

C'est cool les voyages chez moi mdr hein

Je compte pas les torturer plus que ça pour le moment car j'ai de beaux projets pour eux

Merci pour les coquilles

Mdr pour tout le monde c'est une torture sauf pour toi qui espionne Gaultier mdr

Bah cets un camp mais pas de vacances quoi...

Mdr Jean Joseph !

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