Chapitre 4 : Voyage

Par Joffrey

Le Hibou se promenait dans la magnifique ville portuaire. Aast avait, aux yeux d’Élias, une aura particulière. Tout était bruyant là-bas. Les enfants jouaient dans la rue, des marchands de tous types vociféraient en cherchant à appâter des clients. Tout le monde vaquait à ses occupations dans ce brouhaha constant. Les odeurs du port se mélangeaient à celles des cuisines des auberges et des tavernes. Les sens du botaniste en étaient noyés sous un flot incessant d’informations. Ce chaos harmonieux était tellement enivrant qu’il en avait presque oublié la présence d’Hirondelle. Elle avait tenue à l’accompagner pour lui éviter de s’attirer des ennuis.

Rose était beaucoup plus expressive de lui, on aurait dit qu’elle découvrait la ville en même temps que lui. Les marchés attiraient des voyageurs de tous les horizons, les multiples banderoles et voiles d’ombrage qui les décoraient rendaient la place d’Aast époustouflante. Quelques Aquarīs tentaient de négocier des teintures exotiques contre de rares produits issus des terres de l’ouest. D’encore plus rares Oruhorcs, reconnaissables à leur peau verte et cuirassée, proposaient de vendre leur force de travail à qui voulait bien les écouter. La jeune femme aux yeux d’améthyste demanda à son camarade:

-C’est la première fois que tu viens à Aast, Élias ?

-Non, j’y suis déjà allé avec Elisabeth. Mais je n’y suis pas retourné depuis dix ans.

-Ah bon ! Ça fait un petit moment ! Tu trouves que certaines choses ont changé depuis la dernière fois ?

-Je n'en ai pas beaucoup de souvenirs, c'était une période différente pour moi.

-Je vois… Tu sais Élisabeth aimerait avoir plus de nouvelles de toi. Il ne se passe pas un jour sans qu'elle pense à toi. Songea Rose.

-Je sais mais je n'avais pas la force de sortir de chez moi.

-En vérité pour moi tu as toujours été une énigme. C'est vrai qu'on a presque le même âge mais tu es tellement discret que c'est difficile de te cerner.

-Il n'y a pas grand-chose à savoir sur moi, je suis seulement un tisserand orphelin recueilli par Éli.

-À d'autres s'il te plaît, devenir un membre de l’Assemblée à une quinzaine d'années c'est époustouflant. Élisabeth est toujours restée très secrète sur ton éducation et ton enfance mais je suis certaine que tu as vécu plein de choses !

-Certaines choses valent mieux de rester là où elles sont. Murmura le jeune homme.

Hirondelle observait curieusement son camarade puis lui répondit :

-Je ne peux pas te forcer à m'expliquer ce qui t'es arrivé mais si un jour tu ressens le besoin d'en parler je suis là.

-Merci Rose.

-Bon je commence à avoir faim tu veux manger quelque chose ? Regarde ces grillades là-bas ! Elles ont l'air délicieuses.

-Oui allons-y.

 

La jeune femme se précipita à travers les stands enfumés du bazar. Les arômes de nourritures sentaient divinement bon. Grâce aux produits de la pêche, Aast profitait d’une excellente réputation et en tirait des avantages commerciaux. Les deux membres de l’Assemblée passèrent un bon moment à grignoter les divers produits du marché. Si Agathe avait été avec eux, elle les aurait sûrement sermonnés sur leur manque de sérieux. Heureusement, elle n’était pas là.

Après leur aventure dans le gigantesque dédale de marchand, ils trouvèrent une taverne où s’installer tranquillement. L’endroit représentait Aast dans toute sa splendeur. La base du bâtiment était faite d’une pierre finement travaillée et se mélangeait à du bois brut et massif. Des bannières de la ville flottaient à la rambarde de l’étage. Le tavernier, un homme puissamment bâti apporta deux bières qu’Hirondelle avait commandées en rentrant. Les chopes étaient énormes aux yeux du botaniste, cela n’avait rien d’étonnant quand on connaissait la clientèle de “La cale de l’Est”. Les marins étaient nombreux et aimaient en avoir pour leur argent. Le tavernier l’avait bien compris et faisait en sorte que chacun trouve son bonheur ici. La jeune femme bu une grande gorgée et souffla à Élias:

-Alors tu n’es pas trop inquiet d’aller à Embrun?

-Non pas vraiment, ça fait longtemps que je n’y suis pas allé mais je ne vais pas en mourir.

-C’est vrai! Tu verras que la capitale a un peu changé, tu devrais cependant vite prendre tes marques.

-Je n’ai jamais vraiment aimé Embrun, cette ville a toujours cristallisé mes craintes… Tout comme l’Assemblée.

-Tout ce que je peux te dire c’est que ces derniers temps l'Assemblée est plutôt calme. C’est même les responsables de caste qui nous posent problème.

-Ah bon, pourtant de ce que j’ai entendu, Lion a toujours réussi à les convaincre.

-Oui mais il y a dissension entre celles-ci depuis maintenant trois ans. Le roi ne voit pas ça d’un bon œil.

-C’est vrai que tu es l’oiseau du roi. Ce n’est pas compliqué de représenter deux pouvoirs à la fois ?

-Je n’ai pas les mêmes soucis que toi. Le roi Nikolaï me fait confiance pour représenter l’ouest au sein du conseil. Lion est souvent à l’écoute de mon avis, je ne cherche qu’à trouver des solutions pour nos deux peuples.

-Je n’ai jamais souhaité quoi que ce soit. J’étais un jeune orphelin recueilli par Elisabeth et ça me suffisait.

-Oui Élias, je sais… Cependant personne ne choisit sa destinée. Nous devons faire avec les fils du destin et tisser notre voie.

-J’ai l’impression que tu as passé du temps avec Tortue dernièrement… J’y pense d’où viens-tu ? Vu que nous avons été nommés presque en même temps membre de l’Assemblée, tu es la personne que je connais le moins.

-Si je devais imiter quelqu’un, je te dirais bien que je suis une jeune femme sans histoire qui a eu la chance de gravir les échelons de la cour du roi.

-Tu ne te moquerais pas un peu de moi Rose?

-Je n’oserais pas voyons! Plus sérieusement, j’ai grandi dans une grande famille et dès ma jeunesse j’ai passé du temps avec le Roi. Mon don s’est révélé assez tôt après un accident. Cependant mes parents voulaient que j’aie une éducation digne de mon rang avant de partir pour l’est. Voilà comment j’ai pu devenir à la fois un membre du conseil et l’oiseau du roi.

-Nous sommes complètement différents.

-Mais tu ne penses pas que c’est cette différence qui nous rend si intéressant?

-Je m’avoue vaincu, je sais d’avance qu’un affrontement argumentaire contre toi c’est du suicide.

-Tu n’es pas très amusant!

Le reste de la matinée passa rapidement et finalement les deux conseillers profitèrent aussi d’un vrai bon repas au même niveau que la qualité du service. Des marins étaient arrivés remplissant le lieu rapidement. Alors qu’ils dégustaient tranquillement les délicieux plats de “La cale de l’Est”, Élias relança la discussion:

-Comment va le roi?

-Tu lances une discussion? Je t’avoue que je suis surprise!

-C’est déjà arrivé, j’ai l’impression d’entendre Élisabeth me parler!

-Désolé mais c’était très tentant. Le roi Nikolaï va bien mais il fatigue. Je pense en toute honnêteté que dans moins de cinq ans nous couronnerons un nouveau roi.

-Je suppose que l’ouest ne va pas mieux, surtout avec la santé du roi déclinant.

-Tu m’as l’air drôlement intéressé et un peu renseigné pour quelqu’un qui vit en dehors de la société.

-Ce n’est pas parce que je vis loin de tout que je ne sais rien. Si tu apprécies la compagnie d'Élisabeth, n'oublie pas qu’elle m’a aussi tout appris.

-Je n’oublie jamais rien mon cher mais je pensais que ce n'était peut-être pas la même chose pour toi. Mais bon pour être honnête, oui l’ouest ne va pas si bien que j’aimerais le faire croire.  Les affrontements avec les Oruhorcs saignent la frontière nord pour les deux camps mais les conseillers du roi font ce que bon leur semble.

-Je vois… Eh bien je ne t’envie pas.

-Chacun ses devoirs, bon je pense que nous devrions rejoindre Agathe sinon je vais aussi avoir le droit à des remontrances.

 

Ils rejoignirent Lièvre en milieu d'après-midi, cette dernière discutait avec un groupe de personnes. Elle déposa une bourse d’or entre leur main et ils disparurent rapidement. Les deux femmes blondes se faisaient face, Agathe lui sourit et lança:

-Je pensais devoir venir vous chercher, heureusement je n’ai pas eu à le faire.

-Le voyage est déjà prêt? Tu as pu avoir tout ce dont nous avions besoin?

-Oui nous pouvons partir avant ce soir afin de gagner du temps.

-Très bien alors j’amène Élias voir sa monture.

 

Les deux conseillers partirent en direction des écuries sans perdre une seconde. En s’approchant ils remarquèrent deux palefreniers bataillant presque avec une des bêtes. Un cheval noir à l’esprit fougueux donnait énormément de fils à retordre aux deux pauvres jeunes essayant de s’en occuper. Sans nul doute, le botaniste reconnut instantanément l’animal. L’un des deux gamins se prit un violent coup de sabot et tomba au sol. Élias s’approcha de la bête en train de ruer. Rose fut surprise de l’action de son camarade et elle s'apprêta à l’arrêter mais Agathe la stoppa avant que l’Hirondelle tente quoi que ce soit. Le Hibou avança esquivant le deuxième palefrenier qui paniquait sous les assauts du cheval. La jument rua encore obligeant le conseiller à l’éviter, cependant, il en profita pour s’approcher en toute fluidité de Belladone. Il posa sa main sur l’encolure de l’animal, le cheval se calma peu à peu. Sans se retourner Élias demanda à ses camarades:

-Si je prends cette jument pour le voyage, vous n’y voyez aucune objection ?

Les deux membres de l’Assemblée l’observaient à l’entrée de la pièce, ce fut Lièvre qui prit la parole en première.

-Je n’avais pas pensé que tu prendrais cette monture. Depuis qu’elle est arrivée ici, cette jument ne fait que causer des soucis. L’aubergiste sera sûrement heureux de s’en débarrasser.

-De toute façon je l’aurais quand même amené.

-Bon ne perdons pas plus de temps, j'aimerais être rentrée avant la chute des premières neiges!

Les trois membres de l’Assemblée prirent la route sans tarder, le petit convoi était composé d’un chariot couvert où se trouvaient la plupart des ressources nécessaires aux voyageurs. Élias montait la jument frison qu’il avait calmé un peu plus tôt dans l’après-midi. A cause de l'attelage qu’il transportait, le groupe voyagea tranquillement jusqu’à que la nuit commence à tomber. Agathe géra la construction du bivouac à proximité d’un petit bosquet et fit installer une grande tente permettant d'accueillir les deux femmes. Le botaniste opta pour une nuit à la belle étoile, en effet, sa nouvelle jument ne le lâchait pas d’une semelle et une petite tente n’aurait clairement pas supporté l’entrée de l’animal têtu.

Il ne refusa pas, cependant, les deux couvertures qui lui furent proposées. Le repas fut aussi préparé par Lièvre, malgré son mauvais caractère elle était toujours soucieuse pour ses camarades. Ce soir-là Élias fut tiraillé entre le fait d’avoir passé le meilleur et le pire repas de sa vie. La cuisine de la grande blonde était délicieuse, de plus elle avait pris en compte les régimes alimentaires de chacun. Cependant elle avait clairement un problème avec les quantités, ses deux comparses avaient cru que leur estomac allait exploser. Agathe les avait à la fois culpabilisés puis fâchés de ne pas manger assez. Ensuite, le jeune botaniste avait eu le droit à une seconde réprimande, il avait osé commencer à lire un de ses livres en plein repas au lieu de faire la conversation. A la suite de cet événement un débat se lança sur le respect d’un repas en groupe et les règles de bonne conduite à table.

Pendant ce temps Rose en avait profité pour faire un thé dont elle seule a le secret. Les esprits s’apaisèrent et les discussions furent moins houleuses, les deux femmes réussirent presque à faire parler Élias sur sa vie. Le jeune homme commença à parler d’une histoire lui étant arrivé durant son isolement dans le bois des fées, il ne conclut pas son histoire lâchant un petit “Non, c’est idiot comme fin. Même pour moi…”. Lièvre et Hirondelle tentèrent tout pour tirer les vers du nez de leur camarade, sans succès.

La grande blonde partit se coucher la première alors que sa camarade racontait à son tour une histoire. Élias esquissa un petit sourire lors de la chute ridicule de l’aventure de sa camarade. Rose fit semblant de le sermonner et finalement rigola aussi de son anecdote. Elle rejoignit finalement un peu plus tard Agathe, fatiguée par sa journée et baillant à s’en décrocher la mâchoire. Il ne resta plus que le botaniste, qui observait le feu frémir puis s’éteindre. Détournant les yeux des braises, il plongea son regard dans les astres qui éclairaient la magnifique voûte céleste. Bien au chaud blotti contre sa nouvelle alliée, il ne tarda pas à trouver lui aussi le sommeil. Un sommeil doux et apaisant laissant ses peurs et ses problèmes loin de lui pour quelques heures.

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