Chapitre 4 : une étrange professeure

Par Drak

Extrait de communications :

Les Porteurs de l’A-Od, l’A-L et de l’A-Z se sont violemment affrontés. 

Porteuse de l’A-L tuée, mais elle a provoqué une perte.

Archives de l’Apsû, branche Norvégienne, 1001

 

 

Assise sur le siège arrière de la voiture d’Hector, je fixe la nuque de celui-ci, alors que je profère intérieurement à son encontre toutes les malédictions possibles et imaginables.

Il me jette une œillade embarrassée, alors qu’il m’interroge du bout des lèvres : « …Pendant combien de temps vas-tu m’en vouloir, exactement ? »

« Pour l’éternité. »

« Ce n’est qu’un lycée… »

« Alors, pourquoi m’en faire changer, si c’est tellement peu important ? »

À la fin du week-end, pendant le dimanche après-midi, mon oncle m’a annoncé qu’il m’avait changé de lycée. Depuis, je ne décolère pas.

Un lycée ou un n’autre, cela m’est plus ou moins égal, surtout que nous sommes encore qu’au premier trimestre… Mais qu’il m’ait inscrite dans un nouvel établissement sans même m’en parler au préalable, ça, ça m’énerve !

« Je te l’ai déjà expliqué : celui-là est plus proche de chez moi et il a de biens meilleurs résultats que celui où ton père t’avait inscrite et… »

« Primo : j’aimai passer mes semaines à l’internat. Deuxio : j’aimai avoir à utiliser mon vélo pour rentrer. Et tertio : ce lycée était très bien, je l’avais choisie avec papa ! Conclusion : bullshit ! »

Jurer en anglais, la langue maternelle de mon père, m’a toujours plu, sans que je l’explique bien.

« S’il-te-plait, ne crie pas comme ça… »

« Je cris si je veux !! »

« C’est celui où ton père et moi avons fait nos propres études en France… »

« Alors ça ne m’étonne pas qu’il ne m’y ait pas inscrite ! »

Il se gare dans un crissement de pneu, ce qui me propulse en avant et m’étrangle à moitié avec ma ceinture !

« Crois-moi, c’est mieux que tu ailles à celui-là… Aller, passe une bonne journée. Je viens te chercher ce soir. »

« Mais à quoi ça sert que j’ai un vélo, si… »

« J’ai dit que je viendrais te chercher. » Me coupe-t-il, alors qu’il m’adresse un nouveau regard dans le rétroviseur, plus sévère cette fois-ci.

Mais pourquoi faut-il qu’il soit aussi inflexible sur ce point ?

J’ouvre la portière à la volé, que je claque derrière moi avec une violence bien vaine, qui ne m’apaise qu’à peine.

Mon sac sur l’épaule, je me mêle à la cohorte de jeune qui passe le portail.

 

La sonnerie stridente de l’établissement retentie, marquant le début des cours.

Guidé par les quelques informations que m’a donné mon oncle sur l’agencement de ce lycée, je parviens à temps à ma classe, alors que mes nouveaux camarades sont encore en train de papoter devant la porte, à attendre que le professeur arrive.

Une fille de petite taille tourne la tête vers moi, quand elle me voit me planter au bout de la queue, mes mains plongées dans mes poches, boudeuse.

« J’ai entendu parler d’une nouvelle… C’est toi ? »

« Ouais. »

« …Pas contente d’être là, n’est-ce pas ? »

« Ça se voit tant que ça ? »

« J’imagine que ça ne doit pas être très agréable de changer de lycée… Mais tu vas voir, c’est assez sympa, ici ! »

Je grogne et hausse les épaules. Je sais que ce n’est pas particulièrement polie vis-à-vis de cette fille, qui essai d’être gentille, mais je suis encore de trop mauvaise humeur.

Elle tourne soudain la tête vers l’avant du groupe, l’air soucieuse.

« Juste… Tu vois l’espèce de garçon manqué penché sur un cahier, là-bas ? »

Je tends le cou pour distinguer l’élève qu’elle me désigne. Effectivement, je crois que je vois de qui elle parle. Grand, mince, des cheveux bruns qui lui retombe légèrement sur les yeux, ce qui m’empêche de voir ces derniers, et une mèche blanche sur le devant… Pourquoi il me donne une impression de déjà vu ?

« C’est Sacha. Un conseil : ne t’en approche pas. Caractériel, brutal… Il n’y a vraiment que Mathieu qui arrive à rester à ses côtés… Mathieu, c’est le gars à lunette. »

Je me penche une nouvelle fois et aperçois un garçon quelque peu enrobé, avec des lunettes rectangulaires noirs, qui se tient en effet proche du dénommé Sacha.

« En plus, je crois que Sacha est encore de plus mauvaise humeur que d’habitude… J’en ai entendu quelques-uns parier que c’est la période de ses règles… »

« Attend… c’est une fille ? »

Elle esquisse une grimace d’ignorance, accompagné d’un rire amer.

« Aucune idée ! D’une fois à l’autre, Sacha se prétend d’un sexe ou d’un autre. Et gare à toi si tu te trompes ! Mathieu doit bien être le seul qui ne s’est jamais fait frapper ou crier dessus… »

Le professeur arrive enfin et nous fait rentrer.

Il prend rapidement note de ma présence, avant de m’indiquer d’un geste vague de la main que je peux me choisir une place.

Au troisième rang, la fille qui m’avait accueilli me tire la chaise vide à côté d’elle, sur laquelle je me laisse tomber, faute d’autres possibilités.

Elle chuchote à mon oreille : « Aux faites, je m’appelle Inès. Et toi ? »

« …Diane. »

Le cours n’est pas particulièrement intéressant, puisque portant sur l’anglais, langue que je parle déjà bien grâce à mes origines, mais il a l’avantage d’être bien mené par ce professeur.

Les explications sont assez claires, avec des exemples, et les élèves ne bavardent que discrètement.

Alors, j’en profite pour détailler ceux-ci… Banal. Rien de bien intéressant à regarder. Par conséquent, mes yeux finissent par se braquer sur ces fameux Sacha et Mathieu, puisque ce sont les seuls à avoir l’air particulier ici.

Ils sont assis au premier rang, dans le coin gauche. Les deux sont penché sur leur cahier, mais si Mathieu lève régulièrement le nez, ce qui signale son attention, Sacha garde en revanche résolument le sien pointé vers le bas, avec son crayon qui coure sur le papier.

 

La sonnerie finie par retentir. Nous enchainons sur un cours littérature, avec une professeure ridée comme une pèche, qui s’est contentée de nous lire un poème avant de nous le décortiquer de sa voix trainante, sans faire attention si nous l’écoutions ou pas.

 

Quand, enfin, la récréation arrive, je prends simplement le chemin vers la classe suivante, avec le projet de m’installer devant pour attendre que l’heure tourne.

Appuyée à un mur, plongée dans mes pensées, un écouteur enfoncé dans une oreille, je laisse vagabonder mon esprit au rythme de la musique.

« Excuses moi, ne serais-tu pas la fille d’Arthur ? »

Je sursaute violement quand j’entends soudain cette voix, juste à côté de moi !

Celle qui vient de me parler est une grande femme à l’impressionnante chevelure rebelle d’un blond brillant, vêtu d’un tailleur blanc neige, armée d’un sac en cuir sous le bras.

Elle réajuste ses lunettes à écailles sur son nez busqué, alors qu’elle me détaille de ses petit yeux bleu-gris.

« C’est le nom de mon père, oui… » je commence, mais suis interrompue par la femme : « Pangredon ? »

« Oui… »

Elle me saisit alors la main avec une douceur désarmante !

« Je sais que ça peut te paraitre faible, que ce ne sont que des mots : mais je te prie d’accepter mes plus sincères condoléances. J’ai appris ce qu’il s’est passé. Lui et moi avons été amis à une époque, avant que la vie ne nous sépare. »

La mélancolie et la tristesse se lisent dans ses yeux, alors qu’elle relâche enfin ma main. Cette femme me met mal à l’aise, pour une raison que je n’explique pas.

« Pardonnez-moi, mais qui êtes-vous ? »

« Oh, je ne me suis pas présentée ! Je suis Wodan Bertille. Une simple professeure de SVT. » répond-t-elle dans un léger rire embarrassé.

Son regard se pose alors sur la porte près de laquelle j’attends, avant d’ajouter :

« Ou plus exactement, si je devine bien, ta nouvelle professeure de SVT. »

« Oh ! »

« À ce propos, je dois aller m’installer. Tu permets ? »

 Sans attendre ma réponse, elle me dépasse, puis rentre dans sa salle, qu’elle referme derrière elle.

Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Qu’est-ce que… ? Qu’est-ce que c’était que cette professeure ? J’ai eu l’impression de n’avoir plus aucune consistance physique tout du long du temps, que j’ai passé face à cette femme à l’étrange présence envahissante !

 

Quand mes camardes arrivent enfin, nous entrons dans la classe, où madame Wodan distribue rapidement une fiche d’exercices à tout le monde.

Je suis la seule à qui elle ne la donne pas. À la place, elle me remet une liasse de photocopies.

« Voilà un condensé de ce que nous avons commencé à étudier depuis le début. Je te laisse lire tout ça, histoire que tu ne sois pas à la traine ! »

Puis elle retourne derrière son bureau, où elle commence aussitôt à feuilleter un livre que je n’identifie pas.

Je crois dans un premier temps qu’elle ne nous surveille pas, mais je capte soudain l’éclat furtif de son regard, par-dessus ses lunettes.

En réalité, elle est on ne peut plus attentive à chaque détail qui se produit dans son cours.

En quelques minutes, cette femme vient de me faire la plus forte impression que n’importe lequel de mes précédant professeur ! 

Son incroyable attention, couplé à son étrange présence, elle tient sa classe d’une main de maître.

 

*

Après mon ultime cours de la journée, je me dirige vers la sortie.

Devant le portail, Hector se tient, droit comme un monolithe.

Son regard se harponne à moi dès qu’il m’aperçoit, jusqu’à ce que j’arrive à sa hauteur.

« Alors ? C’était comment ce premier jour ? »

J’émet un grognement bougon pour la forme et ne pas avoir à avouer que ça n’a pas été si mal.

Une fois dans sa Aston martin, mon oncle écrase l’accélérateur sans plus attendre.

Dieu, pourquoi faut-il qu’il soit aussi brutal dans sa conduite, sérieux ?

Ce n’est qu’une fois sur le trajet, que je repense soudain à ma professeure de SVT.

« Euh… Dis, est-ce tu connais une certaine madame Wodan ? »

Je le vois froncer les sourcils dans le rétroviseur.

« Wodan ? …Le nom ne m’est pas étranger. Pourquoi ? »

« C’est ma prof de SVT. Et elle a dit être une ancienne amie de mon père… »

J’aurais annoncé que j’avais attrapé une maladie grave, que le visage d’Hector aurait pu prendre la même expression blafarde !

« Tu… tu es certaine ? »

« C’est ce qu’elle a dit… Ils devaient être proche, vu la manière dont elle l’a évoqué… »

Mon oncle se calfeutre alors dans un silence lourd, qu’aucune de mes questions insistantes ne parviennent à percer.

Mais merde… Pourquoi faut-il qu’il soit aussi secret dès que ça touchait à mon père ?!

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