Chapitre 4 - Tritogenos – Seth

Tritogenos regarda incrédule la quantité de nourriture déposée sur les tables. Jamais il n'avait vu tel faste. Habitué à la misère dans sa ferme et à la famine due à la guerre contre les romains, le jeune celte dut lutter pour ne pas se jeter sur les fruits secs, le vin, les feuilletés, les pains aux épices, les gâteaux au miel et bien d'autres mets qu'il ne parvenait pas à identifier.

Son père lui avait trouvé cette place de serviteur dans cette riche famille romaine tout juste installée. Le père était un ancien chef de guerre ayant décidé d'amener sa femme sur ces terres nouvellement conquises plutôt que de retourner chez lui.

Tritogenos entra timidement. Simple paysan, il sentait bien qu'il détonnait avec l'environnement. Puant le crottin, la terre et la pluie, affamé et vêtu d'une tunique en chanvre sale et grise, il se renferma sur lui-même pour disparaître.

Une dame âgée vêtue d'une simple tunique de lin blanche entra. Sa ceinture tressée en cuir indiquait probablement quelque chose mais Tritogenos en ignorait la signification.

- Je suis la gouvernante. Tu es entrée par la porte principale. Tu es censé entrer par derrière, gronda-t-elle.

- Je suis désolé, marmonna Tritogenos en rêvant de devenir invisible. Je ne désirais pas être impoli. Je suis extrêmement honoré de faire partir du personnel de cette merveilleuse demeure.

La femme soupira puis lui fit signe de la suivre. Elle lui expliqua les règles de la maison, son futur travail, lui fit visiter sa chambre – au combien luxueuse comparée à la pièce unique de la ferme parentale, puis la salle de bain où il fut prié de se laver sur le champ. De nouveaux vêtements lui furent donnés et une collation – un repas de roi comparé à la soupe habituelle – lui fut donnée.

Il travailla avec bonheur et simplicité, ne désirant qu'être un bon serviteur pour remercier ces gens de lui donner autant. Il se levait tôt et ne se reposait que rarement. Il nettoyait le sol, lavait la lessive, faisait les courses, épluchait des légumes lorsqu'un camarade était malade. Il ne demanda jamais à rentrer chez lui et tout son salaire partait dans sa famille. Il tenait à honorer les siens.

La dignité guidait ses pas. Les romains avaient gagné la guerre mais le gaulois restait fier. Il détestait le travail mal fait, l'imperfection, la médiocrité. Cela le rendait un brin hautain, orgueilleux, présomptueux et condescendant, si bien que malgré sa solidarité, il n'était guère apprécié de ses comparses.

De ce fait, il passait ses rares pauses seul, à contempler les fleurs blanches de l'atrium, qui lui rappelaient sa plaine natale. Il rêvassait, repensant à ses deux frères aînés et ses quatre sœurs.

Nul ne savait que faire de lui. Toute son enfance, il avait tout fait pour que son père le remarque. Qu'il l'aide ou fasse des bêtises, jamais ce dernier ne lui avait accordé l'attention tant désirée. Sa mère, connaissant son désarroi et sa profonde tristesse, lui avait trouvé cette place et son père, en l'apprenant, avait enfin tourné son regard vers son troisième fils pour lui demander de lui faire honneur. Le jeune homme comptait bien rendre son père fier.

Tandis qu'il repensait à ses courses effrénées dans les champs avec ses frères, une splendide créature passa devant lui. Cette femme sublime lui donna immédiatement une féroce érection. Ses longs cheveux noirs, sa peau hâlée, sa marche souple et aérienne firent frémir le gaulois de plaisir. Alors qu'elle se trouvait à l'autre bout de l'atrium, il pouvait sentir son parfum enivrant, goûter sa peau sucrée, caresser sa peau douce et fine. Elle ne lui accorda aucune attention, pas un regard, pas un geste. Elle l'ignora superbement et continua sa route avec grâce et légèreté.

Tritogenos eut envie de lui sauter dessus, de la baiser sur le champ, de la prendre par tous les orifices, de la remplir bestialement en tirant ses splendides cheveux. Il imagina sa croupe remuer sous ses assauts sauvages et ses cris réveiller toute la maisonnée. Il retourna au travail avec un immense sourire sur le visage.

Il rêva, fantasma, se masturba sur l'image de cette créature sublime, pour finalement découvrir qu'il s'agissait de la maîtresse de maison. Oh ! Douce révélation ! Il allait charmer la belle et rendre cocu le fier guerrier romain. Car il ne comptait certainement pas abandonner, ça non. Il irait jusqu'au bout, quoi qu'il en coûte. Il la désirait, il voulait la posséder et dans son esprit, aucun doute que cela se produirait. Au village, aucune fille ne lui avait jamais résisté. Charmeur, beau et séduisant, il prenait régulièrement dans les foins toutes les filles de ferme des alentours. Son père serait tellement fier ! Le petit paysan gaulois baisant la noble romaine, rendant cocu le fier guerrier ennemi. Quel honneur cela serait !

Il observa avec attention les allers et venues, écouta les conversations, guetta le moment idéal et ce dernier se présenta moins d’une semaine après. Le mari venait de partir dans un fief lointain afin de discuter de problèmes territoriaux avec les anciens chefs de clan désormais unis sous la bannière romaine. Il en aurait pour au moins un mois. Tritogenos en profita pour observer la belle, ses préférences, ses habitudes. Il posa sur sa table de chevet son fruit préféré. Le lendemain, en allant se coucher, elle trouva un bouquet de fleurs sur son oreiller.

Tritogenos l’imagina rêver à son adorateur secret. Il savait combien les femmes mouillaient au moindre mystère. Les attentions se firent plus nombreuses mais toujours inattendues. Tritogenos l’évitait le plus possible afin qu’elle ne se doute de rien. Il fallait qu’elle fantasme, qu’elle laisse ses pensées dériver. Ainsi, lorsqu’il se présenterait, elle tomberait dans ses bras sans difficulté. Il le savait pour l’avoir expérimenté de nombreuses fois.

Il se décida à agir. De nombreux jours avaient passé. Elle était prête, à n’en pas douter. Il prit un bain et mit une tunique neuve. Cette femme était riche. Elle n’apprécierait pas l’odeur du fumier à laquelle les filles de ferme étaient habituées. Alors qu’elle se rendait dans sa chambre, il se présenta devant elle.

- J’espère que mes douces attentions vont ont plu, belle dame.

Généralement, il y avait deux options. Ou bien elle lui hurlait dessus, le frappait et dans ce cas, mieux valait s’enfuir et essayer une autre approche. Ou bien elle gémissait, couinait, se tortillait. Ses signes indiqueraient une totale ouverture.

La dame resta figée, sans bouger, sans parler, muette, tétanisée. Elle le transperçait des yeux en silence mais Tritogenos fut incapable de déterminer si le signe était bon ou mauvais. Puisqu’elle ne lui demandait pas de partir, il continua :

- Votre beauté m’inspire de grandes passions. Je vous désire, belle dame. Me feriez-vous l’honneur de…

- Caly ?

Tritogenos sursauta à l’arrivée du mari. Il apparut de la porte la plus proche comme un félin, sans bruit, avec charme et souplesse. Sa femme ne réagit pas à son appel. Elle semblait ne même plus respirer.

- Caly ? répéta le mari.

Tritogenos se demanda ce que signifiait ce mot. Ne parlant pas latin, il supposa qu’il devait signifier « Que se passe-t-il ? » ou « Quel est le problème ? ». Il ne devait pas avoir entendu la demande de Tritogenos car il ignorait superbement le petit serviteur qui venait pourtant de tenter de le cocufier.

- Oh je suis tellement désolée, gémit la romaine d’une voix emplie d’une tristesse infinie.

Tritogenos en eut instantanément le cœur brisé. Il ignorait de quoi elle était désolée mais le sentiment était violent, puissant, immense.

- Vous n’avez aucune raison de… commença Tritogenos avant de comprendre qu’elle ne s’adressait pas à lui.

- Je n’avais pas la moindre idée de la puissance, de l’emprise, de l’immensité… continua-t-elle.

La romaine se tourna enfin vers son mari.

- Cet amour est incontrôlable, inégalable. Comment peux-tu supporter qu’il ne soit pas réciproque ?

- Tu es généreuse, mon amour. Tu m’offres ta tendresse, ta présence, tes sourires. Je m’en contente fort bien.

- Oh comme je plains Po, Ba et Cri, contraints de vivre loin, de subir mépris et indifférence. Cela doit être… J’imagine à peine la douleur. Oh je t’en prie, ne me sépare pas de lui !

Tritogenos plissa des yeux. Que se passait-il ? Parlait-elle de lui ? Venait-elle de réclamer à son mari la possibilité de le prendre comme amant ? C’était impossible !

- Tu te rends compte que de son côté, il veut juste te baiser, précisa le romain. Quand il aura eu ce qu’il veut, il ira vers sa prochaine conquête. C’est un coureur de jupons, rien de plus.

Tritogenos commençait à se sentir très mal. Le mari semblait avoir parfaitement entendu sa proposition envers sa femme et, bizarrement, ne pas spécialement lui en vouloir. Il ne comprenait pas la situation. Était-il le dindon de la farce ? Se moquaient-ils de lui ?

La romaine fronça les sourcils. Pendant un instant, elle resta silencieuse puis annonça :

- Il faut demander la permission à Po.

- Tu veux le transformer maintenant ? Sans attendre la fin ? s'exclama le romain.

- Je veux lui proposer, lui expliquer. Le trajet jusqu'à Po sera long. J'aurai largement le temps de lui présenter la situation et son choix mais oui, je voudrais le faire au plus tôt.

- Il ne restera pas près de toi. Il baisera tout ce qui bouge, répéta le romain.

- Je sais, et je m'en satisferai, tant qu'il tolère ma présence de temps à autre. Je ne veux pas m'imposer, expliqua la dame. Je veux simplement te préciser une chose, Tritogenos.

Le jeune gaulois sursauta. Elle connaissait son nom ? La dame ne pouvait décemment pas connaître les noms de tous ses serviteurs ! Il y en avait tellement et des changements se produisaient si souvent ! Il ne s'y attendait absolument pas. Cela le focalisa sur les paroles de son interlocutrice.

- Tu auras ce que tu souhaites uniquement lorsque tu seras au contrôle. Seulement ce jour-là, je t'offrirai mon corps.

Le mari sourit doucement. Tritogenos ne comprit pas cette réaction.

- Au contrôle de quoi ? demanda-t-il, totalement perdu.

- Tu vas comprendre. Nous partons dès maintenant. Le voyage est long jusqu'à Akitsu-shima.

- Akitsu-shima ? répéta difficilement Tritogenos qui ignorait totalement ce dont il s'agissait.

- C'est une île, très loin d'ici, annonça la romaine. Nous devons demander la permission à Po, notre chef, avant de te transformer. Viens, nous partons.

- Vous ne prévenez personne ? s'étonna Tritogenos.

- Aucun intérêt. Nous ne comptons pas revenir, répondit le romain.

Tritogenos suivit le mouvement, absolument certain de n'avoir pas le choix, et incapable de déterminer s'il souhaitait les suivre ou non. Ils partirent la fleur au fusil, à pied, sans vivre ni argent.

- Nous allons marcher très longtemps, prévint la romaine. Au fait, je m'appelle Caly et voici mon compagnon Da.

Tritogenos regarda les deux romains. Ces noms-là n'étaient pas ceux qui lui avaient été indiqués à son arrivée.

- Nous ne sommes pas réellement romains, précisa Da. Nous avons choisi ce peuple parce qu'ils aiment profiter des plaisirs de la vie et il s'avère que nous aussi.

- Vous êtes quoi alors ? demanda Tritogenos.

- Rien, annonça Da. Nous n'appartenons à aucune peuplade car nous ne sommes pas humains.

Tritogenos s'arrêta d'avancer.

- Pardon ?

- Nous n'avons pas été nommés dans vos légendes car nous prenons bien soin de cacher notre existence mais disons que tu pourrais nous placer dans la catégorie des spectres.

Le gaulois pâlit. Des spectres ? Des revenants ? Des morts-vivants ? Des fantômes ?

- Vous semblez très vivants, fit remarquer Tritogenos.

- Et pourtant, nous ne le sommes pas, répondit Caly.

- Nous faisons croire afin que nos proies ne se doutent pas de notre nature et soient plus faciles à tuer, expliqua Da.

Tritogenos recula d'un pas en tremblant. Ces deux-là annonçaient tranquillement ces horreurs comme s'ils parlaient de la pluie et du beau temps.

- Vous allez me tuer ? gémit Tritogenos.

- Oui, mais avant, nous allons te proposer de devenir l'un de nous, annonça Caly avec un doux sourire.

- Devenir un spectre ? bredouilla Tritogenos complètement abasourdi.

- Nous devons d'abord demander l'autorisation à Po, notre chef, mais c'est mon but, oui, compléta Caly. Le voyage sera long. J'aurai tout le temps de répondre à tes interrogations qui, je n'en doute pas, seront nombreuses.

- On peut baiser en étant un spectre ? demanda Tritogenos.

Caly soupira et Da lui envoya un regard signifiant clairement "je t'avais prévenue". Tritogenos grimaça. Il ne se montrait pas à la hauteur.

- Oui, dit Da. Tu peux baiser, autant que tu veux, et même mieux qu'en étant humain car tu es immortel donc jeune à jamais. Tu ne perds jamais de vigueur et tu peux charmer les humains pour qu'ils te désirent.

Tritogenos sourit pleinement.

- Cela n'est possible que si tu es au contrôle, précisa immédiatement Caly, et cela prendra longtemps, très longtemps. En attendant, je resterai près de toi pour t'empêcher de faire n'importe quoi.

- Je ne peux pas vous baiser avant ça ? Je veux dire… maintenant, en temps qu'humain ?

- Tu as réellement envie de baiser un spectre ? répliqua Da.

Tritogenos dut admettre qu'il ne s'était pas posée la question en ces termes. Il haussa les épaules et décida d'y réfléchir. Caly l'avait dit : le voyage serait longtemps. Il reprit la route.

 

- Tu veux le transformer maintenant ? s'exclama Po.

Tritogenos n'avait pas été surpris par l'apparence du chef des spectres. Après tout, ils avaient traversé de nombreux pays habités par des gens aux yeux étranges et aux peaux colorées. Que le chef ait les yeux en amande, la peau cuivrée et des cheveux très noirs lui semblaient normal en un tel lieu. Il se trouvait lui-même étrange et comprenait qu'on puisse le regarder bizarrement.

- Il est en pleine fleur de l'âge ! continua le chef des spectres. On ne transforme qu'au moment de la mort !

- Il souhaite être transformé maintenant, répliqua Caly.

- Oui, je veux bien, confirma Tritogenos.

- Lui refuser une vie humaine est cruel.

- Il nous a fallu six mois pour arriver ici, précisa Da. Nous n'avons eu de cesse de tout lui expliquer. Il est conscient des conséquences et souhaite être transformé.

- Oui, je veux bien, répéta Tritogenos mais Po l'ignora superbement.

- Vis une vie humaine avec lui, proposa Po.

- Je ne veux pas laisser Da, répliqua Caly. Ça signifie quoi ? Une vie à trois ?

- Tu aurais pu laisser faire les évènements au lieu de me mettre devant le fait accompli, accusa Po.

- Nous vivons une vie de riches romains et il n'est qu'un serviteur gaulois, expliqua Caly. Il voulait cocufier Da par vengeance envers les envahisseurs. Une fois la chose faite, il m'aurait délaissée. Je ne souhaite pas qu'il s'éloigne de moi, bien au contraire !

- Il ne t'aime pas, comprit Po. Tu as conscience qu'il ne souhaitera pas ta présence, qu'il ne t'offrira aucune tendresse ?

- Je ne lui imposerai rien, assura Caly. Sa mort me serait insupportable. Tu ne peux pas ne pas le comprendre !

- Je sais aussi combien le sine condicione est douloureux quand il n'est pas réciproque, ajouta tristement Po.

- Je préfère ça à lui survivre, annonça Caly. Je t'en prie. Je ne supporterai pas qu'il puisse mourir.

Po secoua la tête puis soupira.

- Merci Po, dit Caly.

- Je vais devenir l'un de vous ? demanda Tritogenos en souriant.

- Tu ne seras l'un des nôtres que quand tu seras au contrôle, gronda Caly et Tritogenos hocha la tête.

Il comptait bien être à la hauteur. Il ne la décevra pas. Elle lui offrait l'immortalité. Son seul désir était de la rendre fière. Si auparavant l'avis de son père guidait ses pas, désormais, seul celui de Caly comptait. Il serait un élève parfait.

 

Quelle idée ! Traverser un océan ! Rien que ça ! Décidément, Oumou avait de l'humour. Quel défi ridicule ! Il était suffisamment jeune, même pas encore millénaire, pour ne pas encore avoir tout vu. Il n'avait pas encore connu l'ennui. S'il participait au défi, c'était uniquement pour gagner et ainsi plaire au cercle mais surtout à Caly. Comme elle serait fière de lui ! Il allait remporter ce défi pour elle.

Ces années à ses côtés ne lui avaient pas apporté d'amour pour celle qui l'avait transformé. En aucun cas ses sentiments n'approchaient la force de ceux que le sine condicione forçait Caly à ressentir. Cependant, il l'appréciait énormément. Il avait couché avec elle et en avait redemandé, encore, et encore, car il ne se lassait pas. Elle était belle, de corps, de cœur et d'esprit. Tout simplement. Il la désirait, normalement, sans forçage.

Da se montrait tolérant, comprenant et acceptant la situation. Après tout, Caly et lui formaient un couple uni. Ils vivaient ensemble tandis que Seth - qui avait choisi ce nom lors de son intégration au cercle - se promenait, découvrant le monde, comme chaque nouvel Aar l'avait fait avant lui.

Pour la première fois, il se lançait dans la résolution d'un défi uniquement pour plaire à sa belle, pour la rendre fière. Seth avait choisi l'océan pacifique, en partant d'Europe. Il comptait rejoindre l'Asie, de l'autre côté de la Terre, qu'il savait très bien être ronde, comme tous les Aar.

Il choisit de se rendre dans le nord de l'Europe. Il savait qu'il s'y trouvait des marins hors pairs, des hommes bourrus, barbares, des guerriers mais surtout, des hommes qui savaient mener un bateau, même à travers un océan tout entier.

Où étaient les autres membres du cercle ? Il l'ignorait. Il ne savait même pas qui avait décidé de participer à ce défi stupide. Tout ce qu'il savait, c'était que les autres participants n'allaient pas lui laisser la moindre chance. Il comptait bien tout donner et surtout, en mettre plein la vue à Caly. Il comptait bien revenir dans moins d'un mois et elle serait tellement fière !

Il avait parcouru tout le chemin entre le continent nord africain et l'Europe du nord d'une traite, sans s'arrêter, à vitesse rapide, se nourrissant toutes les deux heures, tuant à chaque fois sa victime sans la transformer, comme Caly lui avait appris à le faire.

Il avait rapidement trouvé un village viking. Il y avait deux façons d'intégrer un groupe. La première, facile, consistait à tuer le chef et à prendre sa place en prenant son apparence et se faire passer pour lui. Le problème était que Seth ne connaissait rien aux coutumes vikings et qu'il risquait de se faire découvrir rapidement.

La seconde était de s'intégrer de manière normale, en respectant les coutumes locales. Tout ce que Seth savait des Viking étaient qu'ils étaient des combattants. Il supposa donc que remporter un combat - ce qui, au vu de ses capacités surnaturelles d'Aar, ne serait pas difficile - lui permettrait d'arriver à ses fins.

Le combat fut rapide. Il se terminait au premier sang et le fier guerrier Viking ne vit rien venir. En moins d'une seconde, du sang perla de son avant-bras. Une blessure très légère, pas handicapante, mais qui suffisait à faire gagner Seth.

Il fut accueilli dans le village. Il se fit passer pour un guerrier viking d'une autre tribu, lointaine, seul survivant d'une attaque des Francs.

Il partagea l'hydromel et en but plus que nécessaire, n'omettant pas de faire croire que l'alcool avait un impact sur lui. Il utilisa son pouvoir de charme pour se faire apprécier du Konungar, le chef de clan en charge des expéditions maritimes. Il fit en sorte que l'idée de ce voyage à travers l'océan vienne du roi des mers et dès le lendemain, les drakkars étaient lancés.

Seth déchanta rapidement. Pourquoi s'était-il engagé si rapidement ? Pourquoi n'avait-il pas réfléchi davantage ? Quatre drakkars étaient partis. Au départ, tout allait bien. Seth économisait son énergie et se nourrissait de soupe de poissons, comme les autres vikings sur les bateaux.

En début de deuxième semaine, une terrible tempête s'annonça. Ils perdirent deux drakkars dans les flots déchaînés. Où étaient-ils ? Impossible de le savoir.

Lorsque le dernier drakkar en vue fut frappé par la foudre, tous voulurent faire demi-tour, annonçant qu'Aegir, le dieu de la mer, s'opposait à ce voyage. Seth usa de ses pouvoirs de charme pour les convaincre de continuer mais utiliser ses pouvoirs lui donna soif et il dut se nourrir de sang.

Cela ne fit qu'empirer les choses car les marins, affaiblis par la perte de leur sang, se traînaient misérablement et dans cette tempête sans fin, perdre des hommes était pire que tout.

Pendant une semaine, la pluie ne cessa pas. Le vent empira même. Le bateau n'était plus que le jouet de vagues gigantesques.

Seth maudit sa stupidité. Il n'avait jamais pris la mer auparavant. Il n'y connaissait strictement rien. Il savait une chose : s'il venait à manquer de nourriture ici, son corps se perdrait en pleine mer et y flotterait jusqu'à la fin des temps. Il ne mourrait pas mais ne vivrait pas non plus.

Cela, il n'en était pas question. Il devait atteindre une terre, peu importait laquelle. Il aida davantage sur le bateau, ayant rapidement appris à manœuvrer le puissant drakkar.

Surtout, il comprit la valeur de Arwed Stig. C’était le maître navigateur. Nul ne savait mieux se repérer que lui, même dans la nuit noire. Il savait toujours la direction à prendre. De plus, la navigation n'avait aucun secret pour lui. On avait la sensation que le bateau lui obéissait. Il ressentait les vibrations du bois, les claquements des voiles, le cri de l'eau, le chant du vent.

Seth perdait des forces. Il avait choisi d'utiliser ses capacités surnaturelles pour aider à la maîtrise du bateau et contrebalancer le mauvais état des marins. Cependant, pour se faire, il dut se nourrir davantage. Ainsi, il y eut de moins en moins de marins en état de tenir le drakkar et Seth dut s'impliquer davantage, ce qui nécessita davantage de nourriture.

Une fois lancé, le cercle vicieux fut impossible à arrêter. Bientôt, Seth, proche de la perte de contrôle, qui signifierait sa mort, dut se résoudre à commencer à tuer les marins, dont il avait pourtant cruellement besoin. Les vikings virent dans ces morts la main d'Aegir.

Seth, par manque d'énergie, ne pouvait plus user de son pouvoir de charme mais il n'en eut pas besoin. Arwed Stig convainquit ses hommes de continuer, expliquant que les nouvelles Terres étaient plus proches que leurs terres de naissance. Les hommes lui firent confiance. Arwed, qui avait remarqué l'implication de Seth, lui demanda de l'aide.

Après des heures de travail pour maintenir le bateau à flot, Seth était à bout de force. À plusieurs reprises, il était allé se nourrir de marins et les avaient tués. Il n'en restait plus beaucoup. Il sentit la limite proche. Bientôt, son instinct prendrait le dessus et il tuerait les vikings restants.

Incapable de maîtriser le drakkar, celui-ci se briserait en deux et Seth disparaît au fond de l'océan. Jamais plus il ne reverrait ses compagnons Aar. Il n'aurait pas l'occasion de visiter l'Asie, qu'il avait toujours voulu voir. Il ne goûterait pas de requin, un met que Caly lui avait promis de lui faire découvrir. Seth pleura de rage. Il ne voulait pas mourir. Il était trop jeune pour ça !

Désormais, il n'avait plus le choix. Arwed était gorgé de sang. Seth ne l'avait jamais mordu car il avait besoin de lui, mais désormais, c'était son seul espoir.

Il le mordit et son sang lui redonna force et vie. Cependant, au moment d'extraire ses dents, il sentit un liquide couler dans la gorge de sa victime, un liquide provenant de lui : le venin d'Aar.

Seth regarda, impuissant et stupéfait, Arwed se transformer en Aar. C'était pire que tout ! À deux, jamais ils ne survivraient, surtout avec un jeune qui ne penserait qu'à boire du sang, qui ne saurait pas se contrôler.

Seth ne se l'expliquait pas. Il était fatigué, éreinté et encore assoiffé. Son côté Aar venait de lui jouer un vilain tour. Seth comprit que, peut-être, il ne méritait pas sa place au sein du cercle et que sa mort était méritée.

Seth le savait : il allait devoir le tuer. Mais comment pouvait-il faire cela ? Sans Arwed, il serait à jamais perdu en pleine mer, incapable de contrôler le bateau et de se repérer. Seth était désespéré et pourtant, le miracle se fit. La mer se calma.

Lorsqu'Arwed reprit connaissance, la mer était plate, le vent léger soufflait plein ouest, un soleil magnifique inondait son visage.

- C'est magnifique ! s'exclama Arwed et Seth savait qu'il ne parlait pas seulement du calme plat, mais surtout de ce que ses nouveaux sens lui indiquaient.

- Tes sens sont plus aiguisés. C'est pour ça, expliqua Seth, à genoux, dépité.

- Comment est-ce possible ? Serais-tu magicien, Olaf ? interrogea Arwed.

- Non, pas du tout, non. Et je m'appelle Seth, pas Olaf. Seth.

Arwed hocha la tête sans vraiment comprendre. Seth soupira, inspira fortement puis se releva.

- Écoute, dit-il avec gravité, il faut que nous rejoignions la terre, au plus vite, sinon, nous mourrons. Crois-tu pouvoir nous mener en sécurité d'ici quelques heures ?

- Heures ? répéta Arwed, incrédule. Je ne sais même pas où nous sommes. Pourquoi se presser autant ? Maintenant que la tempête est terminée, nous allons pouvoir reprendre la route tranquillement.

- Je ne te donne pas deux heures avant de tuer les deux derniers marins encore vivants à bord.

- Deux derniers ? répéta à nouveau Arwed. Qu'est-il arrivé aux autres ?

- Ils sont morts, annonça Seth et Arwed ouvrit de grands yeux. Je les ai tués. Je n'ai pas eu le choix. Dans quelques heures, tu feras de même.

- Jamais de la vie ! s'exclama Arwed, dégoûté. Pourquoi tuerais-je les miens ?

- Je t'ai offert le don de la vie éternelle. Plus rien ne t'affectera désormais, ni la vieillesse, ni la fatigue, ni la maladie. En échange, il te faudra te nourrir de sang humain et comme sur ce bateau, il n'y a que ton peuple, c'est d'eux que tu te nourriras.

- Quelle horreur ! s'écria Arwed en reculant. Pourquoi as-tu fait cela ?

- Je ne l'ai pas fait exprès, murmura Seth mais Arwed l'entendit parfaitement grâce à ses sens développés. Les Aar peuvent…

- Aar ? répéta Arwed sans comprendre.

Seth soupira. Ce petit avait tant à apprendre en si peu de temps. Seth ne connaissait pas grand-chose aux coutumes vikings mais sur ce drakkar perdu au milieu de l'océan, les marins avaient beaucoup parlé.

- Draugr ? lança Seth en espérant que ce terme se rapprochait suffisamment de ce qu'il était afin que le maître navigateur comprenne plus rapidement.

- Draugr ! s'exclama Arwed totalement terrorisé.

- C'est ce que je suis, c'est ce que tu es désormais. Je disais donc que les Aar peuvent se nourrir de nourriture normale, comme je l'ai fait pendant les premiers jours de navigation, mais à condition de ne pas puiser dans nos capacités surnaturelles. Or, la tempête m'y a forcé. J'ai dû me nourrir et bientôt, j'ai dû tuer. Tu étais le dernier encore gorgé de sang, j'avais trop soif. Je t'ai mordu mais je ne voulais pas te transformer. En vieillissant, on apprend à se contrôler. Je ne mérite pas ma place. Je ne suis pas digne de ce titre. Je t'ai transformé sans le vouloir. J'ai perdu le contrôle. Je suis tellement désolé, Arwed. Normalement, on ne transforme pas quelqu'un qui ne le désire pas. Po me tuera quand il l’apprendra. Caly va sûrement s’y opposer. Après tout, je suis son sine condicione. Le résultat sera catastrophique. Oh ! Elle va tellement m'en vouloir. Je suis effondré.

Arwed vit la tristesse, la terreur, la honte dans le regard de Seth et il comprit combien cet homme était malheureux et s'en voulait.

- Peut-on revenir en arrière ? interrogea Arwed et Seth répondit à la négative d'un geste de la tête. En ce cas, il faut aller de l'avant. Je ne veux pas mourir, camarade. Cherchons la terre.

Arwed regarda le ciel, chercha la position du soleil, se saisit d'un disque qu'il tenait en pendentif, le fit bouger avant de regarder une carte. Enfin, il prit la barre et la bougea.

- C'est plus facile que d'habitude ! s'exclama Arwed.

- Tu n'es pas au contrôle, murmura Seth, plus pour lui-même mais Arwed l'écouta tout de même. Tu consommes ton énergie à une vitesse phénoménale. Tu vas avoir faim dans moins d'un quart d'heure et les deux marins restants ne te suffiront pas.

- Que se passera-t-il alors ? interrogea Arwed.

- Nous allons manquer d'énergie et nous tomberons dans une sorte d'hibernation dans laquelle nous resterons jusqu'à ce que de la nourriture s'approche – des hommes. Notre corps s'éveillera et tuera tous les malheureux et alors seulement, nous reviendrons à nous, entourés de cadavres près à s'éveiller comme Aar.

- Pas les tiens, puisque tu sais te contrôler, fit remarquer Arwed.

- Non, en état d'hibernation, notre corps nous contrôle. Notre conscience cesse d'exister. Non, il faudra tous les tuer avant qu'ils ne s'éveillent.

- Est-ce si grave d'être entouré d'autres Aar ? demanda Arwed, de plus en plus en accord avec sa nouvelle nature.

- En mer, sans source de nourriture, oui, plutôt ! fit remarquer Seth. Que se passera-t-il ? Nous tomberons tous en hibernation, jusqu'à ce qu'un nouveau navire s'approche, qu'on les tue, qu'on les transforme puis qu'on s'écroule par manque de nourriture et ce jusqu'à la fin des temps. Non merci, très peu pour moi !

- Tu m'apprendras à me contrôler ? interrogea Arwed et Seth ne lui répondit pas, faisant croire qu'il était occupé à monter la voile, ce qu'il faisait seul alors que normalement, quinze hommes étaient nécessaires.

- Un Aar peut-il mourir ? lança Arwed.

- Bien sûr, s'il n'a plus du tout d'énergie, il meurt, expliqua Seth.

- Je croyais que lorsqu'un Aar n'avait plus d'énergie, il se mettait en hibernation, souffla Arwed sans comprendre.

Seth se tourna vers son nouveau compagnon. Avait-il vraiment envie de le former ? Devait-il devenir son mentor ? Il n'avait pas encore décidé. Allait-il le tuer dès qu'il l'aurait amené sur la terre ferme ou le garder à ses côtés et tout faire pour qu'il puisse un jour intégrer le cercle ? Seth secoua la tête. Il n'en savait vraiment rien.

Pour le moment, toute son énergie était dirigée vers sa survie. Ce bateau et son navigateur étaient son dernier espoir. Il devait donc continuer de faire croire à Arwed qu'il comptait le garder, bien qu'encore indécis quant à cette décision. Il choisit donc, pour le moment, de répondre à ses questions. Il aviserait plus tard.

- Il y a, en gros, trois stades. Lorsque l'Aar a de l'énergie, il est contrôlé par sa conscience d'être humain – un peu modifiée, mais globalement la même.

- Modifiée ? répéta Arwed, avide de comprendre.

- Oui, tu vas voir. Quand tu verras des êtres humains, tu auras envie de les tuer. Le meurtre ne te semblera plus du tout mal. Le bien sera flou. Tu ne sauras plus très bien situer la limite. Et puis, en vieillissant, le monde te semblera lointain. Quand tu auras mille ans, comme moi, la vie d’autrui te semblera très insignifiante.

Arwed frissonna. Nul doute qu’il se sentait directement menacé.

- Le second stade est quand tu es en manque d'énergie. L'Aar en toi prend le contrôle. Ta conscience cesse d'exister. Cela ne se produit que lorsqu'il y a de la nourriture autour de toi. S'il n'y en a pas, alors tu passes directement au troisième stade : l'hibernation. Tu n'as plus de conscience du tout. Ton corps attend, tranquillement, en économisant au maximum l'énergie restante, jusqu'à ce qu'un pauvre type passe par là et te fasse revenir au second stade et ainsi permettre à ta conscience de revenir.

- Combien de temps un Aar peut-il tenir en hibernation avant de mourir ?

- Je n'en sais rien. Jusque là, aucun Aar n'est mort de cette façon, lui apprit Seth.

Arwed hocha la tête.

- Tu n'es pas viking, si je comprends bien.

- Les vikings n'existaient pas, il y a mille ans, répondit Seth.

- Pourquoi es-tu venu chez nous ?

- Je voulais traverser l'océan et vous êtes censés être les meilleurs marins du monde.

- Pourquoi vouloir traverser un océan ? interrogea Arwed.

- Ça serait beaucoup trop compliqué à t'expliquer, déclara Seth.

- Il y a une chose que je trouve étrange.

- Ah ? Laquelle ? interrogea Seth.

- Tu ressembles à un viking. Tu en as l'allure, les cheveux, la corpulence, les yeux.

- Les Aar ont le pouvoir de changer d'apparence à volonté.

Arwed ouvrit de grands yeux et sourit franchement. L'idée lui plaisait énormément.

- Cependant, pour en arriver là, il faut être au contrôle. Moi, ça m'a pris quatre cents ans avant d'être en mesure de contrôler les changements de mon corps.

- J'attendrai, souffla Arwed, avide de posséder un tel pouvoir.

Seth regarda le marin. Allait-il le laisser vivre assez longtemps pour qu'il en arrive là ? Il ne le savait toujours pas.

- Je… C'est étrange, cette odeur… je ne la sentais pas tout à l'heure, murmura Arwed.

- C'est parce que ton énergie vient de passer sous le seuil critique. Dans quelques secondes, tu vas perdre le contrôle. Ce que tu sens, c'est l'odeur des deux marins qui dorment dans le dortoir. Descends et va les tuer, ça te fera du bien, tu verras. Ceci dit, il ne leur reste pas beaucoup de sang, je me suis servi avant mais bon, ça sera toujours mieux que rien. Vas-y tant que tu es encore toi-même, ça sera plus agréable de le faire consciemment.

Arwed accepta et se rendit vers le milieu du pont. Il était clair que maintenant, l'idée de tuer les siens ne le répugnait plus du tout. La transformation touchait à sa fin. Son esprit se modelait pour faire disparaître toute trace d’humanité.

Arwed entra dans le dortoir et les deux hommes, minés par le manque de sang, ne s'éveillèrent pas. Arwed plongea avec un sourire complet ses dents dans la gorge de ceux qui furent ses frères de clan depuis de nombreuses années. Seth imagina sans peine son plaisir intense. Lui aussi avait adoré sa première morsure, près de Caly. Une immense nostalgie s’empara de lui. Le reverrait-il un jour ? Et si c’était le cas, que penserait-elle de lui ?

Arwed tua le second marin et son énergie restait basse. Seth douta de réussir à se sortir de ce pétrin. Il soupira et secoua la tête. Ils allaient mourir sur ce bateau, tout ça pour un défi à la con.

- Tu as raison, dit Arwed. Je crois que j'ai encore soif.

- C'est une évidence, dit Seth avant de s'approcher du premier cadavre, de plonger sa main dans sa poitrine et d'en arracher le cœur, qu'il jeta sur le sol.

Arwed regarda ça avec surprise, mais sans le moindre dégoût.

- Pourquoi as-tu…

Arwed ne termina pas sa question en constatant avec effarement le corps du marin disparaître et ne laisser derrière lui qu'un petit tas de cendres.

- Qu'est-ce que ?

- En les mordant, tu as placé en eux du venin d'Aar. Celui-là était en train de se transformer. Je l'ai tué. Fais la même chose avec l'autre car il ne tardera pas non plus. Il faut que tu saches faire cela. Tu auras beaucoup à le faire les premiers temps, en attendant que tu saches contrôler ta production de venin.

Arwed reproduisit les gestes de son aîné avec moins d'assurance mais le résultat fut le même. Les deux hommes remontèrent ensuite sur le pont et Arwed reprit la barre.

- Désormais, nous sommes seuls à bord. Si nous ne trouvons pas une terre et des hommes – ou au moins des animaux - nous sombrerons en hibernation pour très longtemps, je le crains car ces mers ne sont guère parcourues.

Arwed n'avait pas du tout envie d'errer indéfiniment sur ce bateau, à la merci des flots et d'une autre tempête.

- Que se passe-t-il si le bateau coule ? interrogea-t-il.

- Nous sombrerons en hibernation sous l'eau et la probabilité de rencontrer des humains sera inexistante. Nous resterons dans l'eau, jusqu'à la fin des temps. Nous ne serons pas morts, mais je ne suis pas sûr de voir la différence.

- Nous ne nous noierons pas ? proposa Arwed.

- Les Aar n'ont pas besoin de respirer, lui annonça Seth.

- Je respire, pourtant ! s'exclama Arwed.

- Bien sûr, pour parler, c'est nécessaire. De plus, ton corps a besoin d'air pour vivre, mais cet air n'a pas besoin de venir de tes poumons. D'abord, tu en obtiens en buvant le sang qui en est plein, et ensuite, ta peau absorbe tant l'air extérieur, que celui contenu dans l'eau. Donc, même dans l'eau, tu n'as pas besoin de respirer. Généralement, les Aar avalent et recrachent de l'eau par leurs poumons, qui sont capables, comme les branchies des poissons, de capter l'air et de vivre grâce à elle.

- C'est incroyable ! siffla Arwed, très impressionné. J'aimerais beaucoup essayer ça ! Vivre dans l'eau ! Y rester des heures entières ! Ça doit être fantastique !

- Ça l'est, dit Seth. En revanche, ça semble compromis pour toi de le connaître un jour.

- Pourquoi ? interrogea Arwed.

- Nous allons mourir sur ce bateau, maugréa Seth.

- Je ne crois pas, dit Arwed en désignant l'horizon.

Seth n'en crut d'abord pas ses yeux mais pourtant il y avait bien, entre la mer et le ciel, une terre. Lointaine, mais bien réelle.

- Comment as-tu fait ça ? s'exclama Seth, encore sous le choc.

- Ces sens surdéveloppés sont magnifiques ! J'ai écouté les oiseaux, les poissons, le chant du vent et la course du soleil, annonça Arwed et Seth n'en revint pas.

Ce jeune Aar venait de lui donner une leçon. Il venait également de lui sauver la vie.

- Espérons que ça n'est pas une île déserte, lança Arwed et Seth le souhaita également.

Lorsque le bateau toucha terre, Seth n'eut pas le temps de remercier Arwed car celui-ci disparut, hors de lui. Seth sourit. L'odeur du sang avait eu raison de ses dernières volontés. Seth suivit son nouveau compagnon et acheva ses victimes. Il en tua douze avant de s'arrêter enfin et Seth comprit qu'il ne se trouvait pas en Asie, comme il le pensait. Ces gens n'étaient pas comme les asiatiques. Ils avaient le teint mat là où les asiatiques étaient au contraire très pâles.

- Où sommes-nous ? interrogea Seth une fois qu'Arwed eut repris conscience.

- Sur nos terres ! s'exclama un homme.

Seth se tourna vers le nouvel arrivant et ses yeux s'ouvrirent grands : devant lui se tenait un Aar et cet homme ne cachait en rien sa nature. Sa température corporelle trop basse, son cœur à l'arrêt, l'absence de respiration excepté pour parler, les dents sorties, tout le désignait en temps que tel. Seth secoua la tête, trop choqué par cette découverte.

- Quel est cet endroit ? bredouilla-t-il, totalement impuissant et perdu.

N'était-il pas censé n'y avoir que neuf Aar en tout, ceux composant le cercle ? Qui étaient ces Aar ? D'où venaient-ils ? Comment se pouvait-il qu'ils existent ?

- Vous êtes sur notre territoire, annonça l'homme et Seth se demanda à qui se référait le "notre".

Cet homme n'était probablement pas seul. Pourtant, Seth ne ressentait la présence de personne d'autre. Il comprit alors qu'il était perdu. Ceux-là semblaient avoir l'habitude de chasser les Aar. Seth, lui, n'avait jamais eu qu'à tuer des Aar en train de naître, endormis, pas encore entiers. Le combat, s'il devait y en avoir un, serait rapide et clairement en sa défaveur. Il n'avait plus le choix. Il devait négocier.

- Je suis désolé, assura Seth. J'ignorais que ce territoire était le vôtre. Je vous assure. Je vais aller ailleurs.

- Vous, on s'en fout ! répliqua l'Aar. C'est lui qui va payer ! continua-t-il en désignant Arwed. Il a tué sur nos terres. Nous ne pouvons l'accepter.

Arwed regarda Seth, cherchant son aide. Seth n'avait pas encore décidé. Comptait-il le garder en vie ou non ?

- N'intervenez pas, et nous ne vous ferons rien. Votre présence sur notre territoire, tant que vous n'y chassez pas, ne nous dérange pas, continua l'Aar en parlant à Seth.

L'Aar se dirigea vers Arwed et Seth en vit deux autres sortir des arbres environnants, plus silencieux qu'un lynx et sans propager la moindre odeur. Arwed le suppliait des yeux. Seth devait faire un choix, maintenant. Cet homme lui avait sauvé la vie. Il ne lui en voulait pas de l'avoir transformé en Aar, même contre sans gré. Au contraire, Seth voyait dans son regard une formidable envie de vivre, de profiter des merveilleuses possibilités que lui offraient sa nouvelle condition. Allait-il vraiment le laisser mourir ?

Seth s'y refusa. Il se jeta sur l'Aar le plus près et lui arracha le cœur en passant au travers de sa colonne vertébrale. L'Aar se désintégra instantanément. Les deux autres réagirent au quart de tour mais fort heureusement, ce fut également le cas d'Arwed.

Le viking parvint à éviter l'attaque fulgurante en s'écartant mais fut blessé dans la manœuvre et son sang commença à se répandre. Il fut surpris de voir sa blessure se refermer en quelques secondes et sa stupeur offrit une possibilité à l'un des agresseurs.

Seth s'interposa à temps pour sauver Arwed. La réaction du troisième prit de court les deux hommes. Il appela à l'aide et elle fut au rendez-vous car une dizaine d'autres Aar apparurent.

Seth et Arwed n'eurent pas besoin de se concerter. Ils s'enfuirent mais furent poursuivis. Seth étant capable d'économiser son énergie, il parvint à courir plus aisément qu'Arwed qu'il aida à de nombreuses reprises et finalement, ils semèrent leurs agresseurs, qui durent recharger leur énergie avant eux. Cependant, tous deux le savaient, ils reprendraient bientôt la chasse.

Il fut convenu qu'il leur fallait se séparer, devenant ainsi plus difficiles à suivre. Seth convainquit Arwed de partir le premier. Arwed s'éloigna. Seth en profita pour brouiller les pistes. Il voulait sauver son petit. Plus rien d’autre ne comptait.

Seth, enfin satisfait, décida de repartir. Trop tard. Les autres l’avaient rejoint. Il parvint à tuer le premier mais le second lui arracha un bras. Il continua à se battre manchot, en tua deux autres mais finalement, son cœur lui fut arraché. Sa dernière pensée fut pour Caly. Elle le pleurerait longuement, sans aucun doute. Il espéra avoir suffisamment brouillé les pistes pour que Arwed survive. Il jeta un regard vers l’horizon et ce petit, livré à lui-même, qu'il n'éduquerait jamais. Un autre vers l'est et sa créatrice qui le pleurerait longtemps. Un profond sentiment d'injustice s'empara de lui. Il ne voulait pas mourir. Un millénaire ne lui suffisait pas. Il aurait voulu davantage…

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Peridotite
Posté le 07/01/2023
C'est triste, on assiste à la mort de Seth. Il était très lubrique étant humain ! 🙂

Et il y a d'autres Aar en Amérique, ce n'est donc pas sa faute si les vampires s'y sont multipliés comme on le croyait d'abord.

Si les vampires viennent à bout de Seth qui a mille ans, ça veut dire qu'ils sont très vieux eux-aussi ou c'est juste qu'ils sont nombreux ?

D'ailleurs qu'en est-il du fils de Chris ?

Pourquoi Y-a-t-il Félix dans le titre ? Qui est-ce ? Ai-je loupé quelque chose ?

Mes notes :

"le jeune gaulois dut lutter"
> Attention au terme gaulois qui peut être anachronique. À l'Époque, il n'y avait pas de Gaulle à proprement parler, mais un regroupement de clans, de peuples. Seuls les Romains désignaient ces peuples comme Gaulois. Pour avoir lu des bouquins d'histoire à ce sujet, je ne pense pas qu'eux-mêmes le faisaient. À vérifier...

"de partir dans un château lointain"
> Il n'y avait pas de château à ce moment-là non ? Plutôt des villas romaines. Les châteaux sont apparus après la chute de l'Empire romain

Au plaisir de lire la suite 🙂
Nathalie
Posté le 07/01/2023
1) Ils sont très nombreux
2) Ils ont l'habitude de devoir se battre entre Vampires, ce que Seth n'a jamais eu à faire
3) Seth est totalement pris par surprise
4) Peut-être que certains sont vieux parmi eux, on ne sait pas

Ah ! Le petit caché de Chris ! Mais quand va-t-on enfin en entendre parler de celui-là ? Plus tard, dans d'autres tomes. Avec cette saga, il faut savoir patienter sur certains points :)

Tu as raison. Je dois enlever Félix. On était dans sa tête dans ma première version mais plus maintenant. Je corrige :)

Merci pour tes notes. Je vais chercher pour voir si historiquement, ça se tient ou pas.
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