Chapitre 4 : Sujet

              Hétaïre Chafalos était l’aînée d’une sororité de 5 filles. Toutes avaient été conçues à partir de géniteurs différents. Il faut croire que l’échantillon qui avait donné Hétaïre provenait des Hauts de l’Europe, tandis que ses sœurs étaient issues de sujet méditerranéens. Taille, teint, cheveux, elle ne ressemblait en rien à ses cadettes, qui, en réalité, ne se ressemblaient pas tellement entre elles non plus. Sa mère, Miranda Chafalos, une petite femme replète aux jambes comme des poteaux et à la mentalité d’acier, avait également donné naissance à deux garçons, malheureusement emportés durant deux poussées de grippe virile : Niklas et Vlad n’allèrent pas au-delà de leur première et quatrième année.

              Hétaïre avait du apprendre très vite à s’occuper de quatre filles plus jeunes. Sa mère, plutôt du genre solitaire, ne souhaitait pas s’encombrer d’un co-parent pour assurer l’éducation de sa progéniture. Lorsqu’elle quitta enfin le domicile familial pour se jeter à corps perdu dans les études, Hétaïre ressentit un certain soulagement et se promit de ne plus jamais assurer l’intendance de qui que ce soit. D’où ses réticences à concevoir elle-même un enfant.

              La fonction de Testiguard était, à ce titre, un véritable calvaire. Elle pensait passer le plus clair de son temps à effectuer des recherches innovantes sur les échantillons récupérés et à potasser tranquillement les articles qu’elle avait sélectionné avec soin. Il était hors de question de mettre entièrement entre parenthèses ses recherches sur les mutations du virus.

              La réalité s’avéra bien moins stimulante, tout d’abord sur le plan scientifique. Chaque jour, elle devait collecter un échantillon de semence auprès de 735 qu’il lui tendait du bout des doigts, en détournant les yeux. Elle devait ensuite analyser l’échantillon : quantité, densité de spermatozoïdes, forme, vitalité. Les tubes rendus par 735 étaient rarement invalides, son quotient reproducteur tournant autour de 7. Une fois analysés, les échantillons étaient étiquetés et stockés dans un petit réfrigérateur situés sous la paillasse. Chaque vendredi, une Testiguard était nommée pour faire le tour des cellules et récupérer les échantillons validés et déposés dans un petit sac isotherme. Hétaïre fournissait toutes les semaines entre six et sept échantillons, ce qui était une très belle moyenne. 735 avait peu de pertes. Malgré cette satisfaction, cette unique tâche d’ordre scientifique, longue et répétitive, commença très vite à l’ennuyer.

              Quant à ses rapports avec le sujet, on pouvait difficilement faire pire. Avant d’arriver au centre, elle avait évité de songer réellement à cet aspect de la fonction. Elle avait toujours vécu loin des hommes et elle ne ressentait pas l’absence de masculin dans son existence, comme cela pouvait arriver à un grand nombre de femmes. Les hommes éveillaient sa curiosité, elle aurait aimé les fréquenter afin de découvrir une sensibilité ou des modes sociabilité différents. Il lui arrivait aussi de se demander ce que ses frères auraient pu devenir, s’ils avaient survécu.

              Mais la Grippe Virile avait mis un violent coup d’arrêt à tout partage sain entre les sexes. Au lycée, les quelques garçons étaient pris d’assaut : il était inenvisageable de les approcher lorsque l’on faisait 1m90 et que l’on souhaitait simplement avoir une conversation. Les conflits autour d’eux étaient si violents que l’on avait réintroduit la non-mixité dans certains établissement publics. Une bonne partie des garçons disparaissaient après les examens de fin de cycle secondaire : s’ils étaient fertiles, ils intégraient des programmes reproductifs contre de belles contreparties. Stériles, ils n’avaient aucun mal à trouver des compagnes qui leur assuraient une vie confortable.

              Il lui apparaissait maintenant que la contrepartie attendue par 735, lorsqu’il s’était engagé dans l’Indispensable Cohorte, était son temps à elle. Tous les jours, sans exception, il lui signalait un problème de plomberie, soit réel, soit imaginaire, sur lequel elle s’arrachait les cheveux. Puisque l’organisme de 735 devait demeurer parfaitement sain et préservé de néfastes influences chimiques, elle devait assurer l’entretien de ses appartements. Elle ne comprit jamais comme une pièce parfaitement propre la veille pouvait se retrouver dans un tel état de désordre et de saleté le lendemain. 735 ne prenait pas la peine d’utiliser des objets dont la fonction était pourtant assez évidente, tel que le panier à linge, l’armoire, ou la poubelle. Hétaïre devait par ailleurs préparer ses repas avec soin dans la kitchenette, avec les produits issus de l’agriculture biologique qu’on lui apportait tous les deux jours. Durant tous ces moments d’activité, la présence de 735 l’indisposait au plus haut point : il s’exprimait peu, souvent par monosyllabes et passait une grande partie de son temps sur son ordinateur.

              Une fois pourtant, alors qu’elle vidait, pour la énième fois le contenu du siphon de la douche de la salle de bains privative de 735, elle fut prise d’un soupçon : elle se releva, rapide comme l’éclair et alla jeter un œil dans la pièce principale. 735 se tenait droit, à proximité de la porte du sas, apparemment certain d’avoir été pris en faute. MMais de quelle faute pouvait-il s’agir ?

« Un problème ?, avait-il demandé.

- Vous savez, si vous n’aimez pas les dés de betterave, vous pouvez me le dire, plutôt que d’aller les loger dans le siphon de la douche. »

              Elle perçut, pour la première fois, l’ombre d’un rictus sur le visage de 735. Il savait qu’elle avait compris.

              Hétaïre s’ennuyait et, paradoxalement, se fatiguait davantage chaque jour. Elle ressentait un engourdissement de tout son être, cerveau compris, qui tenait à cet emploi du temps absurde, chaque jour ressemblant strictement au précédent puis au suivant. Elle avait le souvenir qu’on lui avait demandé de tenir 735 à l’œil et, d’ailleurs, elle ne lui faisait pas confiance, sentant bien qu’il cherchait régulièrement à échapper à sa surveillance, mais les risques lui paraissaient minimes. Le seul objet qui éveilla un jour sa curiosité fut le papier plié en quatre que l’on glissa dans le premier sas, alors qu’elle changeait de combinaison. Intriguée elle s’en saisit, le déplia et lut : « On attend un rendez-vous. N. » Il ne lui vint à l’esprit d’ouvrir la porte de la cellule pour inspecter le couloir que bien après, ce qui la conforta dans l’idée que son cerveau s’était ralenti. Elle supposa que ce message devait être adressé à celle qui l’avait précédée ; cela ne faisait que quelques semaines qu’elle l’avait remplacée. Peut-être que l’ancienne Testiguard entretenait une relation amoureuse avec quelqu’un du Centre ? Tout pour tromper l’ennui, Hétaïre ne l’aurait jamais jugée. Quelques jours plus tard, elle trouva un nouveau message, au même endroit, sur lequel figurait simplement un point d’interrogation et une signature « N. » Puis, plus rien. N. avait du prendre ses renseignements.

              Cette distraction était bien maigre. Plus les jours passaient, plus son ennui l’exaspérait. 735 semblait prendre un malin plaisir à cultiver ses prédispositions au chaos. Ce fut le comble lorsqu’il lui demanda de retirer la souris d’ordinateur qu’il avait malencontreusement fait tomber dans les toilettes. Elle s’acquit de sa tâche sans un mot, se saisit ensuite de l’échantillon du jour qui trônait dans une mare de café sur le bureau de 735 et se refugia dans son laboratoire sans desserrer les dents. Dans un brouillard de fureur et de haine, elle effectua ses analyses, mais aurait été bien incapable de se souvenir des résultats. Aussi ne fut elle pas étonnée, quand, le vendredi suivant, Mildred, la Testiguard en charge de la collecte, lui fit remarquer qu’il manquait un tube. La liste fournie et le nombre d’échantillons ne concordaient pas.

              « C’est un peu gros, dit-elle d’un air soupçonneux à Hétaïre, dans l’encadrement de la porte du sas qui donnait sur l’unique couloir du centre.

- Je te jure que je ne sais pas où est passé cet échantillon, j’ai du me tromper quelque part.

- Bon, ajouta Mildred en baissant la voix, je n’ai qu’à rayer l’échantillon manquant sur la liste. Sois plus maline la prochaine fois », ajouta-t-elle en lui jetant un rapide clin d’œil.

              Hétaïre n’était pas sûre de bien comprendre. Visiblement Mildred pensait qu’elle avait garder un échantillon pour elle. Mais dans quel but ? Il lui était impossible de lui faire quitter le Centre qui plus est. La fatigue pesante qui la poursuivait la conduisit à cesser de se poser des questions dont elle ne pouvait obtenir la réponse sans risquer de se mettre elle-même en difficulté. Cet endroit ne faisait décidément par ressortir le meilleur d’elle-même.  

             

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Flammy
Posté le 27/12/2020
La vie semble vraiment pas cool x) Très clairement, 735 prend un malin plaisir à servir de sa Testiguard comme d'un esclave, et elle a bien du mérite de pas l'envoyer bouler x)

Sinon, pour le traitement des garçons, je suis surprise qu'ils soient laissés à leur famille et aille à l'école. J'aurai cru qu'ils soient justement "confisqués" pour être surprotégés contre la grippe et éviter les morts précoces.

En tout cas, très clairement, il se passe des trucs pas net dans le laboratoire, je suis curieuse d'en apprendre plus !

Juste une faute de frape :

"MMais de quelle faute pouvait-il s’agir ?"
Sklaërenn
Posté le 25/12/2020
Humm, elle à l'air de s'enterrer dans la routine. Je pense bien que ça ne va pas durer, mais 735 n'aide pas à rendre son quotidien plus facile. Bon faut dire que ça doit pas être très drôle non plus pour lui.
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