Chapitre 4 - Oriana - Contournement

À peine lâchée, elle se retourna pour constater que la femme qui la tenait cédait la place à Baptiste. Oriana se recula doucement, faisant un pas en arrière à chaque fois qu’il s’avançait vers elle.

- Ramenez-moi dehors, ordonna-t-elle.

- Tu veux dire vers les humains qui veulent te découper en petits morceaux pour t’étudier ? répliqua Baptiste. J’ai déjà perdu une de mes créations entre les mains de mes ennemis. Quand je l’ai retrouvée, je peux t’assurer que le résultat n’était pas beau à voir. Ils l’avaient torturée, la pauvre, enfoncé une aiguille dans l’œil, prélevé quelques organes et même un peu de moelle épinière, le tout sans anesthésie. Tu n’as pas envie de te retrouver auprès d’eux. Tu as bien fait de m’appeler à l’aide.

- Rendez-moi ma liberté, gronda Oriana.

- Je ne peux pas offrir à mes ennemis la possibilité d’étudier une de mes créations, répéta Baptiste. Mes recherches me coûtent énormément. Il est inconcevable qu’ils en reçoivent les résultats sur un plateau d’argent.

Oriana recula toujours, Baptiste avançant doucement vers elle.

- Tu as subi un sacré choc, dit Baptiste. Laisse-moi t’examiner.

- Je suis capable de réaliser une palpation moi-même et je peux vous assurer que tous mes organes sont à leur place.

- Permets que je m’en assure moi-même.

- Non ! s’opposa Oriana.

Le mur n’était plus très loin. Bientôt, Oriana ne pourrait plus reculer et la distance entre le maître des lieux et elle s’amenuiserait. Oriana ne le supporterait pas. Elle voulait partir, maintenant. Elle ne voulait pas revenir à la Clinique, l’enfer maquillé en paradis.

- Laissez-moi partir, Baptiste.

Le ton se voulait autoritaire. Il fut davantage apeuré et suppliant.

- Non, répondit-il fermement. Laisse-moi vérifier que tu te portes bien. Tu t’es pris un bus. On t’a retiré tes reins, ta rate, ton foie et on t’a pris une énorme quantité de sang.

- Je vais très bien, grogna Oriana et son dos toucha le mur.

L’animal prit le dessus. Elle se sentait prise au piège. Sa réaction fut de tenter une sortie, quitte à devoir repousser physiquement le maître des lieux lui bloquant l’accès à la liberté.

À l’instant où ses mains allaient toucher Baptiste, Oriana fut happée et plaquée au mur. Une profonde terreur s’empara d’elle.

- Tu as osé tenter de poser la main sur moi, de t’opposer physiquement à moi, de me frapper ?

- Non, non ! Baptiste ! Je voulais juste… Je vous en prie… J’ai peur. Je veux partir.

- Fred ! Entraves !

- Non ! Non ! Pas ça, non ! hurla Oriana en tentant cette fois d’échapper à sa poigne.

Elle ne le frappa pas, tentant simplement de se soustraire à sa prise mais rien n’y fit. Il la tenait bien. Oriana sentit que ses poignets seraient couverts de bleus tellement elle luttait mais il maintenait fermement.

- Besoin d’aide ? proposa Fred qui tendait les objets à Baptiste.

- Je suis capable de la maîtriser seul ! gronda-t-il en retour, comme outré que son collaborateur puisse penser le contraire.

Il plaqua un bras contre sa gorge et de sa main libre, enroula le poignet droit d’Oriana dans une première entrave. Oriana tenta de l’en empêcher, usant de sa main gauche pour contourner Baptiste par le dos mais ce fut vain. Il tira sa prisonnière et colla l’entrave placée sur la barre à droite du lit ce qui obligea Oriana à se pencher par dessus le matelas. Elle entendit un « clic » et son poignet se refusa à se décoller du montant.

Il attrapa sa main gauche et Oriana le laissa faire, consciente de sa défaite. La seconde entrave fut liée sans qu’Oriana n’ait esquissé le moindre geste de défense.

- Allonge-toi ! ordonna Baptiste d’une voix ferme. Monte sur le lit !

- Non, gémit Oriana, les larmes aux yeux.

Il lui plia le bras gauche dans le dos et amena son épaule au bord de la rupture.

- Monte ! répéta-t-il.

L’os sur le point de se briser, Oriana obéit en haletant. Son bras gauche dégagé se posa sur le montant et d’un geste rapide, Baptiste fit venir le « clic » et Oriana se retrouva immobilisée mais surtout vulnérable. Désormais, elle ne pourrait plus rien contre lui.

Elle l’observa ouvrir un collier, dit un petit « non » en gémissant mais laissa Baptiste le passer autour de son cou. D’un geste brutal, il la plaqua contre le lit et le collier se lia au lit. Les chevilles suivirent rapidement.

- Baptiste, je vous en prie ! S’il vous plaît !

Sans un mot, il mit ses mains sur son ventre et commença à palper. Cette fois, il n’avait pas prévenu. Il le faisait toujours avant. Oriana comprit qu’il était très en colère.

- Les reins sont en place, de taille normale et fonctionnent.

Oriana aurait volontiers dit « Je vous l’avais dit » mais choisit prudemment de ne rien dire. Elle était attachée et à la merci de ce salopard, mieux valait faire profil bas.

- La rate se porte bien. Le foie n’est qu’à 75 % de son volume initial mais nul doute qu’il aura repris sa taille normale d’ici la fin de la journée.

Le foie, pas entier ? Oriana ne s’en était pas rendue compte. Il fallait dire qu’elle avait vérifié très rapidement.

- Et oh ! Ça, c’est inattendu.

Baptiste palpa en appuyant plus fort. Il manipulait sa vessie et son utérus, Oriana en était certaine.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Oriana, terrifiée à l’idée qu’il ait pu trouver quelque chose de grave.

- Le moment est idéal ! annonça Baptiste. Fred, apporte-moi BX1.

- Non, dit Fred en entrant dans la salle.

Baptiste lui lança un regard noir. Visiblement, qu’un de ses collaborateurs s’oppose à lui ne lui convenait pas du tout.

- Elle vient de dehors ! expliqua Fred. Elle est impure. Si l’expérience échoue, on ne saura jamais si c’est de la faute de BX1 ou de son corps rempli de polluants !

Baptiste grimaça. Oriana comprit que l’argument en face avait fait mouche.

- Je préfère attendre, en conclut Fred.

- Et laisser passer une telle opportunité ? Son organisme est remarquable. Si ça se trouve, il évacue les polluants lui-même.

Fred lui envoya un regard signifiant « Tu la crois vraiment celle-là ? ». Baptiste plissa les yeux puis son regard tomba sur Oriana. Elle sut instantanément que c’était mauvais.

- Il suffit de vérifier, indiqua Baptiste.

- Maintenant ? répliqua Fred inquiet.

Baptiste haussa les épaules et Fred sourit puis s’inclina sans perdre son immense sourire. Baptiste détacha d’un « clic » la main droite d’Oriana. La jeune femme, perdue, n’en profita pas pour tenter quoi que ce soit. Elle ne comprenait rien à ce qui se passait, ce qui la figeait. Son esprit tentait d’assembler les pièces dans un ensemble cohérent mais le puzzle refusait de se monter.

Baptiste monta fermement le bras d’Oriana jusqu’à sa bouche et ses lèvres touchèrent la peau.

Oriana en fut certaine : la mort venait de la toucher. La douleur la fit hurler mais son esprit était apaisé. Cette mort, elle l’avait déjà bravée à deux reprises. S’offrir à elle ne la dérangeait pas. Peut-être même était-ce mieux que cet enfer déguisé en paradis. Elle avait eu l’immense chance de connaître, pendant deux ans, le luxe, la vie de château, les fêtes. Elle avait, à son niveau, tenté d’aider un maximum de gens. Elle ne craignait pas de passer de l’autre côté. Elle ne se débattit pas contre le baiser mortel. Elle l’accepta, prête à s’éloigner, à quitter ce monde impitoyable.

Le bras fut remis sur le lit et le « clic » retentit. Baptiste et Fred parlèrent mais Oriana ne les entendait pas. Elle ne comprenait pas. Pourquoi n’était-elle pas morte ? C’était impossible. La proximité avec l’autre monde avait été tellement prégnante. Elle ne pouvait pas avoir encore échappé à son appel.

Oriana se rendit compte de ce qui l’entourait. Elle n’était pas dans les limbes mais dans sa chambre à la clinique. Fred avait disparu. Baptiste était là mais figé. Il semblait ne pas respirer ni cligner des yeux. Il était parfaitement immobile, les bras le long du corps. Pourtant, quelque chose, dans son regard l’annonçait en pleine réflexion. Oriana eut la sensation qu’il communiquait mais d’une manière inconnue d’elle. Était-il doué de télépathie ?

Fred apparut et Baptiste s’anima, comme un automate qu’on viendrait juste de remonter mais dans un mouvement fluide et gracieux. Oriana se demanda un instant si elle n’avait pas imaginé cette immobilité. Baptiste plaça sa main dans la boîte tendue par Fred tout en contrôlant son souffle. Visiblement, ce qu’il faisait requérait un sacré maintien de soi car Fred l’observait avec inquiétude.

Baptiste rouvrit les yeux et hocha doucement la tête en retirant sa main. Baptiste se tourna vers Oriana qui ne constata rien de particulier sur sa main droite. En revanche, qu’il s’intéresse de nouveau à elle ne lui plaisait pas du tout. Fred resta dans la pièce tandis que Baptiste passait sa main sous le débardeur d’Oriana.

Pas de « Je vais faire ça ». Rien. Il la méprisait, lui montrant ainsi sa colère. Oriana en eut les larmes aux yeux. Se mettre à dos le maître des lieux n’était clairement pas la meilleure chose à faire mais qu’y pouvait-elle ? Elle était terrorisée ! Elle avait juste essayé de s’enfuir. Elle avait tellement peur !

Fred enfonça une petite aiguille dans le pli du coude du bras gauche d’Oriana, y plaça une sonde auquel il fixa un tuyau menant à une poche remplie d’un liquide transparent accroché à un bras. Oriana s’en rendit à peine compte, trop obnubilée par les actes du maître des lieux à sa droite.

La main de Baptiste passa sous le pantalon d’Oriana puis glissa le long de la peau jusqu’à l’entrejambe offert. Oriana, immobilisée par les entraves, ne pouvait pas l’en empêcher.

- Baptiste ? lança Oriana, soudain terrorisée.

Elle sentit le doigt forcer l’ouverture.

- Non ! Non ! Baptiste !

Le viol se fit seulement dans les suppliques d’Oriana.

- L’implantation est un succès, annonça Baptiste alors qu’il retirait sa main.

- L’implantation ? répéta Oriana. Oh non ! Baptiste, non ! Vous n’avez pas ! Non !

Oriana tenta de se défaire de ses liens mais ce fut vain et la chambre se vida en quelques instants, la laissant seule dans sa souffrance. Ce salopard venait de lui placer un autre bébé dans le ventre. Elle n’en revenait pas. Cette fois, aucun contrat ne la liait au savant fou. Il allait pouvoir lui faire ce qu’il voulait. Elle n’était plus protégée par rien.

Il aimait à répéter qu’il respectait ses engagements et Oriana avait tendance à le croire. Il y mettait en effet beaucoup d’énergie. Maintenant qu’elle était à lui, toute à lui, jusqu’où irait-il ? Qu’allait-il lui faire ? La mettre enceinte chaque année et lui sauver la vie à chaque accouchement ? Elle comprit qu’à ses yeux, elle n’était que cela : un incubateur.

La question n’était plus de savoir s’il allait l’utiliser. Il le ferait de toute façon. Oriana, désormais, comprit que la manière importait bien davantage. Pour Baptiste, qu’elle passe sa grossesse attachée sur le lit sous perfusion ou libre à déguster la délicieuse nourriture de la Clinique n’avait aucune importance. L’un comme l’autre lui convenait, tant que son précieux bébé se portait bien.

Oriana ne put toutefois s’abandonner. L’animal en elle grondait, ne pouvait imaginer rendre les armes. Elle lutta contre ses liens, cria, hurla, pleura, seule dans cette chambre d’un lieu où personne ne viendrait jamais l’aider. Fred revint pour changer la poche. Il n’eut aucun regard pour Oriana qui ne lui adressa pas la parole.

Lorsqu’elle eut envie d’uriner, elle fit sur elle, se disant qu’ainsi, le personnel serait obligé de la détacher pour changer les draps. Elle en profiterait pour tenter de s’enfuir. Baptiste ne s’occuperait certainement pas de cela et elle ne risquait donc pas de s’opposer à lui physiquement.

Les collaborateurs de Baptiste attendirent le soir et deux pipis pour apparaître, en nombre, dans la chambre. Pas moins de cinq hommes venaient s’occuper d’Oriana. Elle en trembla. Ils s’attendaient à sa réponse. Oriana, sachant reconnaître la défaite, mit fin à sa volonté de se rebeller.

Les hommes sortirent des ciseaux à bouts ronds de leur blouse et entreprirent de découper avec célérité les vêtements d’Oriana. En moins d’une minute, elle fut nue et les lambeaux de ses habits trouvèrent leur place dans une poubelle. Oriana ne supplia pas, ne se plaignit, ne demanda pas grâce. Elle ne les insulta pas, ne grogna pas, ne les provoqua pas. Elle gémit d’inconfort mais consciente de sa position, ne dit rien.

Ils ne regardèrent pas son corps nu, ne firent aucune réflexion. Ils étaient là pour nettoyer la chambre et le faisaient avec un détachement remarquable. Ils détachèrent Oriana qui, une fois libre, ne bougea pas, trop effrayée désormais pour tenter quoi que ce soit.

- Debout ! ordonna l’un d’eux.

Première fois qu’ils lui adressaient la parole. Elle obtempéra et ils la poussèrent fermement mais sans brutalité excessive dans la salle d’eau voisine. L’un d’eux prit le pommeau, régla la température et la couvrit d’eau glacée. Oriana hurla et se recroquevilla en tremblant.

- Tourne-toi ! ordonna le porteur d’eau.

Elle obéit et se laissa recouvrir d’eau glacée. Un gant de toilette la savonna, n’omettant aucune zone, sans mouvement particulier sur les zones érogènes. Il s’agissait seulement de la laver. Le personnel ne profita pas du tout de la situation.

L’eau glacée la rinça puis une serviette habile la sécha tandis qu’Oriana, choquée, ne bougeait ni ne parlait.

- Rallonge-toi !

Elle obtempéra. Elle ne lutta pas contre les cinq hommes qui lui remirent les entraves en place avant de s’en aller, la laissant immobilisée et nue sur son lit. Oriana pleura, sanglota et gémit puis finit par s’endormir, harassée.

Le lendemain, seul Fred réalisa quelques incursions dans la chambre pour changer la poche de liquide nourrisseur. Oriana commençait à avoir mal à l’estomac. Certes, elle était nourrie mais son estomac vide lui envoyait de sérieuses crampes. Le soir, les cinq hommes revinrent pour la laver de nouveau.

- Puis-je d’abord me vider les intestins dans les toilettes, s’il vous plaît ?

Le porteur d’eau, prêt à la mouiller, hocha doucement la tête. Sous leurs regards acérés, elle put se libérer, ce qu’elle n’avait pas pu faire allongée, trop honteuse à l’idée d’être retrouvée baignant dans sa propre merde. Elle fut ensuite lavée, séchée et rattachée.

Oriana compta cinq jours avant que Baptiste ne réapparaisse, cinq jours seule, à pleurer, à gémir, à sangloter, cinq jours de douche froide, sans manger ni boire, nourrie par intraveineuse et interdite de mouvement. Alors que le maître des lieux, lui aussi visiblement peu intéressé par le corps nu offert, palpait habilement le ventre de sa patiente, Oriana se lança :

- Je suis désolée, Baptiste. Je n’aurais pas dû tenter de m’en prendre à vous.

Le maître des lieux se tourna vers elle et la fixa dans les yeux. Qu’il proposât un contact visuel prouvait qu’Oriana allait dans le bon sens. S’il lui adressait la parole, c’était qu’Oriana avait réussi à se faire pardonner.

- Je vous en supplie, pardonnez-moi. Je ne le referai plus, je vous le promets. Je serai sage. Je ferai tout ce que vous me direz.

- Mes collaborateurs m’ont indiqué que tu coopérais, en effet.

Oriana en aurait hurlé de joie.

- Je n’ai toutefois pas confiance, continua-t-il, plongeant Oriana dans des abîmes de désespoir. Tu as des tendances suicidaires et tu pourrais également t’en prendre au bébé.

- Je vous jure que je ne ferai rien de tel ! Je prendrai soin de moi. Je suivrai vos indications à la lettre. Je ne ferai rien contre votre création !

Baptiste, qui avait retiré ses mains du ventre d’Oriana, ayant terminé son examen, fronça les sourcils. Il détacha la main droite d’Oriana puis annonça :

- C’est la seule petite liberté que je t’accorde pour l’instant.

- Je vous remercie, répondit sincèrement Oriana.

Elle allait enfin pouvoir se gratter, se frotter les yeux, retirer les cheveux qui collaient sur son front. Avec sa main libre, elle pourrait, en théorie, retirer les autres entraves. Elle n’en ferait rien. Baptiste la souhaitait entravée. Elle ne s’opposerait pas à sa décision. Alors qu’il faisait un pas pour s’éloigner, Oriana lui lança :

- Baptiste, ce n’est pas votre vrai nom, n’est-ce pas ?

Curieux, il se tourna vers elle.

- Comment ça ?

- Vous vous appelez Lucifer, en réalité.

Il pouvait empêcher les gens de mourir et tuait sans vergogne. Son baiser mortel, sa capacité à communiquer d’esprit à esprit ou à rester immobile, son incroyable intelligence et cette terreur qui l’avait saisie lorsqu’elle avait tenté de s’opposer à lui. Il était le maître des enfers, ça ne faisait aucun doute.

- C’est intéressant, annonça-t-il en souriant.

Oriana lui lança un regard interloqué.

- Mon frère est vénéré tel un Dieu et il déteste ça, lança Baptiste.

Oriana ne fut pas certaine d’avoir bien compris la phrase.

- C’est la première fois qu’on m’assimile au Diable, précisa Baptiste.

Il réfléchit et Oriana ne le coupa pas dans ses pensées.

- J’aime assez, conclut-il avait de sortir dans le couloir, un grand sourire sur les lèvres.

Oriana en fut maintenant certaine : ce type était fou. Elle était aux mains d’un dégénéré mental plein aux as. C’était pire que tout. Elle allait devoir la jouer fine pour réussir à lui échapper. D’abord, obtenir le droit de liberté au sein de la Clinique, quitte à devoir ramper. Endormir la méfiance. Créer la confiance. Se soumettre mais en gardant les yeux ouverts à toute opportunité. Naturellement, son adversaire ne se laisserait pas faire. Il s’agissait de prendre son temps sans attendre trop non plus. Il était hors de question qu’elle soit toujours là dans un an. Elle comptait bien être loin avant.

Oriana ne toucha pas à ses entraves, restant sagement dans son lit même si sa main droite libre lui aurait permis de se lever. Elle s’urina dessus lorsqu’elle eut envie. Fred ne lui adressa toujours pas la parole lorsqu’il vint changer la poche.

Le soir venu, un seul personnel entra dans la chambre. Ils testaient sa coopération. Oriana comptait bien entrer dans leur jeu et se montrer totalement collaborative.

- Détache-toi, ordonna-t-il d’une voix sèche.

Il semblait très contrarié de devoir se trouver là. Oriana obtempéra.

- Retire la perfusion puis va te laver.

Il ne la suivit pas dans la salle de bain, lui permettant de choisir la température de l’eau. Quel bonheur de retrouver la chaleur ! Elle se dépêcha malgré le plaisir afin de ne pas faire patienter de trop le personnel. Lorsqu’elle revint dans la chambre, il terminait tout juste de faire le lit.

Elle avait laissé la serviette dans la salle de bain, ne sachant pas s’il accepterait qu’elle cache sa nudité dedans.

- Habille-toi, ordonna-t-il.

Oriana ne se le fit pas dire deux fois. Elle attrapa une robe légère – il faisait chaud – et une culotte, qu’elle passa rapidement.

- Remonte sur le lit et rattache-toi.

Ils testaient vraiment son obéissance. Oriana obéit sans piper mot ni gémir. Elle tenait à se montrer totalement coopérative. Elle commença par les chevilles puis le cou mais le collier lui résistait. Pas moyen de l’attacher. Beau joueur, le personnel vint l’aider. Il boucla également la main gauche et remit la perfusion en place.

- Merci beaucoup, dit Oriana d’une voix douce.

Il ne répondit rien, ne lui accorda pas même un regard. Il disparut rapidement dans le couloir.

Pendant une semaine entière, Oriana resta ainsi, appréciant finalement son seul bras libre, sa robe légère et sa douche chaude, ses privilèges durement acquis. Elle était consciente qu’à la moindre incartade, ils lui seraient retirés alors elle prenait garde à bien obéir consciencieusement.

Baptiste revint faire son examen hebdomadaire.

- Bonjour Oriana.

- Bonjour Baptiste, répondit-elle poliment, trop heureuse qu’il lui parle.

- Je vais mettre mes mains sur ton ventre.

Oriana sourit. Qu’il la prévienne était la preuve d’un énorme pas vers le pardon. La palpation terminée, Baptiste se tourna vers Oriana, la transperça des yeux, secoua la tête puis commença à s’éloigner.

- Accepteriez-vous de me détacher ? demanda doucement Oriana, de la voix la plus humble et soumise qu’elle put prendre. Je ferai tout ce que vous me demanderez.

Baptiste tiqua et se tourna vers Oriana pour secouer encore négativement la tête.

- Bien sûr, dit Oriana, comme vous voulez.

Baptiste quitta la pièce sans un mot supplémentaire. Oriana allait devoir se montrer encore plus patiente. Son estomac douloureux la lançait. Cette douleur-là était très difficile à supporter. Elle grimaça mais se garda bien de toute remarque. Elle accepta son sort.

Toute la semaine, Oriana fut coopérative et pourtant, malgré des supplications bien plus profondes – la jeune femme avait eu toute la semaine pour y réfléchir – il refusa de nouveau une amélioration des conditions de détention de sa prisonnière. Oriana commença à se demander si Baptiste la libérerait jamais. Sentait-il qu’elle bluffait ? Qu’elle ne collaborait que pour endormir le personnel et ainsi mieux chercher un moyen de s’enfuir ?

Baptiste avait eu beau nier être le diable, il n’en possédait pas moins de redoutables qualités. Il semblait télépathe. Pouvait-il lire ses desseins dans ses pensées ? Si cela était le cas, il aurait refusé de libérer sa main droite. Non, il ne savait pas. Il se montrait juste prudent. Oriana lui accorda ce droit. Sa méfiance était compréhensible.

- Baptiste ? Qu’est-ce qui vous tarabuste à mon propos ? demanda Oriana, mettant ainsi les pieds dans le plat.

Il soupira, la regarda dans les yeux puis annonça :

- Je t’ignorais suicidaire. C’est un défaut majeur.

- Suicidaire ? répéta Oriana, abasourdie. Qu’est-ce qui vous faire croire que c’est le cas ?

Baptiste plissa les yeux. Apparemment, il ne comptait pas lui dévoiler la cause de ses craintes.

- Je n’ai pas peur de la mort et je l’accueillerai volontiers quand elle se présentera mais je ne la recherche pas, assura Oriana et c’était la pure vérité.

Baptiste fronça les sourcils. Il ne la croyait pas, c’était une évidence.

- Vous avez peur que je me laisse mourir le jour de l’accouchement ? supposa Oriana. Je vous jure que non. Je n’accepterai toujours pas l’hypnose car je veux être présente pour lutter avec vous contre la mort.

Le visage de Baptiste se détendit considérablement. Son regard se fit plus doux. Il respira profondément puis annonça :

- Soit. Détache-toi.

Oriana le fit avec lenteur, espérant cacher son impatience qui ne pouvait pas passer inaperçue et qui, de toute manière, était évidente et normale.

- Debout, devant moi, les mains dans le dos.

Elle se positionna comme demandé.

- Regarde-moi, ordonna-t-il alors qu’elle baissait humblement les yeux.

Elle monta son regard de manière à croiser celui de son interlocuteur.

- Tes obligations sont les suivantes, commença Baptiste. Trois repas complets par jour.

Il accompagna ses paroles d’un mouvement de la main levant trois doigts. Oriana hocha la tête.

- Trois gourdes d’eau entière par jour, continua-t-il. Trois cycles de sommeil complets par jour – soit 9 heures. Trois heures d’activités sportives quotidiennes. Cela peut être de la piscine, mais aussi de la marche, ou du pédalo ou de la planche à voile.

Oriana ouvrit de grands yeux surpris.

- Oui, il y a des nouveautés depuis ta dernière venue. Il y a un lac maintenant, avec un parcours de ski nautique, des bateaux, mais aussi des canards, des cygnes et même des endroits où pêcher. Je ne considère pas la pêche comme une activité sportive, précisa-t-il et la remarque fit sourire Oriana.

Un étang ! Ouah ! Baptiste mettait vraiment le paquet !

- Il y a également une ferme, à une heure de marche au nord, où tu pourras t’occuper de vaches, de cochons, de poules, de lapins ou de moutons. Entre les bâtiments C et D, un potager a été ajouté et tu constateras un peu partout la présence de bosquets fleuris. Les pensionnaires ont le droit de s’en occuper et de créer à leur convenance. S’occuper des plantes ou des animaux est considéré comme une activité physique.

- D’accord, dit Oriana, épatée.

L’enfer améliorait son déguisement.

- Il y a des pommiers rouges ? demanda Oriana, un rien taquine.

- Oui, répondit-il sobrement.

Il n’avait pas saisi l’allusion. Tant pis. Oriana en rit seule.

- Et naturellement, interdiction de t’en prendre à quiconque, que ça soit mes collaborateurs, moi, toi, le bébé que tu portes, une autre pensionnaire ou l’enfant qu’elles portent.

- Bien sûr, Baptiste, assura Oriana en redevant grave.

- Tu rappliques dès que je te sonne.

- Oui, Baptiste, dit humblement Oriana.

Il la transperça du regard. Il ne semblait pas rassuré du tout. Il grimaça puis s’avança. Oriana se poussa en baissant humblement les yeux pour le laisser passer. Il disparut dans le couloir sans un mot supplémentaire.

- Suicidaire ? murmura Oriana dès qu’il fut parti.

D’où avait-il bien pu tirer une telle idée ? Oriana ne comprenait pas. Il ne craignait pas qu’elle tente de s’enfuir mais qu’elle mette fin à ses jours. Oriana en fut totalement déboussolée. Laquelle de ses attitudes avait pu amener Baptiste à une telle conclusion ? Oriana se promit d’y réfléchir. En attendant, elle comptait bien donner à cet estomac vide et plein de crampes ce dont il avait besoin.

Le repas terminé, Oriana se sentait bien mieux. Elle réfléchit puis décida d’aller visiter le lac. Elle n’avait pas la moindre idée d’où il se trouvait. Elle se promena dans la Clinique, cherchant un magasin en particulier. Elle ignorait totalement sa localisation. Elle erra donc au hasard. Et tandis qu’elle tournait à une nouvelle intersection, l’évènement attendu se produisit.

- Tu es perdue ? demanda Bryan. Puis-je…

- Ah non ! s’exclama Oriana feignant la colère. C’est déjà assez dur comme ça mais là, ça dépasse les bornes. Je ne suis pas une putain de pensionnaire de la Clinique. Je suis prisonnière, pas volontaire. Je n’ai pas passé une saloperie de marché pour revenir. On m’a forcée. T’es bien gentil mais non.

- Je veux juste…

- Non Bryan ! Fiche-moi la paix. Je suis capable de me débrouiller toute seule. On m’a déjà retiré mon libre-arbitre. Je refuse qu’on me prenne en plus mes compétences mentales. Je ne suis pas une attardée. Si je me perds, tant pis. Je dois dormir neuf heures par jour mais je ne suis pas obligée de le faire dans ma chambre non plus. Si je ne sais pas rentrer, je dormirai à la belle étoile. Tiens, d’ailleurs, je vais le faire. Après tout, il ne pleut jamais en enfer alors autant en profiter.

- En enfer ? répéta Bryan.

- Ta gueule ! Putain ! T’as pas compris ! Dégage ! Je ne veux pas de toi. Si je parle à voix haute, c’est que je me parle à moi-même, comme n’importe quelle personne normalement constituée. Si je peste que je suis perdue, cela ne veut pas dire que je veux qu’on me remette dans le droit chemin. J’ai juste envie de ronchonner et j’aimerais qu’on ne me prenne pas ce droit. Va-t-en, Bryan. Lâche-moi la grappe. Je ne veux pas de toi.

Le silence lui répondit. Elle espéra que l’IA avait bien enregistré sa demande et cesserait de s’intéresser à elle. Ainsi, elle pourrait se déplacer sans traceur et agir en toute discrétion, enfin l’espérait-elle.

Oriana continua sa promenade dans la Clinique, se rendant compte qu’elle ne l’avait en fait jamais réellement visitée, se contentant globalement d’aller de sa chambre à la bibliothèque et inversement. Elle découvrit de multiples bâtiments. Elle dîna dans un autre complexe que celui où se trouvait sa chambre.

Fatiguée, elle tenta d’ouvrir une chambre et la porte s’ouvrit. En souriant, Oriana s’installa dans ce lit disponible et s’endormit. Le lendemain, elle prit son petit-déjeuner au même restaurant que son dîner puis reprit sa visite, enregistrant aisément les lieux.

Ce fut en milieu de matinée qu’elle trouva ce qu’elle cherchait. Dans la boutique, elle récupéra une tablette qu’elle alluma.

- Quelles applications souhaites-tu voir… commença Bryan.

- Non, non, non ! Bryan ! Fiche-moi la paix ! hurla Oriana sous le regard curieux d’une autre pensionnaire. Vraiment ! Ne t’occupe pas de moi. Je ne suis pas une enfant qu’on materne. Je suis déjà pieds et poings liés. Ne me prive pas de cette dernière petite once de liberté.

- D’accord, dit Bryan. Excuse-moi. Je ne voulais pas te blesser. Je n’interagirai plus avec toi.

Si seulement, pensa Oriana. Elle alluma la tablette tout en marchant pour sortir et y trouva un plan de la Clinique. Voilà de quoi se passer de Bryan. Cette tablette, elle pourrait la contrôler. Elle y mettrait ce qu’elle voulait. Elle choisirait. Personne ne lui imposerait. C’était parfait.

Oriana avait très envie de s’occuper du potager. Elle y rencontra trois femmes avec qui elle se lia d’amitié. Elle respecta à la lettre les recommandations de Baptiste.

- Oriana ?

Elle leva les yeux pour découvrir Baptiste, au milieu du potager de tomates. Sa présence ici était surprenante et très inhabituelle. Cela présageait un problème.

- Bonjour Baptiste. Que puis-je pour vous ?

- Tu viens de rater un rendez-vous, indiqua-t-il. Peut-être aurais-tu dû conserver Bryan, après tout.

- Un rendez-vous ? répéta Oriana abasourdie. Avec qui ?

- Ta psy, indiqua Baptiste.

- Ma… psy ? s’exclama Oriana qui hésitait entre rire et pleurer. Parce que vous croyez vraiment que parler une heure par semaine avec votre collaboratrice va me permettre de mieux accepter ma détention ? Ou le fait que vous ayez mis un bébé dans mon ventre contre ma volonté ? Que je ne sortirai jamais d’ici ? Que je ne reverrai jamais les miens ? Que mes confrères ont tenté de s’en prendre à moi ? Et je pourrais continuer longtemps comme ça.

Baptiste grimaça en penchant la tête, signe qu’il admettait qu’elle n’avait pas tort.

- Honnêtement, Baptiste, je préfère le silence des légumes. Eux au moins ne cherchent pas à me faire du mal.

- Je ne cherche pas à te faire du mal, répliqua Baptiste en insistant sur le « Je ».

- Vous craignez toujours que je me suicide ? s’exclama Oriana. Mais enfin, Baptiste, qu’ai-je fait pour induire une telle conclusion de votre part ? C’est parce que je vous ai appelé à l’aide ?

- Non, répliqua Baptiste. Si j’étais méchant, je dirais que tu m’as appelé parce que tu es masochiste.

Oriana lui envoya un regard noir.

- Mais comme je suis gentil, je dirais que tu étais désespérée.

Oriana le transperça des yeux. Ça oui, elle l’était.

- Alors quoi ? Laquelle de mes attitudes a pu vous laisser croire que je voulais mourir ?

Baptiste la déshabilla des yeux puis fronça les sourcils.

- C’est moi. J’ai mal interprété, c’est tout.

- Ça vous arrive de vous tromper ? lança Oriana, taquine.

- Cela arrive même aux meilleurs, répondit Baptiste en souriant, preuve qu’il avait bien pris la pique.

- Avez-vous trouvé pourquoi j’ai survécu à mon accouchement ?

- Oui, lui apprit Baptiste. Il y a eu transfert génétique entre le bébé et toi. Cela arrive parfois, plus souvent entre un virus et son hôte, je l’admets.

- Je suis génétiquement modifiée, super. Quel soulagement ! ironisa Oriana.

Baptiste, repérant le sarcasme, ne répondit rien.

- Rassurez-moi : je suis toujours humaine ?

- Si tu me demandes si tu es toujours compatible avec un être humain, alors oui. Mais ta capacité à te régénérer est génétique, insista Baptiste. Il y a fort à parier, si tu te reproduisais avec un être humain - ce qui ne se produira pas - que l’enfant ait les même propriétés que toi.

- Mon changement de groupe sanguin vient aussi de là ? demanda Oriana.

- Non, indiqua Baptiste. Nous changeons volontairement le groupe sanguin de nos invitées. C’est nécessaire pour que l’expérience fonctionne. Toutes nos invitées sont désormais O négatif.

- Vous avez changé le groupe sanguin de toutes vos patientes et vous les avez génétiquement modifiées si bien que maintenant, aucune d’elle ne meurt en couche.

- Non, annonça Baptiste en serrant les dents, et ce pour deux raisons. D’abord parce que malgré toutes nos tentatives, nous n’arrivons pas à induire le transfert génétique.

Oriana ouvrit de grands yeux. Il existait donc des choses inaccessibles à cet homme.

- Ensuite, parce que même si nous le pouvions, nous ne sommes pas d’accord sur le bien fondé de le faire, précisa Baptiste.

- Comment ça ? Quels sont les arguments contre ?

- Le faire signifie que les patientes survivraient et seraient donc relâchées avec leur ADN modifié.

- Vous craignez qu’elles ne tombent entre les mains de vos ennemis, comprit Oriana.

- Vois la réaction des tiens lorsqu’ils se sont rendus compte de tes compétences. Cela n’a pas traîné. Imagine maintenant que des milliers de femmes soient dans ce cas. Elles seraient traquées et torturées. On leur retirerait leurs organes à vif sans prendre soin même de les recoudre. À quoi bon ? Elles survivent.

Oriana grimaça.

- Ensuite, leurs enfants auraient leurs gênes. Elles seraient fécondées de force par de riches hommes, permettant à leur fils d’obtenir l’assurance d’une vie sans maladie, sans douleur. Le monde se scinderait entre ceux qui peuvent se payer ce genre de choses et ceux qui ne le peuvent pas et les perdants seront toujours les mêmes, assura Baptiste.

Oriana en eut envie de pleurer.

- Pourquoi ne faites-vous pas profiter de vos fantastiques découvertes au monde ? accusa Oriana.

- Tu veux dire en laissant une chirurgienne soigner une poignée de riches et des milliers de pauvres ?

Oriana se recula, comme s’il l’avait giflée.

- Rappelle-moi où tu as acquis ce savoir ?

Elle trembla en échange.

- Crois-tu être la seule dans ce cas ?

Cette phrase-là la mit KO. Elle ne s’y attendait pas du tout.

- Vous partagez vos connaissances, comprit-elle. Vous les distillez, de ci, de là, pour ne pas attirer l’attention. Oh Baptiste, pardonnez-moi. Je vous ai mal jugé.

- Je t’en prie, répondit le maître des lieux apparemment pas blessé le moins du monde. Je comprends. Dans ta position, j’aurais eu la même réaction.

- C’est cette modification génétique qui ralentit mon vieillissement ? demanda Oriana. Plusieurs personnes, avant de venir ici, m’en avaient fait la remarque.

Baptiste acquiesça de la tête.

- Vous m’avez dit ne pas savoir comment induire le transfert.

- En effet. Et alors ?

- Alors vous non plus vous ne vieillissez pas, fit-elle remarquer.

- Oui mais moi, je suis le Diable, répondit-il en souriant puis il s’éloigna tranquillement.

Oriana en conclut que le psy n’était plus une obligation. Tant mieux. Quant à cette réponse volontairement provocatrice, Oriana n’en tint absolument pas compte. Il s’amusait à la titiller. Elle ne comptait pas entrer dans son jeu. En souriant, elle retourna à ses tomates.

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