Chapitre 4 : la pretresse de l'amour

Par Fenkys

Le convoi s’était remis en route depuis un peu moins d’un monsihon quand Rifar remarqua une trace de poussière soulevée en l’air, loin devant eux. Une troupe nombreuse de cavaliers venait à leur rencontre. Il le signala au marchand.

— Que fait-on ? demanda Posasten.

— Tant qu’on ignore de qui il s’agit, rien, répondit Rifar. On continue sans s’occuper d’eux. On avisera quand ils seront en vue. Nous sommes sur une route protégée.

— Les pillards ne respectent pas cette protection, objecta Posasten. Et la route ne bénéficie pas de la sanctuarisation des refuges.

— Des pillards seraient plus discrets, fit remarquer Dalbo.

Ksaten se porta à la rencontre des deux cavaliers.

— Cette troupe vous inquiète ? s’enquit-elle.

— Pas vraiment, répondit Rifar.

L’intervention de la stoltzin lui rappela qu’en cas de combat, il bénéficierait de deux guerriers de plus que les cinq qu’il avait recruté. Et pas des moindres, vu la façon dont s’était déroulé le combat contre le détachement oscardien.

— Espérons que ce ne soient pas des soldats, remarqua Ksaten, ils risqueraient de ne pas apprécier de découvrir leurs collègues enfermés.

— Nous verrons bien, conclut Rifar.

Les nouveaux arrivants les atteignirent un moment plus tard. Au grand soulagement de Rifar, ils n’étaient pas Oscardien, mais Naytains, même si leur uniforme laissait le caravanier perplexe.

Posasten donna l’ordre d’arrêt. La troupe en face d’eux les imita. Ils n’étaient que six, mais leur équipement, lance et glaive en fer, les cataloguaient comme une troupe d’élite. Des adversaires qui ne seraient pas à négliger en cas d’affrontement.

— Quelle affaire amène les soldats de la Nayt si loin de leurs frontières ? demanda Posasten.

— Nous recherchons deux voyageurs, répondit leur chef.

— Nous n’avons croisé qu’une troupe de soldats oscardiens.

— Je vois cela, constata le Naytain en désignant le chariot, la douane de Massil va se régaler.

Soudain, ses yeux s’ouvrirent en grand sous la surprise quand il découvrit qui venait à sa rencontre. Bayne était descendue de son chariot et les rejoignait d’un bon pas. En la voyant approcher, le soldat manifesta un intense soulagement. Il descendit de sa monture pour se porter à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à quelques pas. Puis elle combla l’espace entre eux et lui assena une gifle retentissante. Rifar ne put que serrer les dents, imaginant sans peine la douleur et l’humiliation du militaire. Ce dernier supporta la punition sans broncher. Il se retint même de se frotter la joue.

— Dame Arda, dit-il piteusement.

— J’espère qu’à l’avenir vous ne perdrez plus les gens que vous êtes chargés de protéger.

Il ne protesta pas, se contentant de lever le menton. Une gifle, il s’en tirait à bon compte.

— Capitaine Acron, nous allons voyager avec ces gens, ordonna-t-elle. Vous allez vous joindre à leur escorte.

Elle tourna la tête vers Rifar, mais ce fut Posasten qui prit la parole.

— Je ne suis jamais contre quelques combattants de plus, remarqua-t-il, même s’il n’y a plus beaucoup de trajet jusqu’à Massil.

— À vos ordres, ma dame, répondit Acron.

Le capitaine Naytain réfléchissait à toute vitesse. Il venait de subir un échec grave et une humiliation encore pire. Dans une telle situation, il ne lui restait plus qu’à accomplir un coup d’éclat pour restaurer son honneur : au minimum, sauver la vie de sa dame. Intégrer une caravane pourrait attirer des pillards qui lui offriraient l’occasion de se surpasser.

Quand elle repassa devant Rifar pour rejoindre son chariot, il l’interpella.

— Dame Arda, je croyais que vous vous nommiez Bayne.

Pour toute réponse, elle lui envoya un sourire engageant qui rappela au cavalier la douceur de ses lèvres et la fermeté de sa poitrine quand il l’avait embrassée. Malgré lui, l’image de Meghare se substitua dans sa tête. Il l’avait aussi tenue dans ses bras, il ne put s’empêcher de les comparer.

Bayne – ou Arda – était plus âgée, plus expérimentée, alors que Meghare, encore jeune, manquait d’assurance. La jeune femme s’était laissée guider lors de la danse qu’ils avaient partagée. Il doutait que Bayne serait restée aussi passive. Il suffisaient de voir la façon dont les deux femmes s’étaient habillées alors qu’elles portaient les mêmes vêtements. Meghare restait assez discrète malgré son décolleté qui mettait en valeurs sa poitrine ronde. Par contre, Bayne explosait, on ne voyait qu’elle. Elle éclipsait toutes les femmes du convoi, y compris la magnifique Ksaten. Peut-être Saalyn avait-elle l’état d’esprit pour la battre sur ce terrain, mais pour le moment, elle n’en avait pas l’humeur.

Pendant que Bayne rejoignait sa place, Meghare se rapprocha de Rifar. Elle plaça les deux chevaux côte à côte.

— Apparemment, vous n’avez pas compris qui elle était, remarqua-t-elle.

— Et vous si ?

— Dame Arda de Bayne. Bayne est une éparchie dépendant de Burgill.

— Une pretresse ! s’exclama-t-il. Je croyais que les nobles naytains faisaient suivre leur nom de celui de leur chapelle, pas qu’il en portaient juste le nom.

— C’est le cas. Sauf quand c’est son dieu qui domine la chapelle. Arda est prêtresse et éparque de Bayne, alors que les autres prêtres ne sont rien de plus que … prêtres.

— Elle n’a pas l’air d’une prêtresse, remarqua-t-il.

— Et à quoi devrait ressembler une prêtresse ?

— En Yrian, elle n’embrassent pas les inconnus sur la route, même quand elles leurs sont reconnaissantes.

— Je veux bien le croire. Votre seule déesse est plus une figure maternelle qu’une amante. Nertali est la déesse de la beauté et de l’amour.

Rifar regarda Bayne grimper sur le banc de son chariot.

— La déesse de l’amour, ma foi, elle la représente bien en effet.

— Eh ! Ne la matez pas comme ça !

Meghare ponctua sa protestation d’une petite tape sur le bras du cavalier. Sans comprendre pourquoi, Rifar éprouva de la gène. Pourtant, il n’était pas du genre à ménager ses plaisirs. Il n’avait pas honte, dans son pays ou sur les routes, à inviter des femmes dans son lit. Il n’avait pas non plus pour habitude d’ignorer celles qui lui offraient leurs charmes. Il avait eut de nombreuses maîtresses et n’hésitait pas à fréquenter les demi-mondaines. Et si Meghare avait raison, que Bayne était la prêtresse de Nertali, il se pourrait bien qu’il honore sa couche une prochaine nuit.

— Une dernière question, reprit-il, Bayne est-il une éparchie importante ?

— Comme toutes les provinces frontalières du Sangär, elle comporte une garnison importante qui protège Burgill de leurs pillages. Et elle produit beaucoup de vin, principalement rouge.

De mieux en mieux. Il allait vraiment falloir qu’il passe du temps avec Bayne. Et pas seulement pour prendre du plaisir ensemble. Une éparque puissante qu’il pourrait mettre dans sa poche s’il se montrait à la hauteur. Elle se révélait finalement bien plus intéressante qu’il ne l’avait cru au premier abord.

Après que les modalités d’intégration des nouveaux venus furent établies, la caravane se remit en route. Les soldats de Bayne se placèrent sous les ordres de Rifar. Ils chevaucheraient en tête, pour éliminer les éventuelles menaces qui pourraient se trouver devant eux. Ainsi protégé, il y avait peu de chance que quiconque s’en prenne au convoi, même une escouade de l’armée du pays qui serait révulsée par le comportement indécent des femmes qui voyageaient en leur sein. Meghare choisit de voyager à côté de Rifar, ce qui rendit ce dernier joyeux.

— Vos compagnons ne vont pas s’énerver de ce que vous restiez avec moi, demanda-t-il.

— Je ne suis pas à leur service, expliqua Meghare, je ne fais que profiter de leur protection pendant mon retour chez moi.

— Une guerrière libre du niveau de Ksaten et une ancienne guerrière suffisamment habile pour disposer d’armes évoluées, il est difficile d’être plus en sécurité. Sans compter qu’il s’agit de stolzint. À masse égale, leurs muscles sont plus puissants que les nôtres. Si je devais me battre, je préférerais les avoir à mes côtés qu’en face.

— C’est vrai que je me sens en sécurité avec elles. Et pourtant, Ksaten ressemble à une poupée, toute menue qu’elle est. Et si Saalyn est plus musclée, elle est aussi très belle.

— Ksaten n’est pas menue. C’est vous les Naytains qui êtes grands. Et sa réputation n’est plus à faire. Quand elle se met en chasse, la seule chance de sa cible est de se constituer prisonnier au premier consulat helarieal avant qu’elle ne la trouve.

— Elle n’a pas l’air si terrible pourtant.

— Détrompez-vous, la contredit Rifar. Vous avez bien dormi cette nuit. Aucun de mes hommes n’est venu vous embêter. Pourtant ce ne sont pas des saints.

— C’est vrai.

— À votre avis, pourquoi ?

Sur le signal de Posasten, la caravane se remit en route, les obligeant à interrompre leur conversation. Cependant, Meghare ne réintégra pas la queue du convoi, pour la plus grande joie de Rifar.

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