Chapitre 4 : Fantôme du passé

Par Melo
Notes de l’auteur : TW : Sang / Violence physique

Plus Eirin s'avançait dans la forêt, plus celle-ci semblait sombre et tortueuse. C'était une sensation étrange, comme si elle était une entité vivante à part entière.

À peine était-elle partie dans les bois avec ses trois autres camarades que Shauna s'était mise à courir, sans doute pour doubler le reste de la bande et arriver la première. Amusant de confondre à ce point les consignes. Ce n'était pourtant pas une course. Ou alors était-ce parce qu'elle ne comprenait pas le terme « consigne » ? 

Séparés d'une de leurs camarades, les trois autres continuèrent leur avancée. Mais plus ils progressaient, plus la forêt devenait dense, des racines se dessinaient et s'empilaient entre elles, formant presque un mur entre les candidats. 

La forêt avait décidé de les isoler.

— Bien, il semble que nous devions nous séparer ! Bonne chance à vous ! cria Kevin. 

Sa voix était à présent étouffée par les multiples branches et apparaissait comme un écho déformé. 

— Merci, dit Eirin dans un souffle, sachant pertinemment qu'elle ne serait pas entendue par ses camarades. 

Elle continua son chemin plusieurs heures ainsi. Seul le bruit de ses pas sur les feuilles mortes l'accompagnait et l'empêchait de sombrer dans la folie, tellement ce silence lui pesait. 

Après une heure de marche, un nouveau bruit vint rejoindre cette langoureuse mélodie morbide : un ruisseau.

Cela faisait si longtemps qu'elle marchait sans remarquer le moindre changement. Ce n'était pas un hasard, elle touchait au but. 

Une fois proche du ruisseau, Eirin s'accroupit près de l'eau. Celle-ci avait un tel éclat qu'elle faillit ne pas voir le reflet d'un homme immense et musclé derrière elle. La claymore qui frôla ses cheveux pour se planter à quelques centimètres de sa main l'assura de la dangereuse réalité qui s'imposait à elle.

— Alors c'est toi que je vais affronter ? J'espère que tu seras digne de ta famille, comme ton père. C'est un adversaire redoutable !

Aussitôt cette phrase prononcée, la lame se souleva, comme menée par une main invisible, et se redirigea vers la paume de son nouvel ennemi. C'est avec peur, mais aussi avec fascination qu'Eirin assista à ce geste, son regard ne quittant pas l'arme dont l'apparence usée cachait habilement sa valeur. Il n'était pas commun de voir des armes enchantées, dont la maigre quantité était née d'un art ancien et oublié durant la guerre du pouvoir dans le but de tenter de surpasser les plus puissants des mages. Et c'est précisément pour cette raison qu'elles étaient si rares puisque représentant un danger, mais surtout une attaque à la "fierté magique".

Ce type d'arme ne tombait pas dans les mains de n'importe quel ennemi. Cet opposant était redoutable.

Sa lance était fixée dans son dos. Vu la vitesse à laquelle l'homme avait jeté son arme, elle n'aurait pas le temps, ne serait-ce que de toucher la sienne.

Face à cette difficulté, elle décida d'engager la discussion puisque apparemment, son adversaire semblait d'humeur à bavarder.

— Vous connaissez mon père ? 

L'homme parut étonné par la question de la jeune fille : 

— Tu es surprise que je connaisse ton père ?! 

Il se mit à rire bruyamment sans pour autant quitter des yeux la jeune fille. Dans un sourire, il dit d'une voix sérieuse totalement détachée de son humeur précédente :

— Tout le monde connaît ton père, insinua-t-il, les yeux brûlant de colère. Cependant, je dois l'admettre, j'ai eu "l'honneur" de passer plus de temps en sa compagnie. Si tu tiens de lui, le combat s'annonce intéressant. 

Sur ces mots, il leva à l'aide de ses deux mains son arme et dessina un arc d'énergie se précipitant vers Eirin.

L'élève ne perdit pas plus de temps, elle sauta et roula à même la terre afin d'éviter l'attaque qui vint s'écraser contre un arbre, coupé en deux par le choc.

Loin de rester immobile à admirer la force de l'homme, elle prit le bâton fixé dans son dos, le serra dans ses deux mains et frappa violemment le sol avec. Rapidement, une onde s'éleva et entoura la lance. Progressivement, des morceaux de pierres vinrent se positionner sur le bois, finissant par former une lance possédant un éclat argenté.

Une fois équipée, elle s'élança vers la carcasse de l'arbre qui avait connu le sort qui lui était destiné. Elle le prit comme appui, sauta et s'élança vers son ennemi, lance vers l'avant avec toute la force dont elle pouvait faire preuve. 

L'angle était idéal, la force parfaite et la forme sinueuse de sa lance pouvait trouver les accrocs formant l'armure si solide de son adversaire. 

Adversaire qui ... disparut. 

— Quoi ?

— Étonnée ? Je reconnais bien là un membre de la famille Freymïr. Membre qui jamais ne se remet en question, lui et ses capacités et répond face à l'échec en criant injustice et impossibilité ... 

— Ma famille ne crie pas à l'injustice ! 

— C'est elle qui construit la justice. Oui, je sais, je connais le credo de ta famille. Ton père avant toi me l'a répété avant de m'infliger le coup de grâce. D'ailleurs, s'il était là, il m'aurait déjà battu. Apparemment, tous les membres de cette famille ne se valent pas ... 

«Tu es tellement faible ... Après tout, tu n'es peut-être pas mon enfant. »

D'où cela venait-il ? De la forêt ? Ce n'était pas possible, cette voix appartenait au passé ! 

— Alors, comme ça, on entend des voix ? insinua-t-il en riant doucement. Il semblerait que la folie soit héréditaire, ton père est quand même un sacré taré ! 

Elle se retourna et vit son opposant adossé à un arbre. Elle allait se replonger dans le combat quand une voix retentit de nouveau. 

« Père ! Je vous en supplie ! Pardonnez-moi ! »

Encore ces voix, ça en devenait insupportable ! 

— Cela suffit ! s'égosilla Eirin.

Et dans ce cri de rage, elle se jeta sur son ennemi avec toute la force qu'elle possédait. Il sembla pourtant la parer avec une facilité déconcertante. 

— Première leçon : ne laisse pas des remarques te déconcentrer, même si elles viennent non pas de ton adversaire, mais de ton être le plus profond ... 

Il se moquait d'elle ? 

L'homme reprit : 

— Ce n'est pas comme cela que tu réussiras cette épreuve, finit-il dans un sourire.

« C'est pour la réussite de cette épreuve que je m'inquiète pour vous, mademoiselle Freymïr. » 

Que cela cesse ! La forêt tentait-elle de la rendre folle ?!

— Non c'est toi, répondit-il à sa question silencieuse. Cela vient de toi, et seulement de toi.

Sur ses mots, il s'élança, claymore en main, et se jeta sur la jeune fille qui para avec grande difficulté. La proximité que ce duel engendra permit à l'apprentie d'étudier son rival.

Il avait l'air d'avoir déjà mené mille batailles, comme en témoignaient ses très nombreuses cicatrices. Une blessure en particulier attira l'attention de la jeune élève : un bandeau fait rapidement cachait l'orbite vide de l'homme. Il lui manquait son œil droit.

Rapidement, elle fit glisser la claymore le long du manche de sa lance, lui permettant de contourner son adversaire et de se mettre sur son flanc droit.

Son arme pesant son poids, son rival mit quelques secondes à se retourner vers elle du côté gauche. C'est bien ce qu'elle pensait. Il n'avait pas fait preuve de magie pour parer à l'absence de son œil, c'était donc sûrement un non-mage, spécialisé dans le maniement des armes. 

Eirin retrouva un léger sourire. Il avait donc un angle mort.

— Quel merveilleux point faible, se chuchota-t-elle à elle-même.

Elle s'élança vers la droite du combattant, profitant de cette découverte, elle s'acharna sur son flanc droit. Son opposant enchaînait des attaques circulaires afin de se protéger. Pourtant, suivant sa nouvelle stratégie, elle parvint à lui faire quelques égratignures au travers de son armure. 

Elle allait continuer sur sa lancée quand son ennemi disparut de nouveau. 

— Apparemment, tu as trouvé ma faiblesse ! résonna une voix au travers de la forêt.

Comment était-ce possible ! C'était un non-mage ! Comment pouvait-il disparaître ainsi ?

Où était-il ? 

Où ? Eirin vit soudain une pointe de fer traverser son flanc. 

— Impossible, hoqueta-t-elle.

Le sang dessinait une rose sanglante autour de la lame encore enfoncée dans sa chair. 

Elle tenta de se saisir de l'arme afin de la repousser hors de son corps, mais lorsque sa main entra en contact avec le fer de l'épée ...

« Elder Freymïr ! Ne fais pas ça ! Tu sais bien que je ne te trahirais jamais !  » 

La violence de la vision fit vomir Eirin. Malheureusement, cela ne sembla pas l'arrêter.

« Après toutes ces années passées à combattre ensemble ! Tu penses que j'ai pu te trahir ? »

Les mots sortaient à présent de sa propre bouche. Elle ressentait chacune des syllabes qu'elle semblait formuler et chacune des émotions qui les habitait.

Elle vit soudain un homme s'approcher, le regard froid, la pupille couleur métal, une barbe de quelques jours assidûment travaillée. Cette personne était vêtue d'une longue cape sur laquelle apparaissait un écusson formant une lance entourée d'un loup. Elle n'eut pas le temps d'observer la scène qu'elle sembla reprendre la parole :

«Je t'en supplie, mon ami ... prends ta propre décision ... ne te contente pas de suivre ce que le credo de ta famille ordonne surtout pour une simple rumeur. »

« Il suffit, dit la voix de l'homme qui lui faisait face, une voix sombre, calme. Une voix qu'elle connaissait. Tu ne m'as déjà que trop déçu. Tâche de garder, ne serait-ce qu'une once de fierté. Rahel ! »

Une femme apparut dans son champ de vision. L'homme, sans lui offrir le moindre regard, se contenta de lui donner un ordre prenant la forme d'un unique mot :

— Nidhögg

Tout à coup, elle sentit quelque chose dans son dos. Quelque chose s'avançant lentement vers sa nuque, puis une morsure. 

Seul son cri fut véritable et sa force ramena Eirin à la réalité.

C'était ... atroce.

La vision s'arrêta aussi brutalement qu'elle avait commencé.

Un liquide rouge coulait abondamment, non pas de sa nuque d'où elle avait ressenti une effroyable douleur, mais de son flanc d'où l'arme s'était finalement retirée, laissant une vague de sang progresser. 

— Cordell, dit Eirin dans un souffle. Vous êtes Cordell.

Eirin ferma les yeux quelques instants. La souffrance était insupportable.

— Cela fait longtemps qu'on ne m'a pas nommé par ce nom.

— Je sais ... qui tu es ... et je sais ce que mon père t'a fait. 

Cordell fixa son arme colorée de rouge sur son dos, s'avança vers Eirin et s'agenouilla devant elle, de sorte à la regarder dans les yeux.

— Que ton père m'a-t-il fait ? 

— Il t'a assassiné, avoua-t-elle difficilement, un filet de sang sortant de sa bouche. Je... je ne sais pas pourquoi, mais sûrement pour protéger sa fierté. 

— Tu ne penses pas qu'il ait commis cet acte par justice ? 

— Mon père n'agit jamais au nom de la justice. 

— Ta vision de la famille doit être sacrément étrange pour que tu ne défendes pas ton propre père. 

— Je ne défendrai jamais mon père ! Je sais ce qu'il a fait et ce qu'il continue de faire et je suis navrée que cela vous ait coûté la vie. Au nom de la famille Freymïr, je vous présente mes excuses. 

Un sourire se dessina sur le visage de Cordell : 

— Peut-être que le pardon est finalement possible pour ta famille. Le Maître a eu raison de croire en toi ! Espérons que tu continues sur cette lancée et que les fantômes de ta famille ne te rattrapent pas ! 

Sur ces mots, Cordell commença à disparaître : 

— Bien ! Mademoiselle Freymïr, j'ai le plaisir de vous annoncer que vous avez réussi cette épreuve, à condition bien sûr que vous parveniez à sortir vivante de cette forêt avec cette vilaine blessure. 

Eirin n'eut pas le temps de se réjouir de sa réussite que son cerveau lui envoya un signal de douleur. Sa blessure ne cessait d'empirer et si rien n'était fait, elle ne tarderait pas à trépasser. Il fallait qu'elle trouve de l'aide et vite. Elle se tourna vers la rivière et tenta de nettoyer au mieux l'entaille sur son flanc. Elle utilisa de longues feuilles et quelques branches pour tenter de concevoir un bandage de fortune. Une fois assurée de la bonne tenue de l'équipement, elle utilisa toutes ses forces pour se lever et faire demi-tour. 

Elle marcha ce qui lui sembla être une éternité de souffrance pour finalement s'appuyer sur un arbre, commençant à avoir des vertiges. 

Alors qu'Eirin perdait espoir, elle entendit un cri.

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Hastur
Posté le 18/02/2021
J'ai beaucoup aimé ton idée sur comment finalement vaincre dans ce combat ! On imagine sans peine le poids et les relations familiales. Ca creuse le personnage.

Je m'arrête ici pour aujourd'hui :). A très vite !
Melo
Posté le 20/02/2021
Exactement ! La difficulté n'est pas toujours le fait de surmonter des obstacles mais plus de se libérer du poids du passé.

Pas de soucis ! Désolé du retard des réponses ^^'. Merci beaucoup pour tes commentaires 😁.
sifriane
Posté le 30/01/2021
Coucou Melo
Le suspense reste intact, et Eirin nous montre enfin ses failles, c'est appréciable.
Les scènes de combat sont généralement assez casse gueule à écrire je trouve, mais tu t'en sors bien.

En tout cas hâte de lire la suite
Melo
Posté le 03/02/2021
Bonsoir sifriane !

Ravie que le suspens continue d'être présent ! Eh oui Eirin montre de quoi elle est capable ! Et elle n'a pas usé de toutes les cordes à son arc !

Oui ! C'est TELLEMENT difficile les scènes de combat TwT. Du coup contente de m'en être à peu près ^^'.
Blanche Koltien
Posté le 24/01/2021
Eh bien!! Sacré chapitre! Je n'aurais jamais pensé que ce serait de cette manière qu'Eirin réussirait l'épreuve, bien trouvé!! En plus on en apprend plus sur sa famille, c'est très intéressant!
Et j'ai comme l'impression qu'elle va se retrouver sur le chemin de Shauna ^^ J'attend la suite avec impatience pour le savoir!
Melo
Posté le 24/01/2021
Je te remercie tellement de commenter comme ça ! Tu peux pas savoir comment ça motive ! Donc déjà merci !

Et OwO mais merci !!!!! J'ai apprécié écrire ce chapitre donc je suis ravie qu'il te plaise ! Y en aura pas mal à apprendre sur Eirin donc vaut mieux commencer dès maintenant 😅.
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