Chapitre 4 :Enora

Par Maric
Notes de l’auteur : texte remanié

Le manoir

Profitant du soleil qui semble avoir pris un abonnement et brille pour ma plus grande joie dans un ciel clair et serein, je décide de rouler au hasard.

Délaissant la nationale, je m’engage sur les petites routes qui traversent la belle campagne bretonne. Légère, je laisse mes regards glisser le long des champs. Les talus bordés de genets me ravissent, bref, je me sens curieusement bien.

Je roule ainsi depuis un bon moment quand me prend l’envie de me dégourdir les jambes. A une intersection j’aperçois une trouée dans un bois, en face de moi. Les arbres ont ingénieusement façonné l’entrée d’une caverne où je me plais à voir du mystère.

Je me gare sur un terre-plein proche du sous-bois et franchis l’arche des arbres. Je frissonne sous la fraicheur subite contrastant avec la chaleur que je viens de quitter. Je me grise de l’odeur qui se dégage des feuillages et de la terre encore humide. 

Comment ai-je pu vivre aussi longtemps loin de cette nature, de toute cette verdure ? Même si les arbres ne me permettent pas d’apercevoir quoique que ce soit-delà de leur tronc et de leurs feuillages, en cet instant je vois plus loin que les pages de mes livres, de mes fichiers, des immeubles qui se dressent de part et d’autre des rues de Paris.

J’ai l’impression d’ouvrir les yeux sur un monde nouveau, plus grand, plus coloré, que les odeurs sont plus riches, que je pourrais nommer chacune d’entre elles si j’avais un minimum de connaissance en botanique. Alors je me contente de profiter.

Tandis que je suis sur mon petit nuage, je poursuis ma promenade sans prêter vraiment attention au chemin, me contentant de mettre un pas devant l’autre, les yeux levés vers les morceaux de ciel qui s’accrochent à la ramure des arbres.

Mon pied qui se prend dans une branche me ramène sur terre, dans tous les sens du terme. Pestant, je me relève, cherche dans mon sac un mouchoir pour essuyer mes mains écorchées et qui me chauffent.

Des feuilles humides restent collées sur mon jean. Je le frotte et, regardant autour de moi, je prends soudain conscience que j’ai quitté le chemin et qu’un vague sentier se perd l’amas de branchages qui tapissent le sol.

Les arbres se sont refermés sur moi. Je cesse aussitôt de me griser de mon environnement pour me demander plus prosaïquement avec néanmoins une pointe d’inquiétude si je ne suis pas perdue.

Ce bois breton n’étant en rien comparable à la jungle amazonienne, je me rassure et contre toute raison, je continue d’avancer puisque les difficultés sont aussi bien derrière que devant. Mais c’était sans compter sur les caresses douteuses des ronces qui agrippent mon jean déjà malmené et la perfidie de certaines branches basses qui s’accrochent à mes cheveux et me gifle le visage.

Le charme de cette promenade est définitivement gâché. J’hésite encore une fois à faire demi-tour mais il me semble que le bois s’éclaircit alors vaille que vaille je continue à enjamber les racines, à écarter les branches, à me dépêtrer des feuillages. Je vois des morceaux de ciel de plus en plus grands. Alléluia, je vais y arriver !

Le destin est une étrange chose et le mien m’attendait dans cette propriété que je découvre en m’extirpant avec difficulté des dernières ronces.

A peine le temps de jeter un œil autour de moi, que je suis happée par le regard fixe de plusieurs chiens au babines retroussées sur des crocs dont la taille me fait frémir. J’en compte six bien campés en demi-cercle face à moi. Des gouttes de transpiration perlent sur mon visage sous l’action conjuguée du soleil qui m’inonde à nouveau de sa chaleur et de la peur qui me tétanise.

Je ne bouge pas un cil malgré la sueur qui dégouline de mes tempes jusque dans mon cou. Les chiens grognent mais étrangement n’aboient pas. « Des chiens !.. ou des loups ».

En position d’attaque, ils me surveillent de près sans faire un mouvement. Je n’en ai jamais vu d’aussi grands avec dans leurs yeux une lueur rouge qui m’hypnotise. Je m’extirpe de cette attraction pour jeter un rapide coup d’œil sur l’endroit où j’ai atterri.

Aussitôt les chiens s’avancent comme pour rappeler à l’ordre. Je me tourne à nouveau vers eux. J’ai juste eu le temps d’apercevoir un immense terrain au milieu duquel s’élève un manoir, en tout cas ça y ressemble.

J’ai compris que tant que je les regarde dans les yeux, mes geôliers canins resteront à leur place « vraiment étrange ! ».

Mon empathie naturelle avec les animaux m’aide à me détendre suffisamment pour qu’ils ne ressentent plus ma peur. Mais combien de temps vais-je rester plantée là avant qu’un habitant de ce lieu ne vienne à mon aide. Leur attitude continue de me surprendre. Ils ne bougent pas une oreille, ils ont même arrêté de grogner.

Soudain dans un ensemble parfait, les chiens « les loups ?», se couchent tout en continuant à me fixer, mais je ne lis plus de menace dans leur regard.

Je pousse un soupir de soulagement et tourne avec hésitation les yeux sur l’homme qui s’approche à grandes enjambées. Il me semble familier sans pour autant que je puisse me rappeler où je l’ai rencontré.

Cette impression de déjà vu m’agace et je force ma mémoire pour en sortir l’information et enfin, comme un brouillard qui se déchire, elle m’apparaît.

« Je le crois pas ! » Je reconnais mon inconnu du bar. Complètement déstabilisée, j’essaie de reprendre contenance alors qu’il s’arrête à quelques pas. Il regarde les chiens qui d’un bond s’élancent et s’éparpillent dans le terrain. Il n’a fait aucun geste et pourtant j’ai le sentiment qu’ils ont obéi à une injonction. Ils sont apparemment très bien dressés.

Toute mon attention se porte sur celui que se tient devant moi, jambes légèrement écartées, les mains sur les hanches, la tête légèrement penchée. Il me fixe sans un mot. J’essaie de ne pas gigoter car soudainement j’ai des fourmis dans les jambes, envie de me gratter la tête, de frotter mon nez qui me pique.

Certes je suis sur sa propriété mais il est visible que ce n’est pas de ma volonté. Rien qu’à me voir on ne peut ignorer que je me suis battue avec la végétation. Je suis échevelée, le jean tâché et griffé et lui reste là, sans broncher, impassible, raide comme la justice.

La voix rauque je décide de rompre ce silence pesant car après tout il a droit à des excuses même si je trouve son attitude un brin grossière.

  • Bonjour, je suis désolée, mais je me suis égarée et j’ai atterri… ici, dis-je montrant l’environnement d’un grand geste, si vous voulez bien m’indiquer le chemin pour retrouver mon véhicule, je ne vous importune pas plus.

J’aspire à la fin de ma tirade que j’ai débitée d’un seul trait, sans respirer. Je sens monter la colère devant son silence persistant « non mais quel connard ! ». Pour le coup je ne me sens plus du tout coupable !

Ses yeux d’obsidienne épinglent toujours les miens et franchement ça me fait vraiment flipper. Tellement, que je n’ai pas vu son comparse arriver.

  • Bonjour, dit celui-ci le visage plus avenant que le rustre en face de moi, peut-on vous aider ?

Je pousse un soupir de soulagement au moins il parle. Je le scrute, il fait la même taille que l’autre abruti en un peu moins charpenté mais il dégage tout autant de puissance. Ses yeux d’un bleu céruléen pourraient adoucir son visage carré au menton volontaire, s’ils n’étaient pas aussi glacés.

Je leur fais mon plus beau sourire et réitère ma demande d’aide. Ils se regardent tous les deux et se tournent à nouveau vers moi

Ils me gonflent tous les deux ! Je souffle excédée. Ils commencent sérieusement à me chauffer les oreilles. Je suis trop fatiguée pour jouer à leur petit jeu et je m’en vais leur dire ce que je pense ! J’ouvre la bouche mais aucun son ne sort car j’aperçois un sourire moqueur étirer leurs lèvres… en même temps, tandis qu’un éclair de soulagement semble traverser leurs yeux.

Je braque mon regard le plus impassible sur ces deux hommes et soudain, dans ma tête, un claquement sec me fait sursauter douloureusement, « c’est quoi ça ?! ». Je porte mes mains à mes tempes, c’est différent de mes migraines habituelles mais cela s’atténue tout aussi rapidement à mon grand soulagement. Je n’ai pas le temps d’approfondir, on verra plus tard !

Les deux énergumènes froncent les sourcils et se regardent à nouveau quelques secondes. Quelque chose m’échappe mais une petite voix à l’intérieur me dit de laisser tomber.

  • Ecoutez, je veux juste rentrer chez moi, dis-je d’une voix lasse, je suis vraiment désolée de vous avoir dérangé.

A mon grand désarroi, je sens les larmes me monter aux yeux. Je prends une grande inspiration pour les chasser. Il ne manquerait plus que je m’effondre devant eux. Plutôt mourir « enfin peut-être pas quand même, faut pas exagérer »

  • Où êtes-vous garée, demande le blond à qui je reconnais au moins le mérite de faire un effort.

Je lui indique où j’ai laissé mon véhicule et je lis la surprise sur son visage.

  • Eh bien, vous avez fait un sacré bout de chemin dans les broussailles, vous deviez vraiment avoir envie de nous revoir !

Ça, c’est Connard qui se décide à ouvrir la bouche que pour le coup il aurait mieux fait de garder fermée ! je suis soufflée, je pensais qu’il était muet, mais non ! il a même une belle voix grave, enfin elle me plairait si elle n’était pas empreinte d’une telle ironie.

  • Surement pas non ! ne le croyez pas une minute !

J’étouffe d’indignation mais je m’interromps, ce n’est peut-être pas le moment de le provoquer, en tout cas pas avant d’être sortie de là. Je lui dédie quand même mon regard le plus noir auquel il reste, bien entendu parfaitement indifférent.

  • Bien ! après cet assaut de courtoisie, on va peut-être se présenter pour rétablir l’équilibre du savoir-vivre, reprend le blond pour détendre l’atmosphère. Je m’appelle Roland et le grincheux c’est Yaël.

Surprise, je suis tout-à-coup déstabilisée et c’est rougissant que je souffle

  • Heu… moi c’est Enora, enchantée.

Non mais quelle idiote ! En plus je ne suis pas du tout enchantée, surtout après sa sortie moqueuse, je lève les yeux au ciel intérieurement.

Le dénommé Yaël regarde son ami d’un air concentré qui m’exaspère encore plus, ils me donnent la désagréable impression de mener une conversation silencieuse dont je suis exclue. Oui, je sais c’est n’importe quoi ! puis il hoche sèchement la tête vers moi, fait demi-tour et s’éloigne.

Suffoquée, je me tourne vers Roland qui me regarde songeur. Son visage s’est adouci et contre toute logique, la barrière de cette froideur me fait défaut pour me maintenir à flot.

Mon socle vacille, cette nouvelle rencontre pour le moins troublante me sort de ma zone de confort et je me surprends à vouloir être offensive… ce n’est pas moi ça. Pourtant tout au fond de moi, je sais que je suis entrée dans une zone indéfinissable, celle qui borde la réalité, une zone de turbulence à laquelle j’échapperai en y jetant toute mes forces et toute mon âme. Encore une fois je suis complètement perdue.

Je sors de mes pensées lugubres, les yeux patients de Roland fixés sur mon visage rembruni. Il m’attend. Les chiens se regroupent autour de nous, comme s’ils avaient été appelés. Je comprends qu’ils vont nous accompagner. Ils se frottent de temps à autre à mes jambes, ils ne sont pas menaçants mais je ne me sens pas bien.

Roland marche d’un pas vif sur le chemin qui contourne le manoir et j’essaye de suivre son rythme malgré ma fatigue.

Soudain, des crépitements dans mon crâne provoquent une douleur qui m’est familière et pourtant je ne l’avais jamais ressentie avec une telle intensité. Mes pas se font hésitants, ma vision est floue et se noie dans un brouillard pourpre incandescent.

Les chiens me bousculent mais je n’ai plus la force d’avoir peur ni de les repousser. Je frissonne, la sueur colle mon tee-shirt à ma peau, mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. J’ai juste le temps de voir Roland se retourner surpris, je m’effondre.

Avant d’être engloutie par les ténèbres me vient cette curieuse réflexion « Il ne va pas être content ».

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Laure Imésio
Posté le 05/06/2022
Bonsoir,
Une belle évocation du bois et une étrange rencontre. On se demande toujours comment ça va tourner et on ne sait que penser des deux hommes. La fin est inattendue et pleine de mystère. Du coup, on a hâte de lire la suite.
Maric
Posté le 05/06/2022
Hello !
Merci beaucoup pour ta lecture.
En effet, ils cachent bien des secrets.
J'espère que la suite te plaira.
A bientôt
Edouard PArle
Posté le 23/05/2022
Coucou !
Vraiment étrange cette chute, elle n'a eu aucune interaction physique avec Yael et Roland et pourtant Enora s'évanouit... Et la dernière pensée qui lui est aussi très bizarre...
Très bon chapitre ! J'ai beaucoup aimé l'ambiance de la forêt bretonne que tu as posé au début, c'était extrêmement agréable à découvrir. Les chiens et l'arrivée de Yaël qui ne répond pas aux questions étaient aussi mystérieuses qu'inquiétantes.
J'ignore où tu nous emmènes mais j'ai hâte d'en savoir plus.
Mes remarques :
"un bon moment me prend l’envie de me dégourdir les jambes" -> quand me prend l'envie ?
"j’aperçois en face de moi, une trouée dans un bois" -> j'aperçois une trouée dans un bois, en face de moi ?
"et le miens m’attendait" -> mien
"s’avancent comme pour rappeler à l’ordre." virgule après s'avancent ?
Un plaisir,
A bientôt !
Maric
Posté le 23/05/2022
Hello,
J'ai beaucoup aimé écrire le passage sur la forêt, merci de l'avoir apprécié.
Enora et son problème avec les malaises, peut-être que la réponse est proche.
J'espère que tu aimeras la suite.
Merci également pour tes annotations que j'ai prises en compte car elles améliorent mon texte.
A bientôt
Maud14
Posté le 27/03/2022
Beaucoup trop de questions m'assaillent!
Qui sont ces connards, pourquoi les chiens se comportent de la sorte, pourquoi elle s'évanouit.. Il y a un ou plusieurs liens, c'est sûr, mais je vais continue pour le/les découvrir :p
Maric
Posté le 27/03/2022
Oui ça fait beaucoup de questions qui trouveront leur réponse.
Merci pour ton retour :)
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