Chapitre 4

Ils durent encore traverser une bonne partie de la ville surpeuplée avant de gagner le misérable logement de Martin. Le jeune Sorcier vivait dans les Bas Quartiers, au nord de la ville, dans une chambre au quatrième étage qu’il louait quatre crédits par jour – ce qui avait le don de scandaliser ses proches qui estimaient à juste titre que c’était cher payer pour un taudis pareil ! C'était sombre, un peu humide, mais après avoir vécu pendant des années dans les rues de Grand’Ronce, Martin lui trouvait des allures de petit palace ! 

    Dans un coin de la pièce, il avait installé son lit, une commode où il avait entassé tous les vêtements et souvenirs. À l'opposé, sous la fenêtre, un réchaud à gaz et quelques ustensiles de cuisine qu'il avait retrouvé au cours de ses rafles. Un rideau posé de travers dissimulait au regard du visiteur un lavabo, un miroir piqueté par le mercure, entre autres choses. Le reste était encombré de marchandises qu'il vendait aux marchands des Halles. Pour lui, c’était largement suffisant, et par-dessus tout, il adorait la vue. 

    De la fenêtre, il pouvait en effet apercevoir les collines environnantes et les premiers rayons du soleil qui illuminaient la plaine. C'était idiot, mais ça la rassurait. 

- Bon. Je suppose que tu as faim ? sourit Martin en allumant le réchaud après avoir jeté son paquetage dans un coin.

    D'un geste las, il s'employa à réchauffer une bouillie de légumes sans saveur. S’il était doué pour l'escalade, il était en revanche un piètre cuisinier. Un peu maladroitement, il remplit un bol qu’il tendit à son invitée. Emma entama son repas sans grand enthousiasme. 

- C'est pas bon, énonça-t-elle en accompagnant la sentence d'une grimace.

- Si c'est si mauvais, tu n'as qu'à te trouver mieux ailleurs ! grogna Martin en mastiquant difficilement un morceau de navet pas assez cuit. Alors… d'où tu viens ? 

- J’sais plus, répondit la petite fille.

- Tu n'as réellement personne sur qui compter ? Aucune famille ?

- Et toi ? répliqua immédiatement Emma.

    Martin ricana. La petite avait visiblement plus de caractère qu'elle n'en avait montré jusque-là ! Tant mieux ! Il préférait ça plutôt que ses pleurnicheries. 

- Moi c'est différent, lui répondit-il. Je me suis habitué à être seul. J'ai besoin de personne. C'est pour toi que je m'inquiète ! T'as eu de la chance que je sois passé par là, mais la prochaine fois il n'y aura peut-être personne pour te sauver les fesses !

- Alors t'es toujours tout seul ?

    Martin eut un sourire un peu triste. Les enfants avaient le don de résumer les situations les plus complexes à travers les mots les plus simples. 

- Ouais, si on veut, admit-il. 

- Mais c'est triste !

- Pas vraiment, non. Et arrête de chipoter ! C'est pas si mauvais ! Tu vas pas non plus faire la difficile ?

    De mauvaise grâce mais sans plus rechigner, Emma fini son assiette au grand soulagement de Martin. Une fois les couverts débarrassés, ou plutôt abandonnés dans l'unique lavabo, le jeune homme fouilla dans ses affaires à la recherche d'une couverture et d'une natte pour son invitée. Celle-ci, cependant, ne semblait pas du même avis. 

- J'peux pas dormir avec toi cette nuit ?

- Et puis quoi, encore ? C’est hors de question ! Tu vas t’installer là, à côté de moi ! Tu vas déjà m'entendre ronfler toute la nuit, ça te suffit pas ?

    Mais devant les grands yeux tristes de l'enfant, Martin abdiqua. Il était fatigué et il n'avait pas envie de se battre inutilement. Tout ce qu'il voulait, c'était se coucher et oublier cette maudite journée. Il fouilla un instant dans ses affaires, avant de dénicher une seconde couverture dont il se servit pour la couvrir. Puis il s’installa en grommelant, se calfeutrant contre le mur pour lui laisser le plus de place possible. 

- Allez, soupira le rafleur. Ferme les yeux et dors ! Je me lève tôt demain ! 

    Emma se coucha à son tour, tout contre son sauveur. Elle ne tarda pas à s'endormir, et un instant, Martin envia son innocence. Lui, ne parviendrait certainement pas à fermer les yeux avant plusieurs heures. 

    Tout se mêlait dans sa tête dans une cacophonie qu’il ne parvenait pas à faire taire. L'immonde gueule de l’Ombre se superposa au regard de Emma, l’odeur de soufre à celle du bois brûlé qui avait envahi toute la ville. Martin frémit en songeant que son enfance était partie en fumée en quelques heures, et cette idée réveilla ses peurs les plus profondes. Il sentit son cœur s'écraser contre sa cage thoracique. En écho à ses sentiments, ses mains se recouvrirent d'un givre scintillant. Il dut se faire violence pour calmer ses angoisses. 

    L'épuisement eut finalement raison de son esprit, le plongeant dans un sommeil peuplé d'Ombres et de hurlements.

    Aux premières lueurs du jour, il se réveilla dans un grognement, et avec la sensation de n'avoir dormi qu'une poignée de minutes. Le silence le troubla. Se redressant promptement, il jeta un œil autour de lui, avant de se rendre à l'évidence. 

 

    Emma n'était plus là. 

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